Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 11 janvier 2022 à 21h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre :

Je vous assure que nous aborderons la question de tous les engagements que je viens d'évoquer au « Gymnich » et qu'elle sera centrale. Il n'en reste pas moins que les Européens sont « en phase ». Le constat effectué sur nos relations avec la Russie repose sur un accord général. Si des divergences d'approche dues, entre autres, à l'histoire et la géographie ont pu exister, il faut vraiment s'inscrire en faux contre cette antienne diffusée par les Russes, lesquels appréhendent en effet, une discussion avec l'Union européenne et préfèrent essayer de la déstabiliser de l'intérieur – d'où Loukachenko et autres...

Nous souhaitons que la Macédoine du Nord et la Bulgarie trouvent un terrain d'entente pour nous permettre d'engager la conférence intergouvernementale sur la Macédoine du Nord et l'Albanie. Nous souhaitons que cela se passe sous présidence française mais un blocage bulgare demeure sur la Macédoine du Nord. Le nouveau gouvernement bulgare a indiqué qu'il lui faudrait du temps avant de trouver un accord mais qu'il allait y parvenir. De plus, si je suis bien au fait de l'actualité politique internationale, un nouveau gouvernement doit être investi en Macédoine du Nord dans les prochains jours. Il permettra, je l'espère, de trouver un bon accord entre les deux pays. Nous ne souhaitons pas découpler le processus d'adhésion entre l'Albanie et la Macédoine du Nord.

Madame Clapot, la situation des femmes en Afghanistan est bien conforme à celle que vous avez décrite. Vous savez comme moi que les atteintes aux droits des femmes se sont multipliées avec les talibans : restriction de la pratique du sport, interdiction aux chaînes de télévision afghanes de diffuser des séries mettant en scène des femmes, interdiction pour les femmes de voyager non voilées, interdiction de se déplacer à plus de 72 kilomètres sans être accompagnées par un homme, etc. La situation est absolument dramatique.

Lors de la prise de pouvoir par les talibans à Kaboul, j'avais posé cinq conditions – qui ont fait l'objet d'un consensus européen – indispensables à toute forme de reconnaissance de ce gouvernement intérimaire, parmi lesquelles le respect des droits humains, notamment celui des droits des femmes et des filles. Elles ne sont pas réunies et nous devons soutenir le combat des femmes afghanes. Nous le faisons à travers des financements spécifiques et les Nations unies. Nous avons notamment fait en sorte que la dignité des femmes afghanes soit régulièrement réaffirmée et l'Union européenne s'est fortement mobilisée aux côtés des femmes et des filles dont les droits élémentaires sont bafoués. C'est un combat que nous devons poursuivre de manière très vigoureuse.

Nous poursuivons les opérations d'évacuation d'Afghanes et Afghans menacés de manière imminente en raison de leur engagement à nos côtés ou des valeurs que nous avons en partage. Nous avons pu bénéficier de partenariats avec le Qatar. Dernièrement, deux-cent-soixante personnalités afghanes qui étaient en danger en raison de leurs engagements ont été évacuées mais de telles opérations deviennent de plus en plus difficiles.

Nous disposons d'informations sur les Afghans qui se rendent au Pakistan, notamment pour rejoindre la France. Nos consulats instruisent les procédures afin d'accélérer l'obtention des visas. Si vous connaissez une personne en particulier, enjoignez-lui de s'adresser au consulat concerné, tous étant très mobilisés.

Par décision du Président de la République, 120 millions de doses ont été donnés à des pays en difficulté qui ne peuvent en acquérir eux-mêmes, dont 75 millions sont engagés. Par ailleurs, le dispositif COVAX, impulsé par le Président de la République, a d'ores et déjà permis la livraison d'un milliard de doses dans cent quarante-quatre pays. Ce mouvement va se poursuivre, l'Europe ayant exporté davantage de doses qu'elle n'en a elle-même consommé et constituant le principal fournisseur de doses de vaccin dans le monde.

Parallèlement, nous nous sommes engagés en Afrique afin que ce continent puisse produire des vaccins, à la fois grâce aux dispositifs des licences volontaires et des licences obligatoires que nous promouvons dans l'Union européenne. Nous dresserons un bilan provisoire de ces opérations à l'occasion de la réunion organisée avec Olivier Véran.

