La séance est ouverte à 17 h 30.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains (n° 4338) (Mme Ramlati Ali, rapporteure).
Notre commission est saisie du projet de loi autorisant la ratification d'une convention élaborée par le Conseil de l'Europe, signée à Saint-Jacques-de-Compostelle le 25 mars 2015 et entrée en vigueur le 1er mars 2018.
Le trafic d'organes humains est un phénomène d'une extrême gravité. La volonté de l'éradiquer fait l'objet d'un consensus très large parmi les quarante-sept États membres du Conseil de l'Europe et, bien au-delà, sur les autres continents. On touche là à une matière qui est au cœur de la protection des droits humains et de la préservation de la dignité des femmes et des hommes.
La convention du Conseil de l'Europe revêt une importance particulière dans la mesure où elle constitue le premier instrument juridique dédié à cette question. Elle tend à combler un vide juridique international. L'adoption d'un tel texte par les 193 membres de l'Assemblée générale des Nations unies aurait été souhaitable mais l'Europe a fait le premier pas et cette convention est de toute façon ouverte à la signature des États qui ne sont pas membres du Conseil de l'Europe ainsi qu'à l'Union européenne. On peut cependant regretter qu'à ce jour, seuls onze États aient ratifié la convention, quinze autres l'ayant signée mais pas encore ratifiée.
La France s'est dotée d'un dispositif complet encadrant les dons et les transplantations d'organes humains et réprimant tout commerce en la matière. Notre pays se doit cependant d'être exemplaire et de ratifier solennellement cette convention, enclenchant ainsi un mouvement dont nous espérons qu'il sera suivi.
Comme son nom l'indique, la convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, signée par la France en novembre 2019, a pour objectif principal de contribuer à l'éradication du trafic d'organes humains en prévenant et en combattant ce crime. Au sens de la convention, le trafic d'organes désigne le prélèvement d'un organe sans consentement libre et éclairé du donneur en échange d'un profit ou d'un avantage comparable, l'utilisation d'organes prélevés illicitement et la sollicitation et le recrutement d'un donneur ou d'un receveur d'organes en vue d'un profit ou d'un avantage comparable pour la personne qui sollicite ou recrute ou pour une tierce personne. Je précise que le trafic d'organes peut résulter du trafic d'êtres humains mais que ce lien n'est pas systématique, notamment parce que les prélèvements illicites d'organes peuvent se faire sur des personnes décédées.
Sur cette base, la convention du Conseil de l'Europe prévoit l'incrimination d'une série d'actes. Elle comporte aussi un volet important consacré à la protection des victimes des trafics. Enfin, elle tend à faciliter la coopération internationale pour lutter contre ce fléau mondial.
Si l'ampleur et la portée exactes des trafics d'organes sont difficiles à estimer, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue à entre 5 % et 10 % la part des greffes d'organes réalisées dans le monde résultant de trafics, soit environ 15 000 greffes par an. Les estimations les plus hautes évoquent 4 millions de greffes par an. Il est vraisemblable que la réalité se situe quelque part entre les deux. Dans la majorité des cas, les trafics concernent le rein. Toutes voies confondues, le trafic d'organes dégagerait entre 600 millions et 1,2 milliard de dollars de profits par an, ce qui en fait une activité particulièrement lucrative et par là même difficile à combattre.
Les pays les plus touchés semblent être ceux dans lesquels le système de transplantation repose essentiellement sur un prélèvement sur donneurs vivants ou dans lesquels le dispositif de prélèvement sur donneurs décédés n'est pas suffisamment élaboré. On peut citer l'Inde, le Pakistan, les Philippines, le Bangladesh, l'Égypte, le Mexique, le Cambodge ou encore le Sri Lanka.
La présence d'importants flux migratoires peut être un autre facteur déterminant, comme en Égypte, en Irak ou en Syrie. Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la majorité des personnes victimes des trafics d'organes seraient des migrants de sexe masculin. Selon ce même organisme, un nombre croissant de victimes proviennent de pays marqués par des conflits, tels que la Syrie, l'Irak ou la Somalie.
