La séance est ouverte à 12 h 20
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (n° 4620).
Notre rapporteur, M. Christophe di Pompeo, ne peut être parmi nous pour des raisons personnelles impérieuses. Il sera suppléé par Mme Brigitte Liso, que je remercie d'avoir accepté de nous prêter son concours.
Le mécanisme européen de stabilité (MES) procède d'une idée très simple : la nécessaire solidarité entre les États européens sur le plan financier – sans oublier celle entre les acteurs de la société civile des différents pays. Mais, comme toujours dans l'Union européenne, cette idée simple a été débitée en morceaux compliqués. Il y a eu un premier texte, qui a ensuite été modifié. À chaque fois, la maïeutique européenne conduit à des subtilités et des exceptions qui font que n'importe quelle bonne idée apparaît comme totalement incompréhensible à la fin. Les lois européennes correspondent à cette définition fameuse : « Un chameau, c'est un cheval dessiné par une commission d'experts ».
Je salue le travail effectué par Christophe di Pompeo.
Nous examinons le projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le mécanisme européen de stabilité. Ce traité a été signé les 27 janvier et 8 février 2021 par la France et les dix-huit autres États membres de la zone euro. Le Sénat a été saisi en premier du projet de loi de ratification.
Il s'agit d'une étape majeure pour l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, qui permettra de renforcer la résilience de la zone euro et son cadre de gestion de crise.
Au début des années 2010, en réponse aux crises de la dette souveraine qui avaient ébranlé la zone euro, deux évolutions majeures ont été décidées : d'une part, le MES, créé pour éteindre rapidement l'incendie et soutenir les États membres qui faisaient face à des difficultés ; d'autre part, l'union bancaire, qui vise à couper le lien entre finances publiques nationales et crises bancaires en rendant les banques européennes solidairement responsables par la constitution d'un fonds commun financé par les contributions des banques, le Fonds de résolution unique (FRU), créé en 2016.
Avec une capacité de près de 500 milliards d'euros, le MES a pleinement joué son rôle d'instrument de soutien financier aux États destiné à rétablir la confiance des marchés. Depuis sa création, il a porté assistance à trois pays : la Grèce, l'Espagne et Chypre, pour un montant total de 89 milliards. Depuis 2015, aucun autre programme date d'aide n'a été engagé, ce qui témoigne de la stabilité monétaire retrouvée de la zone euro. À cet égard, le fait que le MES n'ait pas été utilisé depuis 2015 ne signifie pas qu'il a été inutile, puisque sa mission première est de prévenir les crises en rassurant les marchés quant à la solidité de la zone euro.
Le dispositif souffre cependant de plusieurs défauts. D'abord, il est insuffisant. En cas de faillite d'une banque, le FRU dispose de 52 milliards, avec un objectif cible de 1 % des dépôts, soit 75 milliards en 2024. Ce montant ne suffirait pas en cas de crise majeure touchant le système bancaire. Il reviendrait donc en dernier ressort au MES, donc aux États, de recapitaliser les établissements de crédit concernés. Le lien entre système bancaire et finances publiques nationales ne serait donc pas complètement coupé.
Ensuite, il a des effets pervers. Le caractère intrusif et stigmatisant des réformes requises pour obtenir l'aide du MES, douloureusement vécues par la Grèce, ont pu avoir un effet dissuasif et ternir l'image du mécanisme. Ainsi, lors de la première vague du covid-19, entre février et mai 2020, l'Italie n'a pas souhaité recourir à la ligne de crédit de 240 milliards pourtant mise à sa disposition par le MES. Avec un taux de 0 %, les emprunts du MES étaient pourtant très avantageux : le coût des emprunts italiens approchait alors 2 % pour les obligations à dix ans.
Le MES est donc un mécanisme pérenne créé dans l'urgence qu'il faut revoir à la lumière des enseignements tirés de ses premières années d'existence. Les modifications du traité portent sur quatre points principaux.
