Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 11 janvier 2022 à 21h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre :

L'ensemble des questions couvrant un champ assez large, je vous prie de m'excuser si je suis parfois un peu sommaire.

En effet, le groupe Wagner est présent au Mali, avec l'accord gouvernement malien. Ce groupe, que nous avons vu à l'œuvre en particulier en République centrafricaine, se distingue par ses prédations, ses exactions et son irresponsabilité, puisque personne n'en est responsable. Il est d'ailleurs assez frappant que lorsque l'on interroge nos collègues russes et maliens à son propos, ils déclarent ne pas en connaître l'existence. À la limite, cela pourrait s'entendre pour les Maliens, encore que l'arrivée significative de ce groupe à l'aéroport de Bamako doit bien être autorisée par quelqu'un. Il serait en revanche étonnant que les autorités russes, quand il s'agit de mercenaires qui sont d'anciens combattants russes, dotés d'armes russes et transportés par des avions russes, ne le sachent pas. Je le dis très clairement : nous sommes là dans le mensonge.

Le groupe Wagner se finance à travers la prédation des ressources des pays concernés, en particulier en République centrafricaine. J'ignore, en l'état, ce que les autorités maliennes ont accordé en échange à ce groupe mais elles ont discuté pour qu'il puisse « se payer sur la bête », si je puis dire, car c'est exactement ainsi que cela se passe.

J'ajoute qu'il ne s'agit pas d'une diversification de la sécurité puisque le groupe Wagner est « anonyme » et que personne n'en est responsable.

La France et l'Union européenne, précisément, veulent former les forces armées de ces pays, au Mali comme ailleurs. À cette fin, je vous conseille de rendre visite à l'EUTM Mali – mission de formation de l'Union européenne au Mali – qui forme l'armée malienne, comme l'EUTM RCA forme l'armée centrafricaine. L'objectif de ce dispositif européen est bien de faire en sorte que les Africains puissent assurer leur sécurité eux-mêmes.

La question de M. Quentin sur la Syrie est claire, notre réponse l'est tout autant : la réouverture de notre ambassade à Damas n'est pas d'actualité. La question ne se posera pas tant que nous n'aurons pas observé de changements significatifs sur le terrain. Sans contrepartie préalable, tout pas accompli dans cette direction non seulement ne changerait rien à la situation que subissent les Syriens mais serait immédiatement instrumentalisé.

S'agissant de l'Ukraine, je pense avoir dit l'essentiel dans mon propos introductif. Le Format Normandie, un temps, a été au point mort mais il me semble que nous pouvons aujourd'hui le réactiver, d'autant plus que le Président Zelensky a fait des déclarations significatives à cet égard et que des contacts récents ont été pris à l'initiative du Président de la République afin de reprendre le processus. Nous savons ce qu'est l'essentiel pour que les choses aboutissent : l'intégrité de l'Ukraine, les perspectives humanitaires, que ce soit à travers les échanges de prisonniers, le retrait des armes lourdes, le déminage ou l'ouverture de portes d'accès sur la ligne de séparation. Nous connaissons également ces enjeux politiques que sont le futur statut du Donbass et le processus électoral. Tout cela est sur la table depuis un certain temps et fait partie des accords de Minsk. Il faut reprendre cette discussion et j'espère que nous serons bientôt au rendez-vous.

Nous sommes solidaires de la Lituanie. La Chine a pris des mesures contre ce pays parce qu'il a ouvert un bureau à Taïwan et qu'il a quitté le forum dit des « 17+1 », qui a été impulsé par la Chine et lui permet de retrouver régulièrement un certain nombre de partenaires européens indépendamment de l'Union européenne. Pendant la présidente française de l'Union européenne, nous voulons prendre des mesures anti-coercition permettant à l'Europe de se défendre contre de telles initiatives.

Un plan d'action pour la reconnaissance internationale de la souveraineté française sur Mayotte existe, en effet. J'ai moi-même ouvert l'an dernier, dans les locaux de l'ambassade de France à Madagascar, un bureau du conseil départemental de Mayotte. Cela participe de la défense de ce territoire qui fait partie de la République française.