Le trafic d'organes est un fléau d'autant plus répréhensible qu'il s'attaque à des personnes particulièrement vulnérables. Comme l'a souligné notre collègue Frédérique Dumas dans son rapport sur la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens, de nombreux abus, concernant des prélèvements illicites visant plus particulièrement des minorités ou des prisonniers politiques, ont été relevés en Chine ces dernières années.
La redistribution des organes illicitement prélevés suit les voies de la criminalité organisée transfrontalière, notamment celles de la traite des êtres humains. Depuis les années 1980 se développe ainsi un tourisme dit de transplantation, qui concerne surtout des ressortissants de pays développés qui se rendent dans un pays étranger pour acheter un organe et bénéficier d'une greffe. Ce phénomène a été condamné par l'OMS au début des années 2000, ainsi que par la déclaration d'Istanbul contre le trafic d'organes et le tourisme de transplantation, adoptée en 2008.
La déclaration d'Istanbul fait partie de l'arsenal juridique progressivement mis en place par la communauté internationale pour lutter contre les trafics d'organes. Si la convention qui nous intéresse aujourd'hui est le tout premier instrument juridique international spécifiquement consacré aux trafics d'organes, elle vient compléter un édifice existant, qui comprend notamment la convention des Nations unies de 2000 contre la criminalité transnationale organisée et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, ou encore la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine de 1997 et son protocole additionnel de 2007 relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine. En 2010, l'Assemblée générale de l'OMS a en outre adopté des principes directeurs sur la transplantation de cellules, de tissus et d'organes humains et souligné le fait que les gouvernements étaient responsables du développement de l'accès à la greffe dans des conditions éthiques satisfaisantes.
Au sein de l'Union européenne, la question peut être abordée dans le cadre non seulement de la lutte contre la traite des êtres humains, mais aussi de l'élaboration d'une réglementation commune sur les transplantations d'organes. Une directive relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation a ainsi été adoptée en 2010. En 2015 a été lancée la plateforme Fœdus, qui permet de mettre en relations les États européens afin que les organes qui n'ont pas trouvé de receveurs dans leur pays d'origine soient orientés vers d'autres pays européens – ce qui souligne que le développement des greffes et transplantations non seulement constitue une prouesse scientifique et médicale, mais est aussi un magnifique symbole de la solidarité humaine.
En France, un dispositif juridique et opérationnel a été élaboré il y a plusieurs années déjà afin d'encadrer les dons, transplantations et greffes d'organes et par là même d'interdire et de sanctionner les trafics, qui contreviennent à plusieurs principes juridiques fondamentaux de notre droit, tels que la dignité humaine – principe à valeur constitutionnelle –, la liberté individuelle ou la non-patrimonialité du corps humain. La loi du 29 juillet 1994, dite loi bioéthique, a consacré les principes fondamentaux du don d'organes : gratuité, anonymat et libre consentement du donneur.
L'Agence de la biomédecine, créée par la loi de bioéthique de 2004, joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre du dispositif national encadrant le prélèvement et les greffes d'organes, de tissus et de cellules. Elle est notamment chargée de gérer la liste nationale d'attente de greffe et le registre national des refus, ainsi que de suivre l'évolution de la situation internationale en matière de trafics d'organes et les mesures de lutte contre ces trafics, dont elle doit rendre compte dans son rapport d'activité annuel. L'agence réalise aussi une enquête annuelle anonyme auprès des centres de dialyse et des services de greffe pour évaluer le recours, par des patients résidant en France, à des greffes rénales à l'étranger à partir de donneurs vivants rémunérés.
Il ressort de ces enquêtes que le nombre de personnes résidant en France et greffées à l'étranger est très faible. Il s'agit le plus souvent de personnes d'origine étrangère qui bénéficient dans leur pays d'origine d'une greffe réalisée à partir d'une personne leur étant apparentée, en conformité avec les lois du pays en question. Même si les besoins d'organes enregistrés en France restent supérieurs aux quantités disponibles, les ressortissants français sont très peu incités à recourir au tourisme de transplantation, tant les garanties apportées par notre système de santé sont élevées. Au niveau européen, le Conseil de l'Europe réalise chaque année une enquête similaire, qui atteste qu'un nombre très faible de ressortissants européens sont greffés à l'étranger.