Je souhaite que nous travaillions plus encore avec l'Union africaine sur la question difficile de la vaccination en tant que telle. Grâce à la force du mouvement que nous avons impulsé, les pays africains reçoivent des dons mais ils ne sont pas distribués assez rapidement, ce qui soulève la question des problèmes rencontrés par leurs systèmes de santé. Il faut les aborder avec les autorités africaines, même si la situation varie selon les pays et selon les régions au sein de chaque pays.

J'ignore si la presse continue à m'écouter mais, s'agissant du Yémen, on entend toujours parler de « ces méchants Saoudiens qui continuent à bombarder, etc. ». Il est vrai que c'est une sale guerre, mais peut-être faut-il faire un retour sur le passé. Il fut un temps où le gouvernement yéménite était reconnu internationalement avec, à sa tête, le président Hadi, aujourd'hui en exil parce qu'il a été renversé par les houthis, soutenus par l'Iran, au profit du président Saleh, qui lui-même a été exécuté par ces mêmes houthis qui, aujourd'hui, bombardent l'Arabie saoudite.

Il n'est donc pas possible d'aborder la question yéménite uniquement à travers des incantations contre l'Arabie saoudite. Quand votre pays est atteint par des armements utilisés par les houthis et fournis par l'Iran, cela peut agacer. Même si j'estime qu'il s'agit d'une guerre inutile et qu'il faut s'engager dans un processus de paix, il n'empêche qu'il faut, de temps à autre, « remettre les choses d'équerre », ce qui n'est pas si simple.

Il est souhaitable que les Saoudiens prennent des initiatives de paix, ce qu'ils ont commencé à faire, de même que les Émiriens, mais il faut que les houthis comprennent qu'il n'y aura pas d'autre sortie qu'à travers un cessez-le-feu et un dispositif politique. J'ajoute que le président Hadi a demandé le soutien de ses partenaires quand il a été destitué par les forces houthies.

Comme vous, je suis préoccupé par la situation de Mme Reyckya Madougou, au Bénin. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur le sujet et de faire pression auprès des autorités béninoises, en particulier lors de la visite du président Talon en France, en novembre 2021. Lorsque nous recevons des chefs d'État de pays où se posent des questions relevant des droits de l'homme ou lorsque nous nous déplaçons, le Président de la République, moi-même et d'autres ministre les évoquons toujours ; à force de le faire, on obtient parfois des résultats mais la ténacité est indispensable.

Le groupe Wagner est présent pour soutenir la junte en faisant croire qu'il vient combattre le terrorisme. Par ailleurs, il n'est pas rémunéré sur des crédits financiers mais sur des actes de prédation sur les ressources du pays, notamment celles des mines.

Le JNIM et l'EIGS, l'État islamique au Grand Sahara, dépendent de holdings terroristes bien connus, Al-Qaïda au Maghreb islamique et Daech, dont ils reçoivent directement leurs ordres. Ce n'est pas parce qu'il arrive que tel ou tel fasse amende honorable et prenne des initiatives plus souples qu'il faut oublier leur rattachement à la maison mère, si je puis utiliser ce terme. Si les uns ou les autres veulent prouver leur attachement à la paix, il suffit qu'ils rejoignent les accords d'Alger, comme certains l'ont fait. Même si le JNIM manifeste, localement, quelques vertus, il n'en reste pas moins qu'un Français victime d'AQMI est toujours otage au Mali.

Je n'émets aucun pronostic sur Seif al-Islam, le fils de Mouammar Kadhafi, et je n'ai pas à en formuler. Il fait ses choix, les Libyens feront les leurs.

Un processus reconnu internationalement est en cours au Tchad, la période de transition devant conduire à une réforme constitutionnelle et à une procédure électorale. Le lancement du dialogue national inclusif, étape indispensable de la transition, est prévu le 15 février. J'observe que depuis sa prise de fonction, le président Mahamat Idriss Déby a fait ce qu'il a dit.

La situation du Tchad est très différente de celle du Mali. Au Tchad, le président Idriss Déby Itno, tué au combat, doit être remplacé. Une solution de transition a été trouvée par un accord entre différents acteurs, y compris le président de l'Assemblée nationale tchadienne qui, normalement, aurait dû assurer l'intérim mais qui a refusé. Ce mouvement est en cours et me semble plutôt positif. Nous espérons donc qu'il se poursuivra et que nous pourrons aboutir à une stabilisation future, prévue, selon le calendrier retenu, au mois de septembre 2022.