Même si cela ne fait pas plaisir à M. Hutin, je dirai à M. Girardin que pour avoir suivi les dossiers de défense et la montée en puissance de la défense européenne depuis dix ans, les sauts qualitatifs sont considérables. En 2015, j'ai eu l'occasion de présenter à mes collègues de la défense de l'époque – avec Mme von der Leyen, alors ministre allemande de la défense – un dispositif appelé coopération structurée permanente (CSP). Il s'agissait de commencer à agir ensemble, ne serait-ce qu'à travers la coordination de nos services de santé. Nous avions alors été quasiment mis au ban de l'ensemble des Vingt-Huit, lesquels jugeaient inepte d'imaginer une défense européenne.

Aujourd'hui, le Fonds européen de défense est doté de 8 milliards, les Vingt-Sept se retrouvent autour de la CSP et de l'Initiative européenne d'intervention et des opérations militaires européennes se déroulent entre Européens – Takuba, Irini, la MISO (Military Information Support Operations). Certes, il faut aller au-delà mais les avancées sont spectaculaires parce que les Européens ont conscience qu'ils doivent assurer eux-mêmes leur sécurité. Vous avez cité des exemples de coopération en matière d'armement mais il en est bien d'autres, y compris s'agissant de l'avion et du char de nouvelle génération, avec l'Allemagne, à laquelle, pour l'avion, s'est joint l'Espagne. La base industrielle et technologique de défense (BITD) est quant à elle en phase d'activation. Nous nous inscrivons dans une logique positive que la « boussole stratégique » permettra de valider lorsqu'elle sera achevée, lors du Conseil européen du mois de mars.

À propos de l'action des Russes, je suis frappé par la solidarité et la solidité les acteurs de l'Afrique occidentale pour défendre leur souveraineté. Leur expression commune, forte et significative, illustre une forme de résilience à mon avis très positive.

La situation migratoire au Bélarus est à peu près stabilisée, même si elle n'est pas tout à fait revenue à la normale. Nous continuons à suivre avec attention cette question. La tentative d'instrumentalisation par Loukachenko a échoué parce que les Européens se sont montrés solidaires, qu'ils ont su se défendre et faire en sorte de maintenir la frontière avec le Bélarus. Ensemble, nous avons pu réduire significativement la tentative de déstabilisation de l'Union européenne, avec l'acceptation passive de la Russie, et nous avons su agir avec les pays tiers qui étaient eux-mêmes instrumentalisés suite aux vols en provenance d'Irak notamment.

Cela n'empêche pas que la situation du Bélarus soit dramatique, la dictature risquant de se renforcer après le « vol » des élections de 2020 par Loukachenko, lequel veut désormais organiser une réforme de la Constitution, en février, qui portera un nouveau coup d'arrêt à toute forme d'expression de l'opposition. Nous continuerons de soutenir la population bélarusse, nous poursuivons nos envois d'aide humanitaire et nous continuons à rencontrer régulièrement l'opposition, comme j'ai eu l'occasion de le faire à plusieurs reprises en rencontrant Mme Tikhanovskaïa.

S'agissant de l'initiative franco-italienne concernant le Pacte de stabilité et de croissance et son évolution, l'élaboration d'un nouveau modèle de croissance pour l'Europe sera décisive. À cette fin, il est indispensable que nous préservions nos capacités à produire et à investir. Il faudra donc prévoir des règles budgétaires adaptées et une coordination accrue, pas uniquement en période de crise. C'est le sens de la proposition des Présidents Draghi et Macron. Lors du sommet des 10 et 11 mars annoncé par le Président de la République, il nous incombera de définir le modèle de croissance de l'Europe et de relancer le débat.

Monsieur Hutin, je me présente pour la trente-sixième fois devant votre commission. Je regrette de ne pas avoir pu être là au mois de décembre mais cela tenait à l'actualité. J'imagine que vous étiez vous-même présent aux débats organisés par le Gouvernement et lors de la présentation de la PFUE par le Premier ministre dans l'hémicycle.

Vous allez vous rendre à Beyrouth et vous pourrez constater l'immense flux migratoire, la population quittant le pays dès qu'elle le peut. Ceux qui restent vivent dans des conditions humanitaires et sanitaires déplorables parce que les groupes politiques qui constituent l'ossature du Liban n'avancent absolument pas et ne prennent pas en compte les intérêts de la population et de leur pays. Les bonnes intentions du Premier ministre Mikati n'ont jamais pu se traduire dans les faits ; sans doute convient-il d'attendre les élections du printemps prochain mais encore faut-il qu'elles soient transparentes et qu'elles aboutissent à un résultat, faute de quoi ce pays risque de sombrer définitivement.

Monsieur Habib, j'ai répondu à votre question concernant M. Shaath lors de la séance des questions d'actualité.

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