Dans l'ensemble, le droit français est déjà conforme aux stipulations de la convention. Le code pénal punit de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait de prélever un organe sur une personne vivante majeure, y compris dans une finalité thérapeutique, sans que le consentement de celle-ci ait été recueilli dans les conditions prévues par le code de la santé publique, ainsi que le fait d'obtenir d'une personne l'un de ses organes contre un paiement, quelle qu'en soit la forme ; il punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de procéder à des prélèvements à des fins scientifiques sur une personne décédée sans avoir transmis le protocole prévu par le code de la santé publique.
Comme le permet la convention et selon une procédure classique du droit international, la France a toutefois choisi d'émettre des réserves sur certains points. En première analyse, on pourrait redouter que cela n'affaiblisse la portée de la convention, mais ce risque me semble pouvoir être relativisé.
Il s'agit en effet d'éviter une incompatibilité avec certaines dispositions fondamentales de notre droit pénal, à savoir le principe de la double incrimination et les règles de compétence des juridictions françaises pour les personnes ayant leur résidence habituelle en France mais ayant commis un crime à l'étranger. Dans le premier cas, la France a déclaré qu'elle n'exercerait sa compétence qu'à la condition que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis et que ceux-ci aient donné lieu soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droit, soit à une dénonciation officielle de la part des autorités du pays en question. Concernant le critère de la résidence habituelle, la compétence des juridictions françaises n'est prévue qu'en cas de crimes ou délits particulièrement graves, tels que les actes de terrorisme. Dans les deux cas, il s'agit de garantir le respect de la souveraineté de l'État sur le territoire duquel les faits ont été commis.
Ces réserves, qui ne viendront en rien fragiliser le dispositif national très solide qui existe déjà dans notre pays pour lutter contre les trafics d'organes, seront en revanche de nature à favoriser l'adhésion d'un nombre important d'États à la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, laquelle, étant ouverte à la signature des États non membres du Conseil de l'Europe, est susceptible de constituer une force d'entraînement mondial, en dépit de l'absence parmi les États signataires ou susceptibles de l'être des points névralgiques du trafic international d'êtres humains.
J'ajoute que l'engagement de notre pays en matière de lutte contre les trafics d'organes passe aussi par la coopération judiciaire bilatérale en matière pénale, que la présente convention encourage, et par l'encadrement des partenariats scientifiques et universitaires, qui doivent se faire, comme le prévoit le code de la santé publique, dans le respect des engagements internationaux souscrits par la France. L'Agence de la biomédecine travaille ainsi en collaboration avec le ministère des solidarités et de la santé et les postes diplomatiques pour favoriser le développement des prélèvements et transplantations d'organes éthiquement encadrés. Il s'agit d'un point sur lequel nous devons rester extrêmement vigilants, comme l'a souligné Frédérique Dumas dans sa proposition de loi. Les auditions que j'ai menées m'ont permis de vérifier qu'il existait un cadre juridique satisfaisant, dont il est essentiel d'assurer le respect.
J'espère vous avoir convaincus de voter en faveur de la ratification de cette convention, qui atteste de la capacité des États à unir leurs forces pour lutter contre un fléau mondial particulièrement répréhensible.
Madame la rapporteure, vous avez été très convaincante. Merci pour ce rapport extrêmement important.
Je félicite à mon tour Mme la rapporteure pour son travail et m'associe aux éloges qu'elle a adressés à Frédérique Dumas. Celle-ci nous a incités à nous intéresser au phénomène et a sans doute contribué à accélérer l'examen du projet de loi de ratification par notre commission, que j'appelais moi aussi de mes vœux le 30 mars dans une question au Gouvernement. La convention enrichit notre arsenal juridique en matière de lutte contre le trafic d'organes humains ; il est indispensable que l'Assemblée en soit saisie au plus vite.