Premièrement, il fallait passer complètement d'une logique de responsabilité des États à un système de responsabilité des banques, en concrétisant l'objectif initial d'étanchéifier dettes souveraines et secteur bancaire. Tel est l'objet du filet de sécurité, qui constitue la principale avancée de l'accord. Concrètement, en cas de besoins supérieurs aux disponibilités du FRU, le MES pourra prêter jusqu'à 68 milliards au Conseil de résolution unique (CRU), l'agence européenne chargée de la résolution des établissements de crédits, ce qui représente un quasi‑doublement des ressources disponibles pour répondre à une crise bancaire. Le dispositif est strictement encadré, puisque le MES n'intervient qu'à titre temporaire et subsidiaire, en dernier ressort et après s'être assuré de la capacité du CRU à lui rembourser les sommes prêtées, selon le principe de neutralité budgétaire à moyen terme. Les montants levés par le MES et prêtés au CRU font ensuite l'objet d'un remboursement par ce dernier, au moyen de contributions ex post du secteur bancaire.
Deuxièmement, afin d'éviter que l'aide du MES revête un caractère trop intrusif et stigmatisant, l'accord introduit un nouvel outil : la ligne de crédit assortie de conditions. Les conditions d'octroi de cette nouvelle ligne seront assouplies, mais les conditions d'éligibilité renforcées : les États qui en font la demande n'auront plus à signer un protocole d'accord mais devront respecter ex ante des critères attestant d'une situation macroéconomique et financière saine.
Troisièmement, l'accord procède à des modifications de la gouvernance visant à renforcer les compétences et l'indépendance du MES. Il s'agit en effet de pérenniser le MES comme dispositif intergouvernemental et de préciser sa position par rapport aux institutions européennes.
Quatrièmement, afin de réduire le risque qu'un groupe minoritaire de créanciers récalcitrants s'oppose à la restructuration de la dette publique d'un État dans l'espoir d'obtenir par la suite de meilleures conditions de remboursement, une nouvelle règle de vote a été introduite : l'application de la majorité simple au lieu de la majorité qualifiée. Par ailleurs, la négociation ne porte pas sur chaque ligne d'émission : elle est globale.
À l'instar de Jean-Marie Mizzon, rapporteur du texte au Sénat, je tiens simplement à souligner trois points d'attention.
Le premier tient à l'entrée en vigueur du filet de sécurité. Les États parties ont convenu d'une application anticipée dès le 1er janvier 2022. Or la loi autorisant la ratification de l'accord par l'Allemagne fait actuellement l'objet d'un recours devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, ce qui pourrait repousser la date d'entrée en vigueur du dispositif. Toutefois, ce recours ne devrait pas remettre en question le dispositif : la Cour constitutionnelle allemande a déjà rejeté un recours similaire portant sur le traité initial.
Le deuxième a trait à la complexité de la gouvernance du filet de sécurité, fruit d'un compromis entre les États parties. Les décisions sont prises à l'unanimité du Conseil des gouverneurs mais, à la demande de la France notamment, une procédure d'urgence a été introduite, qui permet de passer à une majorité qualifiée de 85 % en cas de menace pour la viabilité économique et financière de la zone euro. Toutefois, il ne peut être fait usage que deux fois de cette procédure ; son application est ensuite suspendue jusqu'à ce que les ministres de l'économie et des finances de la zone euro décident à l'unanimité de la réactiver, le cas échéant en renforçant le seuil de vote applicable. Si complexe que soit cette procédure, elle répond à la logique d'activation du filet de sécurité en cas de circonstances exceptionnelles.
Le troisième point d'attention concerne les modalités de la contribution ex post des banques européennes au remboursement du MES. Le secteur bancaire français, qui se caractérise par la présence d'établissements de grande taille et qui est le premier contributeur au Fonds de résolution unique, considère que cette faculté ne doit être mobilisée que dans le cas où il est établi que l'établissement de crédit mis en résolution ne peut rembourser le soutien en liquidités obtenu. Il conviendra donc d'utiliser toute la souplesse prévue par l'accord politique des États parties, qui autorise un échelonnement du remboursement du Conseil de résolution unique au MES sur une période maximale de cinq ans, afin d'ajuster précisément les contributions ex post des banques.
