Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 11 janvier 2022 à 21h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre :

L'actualité l'impose. Il s'agit de la réunion informelle la plus importante à laquelle les Européens participeront depuis de nombreuses années.

Je vais rapidement évoquer le calendrier du ministère des affaires étrangères.

Les 7 et 8 février, avec Bruno Le Maire et Cédric O, nous participerons à une conférence sur la souveraineté numérique européenne. L'Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace en particulier, projet que l'Union européenne et les États-Unis ont rejoint lors du forum de Paris sur la paix, a témoigné de notre détermination à jouer un rôle moteur dans la construction d'un modèle numérique européen susceptible de faire une vraie différence sur la scène internationale. Nous continuerons dans cette voie dans le cadre de la PFUE en faisant avancer notamment le règlement sur les marchés numériques (DMA) et celui sur les services numériques (DSA), qui permettront de travailler au renforcement des conditions de la cyber-sécurité, à l'impératif de régulation, au soutien de ce qu'on appelle les communs numériques, les logiciels libres de droits garants d'un internet libre, transparent, ouvert et sûr.

L'avenir de notre modèle européen comme modèle de croissance fera par ailleurs l'objet d'un sommet en mars, comme le Président de la République l'a annoncé.

À la mi-février, à Lyon, nous nous réunirons avec Olivier Véran dans le cadre d'une réunion informelle des ministres des affaires étrangères et des ministres de la santé autour de trois priorités : valoriser les actions menées par l'Union européenne dans le champ de la santé mondiale en appui aux pays à bas et moyens revenus ; renforcer le rôle de chef de file de l'Union européenne dans l'architecture mondiale de la santé, notamment au sein de l'OMS, et valoriser l'attractivité des régions européennes en matière de santé mondiale, notamment en mettant à l'honneur les atouts de la région lyonnaise. Nous serons amenés à travailler ensemble à la création de capacités de productions vaccinales autonomes en Afrique et dans l'espace indopacifique.

Au cours de la présidence française, nous honorerons d'autres rendez-vous importants.

Tout d'abord, le sommet One Ocean, « Un seul océan », qui se tiendra du 9 au 11 février à Brest pour promouvoir une meilleure gouvernance mondiale des océans autour d'un impératif de gestion durable – qui gère la haute mer ? – et avec la volonté de lutter contre la prolifération des plastiques, en essayant d'amorcer l'élaboration d'un traité.

Ensuite, une réunion informelle sur le développement, que je présiderai aux côtés de Josep Borrell à Montpellier les 6 et 7 mars, sera largement consacrée à la question de la protection de la biodiversité, laquelle doit être au cœur des politiques de développement de l'Union européenne. L'un des éléments centraux de la réflexion portera sur la manière de se mobiliser en faveur de la Grande muraille verte, qui revient au premier plan des préoccupations et qui vise à créer ensemble agro-écologique de l'océan Atlantique à la Corne de l'Afrique.

Enfin, toujours au mois de mars, se tiendra le Forum humanitaire européen d'abord prévu en janvier puis repoussé en raison de la pandémie. Il sera l'occasion de soutenir sur le plan européen tous les engagements humanitaires que nous avons pris ainsi que les engagements présidentiels annoncés à la Conférence nationale humanitaire de décembre 2020, de même que ceux issus du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales que vous avez voté à l'unanimité.

Tels sont les principaux éléments de cette présidence, qui permettra de renforcer la portée européenne de l'ensemble de nos engagements diplomatiques.

Je me permets de citer un point particulier auquel je suis particulièrement sensible et que je souhaite également aborder au cours de cette présidence : la crise en Haïti qui, dans sa dimension humanitaire en particulier, nécessite une mobilisation forte tant le désastre est considérable et l'inaction assez largement commune. Une réunion ministérielle doit se tenir à ce propos dans les jours qui viennent pour appeler l'attention sur le désastre humanitaire en cours.

Tels sont donc le calendrier, les thèmes et les préoccupations. Nous devrons traiter de nombreux dossiers, plus ou moins risqués, des dossiers qui recèlent des menaces mais aussi des dossiers de développement stimulants.

Je termine mon propos par des observations sur deux crises particulières que vous avez évoquées.

