Intervention de Brigitte Liso

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 12h20
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Liso, suppléant M :

Je salue le travail effectué par Christophe di Pompeo.

Nous examinons le projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le mécanisme européen de stabilité. Ce traité a été signé les 27 janvier et 8 février 2021 par la France et les dix-huit autres États membres de la zone euro. Le Sénat a été saisi en premier du projet de loi de ratification.

Il s'agit d'une étape majeure pour l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, qui permettra de renforcer la résilience de la zone euro et son cadre de gestion de crise.

Au début des années 2010, en réponse aux crises de la dette souveraine qui avaient ébranlé la zone euro, deux évolutions majeures ont été décidées : d'une part, le MES, créé pour éteindre rapidement l'incendie et soutenir les États membres qui faisaient face à des difficultés ; d'autre part, l'union bancaire, qui vise à couper le lien entre finances publiques nationales et crises bancaires en rendant les banques européennes solidairement responsables par la constitution d'un fonds commun financé par les contributions des banques, le Fonds de résolution unique (FRU), créé en 2016.

Avec une capacité de près de 500 milliards d'euros, le MES a pleinement joué son rôle d'instrument de soutien financier aux États destiné à rétablir la confiance des marchés. Depuis sa création, il a porté assistance à trois pays : la Grèce, l'Espagne et Chypre, pour un montant total de 89 milliards. Depuis 2015, aucun autre programme date d'aide n'a été engagé, ce qui témoigne de la stabilité monétaire retrouvée de la zone euro. À cet égard, le fait que le MES n'ait pas été utilisé depuis 2015 ne signifie pas qu'il a été inutile, puisque sa mission première est de prévenir les crises en rassurant les marchés quant à la solidité de la zone euro.

Le dispositif souffre cependant de plusieurs défauts. D'abord, il est insuffisant. En cas de faillite d'une banque, le FRU dispose de 52 milliards, avec un objectif cible de 1 % des dépôts, soit 75 milliards en 2024. Ce montant ne suffirait pas en cas de crise majeure touchant le système bancaire. Il reviendrait donc en dernier ressort au MES, donc aux États, de recapitaliser les établissements de crédit concernés. Le lien entre système bancaire et finances publiques nationales ne serait donc pas complètement coupé.

Ensuite, il a des effets pervers. Le caractère intrusif et stigmatisant des réformes requises pour obtenir l'aide du MES, douloureusement vécues par la Grèce, ont pu avoir un effet dissuasif et ternir l'image du mécanisme. Ainsi, lors de la première vague du covid-19, entre février et mai 2020, l'Italie n'a pas souhaité recourir à la ligne de crédit de 240 milliards pourtant mise à sa disposition par le MES. Avec un taux de 0 %, les emprunts du MES étaient pourtant très avantageux : le coût des emprunts italiens approchait alors 2 % pour les obligations à dix ans.

Le MES est donc un mécanisme pérenne créé dans l'urgence qu'il faut revoir à la lumière des enseignements tirés de ses premières années d'existence. Les modifications du traité portent sur quatre points principaux.

Premièrement, il fallait passer complètement d'une logique de responsabilité des États à un système de responsabilité des banques, en concrétisant l'objectif initial d'étanchéifier dettes souveraines et secteur bancaire. Tel est l'objet du filet de sécurité, qui constitue la principale avancée de l'accord. Concrètement, en cas de besoins supérieurs aux disponibilités du FRU, le MES pourra prêter jusqu'à 68 milliards au Conseil de résolution unique (CRU), l'agence européenne chargée de la résolution des établissements de crédits, ce qui représente un quasi‑doublement des ressources disponibles pour répondre à une crise bancaire. Le dispositif est strictement encadré, puisque le MES n'intervient qu'à titre temporaire et subsidiaire, en dernier ressort et après s'être assuré de la capacité du CRU à lui rembourser les sommes prêtées, selon le principe de neutralité budgétaire à moyen terme. Les montants levés par le MES et prêtés au CRU font ensuite l'objet d'un remboursement par ce dernier, au moyen de contributions ex post du secteur bancaire.

Deuxièmement, afin d'éviter que l'aide du MES revête un caractère trop intrusif et stigmatisant, l'accord introduit un nouvel outil : la ligne de crédit assortie de conditions. Les conditions d'octroi de cette nouvelle ligne seront assouplies, mais les conditions d'éligibilité renforcées : les États qui en font la demande n'auront plus à signer un protocole d'accord mais devront respecter ex ante des critères attestant d'une situation macroéconomique et financière saine.

Troisièmement, l'accord procède à des modifications de la gouvernance visant à renforcer les compétences et l'indépendance du MES. Il s'agit en effet de pérenniser le MES comme dispositif intergouvernemental et de préciser sa position par rapport aux institutions européennes.

Quatrièmement, afin de réduire le risque qu'un groupe minoritaire de créanciers récalcitrants s'oppose à la restructuration de la dette publique d'un État dans l'espoir d'obtenir par la suite de meilleures conditions de remboursement, une nouvelle règle de vote a été introduite : l'application de la majorité simple au lieu de la majorité qualifiée. Par ailleurs, la négociation ne porte pas sur chaque ligne d'émission : elle est globale.

À l'instar de Jean-Marie Mizzon, rapporteur du texte au Sénat, je tiens simplement à souligner trois points d'attention.

Le premier tient à l'entrée en vigueur du filet de sécurité. Les États parties ont convenu d'une application anticipée dès le 1er janvier 2022. Or la loi autorisant la ratification de l'accord par l'Allemagne fait actuellement l'objet d'un recours devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, ce qui pourrait repousser la date d'entrée en vigueur du dispositif. Toutefois, ce recours ne devrait pas remettre en question le dispositif : la Cour constitutionnelle allemande a déjà rejeté un recours similaire portant sur le traité initial.

Le deuxième a trait à la complexité de la gouvernance du filet de sécurité, fruit d'un compromis entre les États parties. Les décisions sont prises à l'unanimité du Conseil des gouverneurs mais, à la demande de la France notamment, une procédure d'urgence a été introduite, qui permet de passer à une majorité qualifiée de 85 % en cas de menace pour la viabilité économique et financière de la zone euro. Toutefois, il ne peut être fait usage que deux fois de cette procédure ; son application est ensuite suspendue jusqu'à ce que les ministres de l'économie et des finances de la zone euro décident à l'unanimité de la réactiver, le cas échéant en renforçant le seuil de vote applicable. Si complexe que soit cette procédure, elle répond à la logique d'activation du filet de sécurité en cas de circonstances exceptionnelles.

Le troisième point d'attention concerne les modalités de la contribution ex post des banques européennes au remboursement du MES. Le secteur bancaire français, qui se caractérise par la présence d'établissements de grande taille et qui est le premier contributeur au Fonds de résolution unique, considère que cette faculté ne doit être mobilisée que dans le cas où il est établi que l'établissement de crédit mis en résolution ne peut rembourser le soutien en liquidités obtenu. Il conviendra donc d'utiliser toute la souplesse prévue par l'accord politique des États parties, qui autorise un échelonnement du remboursement du Conseil de résolution unique au MES sur une période maximale de cinq ans, afin d'ajuster précisément les contributions ex post des banques.

L'année 2022 sera un grand moment pour l'approfondissement de l'union bancaire, défendue par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne de septembre 2017. Espérons que l'Union européenne saura profiter de cet élan pour continuer à faire progresser l'Union économique et monétaire et parachever le cadre de gestion de crise doté de bases solides et solidaires.

Compte tenu de ces différentes remarques, je vous propose d'adopter le présent projet de loi.

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