Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Notre ordre du jour appelle l'examen ouvert à la presse d'un très important rapport, par sa qualité et l'importance du sujet ; il s'agit du rapport d'information sur la Chine, dont l'examen sera suivi de l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Autorité bancaire européenne relatif à son siège et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.

Le 3 mars dernier, notre commission a confié à Mme Bérengère Poletti et M. Buon Tan une mission d'information sur la politique de la France et de l'Europe à l'égard de la Chine.

L'objectif n'était pas tant de fournir une analyse de l'état de la Chine et de sa place sur la scène internationale, encore que la place de la Chine sur la scène internationale n'est pas sans incidence sur la façon dont la France et l'Europe doivent aborder ses relations avec elle, que de déterminer quelle conduite la France et l'Union européenne (UE) devaient tenir face à ce géant économique et démographique, devenu un acteur incontournable. Vous employez souvent le mot incontournable dans votre rapport, ce mot est intéressant : peut-on contourner l'incontournable ? C'est l'un des problèmes qui se posent. La Chine est un acteur incontournable des relations internationales, des scènes géopolitiques les plus importantes, et dont les méthodes, les valeurs, et les objectifs, divergent parfois - et même très fortement - de ceux des démocraties occidentales.

Notre commission n'a adopté que trois rapports sur la Chine au cours de la présente législature : le rapport d'information n° 1868 qui a été présenté le 10 avril 2019 par Mme Delphine O et M. Jean-Luc Reitzer en conclusion de la mission d'information sur les enjeux stratégiques en mer de Chine méridionale ; deuxièmement le rapport n° 1971 présenté par M. Jean-Michel Clément sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et le gouvernement de Hong Kong sur la remise de personnes poursuivies ou condamnées. Ce projet de loi adopté en commission le 22 mai 2019 n'a cependant pas été inscrit à l'ordre du jour de la séance publique eu égard à la répression policière et judiciaire appliquée à Hong Kong ; le rapport avait été conçu sur la base des accords convenus entre la Chine et le Royaume-Uni au moment de la passation de pouvoir à Hong Kong, mais la situation s'était profondément détériorée à la suite de la décision unilatérale de la République populaire de Chine de s'en écarter. Le dernier rapport est le rapport n° 4033 du 31 mars 2021 présenté par Mme Amélia Lakrafi sur le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre la France et la Chine. Sous la dernière législature, une seule mission d'information sur la Chine avait été constituée, elle était composée de huit députés et le rapport d'information avait été présenté par M. Michel Destot le 4 décembre 2013.

Si la Chine est souvent présente dans nos discussions, notre commission n'effectue que de façon très espacée une étude d'ensemble sur le pays. C'est ce que nos rapporteurs ont fait avec beaucoup de talent et de compétences. Or la Chine évolue vite, le cadre politique international n'est plus du tout le même qu'en 2013, en particulier avec l'accession au secrétariat général du parti communiste chinois de M. Xi Jinping en octobre 2012 qui a marqué une inflexion, et à mes yeux beaucoup plus qu'une inflexion. Tous les sinologues estiment qu'il y a eu en 2012, à la suite de la modification de l'équipe dirigeante en Chine, une modification en profondeur de l'approche géopolitique de la Chine sur le reste du monde. Cette modification s'est fait sentir progressivement, elle a atteint maintenant un degré de visibilité à la fois impressionnant et, reconnaissons-le, inquiétant. Non seulement l'emprise idéologique et administrative du parti s'est fortement accrue sur les entreprises et les acteurs de la société civile, mais la Chine, par une stratégie d'influence associant le commerce, la finance, l'investissement et la puissance militaire et technologique, cherche à imposer ouvertement ses valeurs et ses méthodes dans les instances internationales et auprès de ses partenaires économiques en rejetant, en particulier, ce qui pour nous est essentiel, le caractère universel des droits de l'homme et des valeurs démocratiques telles que nous les entendons, ainsi que le primat du respect de la dignité, de l'intégrité et de l'épanouissement individuel de la personne humaine.