La France est profondément attachée au respect de la dignité et de l'intégrité de la personne humaine. Elle n'a jamais transigé avec ses principes en la matière, comme en témoignent aussi bien son droit interne – en particulier les articles 16-1 à 16-7 du code civil – que ses engagements internationaux, notamment la convention d'Oviedo d'avril 1997, qu'elle a ratifiée. Cette position, fondée sur les valeurs humanistes chères à notre pays et sur le souci constant d'appliquer et de promouvoir les droits de l'homme, n'est pas universellement partagée : de nombreux réseaux criminels ont fait du trafic d'organes leur fonds de commerce et commettent les pires atrocités pour assurer la pérennité de ce négoce inhumain.
Soyons clairs quant au degré de violence qui est en jeu : nous parlons de femmes, d'hommes et parfois même d'enfants qui sont victimes de prélèvements d'organes forcés, dans des conditions telles qu'au mieux ils seront à jamais meurtris dans leur chair, au pire ils perdront la vie durant leur supplice. Aucun mot n'existe pour décrire les sentiments que nous inspirent de telles pratiques : la colère et la révolte le disputent à l'écœurement. Ces infamies se poursuivent également sous la forme de tractations entre les trafiquants et les patients en attente de greffe. En effet, ces derniers sont poussés par la nécessité et le désespoir à financer ces activités abominables.
Nous parlons donc ici d'entités qui répondent à une logique systémique propre au crime organisé et dont chaque rouage contribue à faire perdurer des exactions faisant bien souvent fi des frontières. La seule réponse pertinente consiste à adopter une approche globale, à développer la coopération en matière de lutte contre la criminalité transnationale. À cet égard, il revient à notre assemblée de prendre ses responsabilités en autorisant la ratification de la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le groupe La République en Marche, qui exprime avec force son indignation et condamne avec la plus grande fermeté ces actes portant atteinte aux droits humains les plus fondamentaux, où qu'ils soient commis dans le monde, votera évidemment en faveur du projet de loi.
Merci, madame la rapporteure, pour votre travail ainsi que pour la clarté, la sincérité et la conviction avec lesquelles vous avez présenté ce rapport. Vous parlez d'un fléau mondial ; nous partageons évidemment ce point de vue.
La question est d'une importance majeure, alors même que la greffe d'organes reste le traitement le plus efficace pour les cas d'insuffisance rénale et le seul disponible pour les cas d'insuffisance terminale du foie, du cœur ou des poumons. Au cours des vingt dernières années, les progrès accomplis en France en matière de transplantation ont été considérables, ce qui a permis d'accroître le nombre de greffes réalisées depuis 2010. Cependant, ces progrès entraînent une pénurie d'organes, et cette tendance, que l'on observe également à l'échelle mondiale, risque, si elle se poursuit, de contribuer à une augmentation des transactions d'organes en dehors des systèmes nationaux de transplantation. Or ces pratiques, qui constituent une atteinte aux principes de dignité de la personne humaine et de non-patrimonialité du corps humain, représentent un risque réel en matière de santé publique et individuelle.
Conscient des lacunes juridiques qui subsistaient en la matière et de la nécessité pour y répondre d'élaborer un instrument international contraignant, le Conseil de l'Europe a créé en 2012 le comité d'experts sur le trafic d'organes, de tissus et de cellules humains. La convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, signée en 2015, est issue des travaux de ce comité.
Le texte vise à renforcer le cadre juridique international permettant de lutter contre le trafic d'organes. Ce faisant, il sécurisera également à l'échelle mondiale les processus de transplantation. La convention consacre la pénalisation des actes illicites de trafic d'organes humains. Elle prévoit des mesures de protection et de dédommagement des victimes ainsi que des mécanismes de prévention destinés à garantir la transparence et un accès équitable aux services de transplantation.
L'OMS estime que plus de 10 000 transplantations illicites sont effectuées chaque année, dont les migrants et les enfants sont les principales victimes. Il importe de protéger les personnes les plus vulnérables face à ces pratiques inhumaines. Mon groupe votera donc en faveur de l'adoption du projet de loi de ratification.
Merci à Mme la rapporteure pour son exposé très éclairant sur un sujet sensible. Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire semblent avoir amplifié le phénomène dans certains pays particulièrement touchés par la pauvreté. C'est le cas notamment dans certaines régions de l'Inde, où le nombre de dons d'organes ayant pour but de payer les dettes explose. Cela avait été également le cas au Népal après le tremblement de terre de 2015. Certains camps de réfugiés du sous-continent indien sont aussi touchés. De la même manière, les excès terribles qui ont cours en Chine ont été plusieurs fois dénoncés.
