Intervention de Frédérique Dumas

Réunion du mardi 23 novembre 2021 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Merci à Mme la rapporteure, qui s'est investie avec beaucoup d'humanité sur ce sujet. Je remercie également Jean François Mbaye pour ses propos à mon endroit.

Si nous ne pouvons que nous réjouir de la ratification de la convention, celle-ci est une réponse incomplète à un problème grave et clairement identifié. Sur les vingt-six pays qui ont signé la convention, cinq seulement ont émis des réserves, dont la France, qui a d'ailleurs émis les plus fortes. Notre pays justifie une partie de ces réserves par la non-adéquation des dispositions en question avec le droit pénal français. D'autres pays – notamment l'Espagne – se sont pourtant fait un devoir moral de modifier leur droit interne.

Vous écrivez, madame la rapporteure, que l'un des atouts majeurs de ce tout premier accord international spécifiquement consacré à la lutte contre le trafic d'organes humains est d'envoyer un signal fort, à même d'avoir une force d'entraînement mondiale – en dépit, ajoutez-vous, de l'absence d'engagements contraignants de la part des États identifiés comme les principaux points névralgiques du trafic international d'organes humains. Autrement dit, l'inefficience de cet outil est assumée.

De fait, les mots sont totalement déconnectés de ce qui se passe sur le terrain. Il existe effectivement des réseaux criminels dans les pays qui ont été cités. Mais, surtout, les preuves s'accumulent, concernant la République populaire de Chine, de l'existence depuis des années d'un système institutionnalisé par l'État de prélèvements d'organes sans consentement sur les prisonniers de conscience et d'opinion. Ce système touche désormais les minorités du Xinjiang, comme les Ouïgours et les Kazakhs. Le 31 janvier 2020, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a voté une résolution recommandant notamment aux États parties de faire preuve « d'une grande prudence en ce qui concerne la coopération avec le “China Organ Transplant Response System” […] et la Croix-Rouge chinoise ». Le 14 juin, des experts de l'ONU ont reconnu être très alarmés par des rapports, qu'ils jugeaient crédibles, faisant état de prélèvements forcés d'organes en Chine sur des prisonniers issus de minorités ethniques, linguistiques et religieuses.

Il est donc urgent d'aller plus loin que la simple ratification de la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle. De nombreuses conventions de coopération scientifique et médicale ont été conclues par des établissements français de santé avec la Chine. Or si ces conventions prévoient bien des évaluations et des contrôles, il n'existe aucun outil concret et effectif pour les réaliser, ni de remise en cause de ces accords en cas de refus de la Chine. Le Gouvernement, le plus souvent, invoque le fameux principe de non-ingérence pour se dispenser d'intervenir dans ce domaine. C'est un peu comme si, pour contrôler le non-enrichissement de l'uranium et la non-prolifération des centrifugeuses, qui étaient prévus dans l'accord de Vienne sur le nucléaire avec l'Iran, l'Agence internationale de l'énergie atomique n'avait pu exercer aucun contrôle, au nom du principe de non-ingérence… Qu'aurait-on dit de cela à l'époque, et à juste titre ? En 2020, dans son bilan de l'appel à projets de coopération hospitalière internationale, la direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé a estimé que ces coopérations souffraient d'un manque de suivi et d'évaluation et qu'elles reposaient en pratique sur des décisions personnelles, prises en conscience.

En ratifiant cette convention, nous nous donnons bonne conscience, mais, sans action supplémentaire, nous n'influerons aucunement sur la réalité. Nous risquons même de nous rendre indirectement complices du pire. Le groupe Libertés et Territoires votera bien sûr en faveur de cette ratification, mais aura d'autres occasions de revenir sur cette question brûlante et de demander que la France soit à la hauteur de l'enjeu.

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