La conférence internationale pour la Libye, à laquelle ont participé sept chefs d'État et de gouvernement, a été organisée par le Président Macron le 12 novembre dernier à Paris. Ce fut un exercice de remobilisation internationale décisif dans le cadre de la phase de transition libyenne et la première fois qu'était rassemblé l'ensemble des pays voisins de la Libye en présence des autorités libyennes. Le Conseil de sécurité du 24 novembre a pris acte des résultats de cette conférence et adopté une déclaration de la présidence du Conseil faisant état de deux éléments centraux : l'organisation d'élections, prévues le 24 décembre ; le début d'une démilitarisation extérieure, c'est-à-dire le départ des mercenaires du territoire libyen.

Le report prévisible des élections, lié à des complexités techniques – notamment, la nécessité d'habiliter la liste des candidats – a été annoncé par la Haute commission électorale libyenne. Je rappelle que la Libye n'a jamais connu d'élections. Les Libyens se montrent très intéressés puisque trois millions d'entre eux se sont inscrits sur les listes électorales, ce qui n'est pas négligeable quand on connaît la situation de ce pays. Avec nos collègues européens, nous sommes déterminés à faire en sorte que ce report technique se déroule dans les meilleures conditions. La validation juridique de la candidature des quatre-vingt-dix-huit candidats à la présidence de la République libyenne et l'assurance de l'éligibilité de chacun d'entre eux ont pris du temps. Nous devrions cependant aboutir à des élections puisque le processus a été enclenché.

Sur le plan sécuritaire, les premiers retraits des éléments étrangers ont commencé puisque plus de trois cents mercenaires africains se sont retirés de l'est libyen. Nous devrions assister à un départ progressif de l'ensemble des forces et des mercenaires étrangers tel qu'approuvé par la Conférence de Paris.

La mobilisation que nous menons et que nous continuerons à mener vise à éviter une « syrianisation » de la Libye, que j'ai évoquée devant vous à plusieurs reprises, le meilleur moyen étant de procéder aux élections et à la restauration de la souveraineté libyenne.

Ensuite, concernant le Liban, que dire de neuf ? Honnêtement, peu de choses. Un nouveau Premier ministre a été nommé, M. Mikati, qui est sunnite. Il a pu, et nous y avons contribué, renouer des liens avec l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et les pays de la péninsule Arabique qui, jusqu'à présent, s'étaient détournés des préoccupations libanaises, en laissant ce pays se débrouiller seul. Lors de la visite du Président Macron dans le Golfe, nous avons pu renouer ces liens et permettre ainsi la création d'un fonds conjoint franco-saoudien d'aide et de soutien aux Libanais, auquel les Émirats contribueront, je pense, prochainement. Il s'agit du seul point positif de la période récente. Pour le reste, le gouvernement libanais n'arrive toujours pas à se réunir en raison d'un blocage d'une partie de la classe politique qui refuse de participer au gouvernement en raison de l'instruction en cours sur l'explosion du port de Beyrouth. Une forme d'obstruction est à l'œuvre, qui n'est pas acceptable parce qu'elle instrumentalise l'enquête au service d'objectifs politiques alors que les Libanais ont le droit à la vérité.

Si, pour ces raisons, le gouvernement Mikati ne se réunit pas, il a néanmoins commencé à esquisser des initiatives dont nous ne pouvons que nous féliciter – contrôle des frontières, prêt de la Banque mondiale, mise en place d'un dispositif de sécurité sociale, – mais beaucoup reste à faire : la discussion avec le Fonds monétaire international, le rétablissement des services publics essentiels, la réforme du secteur de l'énergie, la réforme portuaire, la réforme des marchés publics. Bref, nous en sommes au tout début, avec pour perspective, au printemps 2022, les élections législatives et présidentielles que les autorités libanaises ont la responsabilité d'organiser.

Il faut rester proche des Libanais et leur faire comprendre que le pluralisme, caractéristique de leur pays, doit leur permettre de dépasser ces difficultés. La pression internationale et le soutien que les uns et les autres apporteront au peuple libanais n'en seront pas moins utiles dans la période qui s'ouvre.

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