L'année 2022 sera un grand moment pour l'approfondissement de l'union bancaire, défendue par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne de septembre 2017. Espérons que l'Union européenne saura profiter de cet élan pour continuer à faire progresser l'Union économique et monétaire et parachever le cadre de gestion de crise doté de bases solides et solidaires.
Compte tenu de ces différentes remarques, je vous propose d'adopter le présent projet de loi.
On a encore une fois le sentiment que la devise européenne pourrait être : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Je remercie Brigitte Liso d'avoir suppléé notre rapporteur au pied levé, d'autant plus que le dispositif est très complexe.
Notre groupe votera bien entendu le projet de loi, puisque cet accord contribue à assouplir et à renforcer le mécanisme européen de stabilité, donc à améliorer le fonctionnement de la solidarité financière européenne. J'ajoute, monsieur le président, qu'il serait utile que nous entendions les autorités de l'État ou de la Commission sur l'évolution de ces questions financières et de solidarité économique.
Une telle audition aurait en effet sa place dans le cadre des travaux que nous menons dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne.
Je tiens à saluer le chemin parcouru depuis la crise de 2007 : la solidarité a été renforcée et l'Union européenne est montée en puissance. Nous nous donnons enfin les moyens d'agir et de protéger nos concitoyens. De fait, nous avons grandement progressé, et c'est une excellente nouvelle.
Rappelons-nous : en 2007, éclatait la crise financière ; en 2013, les dettes des États européens étaient déclarées fragiles et les marchés vacillaient. La tempête dans laquelle nous avons été pris alors paraissait interminable. Elle a conduit à un déballage des accords, parfois, et à un manque d'organisation criant. Au moins fallait-il en tirer les conséquences. On dit que l'Europe grandit lorsqu'elle doit surmonter des crises. Force est de constater qu'elle a suffisamment grandi pour ne pas subir la crise de la covid-19, même si, à l'occasion de cette dernière, beaucoup a encore été accompli.
Nous nous apprêtons à approuver une réforme du mécanisme européen de stabilité. Grâce à cette institution au nom passablement obscur, nous bénéficierons de nouvelles protections pour nous prémunir contre les fragilités des dettes souveraines et celles de nos institutions bancaires. Le mécanisme européen de stabilité est en effet doté de 700 milliards d'euros, et le mécanisme de résolution bancaire pourra désormais s'appuyer sur ces fonds en cas d'urgence. Ce filet de sécurité, véritable dispositif antisismique, permettra, en cas de choc, d'atténuer l'impact, donc de gagner en résilience.
Plus largement, il importe de rappeler que prévenir la crise nécessitera de rester strictement attentif à l'évolution de nos finances, publiques et privées. Depuis maintenant cinquante ans, l'endettement de nos États s'est creusé et il est à présent urgent de faire preuve d'une plus grande exigence dans la gestion de nos comptes publics. Deux stratégies sont possibles. La première consiste à opter pour un désendettement brutal, au risque de provoquer un ralentissement de notre économie. La seconde, plus sage, consiste à consacrer une partie des fruits de la croissance au désendettement. Or, selon l'INSEE, grâce aux plans de relance européen et français, notre PIB devrait retrouver, avant la fin de l'année, son niveau d'avant crise. Nous avons de l'avance sur nos partenaires européens. Les derniers chiffres de la croissance dépassent nos espérances. C'est une excellente nouvelle, et nous allons pouvoir en profiter pour engager notre désendettement. En cela, nous suivrons la trajectoire de nos entreprises puisque, selon les dernières données disponibles, la dette financière nette de ces dernières s'est stabilisée par rapport à 2019, là encore grâce à des investissements qui leur ont permis de retrouver des niveaux de marge élevés.
Le renforcement du cadre financier européen est à l'image d'une Europe en pleine transformation, et nous pouvons, sans forfanterie, être fiers du chemin parcouru.
Merci, madame la rapporteure, de nous avoir si bien présenté la substantifique moelle de cet accord.
