Intervention de Didier Quentin

Réunion du mercredi 1er décembre 2021 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur :

La présentation de ce rapport est l'occasion de dresser un état des lieux de nos relations avec Maurice, État de l'océan Indien ami et partenaire de la France.

« Un État fait la politique de sa géographie », disait Napoléon 1er, et le général de Gaulle considérait qu'entre l'histoire et la géographie, c'est toujours la géographie qui l'emporte. Sur la carte, Maurice se situe au sud-ouest de l'océan Indien, à la charnière de l'Afrique et de l'Asie. Elle entretient un lien privilégié avec l'Inde. Plus de la moitié de sa population a des origines indiennes, dont l'actuel Premier ministre, Pravind Jugnauth, et l'hindouisme y est largement la religion dominante.

Cette proximité avec l'Inde se traduit concrètement par un fort investissement de ce pays dans la défense mauricienne. De nombreux cadres des forces armées mauriciennes sont de nationalité indienne. Des navires de guerre indiens font régulièrement escale à Port-Louis. L'Inde a même été autorisée à construire des facilités maritimes et aériennes dans l'archipel mauricien d'Agalega, situé à 1 000 kilomètres au nord de l'île principale. L'Inde est le premier partenaire économique de Maurice, qui est pour elle un point d'entrée vers l'Afrique.

Si l'Inde est perçue comme une mère, selon l'expression souvent employée à Maurice, celle-ci n'en ménage pas moins un autre partenaire essentiel : la Chine, qui y a investi et a financé bon nombre d'infrastructures. Un accord de libre-échange a été signé entre les deux pays au début de l'année 2021, permettant la levée des barrières tarifaires dans plusieurs marchés de niches, tels que les sucres spéciaux et le thé. Ainsi, Maurice, petit pays insulaire, sait jouer habilement de sa position.

Qu'en est-il de la France ? Maurice est devenue indépendante en 1968, après avoir été possession britannique pendant plus de 150 ans. Auparavant, elle était possession française depuis un siècle et s'appelait Isle de France.

Nos liens avec Maurice sont avant tout culturels. L'un des plus célèbres écrivains vivants de langue française, prix Nobel, Jean-Marie Gustave Le Clézio, n'a-t-il pas des origines mauriciennes ? Le français, très parlé à Maurice, constitue la base du créole mauricien. La France soutient, par le biais de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), un réseau d'écoles françaises constitué de cinq établissements, où sont scolarisés 5 000 élèves, dont les deux tiers sont de nationalité mauricienne. La ville de Port-Louis joue un rôle actif au sein de l'Association internationale des maires francophones (AIMF). Nos échanges en matière universitaire et de recherche sont nombreux.

À cette proximité culturelle s'ajoutent des échanges économiques. La France est le troisième partenaire commercial de Maurice, son premier client et le premier pays pourvoyeur de touristes. Maurice est le premier investisseur étranger à La Réunion. Par ailleurs, la France est l'un des principaux partenaires bilatéraux de Maurice en matière d'aide publique au développement (APD).

Cette proximité culturelle et économique trouve un prolongement politique. La France et Maurice sont membres des deux principales organisations internationales de la région : la Commission de l'océan Indien (COI) et l'association des pays riverains de l'océan Indien (IORA). Nos approches politiques sont largement convergentes, qu'il s'agisse de la volonté d'accroître les échanges économiques avec le continent africain, considéré comme un nouveau relais de croissance, de répondre aux enjeux du développement durable ou de relever les défis de la préservation du climat et de la biodiversité terrestre et océanique.

En matière de sécurité, la France et Maurice ont signé, le 13 juin 2008, un accord de coopération en matière de sécurité intérieure, dont la mise en œuvre est facilitée par la présence d'un attaché de sécurité intérieure de l'ambassade de France à Maurice, basé à Madagascar. Par ailleurs, un accord en matière de recherche et de sauvetage maritimes a été signé en 2012.

S'agissant plus particulièrement de la défense, la France et Maurice coopèrent depuis de longues années. Maurice n'a pas d'armée à proprement parler, mais une force de police formée de trois composantes : une force de police proprement dite de 13 400 hommes, des forces spéciales et un corps de gardes-côtes. Côté français, la coopération est essentiellement assumée par les forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), stationnées à La Réunion et à Mayotte. Leur mission première est la protection des ressortissants français et la contribution à la sécurité de la région. Leur zone de responsabilité englobe dix pays d'Afrique australe et quatre pays membres de la COI.

Cette coopération porte essentiellement sur la lutte antiterroriste et la sécurité maritime. Elle donne lieu à des entraînements communs. Des exercices conjoints sont régulièrement organisés. En 2019, l'exercice Phoenix a mobilisé 130 officiers mauriciens et une centaine de militaires français, en vue de perfectionner l'interopérabilité des armées dans la lutte contre le narcotrafic. Des officiers de police mauriciens sont accueillis dans les écoles françaises de formation du continent africain. Les bâtiments de la marine nationale font régulièrement escale à Maurice et sont réparés dans ses chantiers navals.