Il ne peut être que positif que ce chantier, ouvert en 2009 par le Conseil de l'Europe et les Nations unies, connaisse un aboutissement législatif. La convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, signée il y a plus de six ans, est entrée en application il y a près de trois ans. Notre diplomatie a eu amplement le temps de formuler des réserves.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera en faveur de la ratification de cette convention.
Merci à Mme la rapporteure, qui s'est investie avec beaucoup d'humanité sur ce sujet. Je remercie également Jean François Mbaye pour ses propos à mon endroit.
Si nous ne pouvons que nous réjouir de la ratification de la convention, celle-ci est une réponse incomplète à un problème grave et clairement identifié. Sur les vingt-six pays qui ont signé la convention, cinq seulement ont émis des réserves, dont la France, qui a d'ailleurs émis les plus fortes. Notre pays justifie une partie de ces réserves par la non-adéquation des dispositions en question avec le droit pénal français. D'autres pays – notamment l'Espagne – se sont pourtant fait un devoir moral de modifier leur droit interne.
Vous écrivez, madame la rapporteure, que l'un des atouts majeurs de ce tout premier accord international spécifiquement consacré à la lutte contre le trafic d'organes humains est d'envoyer un signal fort, à même d'avoir une force d'entraînement mondiale – en dépit, ajoutez-vous, de l'absence d'engagements contraignants de la part des États identifiés comme les principaux points névralgiques du trafic international d'organes humains. Autrement dit, l'inefficience de cet outil est assumée.
De fait, les mots sont totalement déconnectés de ce qui se passe sur le terrain. Il existe effectivement des réseaux criminels dans les pays qui ont été cités. Mais, surtout, les preuves s'accumulent, concernant la République populaire de Chine, de l'existence depuis des années d'un système institutionnalisé par l'État de prélèvements d'organes sans consentement sur les prisonniers de conscience et d'opinion. Ce système touche désormais les minorités du Xinjiang, comme les Ouïgours et les Kazakhs. Le 31 janvier 2020, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a voté une résolution recommandant notamment aux États parties de faire preuve « d'une grande prudence en ce qui concerne la coopération avec le “China Organ Transplant Response System” […] et la Croix-Rouge chinoise ». Le 14 juin, des experts de l'ONU ont reconnu être très alarmés par des rapports, qu'ils jugeaient crédibles, faisant état de prélèvements forcés d'organes en Chine sur des prisonniers issus de minorités ethniques, linguistiques et religieuses.
Il est donc urgent d'aller plus loin que la simple ratification de la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle. De nombreuses conventions de coopération scientifique et médicale ont été conclues par des établissements français de santé avec la Chine. Or si ces conventions prévoient bien des évaluations et des contrôles, il n'existe aucun outil concret et effectif pour les réaliser, ni de remise en cause de ces accords en cas de refus de la Chine. Le Gouvernement, le plus souvent, invoque le fameux principe de non-ingérence pour se dispenser d'intervenir dans ce domaine. C'est un peu comme si, pour contrôler le non-enrichissement de l'uranium et la non-prolifération des centrifugeuses, qui étaient prévus dans l'accord de Vienne sur le nucléaire avec l'Iran, l'Agence internationale de l'énergie atomique n'avait pu exercer aucun contrôle, au nom du principe de non-ingérence… Qu'aurait-on dit de cela à l'époque, et à juste titre ? En 2020, dans son bilan de l'appel à projets de coopération hospitalière internationale, la direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé a estimé que ces coopérations souffraient d'un manque de suivi et d'évaluation et qu'elles reposaient en pratique sur des décisions personnelles, prises en conscience.
En ratifiant cette convention, nous nous donnons bonne conscience, mais, sans action supplémentaire, nous n'influerons aucunement sur la réalité. Nous risquons même de nous rendre indirectement complices du pire. Le groupe Libertés et Territoires votera bien sûr en faveur de cette ratification, mais aura d'autres occasions de revenir sur cette question brûlante et de demander que la France soit à la hauteur de l'enjeu.