L'approfondissement des mécanismes européens de résilience et de solidarité face aux crises, qu'elles soient sanitaires, sociales ou économiques, est la clé de notre capacité de réaction aux chocs. Soudaines, souvent mondiales, ces crises doivent être anticipées ; c'est ce à quoi contribue l'accord dont nous nous apprêtons à autoriser la ratification.
Le mécanisme européen de stabilité, né en 2012 à la suite de la crise des dettes souveraines, a pour objet de doter la zone euro d'outils favorisant une plus grande stabilité économique et financière. Les Européens ont appris de leurs erreurs, notamment de leur gestion de la crise de 2008. Un fonds commun de créances a ainsi été créé, afin de renforcer la stabilité économique et financière et de se prémunir contre toute éventuelle défaillance de l'une des économies de la zone euro. Grâce à l'accord en cours de ratification, nous renforçons ce mécanisme de stabilité. L'approfondissement de l'Union économique et monétaire était l'un des objectifs défendus par Emmanuel Macron dans son discours de la Sorbonne. Il était également l'un des engagements de la Commission, qui a présenté un paquet en décembre 2017.
L'accord trouvé par les États membres comprend quatre évolutions majeures, qui contribuent au renforcement des compétences et de l'indépendance du mécanisme ainsi qu'à une simplification des règles – même si l'on pourrait aller encore un peu plus loin dans ce domaine. Ces quatre dispositions principales, assez techniques, traduisent l'ambition de disposer des outils appropriés pour briser la spirale conduisant d'une crise financière à une crise des dettes souveraines. L'accord comporte des avancées notables. Sans doute pourrait-on simplifier davantage encore et approfondir toujours plus notre union, notamment en ce qui concerne la réassurance de la garantie de dépôt. Mais il faut bien reconnaître qu'un pas notable est franchi vers la finalisation de l'Union bancaire.
C'est la raison pour laquelle le groupe MODEM votera en faveur du projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le mécanisme européen de stabilité.
Si nous prenons bonne note des principales avancées de l'accord modifiant le traité instituant le mécanisme européen de stabilité, nous souhaiterions émettre quelques critiques.
Le recours au MES, dont les programmes d'aides sont pour la plupart conditionnés à la négociation de protocoles d'accords prévoyant la mise en œuvre de réformes structurelles, ne permet pas, en l'état, d'éviter, semble-t-il, les écueils de ce que fut la Troïka. Le recours à la ligne de crédits de précaution est soumis à des conditions très strictes qui pourraient être de nature à empêcher la majorité des États membres de recourir à ce mécanisme. On peut donc se demander si ces règles ne devront pas faire l'objet, comme le pacte de stabilité, d'une interprétation plus souple. Enfin, le contrôle démocratique du MES ne fait l'objet d'aucune disposition. Le Parlement européen n'est formellement associé à aucune procédure de contrôle parlementaire, non plus que les parlements nationaux.
En conséquence, nous formulerons vraisemblablement plusieurs propositions complémentaires lors de l'examen du texte en séance publique.
J'apprécie que le projet de loi fasse l'objet d'une approbation quasi unanime, M. David ayant exprimé quelques réserves. À ce propos, je précise, puisqu'il a mentionné ce point, qu'aux termes de l'accord, les États qui demanderont à bénéficier de la nouvelle ligne n'auront plus à signer un protocole d'accord : ils devront respecter ex ante certains critères macro-économiques.
La commission adopte, à l'unanimité, l'article unique sans modification.
L'ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
La séance est levée à 12 heures 50
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Hervé Berville, Mme Sandra Boëlle, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre Cabaré, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, Mme Frédérique Dumas, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. M'jid El Guerrab, M. Nicolas Forissier, Mme Maud Gatel, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, M. Michel Herbillon, M. Christian Hutin, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Marine Le Pen, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Sébastien Nadot, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas ;
Excusés. - Mme Aude Amadou, Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Philippe Benassaya, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Michel Fanget, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Sonia Krimi, Mme Fiona Lazaar, M. Frédéric Petit, Mme Natalia Pouzyreff, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Buon Tan, M. Guy Teissier, Mme Nicole Trisse.