L'accord qui nous est soumis aujourd'hui est conclu pour cinq ans et renouvelable par tacite reconduction. Il comporte deux ordres de stipulations.

En matière de défense à proprement parler, il pose le principe d'une coopération dans les domaines de la politique de défense et de sécurité, de l'organisation et du fonctionnement des forces armées, des opérations humanitaires et de maintien de la paix, et des scolarités militaires. Cette coopération peut revêtir la forme d'activités de formation, d'entraînement des forces, de soutien logistique, de conseil et d'envoi d'experts techniques. Il est précisé que les membres du personnel de la partie d'envoi présents sur le territoire de la partie d'accueil ne peuvent en aucun cas être associés à la préparation ou à l'exécution d'opérations de guerre, ni à des actions de maintien ou de rétablissement de l'ordre et de la sécurité publique.

S'agissant du statut juridique des forces déployées dans l'État partenaire, des précisions sont apportées en matière d'entrée et de séjour, de port d'arme, de permis de conduire, d'accès aux services de santé et de domiciliation fiscale. Il est stipulé que la compétence en matière de discipline revient exclusivement aux autorités de la partie d'envoi.

En matière pénale, un partage de juridiction est prévu. Une infraction commise par un militaire français à Maurice relèvera, en principe, de la compétence des juridictions mauriciennes. Toutefois, cette compétence sera prioritairement dévolue aux autorités françaises si le comportement délictueux s'inscrit dans le cadre du service ou s'il porte atteinte aux biens ou à la sécurité de la France ou du personnel français. En cas de poursuites devant les juridictions de la partie d'accueil, la personne concernée bénéficiera de toutes les garanties juridiques, au premier rang desquelles le droit à un procès équitable. Rappelons que la peine capitale, prévue par le droit mauricien, fait l'objet d'un moratoire depuis plusieurs années. Si les poursuites intentées aboutissent à une condamnation dans l'État d'accueil, ce dernier examinera avec bienveillance les demandes tendant à permettre à la personne condamnée de purger sa peine dans l'État d'envoi.

Cet accord apporte une grande sécurité juridique à la présence des militaires français à Maurice et à celle des militaires mauriciens en France. Au demeurant, la France a conclu des accords similaires avec de nombreux pays. À défaut d'un tel accord, les incidents doivent être traités au cas par cas, dans le cadre de négociations diplomatiques, et son absence est en elle-même source de contentieux. Il ne s'agit pas d'un cas d'école : un incident de la circulation impliquant un marin français survenu au début des années 2000 lors d'une escale a mis en lumière les inconvénients de ce vide juridique.

Cet accord offre, en outre, un cadre juridique à la coopération de défense franco-mauricienne visant à répondre aux défis que Maurice partage avec la France, compte tenu de notre implication dans l'océan Indien. Ces défis sont multiples et redoutables : surveillance et protection de nos espaces maritimes, lutte contre le trafic de drogue, lutte contre la pêche illicite, lutte contre les marées noires, expansion de l'islam radical, en provenance notamment du nord du Mozambique. Un tel cadre juridique sera utile pour approfondir notre coopération de défense face à ces enjeux.

Si l'approbation de cet accord semble indispensable, il nous appartient néanmoins de demeurer vigilants sur deux points.

Premièrement, il est impératif de veiller à la préservation de la souveraineté française sur les îles Éparses, notamment sur l'île Tromelin, située à environ 560 kilomètres au nord de La Réunion. Les plus anciens d'entre nous se souviennent que l'accord-cadre sur la cogestion économique, scientifique et environnementale de Tromelin, signé en 2010, n'a jamais été ratifié par la France, en raison de l'opposition de nombreux parlementaires, dont moi-même et Philippe Folliot, alors député du Tarn. Nous considérions que cet accord était un premier pas vers la reconnaissance de la légitimité des prétentions mauriciennes sur l'île de Tromelin. Je mets en garde contre toute velléité de réintroduire ce type d'accord, et plus généralement contre toute initiative de nature à fragiliser la souveraineté française sur les îles Éparses. Bien entendu, l'approbation du présent accord ne saurait en aucun cas être interprétée comme un premier pas vers un quelconque rapprochement sur la question de Tromelin. Elle doit, au contraire, renforcer la légitimité de la présence française dans l'océan Indien.

Deuxièmement, si Maurice possède incontestablement un cadre constitutionnel et législatif garantissant les libertés fondamentales, la situation des droits de l'homme peut y être améliorée sur certains points. Citons la représentation des femmes dans les postes à responsabilité du secteur public, l'absence, à ce jour, d'une loi sur le financement des partis politiques, la place de la presse et des médias et, plus généralement, un modèle politique quelque peu figé, pour le dire diplomatiquement, dans la surreprésentation de quelques grandes familles, notamment celle de l'actuel Premier ministre, M. Pravind Jugnauth, et la famille Ramgoolam. Par le biais d'un dialogue confiant et réciproque, appuyé sur des liens d'amitié très anciens, la France peut et doit inviter Maurice à progresser pour consolider l'État de droit.

Ces points d'attention soulignés, je vous invite à adopter le présent accord.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.