Nous savons gré à notre collègue Ramlati Ali d'avoir mis en lumière cette question qui doit tous nous mobiliser et nous alerter.
La convention soumise à notre ratification résulte d'un long travail, qui a commencé par un rapport conjoint du Conseil de l'Europe et de l'ONU en 2009, s'est poursuivi dans le cadre du comité d'experts sur le trafic d'organes, de tissus et de cellules humains et a abouti à Saint-Jacques-de-Compostelle en mars 2015.
Le texte entérine une définition claire et explicite du trafic d'organes et des infractions pénales afférentes et impose des sanctions adaptées pour punir ces dernières. Plus encore, il prévoit des dispositions procédurales visant à renforcer l'efficacité et l'effectivité des poursuites et à encourager la coopération internationale dans ce domaine. Son ambition est de portée globale. Il vise à renforcer les sanctions et à améliorer la prévention du trafic ainsi que la protection des victimes et des témoins. Cet accord international garantit ainsi le respect des principes inscrits dans la convention pour la protection des droits de l'homme et la biomédecine, dite convention d'Oviedo, ratifiée par la France en 2011.
Cette convention, déjà entrée en vigueur, n'emportera pas de conséquences normatives pour la France, dont la législation est déjà à l'avant-garde de la lutte contre le trafic d'organes. Néanmoins, elle permettra à notre pays de s'inscrire dans un environnement international favorable à la prévention de cette violation grave des droits humains. Elle renforce également nos engagements en la matière. Dès lors, nous ne pouvons pas nous dispenser d'adopter ce projet de loi de ratification à une large majorité. Fort de cette conviction, le groupe Agir ensemble soutiendra ce texte.
Bien entendu, le groupe Socialistes et apparentés se prononcera en faveur de ce projet de loi ; nous devons, du reste, tous le voter et soutenir l'action de Frédérique Dumas.
En France, nous avons une éthique formidable, peut-être même un peu excessive : le sang ne s'y achète pas et notre législation en matière de don d'organes, si elle est encore un peu trop restrictive, est globalement satisfaisante : nous avons bien progressé dans ce domaine, et le système fonctionne correctement. Toutefois, nous sommes ici – et c'est terrible, car il s'agit d'organes humains – face à une problématique de l'offre et de la demande. Cette dernière émane de personnes honnêtes, civilisées, cultivées, qui ont néanmoins la volonté absolue de s'en sortir, pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. Ils recherchent donc une offre, qui peut être faite dans un cadre légal – auquel cas tout se passe bien – ou, à défaut, procurée par des organisations criminelles. C'est là qu'est le drame.
Il faut être très sévère. Or, si des pays – que les choses y soient organisées de manière institutionnelle, on les a évoqués, ou mafieuse – parviennent à proposer une offre alléchante, quoique humainement terrible, la convention dont nous discutons ne suffira pas. Frédérique Dumas a raison : il nous faut passer à un stade supérieur, en étant plus agressifs envers les pays fournisseurs. S'ils ne signent pas la convention, la situation ne sera, hélas ! pas satisfaisante.
Bien entendu, nous voterons pour le texte, car il nous permet de gravir un barreau de l'échelle, mais, tout en haut, se posent encore des problèmes majeurs, auxquels il nous faudra réfléchir dans les années qui viennent.
Vous avez raison : ce qui est tragique, abominable, dans cette affaire, c'est que la détresse des uns alimente la souffrance des autres.
Tous les groupes ont manifesté la volonté non seulement de voter en faveur de la ratification de cette convention, mais aussi d'aller plus loin.
Je constate que mon rapport est plutôt consensuel. Je comprends les inquiétudes exprimées par Frédérique Dumas, qui a beaucoup travaillé sur le sujet. La ratification de cette convention doit être vue comme un moyen supplémentaire à notre disposition dans les négociations que nous menons, notamment avec la Chine. Et nous devrions inciter ceux des autres pays qui ne l'ont pas fait à la signer.