Je ne sous-estime pas les réactions anti-françaises au Mali mais je m'interroge parfois sur les manipulations d'un certain nombre de réseaux sociaux et d'acteurs. La Russie profite de certaines instabilités comme elle l'a fait en République centrafricaine, quand les autorités du pays ont demandé au groupe Wagner de venir s'y installer. Je ne crois pas à un axe Moscou-Alger. Les autorités algériennes ont témoigné de leur volonté d'aider les pays de la CEDEAO pour parvenir à une solution positive.

Monsieur El Guerrab, je m'associe à l'hommage que vous avez rendu au président Sassoli, que j'ai reçu il y a peu de temps au Quai d'Orsay dans le cadre de la préparation de la présidence française.

Je me rendrai à Tripoli dès que je le pourrai, ce qui n'est pas possible actuellement en raison d'un calendrier chargé et d'une situation qui n'est pas toujours stable.

En Tunisie, nous souhaitons que le processus politique annoncé par le président Saïed intervienne le plus rapidement possible. Le référendum est prévu fin 2022. Ces réformes institutionnelles sont bienvenues mais un retour rapide au bon fonctionnement des institutions tunisiennes serait très opportun. J'espère que les autorités pourront aboutir à un dispositif inclusif et que le peuple tunisien sera consulté rapidement.

D'un point de vue stratégique général, au-delà des enjeux, pour l'Europe et pour l'avenir de l'économie mondiale, autour de la zone indopacifique, nous devons contribuer à l'instauration d'un modèle alternatif entre la conflictualité avec la Chine, souhaitée par certains, et la sujétion que d'autres – je pense à la Chine – souhaitent exercer sur des pays riverains. Nous voulons proposer un modèle qui respecte la souveraineté des pays et leur propre développement mais, aussi, qui favorise des initiatives dans les domaines du numérique, de l'environnement, de la connectivité, de la maritimité, de la santé mondiale et de la défense. J'attends de ce forum des actions concrètes car nous ne gagnerons en crédibilité que si nous développons des projets efficaces dans l'ensemble de ces domaines. Nous ne nous désolidarisons pas des États-Unis et nous ne nous plaçons pas à équidistance entre eux et la Chine : nous voulons montrer que nous pouvons ouvrir une voie alternative mobilisatrice, dans le respect des souverainetés.

Je n'ai pas encore choisi le nouveau nom de l'Agence française de développement, mais il changera.

Le plan de relance africain, le New Deal préparé par l'Union européenne et l'Union africaine, passe par le financement d'infrastructures et l'affectation efficace de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux qui, je l'espère, seront mobilisés.

S'agissant des fonds susceptibles d'être affectés au Mali, nous prenons des dispositions pour éviter que des financements directs puissent bénéficier aux autorités maliennes. L'Union européenne et la France ont ainsi suspendu leurs aides directes. Nous étudions également la situation après les affirmations de la CEDEAO de dimanche dernier afin d'éviter que les autorités putschistes maliennes bénéficient de fonds de développement qui, en l'occurrence, seraient indus.

Je partage vos inquiétudes et vos propos sur l'effroyable massacre du 24 décembre en Birmanie. Le président de la République, M. Win Myint, et Mme Aung San Suu Kyi sont non seulement toujours détenus mais leur peine a été prolongée hier, lundi 10 janvier. Les peines cumulées sont très lourdes et spectaculaires. Nous avons condamné à plusieurs reprises la junte birmane et, à notre demande, des sanctions ont été prises sur le plan européen, à la fois à l'encontre d'individus mais aussi d'entités économiques qui alimentent la junte au pouvoir, en particulier des conglomérats militaires. Nous continuerons à faire preuve d'une grande détermination à ce sujet. Nous prenons donc des mesures ciblant les intérêts des militaires mais nous essayons d'épargner la population civile et les plus vulnérables, qui sont les premiers touchés par la crise. Nous avons maintenu notre aide humanitaire à la société civile, y compris notre aide à la vaccination, en livrant plus d'un million de doses.

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