Ceux qui peuvent en douter ont dû être édifiés par l'audition que nous avons eue sur la question du Xinjiang, avec le témoignage bouleversant de notre invitée ouïgoure réfugiée de cet enfer qu'est devenu pour les populations ouighoures le Xinjiang. Les autocraties sont partout ouvertement soutenues par la Chine. Les contestations de la ligne du parti sont réduites au silence, l'usage de la force pour parvenir à atteindre les objectifs du parti est évoqué publiquement, le cas de Hong Kong montrant que le parti peut y avoir recours et y a nettement recours pour parvenir à ses fins.

La compétition technologique, économique, militaire avec les grandes puissances mondiales est placée au premier rang des priorités avec en ligne de mire le centenaire de la République populaire de Chine en 2049. Cette stratégie est avivée par une réactivation du nationalisme chinois, et l'histoire des cinquante dernières années est réécrite pour se conformer aux vues du secrétaire général du parti Xi Jinping. Cela ne doit pas nous faire oublier que nous avons eu des responsabilités graves vis-à-vis de la Chine au XIXème siècle notamment, mais nous assistons là à quelque chose d'une immense ampleur et d'une portée assez inquiétante. À juste titre, l'Europe a présenté la Chine comme un partenaire stratégique, un concurrent économique et un rival systémique. Ces trois concepts ne sont pas faciles à combiner. Les prises de contrôle de fleurons technologiques et d'infrastructures stratégiques européennes - alors même que le capital des entreprises chinoises, les marchés d'infrastructure et d'équipement et les appels d'offres chinois sont fermés aux entreprises étrangères - nous ont fait prendre conscience de notre dépendance et de notre faiblesse stratégique.

La conduite de la crise sanitaire a été un révélateur auprès de l'opinion publique européenne. Les réactions de l'Europe et de la France sont relativement encourageantes mais, me semble-t-il, encore insuffisantes. Nous avons depuis lors des problèmes liés à la mise en œuvre de l'accord global sur les investissements. Nous faisons face à une porte fermée en dépit de la résolution que nous avons votée dans ce sens, sur l'accès de Taipei à l'OMS. Nous avons un bras de fer entre la Chine et la Lituanie et une montée en puissance de la solidarité de l'Union européenne, qui n'est pas facile à faire passer puisqu'elle ne doit pas être interprétée comme une mesure protectionniste, ce qu'elle n'est pas, mais une solidarité évidente vis-à-vis de la Lituanie. Je vous rappelle que dans cette affaire la Lituanie a simplement autorisé l'ouverture d'un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius sous cette dénomination et non celle de bureau de représentation de Taipei, ce qui a été interprété comme le franchissement d'une ligne jaune par la Lituanie et a entraîné une série de sanctions de caractère économique inacceptables à nos yeux et mettant profondément en cause l'unité du marché unique. Nous nous sommes progressivement portés solidaire de l'État lituanien. Ce sont là les signes d'une tension très vive.

Je ne parle pas du développement de la situation au Xinjiang et du fait que vous avez voté à la quasi-unanimité une résolution présentée par nos collègues socialistes affirmant le caractère génocidaire des mesures et des politiques menées au Xinjiang. C'est une situation très dure. L'équilibre est délicat à trouver entre besoins économiques, exigence d'une gestion commune du changement climatique – puisqu'il est évident que nous avons besoin d'un partenariat avec la Chine –, fonctionnement des instances multilatérales et défense des droits de l'homme et de l'État de droit.

Voilà la situation dans laquelle prend place le rapport de nos collègues. Il est évident que l'examen de ce rapport d'information sur les relations bilatérales entre la France et la Chine et l'Union européenne et la Chine se situe dans un contexte de grande tension ; les relations bilatérales ne sont pas stabilisées, elles ne sont pas satisfaisantes, elles sont nécessaires cependant mais d'énormes changements doivent intervenir pour qu'elles soient fructueuses.

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