Si l'on en croit les personnes que nous avons auditionnées, la France a un rôle central à jouer dans ce domaine. Certes, l'Espagne a adapté sa législation à la convention. Mais notre pays œuvre également d'une autre manière contre le trafic d'organes ; elle le fait dans le cadre de coopérations judiciaires et de partenariats scientifiques, qui permettent de diffuser des principes éthiques, via l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, et l'Institut Pasteur. Nous devons concentrer tous nos efforts sur la lutte contre ce trafic dans nos négociations avec la Chine. Nous pouvons également contribuer à cette lutte dans le cadre de l'aide publique au développement. Il est vrai que certaines des personnes auditionnées ont regretté les réserves émises par notre pays, mais d'autres nous ont expliqué que, pour pouvoir s'abstenir d'émettre de telles réserves, la France devait modifier son droit pénal. Si tel devait être le cas, alors nous pourrions changer d'attitude.
Pour le reste, vous vous êtes exprimés en faveur de la ratification, et je ne peux que m'en réjouir.
Permettez-moi de faire une fois encore la promotion de la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens. Nous disposons, dans ce domaine, d'un levier souverain : les coopérations bilatérales, que nous sommes libres de conclure ou non, selon que certains principes sont ou non respectés. Or, comme l'admet le ministère lui-même, nous nous abstenons de l'utiliser. Des hôpitaux renoncent à travailler avec certains pays ou établissements, faute de savoir ce qu'il s'y passe ; d'autres acceptent. La France devrait donc se doter d'une réglementation aux termes de laquelle un accord de coopération ne pourrait pas être signé – notamment dans le cadre de la formation à la transplantation – s'il est impossible de se rendre sur place, notamment lorsque l'on a des raisons de croire que les choses se passent très mal. Nous avons un outil ; il est dommage de ne pas s'en servir.
Votre propos est conforme à l'esprit de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, que nous avons adoptée récemment. C'est la prise en compte de réalités de cet ordre que nous avons visée tout au long de nos débats. Nous avons souhaité condamner l'ensemble des comportements criminels, cette condamnation nous paraissant liée à notre effort de coopération.
Comme je l'ai dit à Frédérique Dumas lors de l'examen de sa proposition de loi – que j'ai, et j'en suis désolé, sinon contribué à torpiller, du moins appelé à rejeter, car j'estimais que notre arsenal devait être complété par le texte que nous discutons aujourd'hui –, ses propositions sont, dans leur philosophie, tout à fait légitimes.
En matière de coopération médicale et de recherche scientifique, la question qui se pose est celle de savoir s'il faut sanctionner tout le monde ou uniquement la cible. Dans ce domaine, notre pays est attentif aux protocoles signés avec certaines entités scientifiques étrangères. Il s'agit plutôt, en ce qui concerne les transplantations, d'identifier le détournement qui peut être fait d'une coopération au demeurant parfaitement légitime. Nous avons probablement des efforts à réaliser mais, si nous acceptons de franchir un pas supplémentaire en adoptant ce projet de loi de ratification, nous pourrons alors réfléchir à l'utilisation d'autres leviers qui permettent de faire valoir le respect viscéral qu'a la France du corps humain, de ses éléments et de ses produits – car c'est de cela qu'il s'agit.
Ce principe a, du reste, été consacré dans les trois lois de bioéthique de 1994 – celle du 1er juillet et, surtout, celles du 29 juillet, dont la conformité à notre Constitution a été confirmée par le Conseil constitutionnel. Ces lois soulignent combien notre pays est attentif à ces questions ; il suffit d'ailleurs d'ouvrir le code civil pour le constater. Il nous faut désormais les prolonger au niveau international, et ce texte est un excellent véhicule pour le faire.
La commission adopte, à l'unanimité, l'article unique du projet de loi sans modification.
L'ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
La séance est levée à 18 h 15.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Alain David, Mme Frédérique Dumas, M. Bruno Fuchs, Mme Olga Givernet, M. Christian Hutin, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, Mme Sira Sylla, Mme Nicole Trisse.
Excusés. – Mme Aude Amadou, M. Bruno Joncour, M. Frédéric Petit, Mme Natalia Pouzyreff, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch.