La séance est ouverte à 9 h 30
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
Examen, ouvert à la presse, du rapport d'information sur la politique de la France et de l'Europe à l'égard de la Chine (Mme Bérengère Poletti et M. Buon Tan, co-rapporteurs)
Lors de sa séance du mercredi 9 février 2022, la commission examine le rapport d'information sur la politique de la France et de l'Europe à l'égard de la Chine.
Notre ordre du jour appelle l'examen ouvert à la presse d'un très important rapport, par sa qualité et l'importance du sujet ; il s'agit du rapport d'information sur la Chine, dont l'examen sera suivi de l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Autorité bancaire européenne relatif à son siège et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.
Le 3 mars dernier, notre commission a confié à Mme Bérengère Poletti et M. Buon Tan une mission d'information sur la politique de la France et de l'Europe à l'égard de la Chine.
L'objectif n'était pas tant de fournir une analyse de l'état de la Chine et de sa place sur la scène internationale, encore que la place de la Chine sur la scène internationale n'est pas sans incidence sur la façon dont la France et l'Europe doivent aborder ses relations avec elle, que de déterminer quelle conduite la France et l'Union européenne (UE) devaient tenir face à ce géant économique et démographique, devenu un acteur incontournable. Vous employez souvent le mot incontournable dans votre rapport, ce mot est intéressant : peut-on contourner l'incontournable ? C'est l'un des problèmes qui se posent. La Chine est un acteur incontournable des relations internationales, des scènes géopolitiques les plus importantes, et dont les méthodes, les valeurs, et les objectifs, divergent parfois - et même très fortement - de ceux des démocraties occidentales.
Notre commission n'a adopté que trois rapports sur la Chine au cours de la présente législature : le rapport d'information n° 1868 qui a été présenté le 10 avril 2019 par Mme Delphine O et M. Jean-Luc Reitzer en conclusion de la mission d'information sur les enjeux stratégiques en mer de Chine méridionale ; deuxièmement le rapport n° 1971 présenté par M. Jean-Michel Clément sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et le gouvernement de Hong Kong sur la remise de personnes poursuivies ou condamnées. Ce projet de loi adopté en commission le 22 mai 2019 n'a cependant pas été inscrit à l'ordre du jour de la séance publique eu égard à la répression policière et judiciaire appliquée à Hong Kong ; le rapport avait été conçu sur la base des accords convenus entre la Chine et le Royaume-Uni au moment de la passation de pouvoir à Hong Kong, mais la situation s'était profondément détériorée à la suite de la décision unilatérale de la République populaire de Chine de s'en écarter. Le dernier rapport est le rapport n° 4033 du 31 mars 2021 présenté par Mme Amélia Lakrafi sur le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre la France et la Chine. Sous la dernière législature, une seule mission d'information sur la Chine avait été constituée, elle était composée de huit députés et le rapport d'information avait été présenté par M. Michel Destot le 4 décembre 2013.
Si la Chine est souvent présente dans nos discussions, notre commission n'effectue que de façon très espacée une étude d'ensemble sur le pays. C'est ce que nos rapporteurs ont fait avec beaucoup de talent et de compétences. Or la Chine évolue vite, le cadre politique international n'est plus du tout le même qu'en 2013, en particulier avec l'accession au secrétariat général du parti communiste chinois de M. Xi Jinping en octobre 2012 qui a marqué une inflexion, et à mes yeux beaucoup plus qu'une inflexion. Tous les sinologues estiment qu'il y a eu en 2012, à la suite de la modification de l'équipe dirigeante en Chine, une modification en profondeur de l'approche géopolitique de la Chine sur le reste du monde. Cette modification s'est fait sentir progressivement, elle a atteint maintenant un degré de visibilité à la fois impressionnant et, reconnaissons-le, inquiétant. Non seulement l'emprise idéologique et administrative du parti s'est fortement accrue sur les entreprises et les acteurs de la société civile, mais la Chine, par une stratégie d'influence associant le commerce, la finance, l'investissement et la puissance militaire et technologique, cherche à imposer ouvertement ses valeurs et ses méthodes dans les instances internationales et auprès de ses partenaires économiques en rejetant, en particulier, ce qui pour nous est essentiel, le caractère universel des droits de l'homme et des valeurs démocratiques telles que nous les entendons, ainsi que le primat du respect de la dignité, de l'intégrité et de l'épanouissement individuel de la personne humaine.
Ceux qui peuvent en douter ont dû être édifiés par l'audition que nous avons eue sur la question du Xinjiang, avec le témoignage bouleversant de notre invitée ouïgoure réfugiée de cet enfer qu'est devenu pour les populations ouighoures le Xinjiang. Les autocraties sont partout ouvertement soutenues par la Chine. Les contestations de la ligne du parti sont réduites au silence, l'usage de la force pour parvenir à atteindre les objectifs du parti est évoqué publiquement, le cas de Hong Kong montrant que le parti peut y avoir recours et y a nettement recours pour parvenir à ses fins.
La compétition technologique, économique, militaire avec les grandes puissances mondiales est placée au premier rang des priorités avec en ligne de mire le centenaire de la République populaire de Chine en 2049. Cette stratégie est avivée par une réactivation du nationalisme chinois, et l'histoire des cinquante dernières années est réécrite pour se conformer aux vues du secrétaire général du parti Xi Jinping. Cela ne doit pas nous faire oublier que nous avons eu des responsabilités graves vis-à-vis de la Chine au XIXème siècle notamment, mais nous assistons là à quelque chose d'une immense ampleur et d'une portée assez inquiétante. À juste titre, l'Europe a présenté la Chine comme un partenaire stratégique, un concurrent économique et un rival systémique. Ces trois concepts ne sont pas faciles à combiner. Les prises de contrôle de fleurons technologiques et d'infrastructures stratégiques européennes - alors même que le capital des entreprises chinoises, les marchés d'infrastructure et d'équipement et les appels d'offres chinois sont fermés aux entreprises étrangères - nous ont fait prendre conscience de notre dépendance et de notre faiblesse stratégique.
La conduite de la crise sanitaire a été un révélateur auprès de l'opinion publique européenne. Les réactions de l'Europe et de la France sont relativement encourageantes mais, me semble-t-il, encore insuffisantes. Nous avons depuis lors des problèmes liés à la mise en œuvre de l'accord global sur les investissements. Nous faisons face à une porte fermée en dépit de la résolution que nous avons votée dans ce sens, sur l'accès de Taipei à l'OMS. Nous avons un bras de fer entre la Chine et la Lituanie et une montée en puissance de la solidarité de l'Union européenne, qui n'est pas facile à faire passer puisqu'elle ne doit pas être interprétée comme une mesure protectionniste, ce qu'elle n'est pas, mais une solidarité évidente vis-à-vis de la Lituanie. Je vous rappelle que dans cette affaire la Lituanie a simplement autorisé l'ouverture d'un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius sous cette dénomination et non celle de bureau de représentation de Taipei, ce qui a été interprété comme le franchissement d'une ligne jaune par la Lituanie et a entraîné une série de sanctions de caractère économique inacceptables à nos yeux et mettant profondément en cause l'unité du marché unique. Nous nous sommes progressivement portés solidaire de l'État lituanien. Ce sont là les signes d'une tension très vive.
Je ne parle pas du développement de la situation au Xinjiang et du fait que vous avez voté à la quasi-unanimité une résolution présentée par nos collègues socialistes affirmant le caractère génocidaire des mesures et des politiques menées au Xinjiang. C'est une situation très dure. L'équilibre est délicat à trouver entre besoins économiques, exigence d'une gestion commune du changement climatique – puisqu'il est évident que nous avons besoin d'un partenariat avec la Chine –, fonctionnement des instances multilatérales et défense des droits de l'homme et de l'État de droit.
Voilà la situation dans laquelle prend place le rapport de nos collègues. Il est évident que l'examen de ce rapport d'information sur les relations bilatérales entre la France et la Chine et l'Union européenne et la Chine se situe dans un contexte de grande tension ; les relations bilatérales ne sont pas stabilisées, elles ne sont pas satisfaisantes, elles sont nécessaires cependant mais d'énormes changements doivent intervenir pour qu'elles soient fructueuses.
J'aimerais commencer mon propos en remerciant ma collègue Bérengère Poletti avec qui j'ai vraiment pris plaisir à mener cette mission d'information.
L'un des principaux enseignements que nous avons tirés de nos travaux sur la stratégie de la France et de l'Union européenne avec la Chine, menés pendant près d'un an, est que malgré la présence croissante de la Chine sur la scène internationale, notre connaissance de ce pays reste souvent limitée. Or, nous pensons que la connaissance mutuelle est indispensable dans toute bonne relation bilatérale est que cela vaut d'autant plus avec un pays très différent du nôtre comme la Chine. C'est pourquoi nous avons construit nos travaux et notre rapport selon deux axes : un état des lieux de la Chine contemporaine au prisme de sa montée en puissance dans le monde, en préalable d'une analyse de nos relations bilatérales au niveau national et au niveau européen et des marges de progression que nous connaissons pour mieux défendre nos intérêts. Cela nous a permis de formuler 48 recommandations, classées par thèmes.
Je vais tout d'abord revenir sur le premier axe. Si la Chine a connu à partir de 1978 une phase d'ouverture économique, marquée par une croissance annuelle moyenne de 10 %, cette phase a d'abord nourri son développement intérieur. Aujourd'hui, et d'une façon de plus en plus affichée depuis l'arrivée au pouvoir du président Xi en 2013, la montée de la Chine s'accompagne d'une présence accrue sur la scène internationale. Ces dernières années, de nombreux objectifs ont été fixés – et en général atteints – pour promouvoir un « développement de qualité », associant la croissance à d'autres objectifs tels que la lutte contre les inégalités ou l'éradication de la grande pauvreté, objectif que la Chine a annoncé avoir atteint en 2020.
L'objectif affiché des autorités est de faire de la Chine la première puissance mondiale d'ici 2049 et cela doit être remis dans le contexte de ce que le PCC qualifie de « grande renaissance de la nation chinoise », en référence au siècle d'humiliation et aux « traités inégaux » imposés au 19e et 20e siècle par les puissances occidentales. Pour atteindre cet objectif, les autorités mobilisent des outils caractéristiques du système politique et économique chinois, tels que la planification, sur le court comme sur le long terme, outils associés à une projection croissante de la Chine hors de ses frontières. Soulignons également l'omniprésence du Parti communiste chinois, qui par son maillage participe à la cohérence, et à l'efficacité des politiques mises en œuvre.
En matière de politique étrangère, le répertoire dont dispose la Chine est très large. Le budget de défense chinois connaît une tendance à la hausse (près de 7 % en 2021) et la Chine a ravi à l'Inde en 2019 la deuxième place mondiale derrière les États-Unis, l'écart entre les deux puissances restant considérable à ce stade (163 milliards de dollars pour l'un, 750 pour l'autre). Depuis 2019, la Chine détient toutefois la plus importante flotte maritime mondiale, devant les États-Unis. Les modes d'action chinois passent aussi par la diplomatie d'influence, illustrée par les 500 Instituts Confucius dans le monde, dont 17 en France, ou encore le développement du média extérieur chinois CGTN.
La Chine est également présente de façon croissante dans les organisations internationales. En plus de son siège au Conseil de sécurité de l'ONU, elle est devenue le deuxième contributeur au budget des opérations de maintien de la paix et se montre particulièrement impliquée dans les organisations internationales à vocation normative comme l'UIT (Union internationale des télécommunications) ou l'ONUDI (Organisation des Nations unies pour le développement industriel). De façon générale, la Chine mène parallèlement des investissements massifs dans l'innovation et une stratégie d'influence sur la définition des normes internationales, sujet sur lequel la France et l'Union européenne devraient se doter d'une vision stratégique qui nous fait défaut aujourd'hui. Elle développe aussi ses propres instances régionales et internationales, qui concourent au soutien de sa stratégie. Citons à titre d'exemples la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII) ou la New Development Bank, créée conjointement avec les BRICS mais dont la Chine est le premier actionnaire.
Ainsi, la Chine apparaît aujourd'hui comme un acteur incontournable sur de nombreux sujets. L'exemple de la lutte contre le réchauffement climatique est souvent cité, de même que le financement du développement, en lien avec le lancement des Nouvelles routes de la soie en 2013. Il s'agit d'un projet protéiforme, qui a connu des évolutions dans le temps et auquel l'Union européenne cherche aujourd'hui à apporter une réponse avec le projet « Global Gateway ».
La montée en puissance chinoise s'inscrit aussi dans un contexte géopolitique mouvant, où l'Asie occupe une place centrale, ce que le « pivot » vers l'Asie de l'administration Obama a souligné dès 2011. L'indopacifique est devenue une zone dont l'importance stratégique et économique est devenue incontournable, tout particulièrement pour la France qui, au travers de ses sept régions, départements et collectivités d'outre-mer, y compte 1 650 000 ressortissants et 93 % de sa Zone Économique Exclusive.
Cette importance a été de nouveau soulignée avec l'entrée en vigueur au 1er janvier 2022 du RCEP, accord de libre-échange régional qui couvre plus de 30 % du PIB mondial et qui pourrait générer un surplus d'échanges de près de 165 milliards de dollars d'ici 2030 pour les seuls pays signataires.
La Chine se situe ainsi au cœur de cette dynamique géopolitique, marquée par des tensions dans les mers de Chine orientale et méridionale et autour de Taïwan, dont le statut constitue une ligne rouge pour Pékin. Dans ce contexte, la France s'attache à promouvoir le droit international maritime et la liberté de navigation en projetant des moyens militaires. Si cela a déjà donné lieu à des protestations de la Chine, il ne s'agit en aucun cas d'une posture agressive ni d'une préparation à un affrontement.
Face à l'importance accrue de l'Asie dans les équilibres géopolitiques mondiaux, il nous semble ainsi important tant au plan national qu'au plan européen de renforcer nos liens politiques et économiques avec les pays de la région, notamment au niveau de l'ASEAN.
L'indopacifique et Taïwan sont aussi au cœur d'une autre donnée géopolitique structurante que nous ne pouvons pas ignorer : l'exacerbation de la rivalité sino-américaine et la conclusion du pacte AUKUS, qui n'a pas été sans effet sur la relation transatlantique. Si l'Union européenne n'a rien à gagner à s'embarquer dans un conflit qui n'est pas le sien, nous devons toutefois tenir compte de cette forte rivalité dans le calibrage de notre relation avec la Chine comme avec les États-Unis et œuvrer pour ne pas être simplement au « menu » de cette rivalité. Je cède la parole à ma collègue Bérengère Poletti qui va revenir sur les éléments structurants de nos relations bilatérales et sur la dynamique dans lesquelles elles sont engagées aujourd'hui.
Avant d'aller plus loin dans la présentation du rapport, je souhaite à mon tour remercier mon collègue Buon Tan.
Nous avons auditionné 80 personnes. Ces auditions ont été très denses et très riches et ont permis d'entendre des spécialistes de la Chine et des avis qui n'ont pas toujours été les mêmes. Ces divergences ont pu se constater aussi entre Buon Tan et moi. Buon depuis longtemps souhaitait cette mission, pour ma part c'est en participant à l'IHEDN que j'ai pu entendre un chercheur spécialiste de la Chine nous faire part du manque de connaissances sur le problème chinois, la Chine, son histoire, sa culture, et qu'on ne pouvait pas, tant au niveau diplomatique qu'au niveau du Parlement, avoir des postures politiques sans avoir une très bonne connaissance de la Chine. Nos voisins Allemands par exemple connaissent très bien la Chine et se sont donné les moyens de bien maîtriser le chinois et de pouvoir maitriser un certain nombre de sujets relatifs à la Chine.
Nous nous sommes placés Buon et moi, malgré quelques différences notables, dans la volonté de vous présenter un rapport unique sur lequel nous avons eu des échanges et qui est ouvert à la discussion avec vous. Tout ce que vous avez dit Monsieur le président se trouve dans notre rapport, et nous y avons développé notamment les problèmes relatifs aux droits humains soulevés par la Chine. Tout a été écrit. Il ne faut s'arrêter ni aux propositions ni au résumé ni à l'introduction, on a eu le souci de décrire dans son entièreté toute la problématique des relations que l'Europe a avec la Chine. Nous nous sommes intéressés non pas à la politique de la France et de l'Europe, mais bien à la stratégie de l'Europe et de la France vis-à-vis de la Chine. Notre intention au départ était vraiment d'étudier les problèmes stratégiques, puisque la Chine est éminemment stratégique, tout ce que peuvent faire ou décider les Chinois est soumis au filtre de leur stratégie, parfois sur le très long terme : ce ne sont pas seulement leurs intérêts commerciaux qui les pilotent mais leur modèle politique. Si les travaux que nous avons menés nous ont permis de mieux comprendre la Chine et sa projection sur la scène internationale, ils nous ont aussi et surtout permis de réfléchir à l'évolution de nos relations bilatérales avec ce pays, avec une attention particulière pour l'articulation entre le niveau national et le niveau européen, qui peut être un atout mais n'est pas toujours aisée.
Depuis 2003 et 2004, les relations bilatérales Chine-UE et Chine-France ont été élevées au rang de partenariats stratégiques globaux et s'appuient sur une série de dialogues thématiques réguliers. Elles ne se limitent pas au niveau interétatique et bénéficient également d'échanges réguliers au niveau des acteurs économiques et de la société civile, on peut citer par exemple le Comité France-Chine, qui travaille en lien avec le Medef international, ou la France-China Foundation au niveau des sociétés civiles. Comme vous le savez, notre Assemblée compte en plus du groupe d'amitié France-Chine une Grande commission France-Chine, qui contribue à la diplomatie parlementaire.
Toute relation bilatérale repose sur des échanges et des dialogues, qui doivent évidemment être éclairés et exigeants. Il nous faut absolument avoir une meilleure connaissance de cette Chine qui devient hyperpuissante. Cela suppose aussi inévitablement des moments de négociation et chaque partie ne saurait perdre de vue la défense de ses intérêts et de ses valeurs. Or, les évolutions de la Chine semblent avoir sonné le glas d'une certaine naïveté de notre part. L'idée répandue au tournant du millénaire et qui pariait sur un changement du modèle politique chinois grâce à l'insertion de la Chine dans la mondialisation libérale a fait son temps. On a cru que parce qu'on allait commercer de manière intense avec la Chine et qu'on allait développer des partenariats, la Chine allait changer et devenir libérale comme nous. On s'est vraiment trompés, la Chine n'a pas changé de modèle. Elle cherche à se présenter comme la principale alternative à nos démocraties libérales.
L'une des idées qui est le plus souvent revenue en audition est celle d'une « prise de conscience » européenne face à la Chine et ses évolutions. Cette prise de conscience ne concerne pas uniquement la Chine mais également l'ensemble des partenariats que nous avons avec tous les pays sur la planète. J'ai d'ailleurs tenu à ce qu'une citation soit inscrite dans le rapport qui dit que pour défendre ses intérêts, l'Europe est seule. C'est-à-dire que c'est à nous de définir nos priorités, nos orientations, et notre propre stratégie. On va voir que ce n'est pas si facile que ça au niveau européen. La pandémie de covid-19, qui a jeté une lumière parfois crue sur nos fragilités et dépendances dans des secteurs stratégiques tels que le médicament, est venue accentuer cette prise de conscience, qui avait déjà un peu commencé avant la covid-19.
En mars 2019, l'Union européenne a ainsi présenté une stratégie européenne globale sur la Chine ayant vocation à servir de référentiel commun et définissant la Chine à la fois comme un partenaire de négociation, un concurrent économique et un rival systémique, qui promeut un modèle différent du nôtre à l'échelle internationale. C'est un triptyque qui peut facilement être transposé au niveau national, bien que la superposition entre intérêts nationaux et intérêts européens puisse nécessiter des efforts.
Ainsi, nous ne pouvons ignorer la Chine pour aborder certains enjeux mondiaux que Buon Tan a mentionnés, parmi lesquels on peut ajouter la gestion de la dette des pays en développement, sujet connexe mais qui est important puisque la Chine se sert de cette politique pour cheminer vers sa puissance. La Chine n'étant pas membre du Club de Paris mais détenant aujourd'hui plus de 62 % de la dette publique extérieure des pays d'Afrique subsaharienne, un dialogue sur ce sujet a été indispensable pour l'élaboration de l'Initiative de suspension de la dette face aux conséquences de la pandémie de covid-19, sans quoi les efforts engagés, auxquels la France a été étroitement associée, auraient pu être fragilisés par une dynamique inverse de ré-endettement. Il y a déjà eu des vagues de désendettements de pays africains décidés par le club de Paris, l'Europe, la France notamment, et dès que cela a été fait, les Chinois sont repartis vers ces pays pour leur proposer de s'endetter à nouveau. Aujourd'hui ces pays sont plus endettés qu'ils ne l'étaient à cette époque-là, donc il aurait été inutile d'annuler des dettes si on ne le faisait pas avec les Chinois. Comme cela a pu nous être indiqué, les négociations n'ont pas toujours été faciles, notamment sur des points comme la transparence dans la gestion de la dette, les Chinois n'ayant pas la même compréhension de la transparence que nous, mais la Chine a pu être intégrée dans le giron multilatéral. Dans le même temps, la Chine a annoncé au lendemain du Sommet sur les économies africaines, qui a eu lieu à Paris en mai 2021, une Initiative sur le partenariat pour le développement de l'Afrique. J'ai d'ailleurs interrogé l'ambassadeur de Chine en France à ce sujet lorsqu'il est venu rencontrer le bureau de notre commission : si cette initiative renvoie à des enjeux fondamentaux (dette, développement, questions sanitaires etc.), elle n'a fait l'objet d'aucune concertation préalable. On est encore loin du compte pour avoir des relations internationales avec la Chine comme les autres pays.
De façon générale, la vision chinoise du multilatéralisme prend souvent la forme d'un « multi-bilatéralisme » qui passe par des forums restreints comme le FOCAC avec les pays africains ou le 17+1, devenu depuis 16+1 et sur lequel je vais revenir, avec les pays d'Europe centrale et orientale et des Balkans.
Ainsi, y compris lorsque la Chine peut être un partenaire, nous devons garder en tête qu'il s'agit d'un pays qui ne perd jamais de vue la défense de ses intérêts stratégiques. Peut-être que nous avons eu le grand tort d'avoir souvent perdu de vue nos intérêts stratégiques, et même nos valeurs, comme on a pu le voir par le passé.
La Chine a aussi été définie comme un concurrent, notamment au plan économique. L'Union européenne et la Chine sont désormais le premier partenaire commercial l'une de l'autre, mais l'impératif pour l'Europe est désormais au rééquilibrage. La Chine est le premier déficit commercial de la France et ce déficit a atteint un nouveau record en 2020 à près de 39 milliards d'euros, s'il reflète pour partie l'effet de la crise pandémique notamment sur le secteur aéronautique, il est aussi structurel. Au niveau européen, le déficit commercial sur les biens s'élevait en 2020 à plus de 180 milliards d'euros vis-à-vis de la Chine. Cela s'explique par des facteurs de spécialisation, mais aussi dans certains cas par des conditions de concurrence inéquitables, tels que des octrois de subventions parfois massifs ou encore des conditions préférentielles accordées aux entreprises publiques, qui représentent encore plus d'un tiers du PIB chinois. Or, l'Union européenne s'est bâtie sur un système très différent, qui encadre strictement les aides d'Etat et qui ouvre largement l'accès aux marchés publics. Une série d'instruments de défense commerciale ont été adoptés ou sont en cours d'adoption et cela est une nécessité : on peut citer le règlement sur le filtrage des investissements, l'outil anti-distorsion causée par les subventions publiques étrangères ou encore l'instrument sur l'accès aux marchés publics internationaux, qui devrait être adopté très prochainement. A titre indicatif, rappelons que les entreprises chinoises ont obtenu pour environ 2 milliards d'euros de marchés publics européens en 2020, alors que nos entreprises sont presque totalement exclues de l'accès aux marchés publics chinois. En audition, des représentants de grands groupes français nous ont par ailleurs signalé constater une préférence croissante aux acteurs nationaux, qui limite leur accès au marché chinois.
La forte porosité entre public et privé qui caractérise la Chine doit faire l'objet évidemment de notre vigilance, c'est la logique qui a prévalu dans l'adoption du règlement sur le filtrage des investissements, après l'acquisition d'entreprises européennes innovantes et stratégiques par des acteurs chinois, comme on le voit aujourd'hui par exemple dans le secteur des semi-conducteurs. Nous pourrions aller plus loin en ce sens, par exemple en établissant au niveau européen une liste de technologies critiques pour la sécurité économique européenne, tout en renforçant notre politique industrielle. En effet, notre réponse face à la Chine ne doit pas être uniquement défensive, c'est pourquoi un sursaut européen est plus que jamais attendu en faveur de l'innovation dans des secteurs stratégiques comme le numérique.
Cela vaut aussi pour avancer sur un autre axe majeur : la réduction de notre dépendance vis-à-vis de la Chine, impératif dont la pandémie de covid-19 a rappelé l'urgence. Il ne s'agit pas de tout produire en Europe, mais de diversifier nos partenariats et de mieux mettre à profit le marché unique pour se prémunir de situations de crise et de pénurie. A titre d'exemple, on peut citer le magnésium et les terres rares, dont l'Union européenne s'approvisionne à hauteur de 97 pour l'un et de 95 % pour l'autre auprès de la Chine, alors qu'il s'agit de ressources critiques. Nous préconisons ainsi dans le rapport l'adoption d'une véritable stratégie européenne en la matière.
Rééquilibrage et réciprocité renforcée doivent être nos boussoles face à la Chine. L'exigence de réciprocité vaut dans de nombreux domaines, pas uniquement en matière d'économie. Par exemple, des conditions de réciprocité pourraient être introduites pour l'accès aux fonds de recherche publics, l'implantation des médias extérieurs ou encore sur l'apprentissage des langues.
Je m'interroge aussi sur notre approche en matière d'aide publique au développement. L'Agence française de développement nous a indiqués à l'occasion d'une audition de son directeur, agir essentiellement sous forme de prêts non bonifiés, et même gagner de l'argent grâce à son action en Chine, en se concentrant sur les enjeux environnementaux et le développement durable. Or, nous sommes aujourd'hui dans une situation où la Chine devrait bientôt devenir la première économie mondiale mais reste éligible à l'APD selon les critères de l'OCDE, du fait de son plus faible niveau de PIB par habitant. Je pense que cela mérite une réévaluation de notre stratégie, d'autant plus que la Chine est aujourd'hui à la fois bénéficiaire de l'APD et bailleur, à des conditions qui différent sensiblement des nôtres et de notre modèle d'action. De même, je pense que nous devons faire preuve de la plus grande prudence en matière de coopérations franco-chinoises ou sino-européennes en Afrique : un débat existe à ce sujet entre spécialistes, mais nous devons dans tous les cas faire de la défense de nos intérêts économiques et politiques notre curseur.
Enfin, nos relations bilatérales permettent aussi d'aborder les sujets les plus sensibles, parmi lesquels on trouve la protection des droits humains. Qu'il s'agisse de Hong Kong, du Tibet ou du sort réservé aux populations ouïgoures et à d'autres minorités musulmanes dans le Xinjiang, qui a fait l'objet d'une résolution adoptée par notre Assemblée - à laquelle j'adhérais à titre personnel - et d'une table-ronde au niveau de notre commission. La défense des droits humains fait partie intégrante de notre modèle politique et c'est pourquoi nous devons rester mobilisés et vigilants. C'est écrit dans notre rapport noir sur blanc. Cette question touche directement à la protection et à la promotion de valeurs, or, dans un contexte de rivalité mondiale entre démocraties et régimes autoritaires, cela revêt une importance capitale.
Pour promouvoir nos intérêts face à la Chine, nous devons faire preuve de pragmatisme.
En effet, si nous avons un modèle à défendre, nous ne pouvons ignorer le poids des enjeux économiques soulevés par nos relations bilatérales avec la Chine. Pour des secteurs clef de l'économie française comme l'aéronautique, le luxe ou l'agroalimentaire, la Chine est un marché central. Les visites officielles permettent une accélération du traitement des dossiers et souvent leur déblocage. Elles sont aussi l'occasion de conclure des accords bilatéraux essentiels pour nos entreprises, comme celui de 2019 sécurisant les exportations françaises vers la Chine en cas de peste porcine africaine isolée ou encore celui actant l'ouverture du marché chinois à la filière bovine française.
Quand on voit que les échanges de biens entre la Chine et les États-Unis ont augmenté de 9 % en 2020 alors que les tensions politiques sino-américaines connaissaient un pic, nous sommes invités en tant qu'Européens à mieux articuler la promotion de nos intérêts économiques et de nos intérêts politiques.
La question se pose par exemple concernant l'accord global sur les investissements conclu fin 2020 (CAI) et qui a depuis été mis entre parenthèses du fait de l'adoption de sanctions européennes relatives au Xinjiang, puis de contre-sanctions chinoises visant notamment des eurodéputés. Cet accord a permis d'obtenir une série d'avancées pour l'Union européenne portant sur l'ouverture du marché chinois, la transparence renforcée sur les aides d'État dans les services ou encore la fin des obligations de transferts forcés de technologie ou de co-entreprise. C'est pourquoi nous devons trouver le moyen de conserver cet acquis sans renoncer à la défense de nos intérêts stratégiques.
Comme l'a souligné le récent rapport de Sylvie Bermann et Elvire Fabry de l'institut Jacques-Delors, une Chine isolée et autarcique serait plus dangereuse qu'une Chine ouverte sur le monde et c'est pourquoi il semble indispensable de maintenir des voies de dialogue ouvertes, y compris pour y aborder nos différends.
Nous devons aussi garder en tête que nous faisons face à une puissance stratège, dont le fonctionnement institutionnel diffère du nôtre et la favorise sur le long voire très long terme. Ce facteur temps est à intégrer à notre réflexion.
Sur le terrain économique, nous pouvons par ailleurs tirer de nombreux enseignements d'une meilleure analyse des outils et stratégies chinois. Les choix qui sont faits servent des objectifs à moyen ou long termes. C'est le cas par exemple des investissements opérés dans les années 2010 par Cosco et China Merchant Ports, qui détiennent aujourd'hui chacune des parts dans 7 ports européens. L'exemple le plus connu est celui du port du Pirée, que nous avons visité, COSCO étant entrée au capital en 2009 alors qu'aucune entreprise européenne ne s'y intéressait. En tant qu'Européens, il est difficile de déplorer ces acquisitions si nous ne mettons pas les moyens nécessaires pour les préserver dans notre giron.
De façon générale, nous avons en tant qu'Européens des marges de progression dans notre connaissance des enjeux soulevés par la guerre et l'intelligence économiques, face aux puissances chinoises et américaines qui se sont largement familiarisées avec ce répertoire d'action.
Autre exemple : la propriété intellectuelle. Si la Chine a longtemps été pointée du doigt dans ce domaine, la législation nationale a beaucoup évolué ces dernières années pour rattraper, voire dépasser nos systèmes en termes de rapidité et de sévérité des sanctions en cas de récidive. Les acteurs chinois se sont appropriés les outils de propriété intellectuelle en identifiant clairement l'atout économique qu'un brevet ou un certificat d'utilité peut représenter, alors que ces outils sont encore trop souvent perçus comme des coûts par les acteurs économiques européens et notamment français. Aujourd'hui, environ la moitié des demandes de brevets déposées dans le monde viennent de Chine.
Inversement, la coopération avec la Chine peut aussi être un moyen de valoriser et de monnayer notre expertise. C'est le cas par exemple dans le domaine muséal, où un projet interétatique permettrait de réunir sous la bannière du Louvre tous les musées français le souhaitant, et ouvrirait la porte aux savoir-faire de nos entreprises de la filière. Ce serait également un formidable outil de promotion de notre culture, sur le modèle de ce qui a été réalisé par l'Agence France Museum.
Nous proposons dans le rapport une série de recommandations relatives à la diplomatie culturelle et d'influence, domaine dans lequel la France est attendue et jouit d'une excellente image que nous pourrions mieux valoriser.
L'enseignement supérieur est un autre enjeu majeur. Malgré les 30 000 étudiants chinois inscrits en mobilité internationale à la rentrée 2020 - la Chine est notre 2ème pourvoyeur d'étudiants - nous sommes loin derrière les pays anglo-saxons et devons améliorer l'image de nos formations ainsi que leur attractivité en termes de débouchés. Nous avons encore des marges de progression dans l'accueil des étudiants et le maintien des liens avec les anciens élèves, qui représentent un levier d'influence majeur.
Dans le même temps, nous devons travailler pour rééquilibrer les flux et permettre à davantage d'étudiants français et européens d'effectuer une mobilité en Chine. Nous devons également développer l'enseignement bilingue, outil d'influence précieux qui peut idéalement servir la connaissance mutuelle.
La connaissance de la Chine est, comme je le rappelais en introduction, un préalable indispensable à l'élaboration de notre stratégie vis-à-vis de ce pays. Or, il ressort de nos auditions une convergence sur le manque de coordination et de moyens disponibles pour analyser la Chine contemporaine. Nous disposons en France de laboratoires de recherche de pointe tels que l'INALCO ou le Centre d'études français sur la Chine contemporaine (basé à Hong Kong), mais nous pourrions bénéficier d'une mise en réseau renforcée de ces connaissances et compétences, comme le fait l'Allemagne autour de la fondation MERICS, qui est aujourd'hui reconnue dans le monde entier comme une référence sur la Chine contemporaine. Nous souhaitions ainsi attirer votre attention sur l'Institut européen d'études sur la Chine, EURICS, créé en janvier 2020 sur une initiative française dans le but de renforcer les capacités autonomes européennes de recherche sur la Chine ainsi que les liens entre la recherche fondamentale et les prises de décision. EURICS a pu mettre en œuvre une série de projets prometteurs mais n'a bénéficié à ce stade que de financements français (750 000 € depuis 2019 à comparer aux 24 millions pour la recherche universitaire allemande sur la Chine sur la période 2017-2024) et connaît un avenir incertain. Il importe aujourd'hui, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, d'œuvrer pour qu'une véritable dynamique européenne s'engage autour de cet institut qui peut être un atout précieux sur le long terme.
La question des moyens disponibles en administration centrale et dans les postes se pose aussi. Si nous devons tenir compte du contexte général de rationalisation des effectifs du MEAE et de la nécessité pour notre réseau diplomatique de s'appuyer sur des priorités claires, la comparaison avec nos voisins allemand ou britannique, qui ont 15 et 47 rédacteurs spécialisés sur la Chine contre 4 en France, peut soulever des interrogations. Les moyens alloués ne sont pas à la hauteur des enjeux que représente la Chine d'aujourd'hui et qui n'a rien à voir avec celle d'il y a 40 ans.
Le renforcement des moyens requis pour mieux analyser la Chine est un préalable à la mise en œuvre d'une stratégie exigeante et efficace vis-à-vis de ce pays dont nous ne saurions ignorer la montée en puissance et les défis qu'il soulève.
Comme nous l'avons rappelé, l'Union européenne a adopté une vision stratégique commune en 2019. Toutefois, nous avons constaté à plusieurs reprises que l'unité et la cohérence européennes n'étaient pas toujours acquises face à la Chine. Or, l'unité est une valeur cardinale pour les Chinois, c'est la base de leur stratégie politique, face à eux, au niveau européen, nous sommes l'addition de plusieurs pays souverains qui peuvent renvoyer une image de désunion. La Chine joue sur cette désunion, comme on l'a vu avec le 16/17+1. Ce qui s'est passé avec l'AUKUS démontre de leur point de vue notre très grande désunion, notre très grande fragilité finalement. Il est tellement facile d'avancer ses pions face à une structure qui n'est pas unie, qui ne parle pas d'une seule voix. Nous avons fait des progrès certes, il y a encore quelques années, l'adoption d'une stratégie commune aurait été impensable, ce que nous venons de faire en 2019 était impensable avant. Aucun pays ne s'est fermement opposé à l'adoption de sanctions relatives au Xinjiang au printemps 2021, une première depuis les évènements de la place Tiananmen en 1989, il y a plus de trente ans.
D'autre part, on constate encore des différences de positionnement entre pays mais aussi en interne, en fonction des sensibilités politiques. Des Etats baltes au positionnement traditionnellement atlantiste à la Hongrie qui affiche une certaine complaisance vis-à-vis de la Chine et a par exemple accepté d'accueillir sur son sol le campus européen de l'université Fudan, qui constituerait la première implantation d'une université chinoise en Europe, l'écart peut être important. Les Etats baltes et la Hongrie ont en commun d'ailleurs d'avoir rejoint le 17+1, aujourd'hui 16+1, format de coopération créé sur une initiative de la Chine et réunissant des Etats d'Europe centrale et orientale membres de l'Union européenne ainsi que les Etats des Balkans occidentaux. Ce format, qui a pu être plébiscité par les Etats l'ayant rejoint à ce moment-là, comme voie d'accès aux investissements et aux dirigeants chinois, semble avoir déçu la majorité d'entre eux, constatant que les investissements chinois en Europe restaient en priorité orientés vers l'Europe de l'Ouest. Pour les Etats d'Europe occidentale dont la France, ce format a d'emblée suscité des réserves face aux risques de division soulevés pour l'Europe.
Ainsi, l'unité européenne vis-à-vis de la Chine suppose de surmonter tant des différences intrinsèques que des tentatives de division extérieures. A noter que les différences de sensibilité ne se réduisent pas à une opposition Est/Ouest. Cela peut par exemple jouer au niveau du « couple franco-allemand ». En effet, la situation de l'Allemagne est très différente de la nôtre au plan économique et commercial, l'Allemagne étant, notamment grâce à son industrie automobile, dans une situation d'excédent vis-à-vis de la Chine. Dans le même temps, l'invitation faite par le président de la République à la chancelière Angela Merkel et au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker de s'associer à la visite officielle du président Xi Jinping en mai 2019 a été saluée comme une initiative pro-européenne, de nature à renforcer notre poids face à la Chine.
De façon générale, nous plaidons dans le rapport pour une approche à la fois exigeante et pragmatique de l'unité et de la cohérence européennes. Il ne fait aucun doute que leur renforcement doit être un objectif, mais nous ne devons pas attendre l'unanimité pour agir, nous devons plutôt tout faire pour la susciter. Nous nous situons dans des calendriers où les choses s'accélèrent, où il faut réagir très vite. Pour pouvoir mettre en place une nouvelle politique au niveau de l'Union européenne il faut parfois plusieurs années, jusqu'à six ans, ce qui est énorme à l'échelle du temps contemporain. Ainsi, de petites coalitions peuvent avoir un effet d'entraînement, comme ce fut le cas avec le règlement sur le filtrage des investissements, d'abord porté par la France, l'Allemagne et l'Italie. La France peut avoir un rôle d'entraînement en ce sens en Europe, sans pour autant renoncer à sa relation bilatérale avec la Chine, qui doit permettre d'aborder des sujets qui nous concernent plus directement.
Il existe aussi des pistes à même de renforcer concrètement la cohérence et la solidarité européennes, telles que la mise en place d'une task force européenne transversale au niveau de la Commission européenne ou la création d'un fonds de soutien pour les Etats membres de l'Union européenne victime de mesures de rétorsion, comme la Lituanie en a été l'objet ces derniers mois. Un tel fonds ne concernerait toutefois pas exclusivement la Chine mais tous les pays susceptibles de prendre de telles mesures à l'encontre d'un Etat européen. Le dialogue entre ambassades européennes en Chine doit aussi être mobilisé, afin d'assurer dans la mesure du possible notre coordination.
Enfin, la question de l'unité européenne se pose aussi dans le contexte de forte rivalité sino-américaine, dont Buon Tan a parlé. Dans le contexte géopolitique actuel, si nous voulons apparaître comme une troisième voie sur la scène internationale, nous avons en effet tout intérêt à parler d'une seule voix toutes les fois où cela est possible. Il faut éviter à tout prix le piège de la naïveté, ce qui a été trop souvent le cas durant les 30 dernières années, sans faire de compromis sur la défense de nos intérêts et de nos valeurs et en construisant nos partenariats au prisme de cet objectif. La montée en puissance chinoise a incité les Européens à se « géopolitiser » et nous devons trouver le moyen de le faire sans renoncer à notre identité. Nous vous remercions pour votre attention.
Je vous remercie pour cette excellente présentation d'un rapport d'une richesse extrême. Je crois que chacun d'entre nous doit le lire avec beaucoup d'attention. Il y a vraiment tous les éléments nécessaires, comme vous l'avez rappelé, pour comprendre la situation. Le problème de la tonalité politique suscite réflexion, mais je pense que ce rapport est tout à fait remarquable. C'est une appréciation personnelle, maintenant nous allons avoir les appréciations des groupes.
Chers collègues, merci pour votre rapport qui assurément œuvre pour une meilleure connaissance de la Chine - dont nous avons bien besoin - et pour un dialogue diplomatique ouvert, fruit de notre culture de la coopération. A l'heure du numérique et en tant que co-rapporteure du rapport sur les géants du numériques avec Alain David, je vais revenir spécifiquement sur ce domaine tant il me semble important de comprendre ses enjeux, qui caractérisent les relations sino-américano-européennes. Le développement des entreprises chinoises du numérique répond à une volonté de rattrapage technologique et à un objectif de souveraineté, affirmé via de nombreux plans et stratégies. L'émergence des géants du numérique chinois, parfois présentés sous l'acronyme BATHX (pour Baidou, Ali Baba, Tencent, Huawei et Xiaomi), est indissociable de la place conférée aux nouvelles technologies par les autorités chinoises dans le développement économique de la Chine et dans son positionnement sur la scène internationale.
Ce qui m'interroge, et c'est là-dessus que mon regard s'est porté à la lecture de votre rapport, c'est la gouvernance numérique de Xi Jinping sur sa population. Concrètement, si en 1962 Deng Xiaoping disait que « peu importe qu'un chat soit noir ou blanc, s'il attrape la souris c'est un bon chat », laissant supposer ainsi une vision neutre et pragmatique des pratiques, l'actuel système de crédit social ou projet gouvernemental chinois visant à évaluer et noter les citoyens et personnes morales suscite inquiétudes et incompréhension en Occident. Pour les fans de la série Black Mirror, la réalité dépasse la fiction, ce système est présenté comme un moyen d'accroître l'intégrité morale des citoyens en vue de faciliter et de fluidifier les transactions économiques et financières. Selon Pékin, la mise en place d'un tel système sera un élément important dans l'avènement d'une société chinoise plus civilisée et harmonieuse. Cela ne m'inspire pas vraiment confiance. Quant à l'application lancée par le parti communiste en 2019 pour tester la fidélité au président et rendre le pays plus fort, elle propose aux utilisateurs toutes sortes de quizz portant sur la pensée de Xi Jinping mais aussi sur l'histoire du pays, avec des récompenses à la clé sous forme de points ou de cadeaux. En septembre de cette même année, le département central de la propagande du parti communiste chinois a prévu que les journalistes chinois devraient passer un examen spécifique sur celle-ci tous les ans pour obtenir le renouvellement de leur carte de presse. Le numérique est donc une nouvelle donne de l'enjeu démocratique et le moins que l'on puisse dire, comme vous le soulignez dans votre rapport et l'avez rappelé, c'est que l'ouverture économique de la Chine et son intégration à la mondialisation ne l'ont pas transformée en démocratie libérale. Chère Bérengère, cher Buon, si le groupe de la République en Marche votera pour la publication de votre rapport de très grande qualité, j'aimerais connaître votre avis sur la stratégie européenne du numérique face à la voie autoritaire chinoise. Je vous remercie.
Je voudrais féliciter nos deux collègues pour la qualité de leur rapport, qui est extrêmement riche, qui mérite vraiment qu'on y revienne, qu'on le relise. Il contient 48 recommandations, c'est un rapport extrêmement intéressant. J'avoue quand même avoir ressenti beaucoup de perplexité parce que, compte tenu du contexte de tensions importantes, compte tenu de la volonté d'entrisme chinoise dans les organisations internationales, aux plans économique, technologiques et militaire - rappelons que la Chine se dote tous les trois ans de l'équivalant de la marine française - j'ai du mal à savoir quelle est la partie du triptyque partenaire-concurrent-rival qui va l'emporter, et si ce n'est pas en vérité la partie rival systémique qui va l'emporter. Je voudrais vous demander quelles seraient les trois ou quatre priorités pour la définition d'une stratégie européenne vis-à-vis de la Chine que vous retiendriez.
Je pense d'autre part que cette stratégie doit être définie au niveau de l'Europe. Je ne crois pas à une stratégie pays par pays vis-à-vis de la Chine, car cela serait une merveilleuse façon pour la Chine de faire de l'entrisme dans différents pays en n'ayant pas face à elle un bloc suffisamment cohérent et uni. Bérengère Poletti a eu tout à fait raison d'indiquer qu'une des difficultés pour l'Europe est de ne pas apparaitre suffisamment unie face à la Chine ; la Chine profite de ces divisions. Je crois par ailleurs qu'on ne peut pas définir de stratégie sans parler de la protection des droits humains et de nos valeurs, car c'est un sujet qui devient de plus en plus prégnant compte tenu de l'attitude de Xi Jinping. Les espoirs que nous avons tous fondés dans le monde en 1978 à l'ouverture de la Chine ont été douchés par l'arrivée du nouveau président au pouvoir, avec la présence extrêmement forte du parti communiste chinois dans toutes les instances existantes. Je pense aussi, et je me tourne vers Bérengère Poletti qui est une grande spécialiste de ces questions, qu'il est temps que l'Agence française de développement (AFD) arrête de verser de l'argent à la Chine. Je ne vois pas pourquoi on continue à le faire. Qu'est ce qui impose que la Chine soit éligible à l'aide publique au développement française en dehors d'une volonté du directeur de l'Agence ? Je voudrais savoir ce qui permettrait de mettre fin à l'éligibilité de la Chine à l'aide publique au développement. Je pense que notre commission pourrait déposer une motion tendant à mettre fin à l'aide publique au développement française vers la Chine et que cela pourrait être un, parmi d'autres, des produits finis de l'examen de ce rapport, que l'on communiquerait tous ensemble au nom de la commission, par hypothèse unanime, au directeur de l'AFD.
Je termine en vous disant qu'une chose me déçoit. Le président Macron avait pris une bonne initiative lors d'une visite du président Xi Jinping en le recevant avec Angela Merkel, mais je regrette que cette initiative n'ait pas été répliquée parce que je pense que c'était la bonne voie à suivre.
Vous avez raison d'indiquer aussi qu'il y a une méconnaissance de la Chine à combler, et vraiment quand on voit, comme disait excellemment le président Bourlanges, ce qui se passe avec la Lituanie, à Taïwan, au Xinjiang avec les Ouighours, on est inquiet de la stratégie de la Chine.
Par ailleurs - et j'espère qu'il me permettra cette question à laquelle il n'est évidemment pas obligé de répondre - je souhaiterais interroger notre collègue Buon Tan dont je respecte l'attitude mais ne comprends pas le vote sur la proposition de résolution relative aux Ouighours comme beaucoup de nos collègues. Si tu en as convenance, je pense que tu devrais profiter de notre réunion pour nous expliquer ton vote. Je ne l'ai pas compris, beaucoup ne l'ont pas compris, je n'ai pas non plus compris ton attitude quand nous avons reçu l'ambassadeur de Chine en France lorsque tu as dit que « quelques » députés avaient pris une initiative en faveur d'une proposition de résolution sur l'accès de Taïwan aux organisations internationale. J'ai été obligé de rappeler qu'elle avait été signée par la quasi-totalité des groupes parlementaires à deux exceptions près et par la grande majorité des députés. Je me permets de te demander des explications à ce sujet parce qu'on a de l'amitié pour toi et parce que je ne comprends pas ton vote.
Merci aux deux rapporteurs pour la présentation dynamique de ce rapport complet, qui porte à la fois sur la montée en puissance de la Chine et sur les nombreux enjeux que soulève le nouveau positionnement de Pékin sur l'échiquier international vis-à-vis de notre politique étrangère et commerciale. Comme vous le rappelez dans le rapport, la politique étrangère de la Chine se traduit depuis la fin des années 1970 par une forte ouverture sur la scène internationale, tendance accrue depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Avec l'objectif affiché de devenir la première puissance mondiale, Pékin s'affiche aujourd'hui hors de ses frontières où elle défend activement ses intérêts par une stratégie économique, politique et militaire de long terme. Le moins qu'on puisse dire est que la stratégie chinoise d'influence est plus que jamais opérante, quand on observe à quel point Pékin a su se rendre indispensable sur un nombre infini de dossiers internationaux. Première puissance économique mondiale, la Chine est aujourd'hui indispensable du fait de sa participation à l'économie mondiale. Nous en faisons nous-mêmes l'amer constat puisque la France se range parmi les pays dont la dépendance de la production à l'égard à l'offre chinoise a été multipliée par 10 durant ces dernières années, comme le rappelle une récente étude du centre d'études prospectives et d'information.
Du fait de ce poids dans l'économie mondiale, Pékin devient également incontournable sur différents sujets multilatéraux comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la gestion de la dette des pays en développement, sans compter le veto dont elle dispose au sein du conseil de sécurité des Nations-Unies qui lui permet d'influencer fortement les décisions prises au sein des institutions internationales.
Face à ce constat, comment rééquilibrer notre relation et nos partenariats avec la Chine pour que ces derniers ne constituent pas un frein dans notre positionnement vis-à-vis des dossiers internationaux sur lesquels nous sommes en désaccord avec Pékin, comme cela peut être le cas au sujet de Taïwan, des Ouighours, du Tibet ou des conflits en mer de Chine. Les propositions concrètes que sont les vôtres et qui figurent dans le rapport sont des pistes à creuser et à renforcer pour répondre à la fois à nos exigences et à nos intérêts et tenir compte de la réalité de la Chine telle qu'elle est. Dans cet esprit, je voudrais souligner l'importance d'une dimension européenne qui doit s'affirmer et devenir incontournable dans nos relations bilatérales.
Merci d'abord pour cette présentation et ce travail considérable et passionnant. La présentation de vos réflexions tombe à un moment opportun, alors que nous avons vécu une séquence qui a focalisé les attentions sur la Chine avec l'affaire des sous-marins qui a braqué les projecteurs sur les affaires stratégiques dans l'indopacifique, les évènements de Hong Kong qui ne cessent d'inquiéter, auxquels je rajouterai les inquiétudes autour de Taïwan, de la Lituanie et l'examen de la proposition de résolution sur la reconnaissance du caractère génocidaire des crimes commis au Xinjiang qui a révélé la morgue et le mépris de l'ambassadeur de Chine en France et de son président, qui a clairement déclaré que la démocratie était l'ennemie de la Chine et qu'il ne s'en laisserait pas conter. Il ne s'agit pas de renvoyer le pouvoir chinois à une confrérie autarcique des régimes autoritaires avec la Russie, la Biélorussie, la Turquie ou encore la Corée du nord, mais vous avez eu raison de rappeler la fameuse stratégie européenne qui définit la Chine comme un partenaire, un concurrent mais également un rival systémique. Vous l'avez dit, les ambitions chinoises ont heureusement mis fin à une forme de naïveté européenne. Je m'en réjouis, même s'il m'arrive de désespérer devant les restes de béatitude libre échangiste. J'ai d'ailleurs retenu parmi vos recommandations celles visant à la restauration d'une certaine indépendance stratégique, même si je pense qu'il faudrait aller plus loin, en termes de relocalisation de certains produits comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire. J'ai évidemment été sensible à vos recommandations concernant notre diplomatie d'influence et notamment à celles visant le renforcement de notre audiovisuel extérieur, particulièrement sur notre offre en mandarin. En tout état de cause, vous pouvez compter sur la vigilance des députés socialistes et apparentés sur ces enjeux diplomatiques franco-chinois, et nous continuerons à promouvoir des relations bilatérales denses mais surtout exigeantes. Il en va de la défense des valeurs qui honorent notre diplomatie.
erci pour votre rapport riche et complet sur des thématiques assez larges. Votre rapport rappelle un contexte géopolitique mouvant ou l'Asie possède une place prédominante et ou la rivalité sino-américaine est une donnée majeure et structurante. L'Union Européenne ne doit pas moins œuvrer pour ne pas être cantonnée à un rôle de spectateur de cette compétition. Par ailleurs, la pandémie de covid-19 a mis en avant nos dépendances dans certains secteurs stratégiques par rapport à la Chine, révélant ainsi à l'UE toute la puissance de la Chine en tant que nouvelle puissance mondiale.
Ainsi, les ambitions chinoises semblent avoir sonné le glas d'une certaine naïveté européenne. Les relations commerciales historiquement prépondérantes dans la relation sino-européenne ont joué un rôle pivot dans la prise de conscience européenne et dans la nécessité d'un rééquilibrage et d'une réciprocité renforcée.
Ainsi, alors que nous apprenions hier que la France avait enregistré en 2021 le pire déficit commercial de notre histoire, au-delà de la nécessité d'une réindustrialisation pour déjouer notre dépendance à la Chine, pouvez-vous nous éclairer sur la recommandation numéro 8 : comment, dans le cadre de l'actuelle PFUE, pouvons-nous promouvoir auprès de nos partenaires européens l'idée d'un Buy European Act qui permettrait de favoriser les entreprises européennes dans l'obtention des marchés publics européens, et pensez-vous vraiment que chaque état membre pourra se permettre de jouer le jeu alors que les intérêts de chacun divergent parfois vis-à-vis de la Chine ?
Je reste vraiment sur les questions économiques, mais nous savons très bien qu'il y a également d'autres principes fondamentaux que l'Europe ne peut occulter, je ne reviendrai pas sur les questions liées à Hong Kong, aux Ouïghours ou à Taïwan, qui reviennent à une même question : partenariat, oui, mais à quel prix ?
Je trouve la présentation du rapport très schizophrénique. On parle évidemment de méconnaissance de la Chine, et je suis entièrement d'accord avec vous : c'est évident que l'on connaît mal la Chine, comme il est évident qu'on connaît mal la plupart des pays étrangers quand on est en France car ce n'est pas une habitude de les connaître. En revanche, je pense aujourd'hui qu'il ne s'agit pas de diaboliser la Chine et les Chinois, qui sont une grande civilisation et un grand pays, mais il s'agit de considérer les dirigeants actuels du parti communiste chinois. Il est vrai que vous avez indiqué qu'il « participe à la cohérence et à l'efficacité ». C'est sûr, un système centralisé participe à la cohérence et à une certaine efficacité. Vous avez dit vous-mêmes que l'ambition de la Chine était de devenir la première puissance mondiale d'ici 2049, puissance militaire, économique, et surtout d'être une alternative à la démocratie. Donc je trouve particulièrement intéressant de placer les États-Unis sur le même plan puisque vous dites que l'Union européenne n'aurait vraisemblablement rien à gagner à s'aligner sur l'allié américain dans un combat qui n'est pas le sien. Évidemment, si le combat n'est pas celui de la démocratie et des droits de l'Homme, je comprends votre point de vue : je pense que nos intérêts économiques à court terme seront de toute façon avalés par une puissance qui a décidé d'exporter son modèle. Je vous rappelle les mots du ministre des Affaires étrangères qui a lui-même dit qu'on avait affaire à un système de surveillance et de répression institutionnalisé à grande échelle. On le dit, on le constate, mais on en tire la conclusion immédiate qu'il faudrait surtout se rapprocher de ce pays, en coopérant de manière plus forte pour pouvoir rééquilibrer nos rapports avec les Américains. De mon côté, j'ai choisi mon camp : je pense que les Américains ne sont pas sans reproches, mais sur le sujet de la démocratie je suis de leur côté. Quand on parle de division, le Royaume-Uni n'étant plus membre de l'Union européenne, Aukus n'est pas une division de l'Union européenne puisque c'est une alliance qui ne concerne pas d'État membre de l'Union européenne
Sur vos propositions, vous proposez de renforcer ce que je n'appelle non pas une coopération mais une collaboration avec un système qui n'est pas le nôtre et dans lequel nous ne voudrions pas voir nos enfants grandir. Nous sommes en train de contribuer à faire arriver ce que nous redoutons. Je pense que tout ce qui est proposé sont des vœux pieux : on propose de se cacher derrière l'Union européenne, or on sait pertinemment que l'Union européenne ne sera jamais unie sur le sujet. Donc toutes les initiatives prises uniquement au sein de l'Union européenne - je ne dis pas qu'il ne faut pas en prendre - sont une manière de ne jamais vraiment en prendre au niveau national : bien sûr qu'il y a des choses à faire sur le plan national. Dernièrement, j'ai eu le malheur de voir ma proposition de résolution sur le risque sérieux de génocide à l'encontre des populations ouïgoures, qui avait une chance d'obliger l'Etat à agir en s'appuyant sur la Cour de justice internationale, être retirée de l'ordre du jour de la séance publique. Dernièrement, lors de l'examen de la proposition de loi que j'ai déposée sur la lutte contre les prélèvements forcés d'organes, on nous a expliqué que le dispositif proposé était compliqué à mettre en œuvre, car comme on ne pouvait pas aller voir ce qu'il se passe dans les hôpitaux en Chine, il fallait continuer à coopérer. Pour mieux connaitre la Chine, j'aimerais bien effectivement qu'on puisse avoir des enquêtes indépendantes comme l'OMS l'a demandé concernant l'origine de la pandémie de covid-19, et de même dans le Xinjiang.
Je voudrais faire deux observations personnelles sur ce rapport. Je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit Mme Poletti sur le fait que tous les éléments que j'ai mentionnés sont effectivement présents dans le rapport. En revanche - et ce n'est pas une critique du rapport qui est très complet et mérite d'être publié, lu et relu - il y a deux choses qui me troublent personnellement.
D'abord, le rapport est un peu « à plat », c'est-à-dire que n'apparaît pas à la lecture du rapport la dynamique du changement qui est intervenue progressivement en Chine à partir de l'accès de M. Xi au pouvoir en 2012 et qui structure fondamentalement les relations des pays européens, de l'Union Européenne et de la France avec la Chine. Cet ensemble de changements fait que la situation est différente : je pense par exemple à Taïwan. Sur Taïwan, vous présentez les choses de façon assez linéaire, alors qu'en réalité nous sommes face à une transformation en profondeur de part et d'autre, car Taïwan a changé d'orientation politique, le Guomindang ayant été dans l'opposition, le parti au pouvoir étant plus dur, mais la pression militaire et économique sur Taïwan n'a plus du tout la même intensité et les ressortissants de la République de Chine sont de plus en plus inquiets à l'idée de se rendre en République populaire de Chine. Il y a une transformation sur ce plan. Sur le plan du Xinjiang, il est évident qu'il y a là un développement qui est tout à fait nouveau. Sur le plan de Hong Kong, on est passé d'une situation avec un accord « un pays, deux systèmes » à une dénonciation unilatérale de ce système par Pékin. Sur le plan idéologique, on a très bien vu que la photo du président Deng s'effaçait au profit de celle du président Mao, ce qui représente un retour à quelque chose de très différent. Sur le plan économique, nous assistons actuellement à une reprise en main : on avait jusqu'à présent une combinaison de libéralisme économique et d'un régime politique autoritaire, désormais nous voyons bien que pour des raisons complexes il y a une tension accrue entre ces deux niveaux et une reprise en main très vigoureuse de l'économie. Tous cela est présent dans le rapport mais cette dynamique gagnerait à être soulignée car ce processus conditionne une stratégie.
La deuxième chose tient à ce que vous mettez sur le même plan des considérations assez différentes. Par exemple, je trouve que le développement sur les Ouïghours, qui est très net et qui dit les choses de façon extrêmement claire, précise et minutieuse - je crois que la rédaction est au-dessus de toute critique - s'inscrit dans un paragraphe qui s'intitule « Une stratégie à long terme fondée sur la planification », soit quelque chose de totalement étranger au sujet, ce qui est assez bizarre. Pour Hong Kong, c'est la même chose. Cela ne met pas au premier plan ce qui est pour nous tous, compte tenu des votes que nous venons d'émettre, important, et c'est un petit peu gênant. Là est non pas ma critique mais le trouble que j'ai en lisant ce rapport qui fait comme si les choses étaient un peu business as usual, même si vous mettez dans ce business as usual tout ce qui n'est pas usual. Voilà l'observation que je me permets de faire à titre totalement personnel, mais je pense que cela devait être dit. J'aurais préféré que ces points soient mis plus en valeur.
Pour Marion Lenne, je suis complètement d'accord. La grande différence entre la Chine et nous, Europe et Etats-Unis, c'est évidement la pratique démocratique et les contre-pouvoirs qui sont mis en place dans nos pays et qui n'existent pas en Chine. Le sujet du numérique comme le sujet de Huawei par exemple qui a suscité un certain nombre de réactions, et de toutes les technologies sensibles et stratégiques, doit se regarder à la lumière d'un pays qui ne fonctionne absolument pas comme nous, et pire qui rejette notre système démocratique et l'existence des contre-pouvoirs. Chez eux, il y a un gouvernement et il y a le parti communiste chinois qui est présent partout et a une vision de la société que nous ne partageons pas. Tu as raison de dire que la population chinoise est contrôlée et surveillée, et même de plus en plus, et ils ont le sentiment petit à petit de perdre leur liberté . Il est hors de question de promouvoir un système dans lequel nous ne nous reconnaissons pas ou d'y apporter le moindre soutien, on est vraiment dans la critique par rapport à un système comme celui-là.
Cela fait de tous ces sujets, qui sont des sujets d'avenir, le numérique, l'intelligence artificielle, la 5G, la 6G, des sujets sensibles : si on a des « grandes oreilles » derrière ça peut transformer la vie de tout un chacun. C'est pour ça qu'il y a eu une réaction sur Huawei, ça a fait l'objet de débats entre nous, c'est un peu « centriste » finalement comme rapport. On a essayé, Monsieur le président, de se retrouver sur une ligne commune et d'essayer d'exprimer l'ensemble des problématiques en étant malgré tout ensemble parce que nous partageons des choses importantes. Mais c'est vrai que dans la rédaction du rapport, il y a eu des sujets de désaccords comme la situation de Huawei par exemple. En tout cas, je suis complètement sur cette ligne en disant qu'il faut qu'on soit extrêmement prudents sur ces sujets-là.
Pour Michel, je partage tout ce que tu as dit, tu sais que je suis d'accord avec toi, on en a parlé, on en parle tout à fait régulièrement. Je vais répondre à deux questions que tu as posées. La première était faut-il s'appuyer sur l'Europe ou faut-il s'appuyer sur les relations bilatérales. Evidemment il faudrait s'appuyer sur l'Europe parce que l'Europe a une puissance de feu que nous n'avons pas seuls et une possibilité de peser par rapport à la Chine que nous n'avons pas non plus. La problématique de l'Europe, ça a été expliqué par Buon et moi, c'est sa désunion. Sa désunion c'est sa grande faiblesse. Les Chinois quelque part méprisent l'UE pour sa désunion et se tournent plutôt les Etats-Unis. Tout cela parce que nous sommes désunis, parce que nous ne répondons pas de manière unifiée aux problématiques que pose la Chine. D'ailleurs lorsqu'on a entendu Hubert Védrine, il nous a dit dans un premier temps qu'on n'arriverait à rien avec l'Europe. Un vœu pieux, c'est ce que disait notre amie Frédérique Dumas. Oui on va se battre pour défendre nos valeurs, on va essayer d'obtenir des marchés. Mais nous sommes petits, tout petits par rapport à la Chine, et on est déjà tellement dépendants. Evidemment le bon niveau est l'Europe, mais c'est un niveau abstrait.
C'est le fond du sujet. Il y a deux fonds du sujet, celui-là, et deuxièmement notre mauvaise connaissance de la Chine. En tout cas, c'est ce qui m'a motivée au départ pour demander cette mission. J'ai eu cette révélation que la France n'avait pas assez de connaissances. D'ailleurs c'est expliqué dans le rapport, il y a un organisme européen qui est là normalement pour approfondir ces connaissances, qui n'est financé que par la France pour le moment, parce qu'en Europe personne n'en veut. Les Allemands ont leur propre système qui marche très bien, et les autres pays ne veulent apporter de financements, ne veulent pas s'impliquer.
Sur l'aide publique au développement, ce qui fait le fond de l'aide publique au développement ce sont les critères de l'OCDE qui définissent quels pays sont éligibles à l'aide publique au développement internationale. Ce qui est retenu, ce n'est pas le PIB du pays, qui va définir sa puissance économique notamment, mais le PIB par habitant. Le PIB par habitant de la Chine est un peu en dessous du seuil, pour être éligible il faut être en-dessous de 12 235 dollars par habitant. Comme je l'ai dit plusieurs fois au ministre de l'Europe et des affaires étrangères Jean-Yves le Drian lors d'auditions, nous ne sommes pas obligés de nous plier aux critères définis par l'OCDE. C'est vrai pour la Chine, c'est vrai pour la Turquie, c'est vrai pour les frais d'écolage. J'ai demandé qu'on mette en annexe du rapport deux courriers, un courrier grâce auquel j'ai interpellé Rémy Rioux en rappelant qu'en audition, il nous avait indiqué qu'on gagnait de d'argent en faisant de l'aide publique au développement avec la Chine. Or le rapporteur budgétaire Marc Le Fur a communiqué récemment en disant l'inverse, avançant une somme de plus de 135 millions d'euros dépensés pour la Chine en 2020 au titre de l'aide publique au développement bilatérale. La réponse au courrier adressé illustre l'opacité et le manque de transparence de l'Agence française de développement vis-à-vis du Parlement. Le directeur répond par des généralités, il ne répond pas à la question, il ne donne pas de précisions sur les dépenses, il parle des frais d'écolage mais sans donner le montant, donc j'en suis restée au même point. Je vais lui poser la question, et je vais également poser la question au ministère. Donc je trouve que nous ne sommes pas bons sur ces sujets-là. Pour moi on a un directeur de l'Agence française de développement qui a envie de faire de la diplomatie et considère que ce qu'il fait avec l'argent de l'aide publique au développement française contribue à la relation entre la France et la Chine.
Je vous recommande de l'interroger sur ce sujet.
Je reviens sur ta question Marion. On a ce système qui a été testé dans quelques régions en Chine, de notation. Et cela va assez loin, jusqu'au fait de traverser ou non au feu rouge. Les conséquences peuvent être une rupture d'accès au crédit par exemple ou alors des taux plus élevés, ou l'interdiction de prendre l'avion ou le train. Evidemment ce n'est pas un système que nous avons l'habitude de voir. Pour avoir échangé avec des amis chinois, tout le monde n'est pas sur la même ligne, certains ont commencé à en être victime, s'apercevant en achetant un billet de train qu'ils ne pouvaient plus prendre le train, ou l'avion. Mais ce qui est surprenant c'est que ce n'est pas une question qui inquiète les Chinois tous les jours, c'est un évènement, un sujet parmi d'autres. Alors que pour nous, c'est quelque chose qui remet en cause le fonctionnement de la société et la liberté de circulation. Comme on l'a vu il y a quelques années sur le sujet des caméras, nous avons une perception très différente. Beaucoup d'amis me disent « où est le problème si on ne fait rien de mal ». Alors que de notre côté, on se dit qu'on ne veut pas être filmés pour aller au restaurant ou même n'importe où. C'est une perception très différente. Je pense que le système dont tu parles va être déployé de plus en plus, de plus en plus de provinces sont testées. Je pense qu'il n'y a quasiment aucun risque que cela arrive chez nous.
Pour revenir sur ce que disait Bérengère sur l'aide publique au développement, il faut se remettre en tête qu'on a des différences très importantes, si on prend le PIB par habitant d'une ville comme Shanghai c'est environ l'équivalent de celui du Portugal. Alors que si on va dans le Gansu, une des régions les plus pauvres de Chine, c'est l'équivalent de la Namibie. Donc il y a des zones, des coins en Chine qui méritent d'être aidés, bien qu'on ait le choix même si on est dans les critères de ne pas y aller.
Je pense avoir répondu à toutes les questions de Michel Herbillon. Bruno Joncour a évidemment souligné la problématique de l'unité européenne - sur laquelle je pense être suffisamment revenue - et de l'influence chinoise dans les instances multilatérales mais qui est finalement le reflet de sa puissance économique et de sa puissance politique. Malheureusement cela se passe ainsi, un pays qui devient puissant avec un fort PIB a le droit de siéger dans certaines instances. Cela pose un certain nombre de problèmes, on l'a vu notamment sur l'OMC, le grand sujet qui a appuyé sur les problématiques de déséquilibre économique c'est l'arrivée de la Chine dans l'OMC et puis la fin de la participation américaine qui a paralysé l'OMC. On a vu la crise sur le multilatéralisme que l'on vient de vivre. Ça commence à aller un peu mieux après les élections américaines, mais on n'a pas encore réussi à tout rétablir. Il est vrai que les évènements chinois et le modèle politique chinois n'aident pas à mettre en place un système multilatéral efficace.
Pour Alain David, je pense qu'il n'y avait pas de question. Il est revenu sur le sujet du rival systémique, que l'Europe a formulé. Il faut savoir que les Chinois ont été très affectés par cette formulation. D'ailleurs l'ambassadeur de Chine en France, quand il a rencontré le bureau de la commission, l'a formulé. On a rencontré l'ambassadeur représentant la Chine auprès de l'Union européenne, qui vient d'ailleurs d'être démis de ces fonctions et qui nous avait bien expliqué qu'il ne comprenait pas que l'Europe puisse utiliser un tel terme. Nous critiquons souvent les Chinois parce qu'ils sont stratégiques, tenaces, ils disent les choses, mais quelque part peut-être que nous devons faire notre propre critique. Parce que nous n'avons pas été stratégiques, nous avons été naïfs, on a pensé qu'ils allaient changer pour devenir des gens différents. Quelque part nous touchons aussi à notre propre responsabilité.
Pour finir, après ce qu'il vient de se passer avec la Covid-19, tant au niveau de la population qu'au niveau des décideurs politiques, il y a eu une certaine révélation des enjeux de pouvoir avec la Chine et du coup une modification politique. Mais maintenant il faut que l'Europe soit plus efficace et plus rapide dans ses décisions.
Aina Kuric, promouvoir l'idée du Buy European Act, tu as totalement raison parce qu'en Chine et même aux Etats Unis, on n'a pas le droit d'aller sur les marchés publics, par contre tous ces gens-là viennent allégrement remporter des marchés sur le sol européen. Je crois que c'est 2 milliards d'euros en 2020 qui ont été remportés par les Chinois sur des marchés publics européens. A plusieurs reprises il y a eu des tentatives, le président Nicolas Sarkozy avait par exemple porté ce projet auprès de l'Union européenne pour introduire ce Buy European Act. Emmanuel Macron vient de le faire aussi, mais cela n'est pas accepté par la Commission européenne, l'Europe fonctionne avec plusieurs têtes or la Commission européenne ne veut pas aller dans ce sens-là. On se demande jusqu'où il va falloir aller pour qu'ils réalisent qu'il faudrait effectivement aller dans ce sens-là.
Frédérique Dumas, « schizophrène », c'est lorsque l'on décide d'être équilibrés, c'est d'ailleurs la décision qu'ont prise l'Europe et la France par rapport au problème chinois, on peut parfois avoir l'impression de ménager la chèvre et le chou. C'est-à-dire essayer d'exposer des faits et essayer de ne pas obérer l'avenir en permettant des discussions qui pourraient finalement changer les choses. Je l'ai dit d'ailleurs dans mon exposé, je n'ai pas pu voter dans l'hémicycle quand il y a eu la résolution sur la condamnation du caractère génocidaire des politiques chinoises envers les Ouighours, parce que j'étais en audition, je n'ai malheureusement pas pu le faire, mais je suis complètement d'accord avec mes collèges, il faut dire les choses. En même temps, il faut discuter aussi avec les Chinois. Vous savez il faudrait que les Américains le fassent aussi. Quand on regarde ce qu'il se passe entre les Etats-Unis et la Chine, on a l'impression d'une confrontation permanente, que les deux pays sont sur le point de se faire la guerre, et pour finir derrière ces apparences on a une montée en puissance des partenariats économiques qui se fait de manière très importante. La Chine et les Etats-Unis continuent à travailler de manière très importante et sur des sujets sensibles tels que les nouvelles technologies, sur lesquelles nous sommes plus prudents. Il y a des choses qui peuvent se passer en apparence, c'est vrai que c'est peut-être un peu schizophrène, puis il y d'autres choses qui se passent en dessous. Mais quelque part, il ne faut pas qu'on se mette hors-jeu, parce que premièrement nous sommes divisés, et deuxièmement nous ne serons pas entendus. Ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas le dire.
J'en termine Monsieur le Président avec votre remarque sur Hong Kong, car nous y avons consacré un encadré spécial. Nous avons fait des encadrés spécifiques pour toutes les problématiques sensibles, pour une lecture plus facile. Concernant ce que vous avez dit sur le titre, je n'ai pas du tout identifié les choses de cette manière-là, donc évidemment dit comme ça, ça parait même stupide. J'avais plutôt identifié un titre qui parlait de la relation franco-chinoise qui couvre de nombreux domaines et qui a été élevée au rang de partenariat stratégique global.
Les encadrés c'est formidable, parce que ça attire l'œil, mais en même temps ça extrait l'observation du récit, rendant le récit lui-même beaucoup plus lisse que l'encadré.
Je vais essayer de compléter sur quelques petits points. Pour répondre à Michel Herbillon, pour les trois priorités, et sans se concerter on est d'accord, je les mettrais dans un autre ordre. Je dirais que la première chose, la priorité, est la nécessité de bien comprendre comment fonctionne la Chine, ses prises de décisions, parce que c'est le meilleur moyen de pouvoir défendre nos intérêts dans une négociation et dans une confrontation. Le deuxième point important, et je pense que tout le monde est d'accord là-dessus, c'est vraiment que l'Europe soit unie parce qu'aucun des pays européens ne pèsera seul sur la Chine, même si on prend les plus gros, la France ou l'Allemagne, ce n'est pas grand-chose. Même aujourd'hui une Europe réunie ne fait pas le poids face aux Américains, on va être encore traités après les Américains. J'ajouterais un troisième point, dans le rapport de force il faut que l'Europe soit forte. Si nous ne sommes pas assez forts, même si nous sommes unis nous ne pèserons pas. Vous avez tous vu le choix qui a été fait par l'Europe d'investir dans les semi-conducteurs, c'est le type d'actions qu'il faut mener. Le jour où on sera moins dépendants, plus fort économiquement et technologiquement, on sera plus entendus et on aura plus de leviers de négociation. Premièrement, comprendre, décortiquer, et j'ajouterais peut-être aussi qu'il faut qu'on fasse un effort pour que les Chinois nous comprennent mieux aussi, nos contraintes liées aux élections, au fonctionnement démocratique, à notre système politique, il faut qu'ils nous comprennent. Et deuxièmement, une Europe unie et forte.
Pour Bruno Joncour, je pense que c'est en effet assez compliqué aujourd'hui parce que chaque pays européen a des intérêts qui sont divergents et parfois très divergents. A cela s'ajoute le travail de la Chine d'aller récupérer ceux qu'elle pourrait convaincre de la soutenir, ce qui fait que sur les sujets internationaux on a souvent des votes de blocage, voire des coalitions qui font que finalement le clan européen « de base » ne pèse plus assez. On a le même travail pour convaincre les pays en Afrique, j'ai rencontré notre représentant permanent à Genève, qui a commencé à faire un travail très important qui est de discuter en face à face avec différents représentants des pays africains pour leur rappeler que ce que présente la Chine souvent est moins bien que ce que nous proposons déjà, mais parce qu'on ne le dit pas, on ne le montre pas, on ne l'explique pas, c'est pas perçu comme cela. Il faut qu'on ait un travail de persuasion et de communication là-dessus.
Sur l'aide publique au développement, on l'a dit à plusieurs reprises, quand la France aide en Afrique il faut chercher ce qui explique que c'est la France qui l'a fait. Il y a une réserve de la part de l'Agence française de développement, en disant qu'on fait ça pour le bien des populations, que ce n'est pas la peine d'en rajouter. Les Chinois font tout à fait le contraire. Tout ce qu'ils font c'est estampiller « Chine », donc il y a une la politique chinoise dans ces pays dont la lisibilité est bien meilleure même si elle est inférieure à ce que fait l'Europe, car l'Europe est comme la France, on ne sait pas, on ne voit pas, il n'y a rien d'écrit. Je pense qu'à ce niveau-là, au niveau de la communication de nos politiques, - et cela a d'ailleurs été mis dans une de nos propositions - il faut vraiment, tant au niveau européen, sur lequel nous n'avons pas de prise directe en tant que parlementaires, qu'au niveau national, s'améliorer. Mais c'est une question qu'on peut poser à Rémy Rioux. Il y a une réflexion en cours pour changer le nom de l'Agence française de développement, j'ai demandé à Rémy Rioux qu'il y ait le mot France dedans, c'est-à-dire qu'on soit obligé de prononcer le mot France lorsqu'on parle de l'aide publique au développement française, plutôt que d'utiliser des acronymes. Parce que les acronymes font disparaitre le nom de la France. Donc j'espère qu'ils sont allés dans cette voie-là, et c'est quelque chose qu'il faudra leur dire quand on se verra.
Si certains d'entre vous doutaient du fait que je sois sensible au mot génocide, je peux vous affirmer que c'est le contraire. Je pense que parmi tous les députés, j'étais parmi ceux qui ont approché le génocide de plus près, qui l'ont vécu. Je sais ce que c'est que la faim, je sais ce que c'est que des corps qui jonchent le sol, j'ai connu la puanteur des corps en décomposition. Je ne pense pas qu'on puisse penser à un moment donné que je ne sois pas sensible à cela. Je dirai que j'ai travaillé sur ce sujet pendant des dizaines d'années notamment pour ériger une stèle en commémoration des victimes du génocide cambodgien, la première stèle dans le monde a été érigée à Paris. Je le dis parce que on a eu un débat pendant longtemps avec la mairie de Paris sur la possibilité d'inscrire sur la stèle le mot génocide. J'ai appris dans ce processus qu'il fallait que cela soit décrété par un tribunal.
Je n'étais pas d'accord avec la proposition de résolution sur la situation au Xinjiang car je pense que le mot génocide n'est pas utilisé à bon escient. On ne peut pas légalement en tant que membres du Parlement décréter que c'est un génocide. Et même un pays n'a pas le droit de le faire. Je pense que beaucoup de nos collègues ne sont pas informés de ces spécificités. Moi je l'ai vécu, j'ai fait ça pendant des années sur le Cambodge, et je peux vous dire qu'aujourd'hui encore ce que j'ai vécu au Cambodge ça me reste, je ne vais pas m'étaler là-dessus. Après je respecte les voix de chacun, les choix, les visions. Et je pense aussi que ce qui a été fait jusqu'à maintenant a été beaucoup d'affichage, qui n'aura aucune efficacité et je pense qu'il faut travailler ensemble à apporter des solutions concrètes et essayer de faire avancer les choses.
Je préciserais simplement que le mot génocide peut très bien être utilisé et invoqué par une assemblée parlementaire. Cela a été le cas pour le génocide arménien, c'est le cas de beaucoup de parlements sur la situation des Ouighours. Sur ce point je pense que M. Buon Tan a raison : on ne peut pas tirer des conséquences juridiques si aucun tribunal n'est saisi et ne déclare qu'il y a génocide au sens pénal du terme. Je crois que là est la distinction mais cela n'empêche pas une assemblée parlementaire de qualifier une situation de génocidaire ou, plus prudemment, de dénoncer le caractère génocidaire de telle ou telle politique.
Je voulais simplement vous dire que je respecte – on en a souvent parlé avec Buon – ce qu'il a vécu à titre personnel, mais ce n'était pas le sens de ma question. Le caractère génocidaire de ce qui s'est passé au Cambodge a été heureusement reconnu légalement. Enfin, l'affichage d'un vote de l'Assemblée nationale française a de la valeur car il permet d'interpeller le gouvernement chinois sur les inquiétudes que nous avons sur le caractère éventuellement génocidaire de ce qui se passe au Xinjiang avec les Ouighours.
Je vais me joindre au concert de louanges qui ont été faites précédemment, effectivement votre rapport est excellent, très intéressant et très complet. Ma question va porter sur la diplomatie culturelle, un axe de coopération bilatéral entre partenariat, concurrence et rivalité que vous citez dans votre rapport. Vous mentionnez page 77 « les 14 alliances françaises de tailles variables présentes sur le territoire chinois » et il semblerait qu'elles soient obligées aujourd'hui de s'adosser à une université chinoise et n'aient donc pas la possibilité d'opérer de façon indépendante. Il leur est interdit de faire des formations à l'extérieur des murs de l'université or cela représente habituellement une partie importante de leurs ressources. Ces limitations mettent en péril la pérennité de ces établissements alors que les instituts Confucius sont libres de proposer les activités qu'ils veulent. Pourrait-on envisager une réciprocité ? Je voulais savoir aussi quelles pourraient être vos préconisations pour un meilleur rayonnement français ?
Merci aux deux rapporteurs pour leur présentation et je crois que le fait qu'il y ait des nuances - voire disons-le des différences - entre nos deux rapporteurs est utile. Je ne vais pas m'étendre sur l'ensemble du rapport, mais je voudrais aborder un point, qui est la question de Taïwan. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit Michel Herbillon, je n'étais pas présent quand notre collègue Buon Tan aurait prononcé ces propos en effet un peu désobligeants s'il s'agit de dire que ce qui a été fait par notre commission puis par l'Assemblée nationale au sujet de Taïwan ne serait l'initiative que de quelques députés, car en l'occurrence, c'est une très large majorité de notre Assemblée qui a soutenu l'initiative que j'avais prise en coordination avec je le rappelle 7 présidents de groupes sur 9. Cela a donné lieu ensuite à la visite d'une délégation de 6 députés à Taïwan au mois de décembre dernier qui comptait, avec moi, Jean-François Mbaye, Jean-Luc Reitzer, Jean-Louis Bricout, Aina Kuric et Frédérique Dumas. Je le dis pour montrer la diversité politique de la délégation.
Tout le monde sait qu'il y a aujourd'hui un bras de fer qui n'est plus lié simplement au Président Trump, c'est un bras de fer américano-chinois qui renvoie en réalité à un nouvel équilibre du monde entre des puissances, et le fait que la Chine soit une grande puissance est incontestable, il n'y a aucune raison de le contester, de contester la volonté de puissance de la Chine, il faut simplement évidemment en tirer les conséquences et par ailleurs rappeler à la Chine que, qui dit grande puissance dit grande responsabilité au regard des équilibres internationaux et notamment du droit international, ce que la Chine a du mal à reconnaître, en tout cas l'actuel pouvoir chinois. Taïwan se retrouve au cœur de ce bras de fer, à la fois par rapport à cet affrontement possible qui ne débouchera sans doute pas - il faut le souhaiter - sur un affrontement armé entre les États-Unis d'Amérique et la Chine, mais qui se manifeste de diverses façons, mais aussi par rapport à un affrontement plus général, plus politique qui est celui des démocraties face aux régimes autoritaires. Taïwan est une démocratie, je suis obligé de le rappeler à chaque fois parce qu'il y a beaucoup d'interlocuteurs, y compris en France, qui confondent Taïwan et le régime communiste chinois.
Je voudrais simplement dire à nos deux rapporteurs et au-delà à l'ensemble de notre commission, ne serait-il pas temps de réviser notre politique, la politique de la France et la politique de l'Union européenne, où il y a d'ailleurs des évolutions, dans nos relations avec Taïwan sans aucune agressivité à l'égard de la Chine, sans même rouvrir le débat autour d'une seule Chine même s'il est aujourd'hui complétement dépassé dans la mesure où le gouvernement de Taïwan ne prétend pas représenter la Chine, contrairement au gouvernement de Tchang Kaï-chek dans les années 1960 ? Ne serait-il pas temps d'approfondir nos coopérations avec Taïwan sur différentes questions, y compris les questions de sécurité et de défense ? Nos amis taïwanais sont en attente, nous l'avons fait par le passé. Il existe une forme de traumatisme au sein de la diplomatie française et au sein peut-être de la classe politique française résultant de l'affaire dite des frégates de Taïwan des années 1990, mais en réalité aujourd'hui nous sommes face à une toute autre situation qui est de contribuer à la sécurité et à l'équilibre des forces dans cette région.
Je me suis permis de ne pas interrompre quelqu'un qui propose une révision globale de notre politique à l'égard de la Chine et dont je ne pouvais pas laisser enfermer l'intervention dans les deux minutes réglementaires compte tenu de l'ampleur des perceptives qu'il ouvrait.
Tout d'abord merci pour ce rapport. Deux choses, sur l'aide publique au développement et sur ce que vous avez mentionné. Vous dites dans votre proposition 48 qu'il nous faudrait « envisager la mise en œuvre de projets conjoints dans les secteurs prioritaires comme la protection de l'environnement ou le développement durable dans le respect des normes exigeantes et de l'intérêt des pays bénéficiaires », mais savez-vous que la Chine vient d'entreprendre la construction d'un mur de près de 5000 km à sa frontière sud pour officiellement se protéger contre la crise Covid-19, mais dont l'impact est bien évidemment d'isoler la Birmanie voisine et de mettre un frein à l'afflux des réfugiés. Je voudrais vous interroger sur la capacité à mesurer le bilan environnemental de ce chantier.
Toujours sur l'aide publique au développement, j'entends ce que Bérengère Poletti a dit dans la mission sur la relation avec l'Afrique, mais c'est vrai qu'à l'occasion de l'audition de l'ambassadeur de Chine en réunion de bureau, celui-ci a tenu des propos tronqués sur la capacité de la Chine à faire de l'aide publique au développement en Afrique et que ces propos méritent d'être largement soulignés publiquement puisque je le rappelle la Chine octroie des prêts excessifs, ce sont des prêts dans des secteurs privilégiés qui ne sont pas du tout ceux sur lesquels la France s'aligne. Concernant les contrats de désendettements, dont vous avez parlé au début de vos propos, je vois mal comment nous pourrions continuer à envisager des projets conjoints dans des secteurs prioritaires de l'aide publique au développement quand on sait que nous sommes capables de faire des contrats de désendettement - et que l'on ne communique pas assez d'ailleurs sur ce point, puisque nous ne le faisons pas assez - et que dès que les contrats de désendettements sont faits, la Chine réendette les pays africains et que finalement, on voit bien que nous sommes face à une relation étroitement marquée par un déséquilibre excessif et par une forme d'asphyxie. Donc je m'interroge, quelles solutions pouvons-nous véritablement apporter ?
Dernière chose sur la question de la diplomatie culturelle et d'influence, vous dites « qu'il nous faudrait réévaluer à la hausse les montants des bourses du gouvernement français disponibles pour les étudiants chinois, pour renforcer notre attractivité et notre contribution à la sélection des étudiants retenus ». De quelles attractivités allons-nous parler ? Parce que s'il s'agit de renforcer des bourses d'étudiants sans avoir même pensé notre modèle économique universitaire, je suis désolé chers collègues, nous n'aurons jamais d'étudiant chinois à l'université Saint-Denis de Paris 8 par exemple, nous les retrouverons toujours dans les universités prestigieuses. Je m'interroge sur cette mesure-là de « réévaluer à la hausse les montants des bourses du gouvernement français » pour renforcer notre attractivité, laquelle ? Et pour contribuer « à la sélection des étudiants retenus » les mots « sélection des étudiants retenus » me posent problème.
Je voudrais remercier naturellement François de Rugy, qui est président du groupe d'études à vocation internationale sur les questions liées à l'expansion de l'économie taïwanaise, d'avoir mis ce sujet sur la table. Effectivement, j'ai été membre de cette mission avec trois collègues ici présents. Nous avons été très interrogatifs sur le devenir et sur l'avenir de Taïwan. Je voudrais simplement demander à nos co-rapporteurs quelle devrait être ou pourrait être l'action de la France en cas d'invasion de Taïwan par la Chine continentale.
J'ai également beaucoup d'admiration, comme tous les membres de cette commission, pour la Chine. Mais lorsqu'on parle des relations entre la France et la Chine, il y a quelque chose qui me frappe toujours. Nous avons été le premier pays occidental avec le général de Gaulle à reconnaître la Chine et lorsqu'il y a des tensions entre nos deux pays - et il y en a aussi avec d'autres partenaires, notamment avec l'Allemagne - ça a été le cas notamment lorsque nous avons reçu le Dalaï-lama, ça a été le cas avec le vote récent de la résolution sur les Ouighours, on constate que nous sommes beaucoup plus sévèrement traités par les Chinois que ne le sont d'autres partenaires. Je connais bien l'adage qui dit « qui aime bien châtie bien », mais enfin quelle est la raison selon vous, psychologique, politique ou affective qui explique que l'on soit traités beaucoup plus sévèrement ? Cette sévérité ne s'applique pas simplement à notre pays, elle s'applique individuellement. J'ai été co-rapporteur d'une mission d'information qui s'est tenue il y a 3 ans sur les tensions en mer de Chine méridionale avec Delphine O. J'ai obtenu mon visa pour me rendre en Chine l'après-midi de notre départ et j'ai été convoqué par le premier secrétaire de l'ambassade de Chine sous prétexte que j'avais heurté la sensibilité du peuple chinois. J'ai dû, parce que j'avais été à Taïwan et que j'avais eu quelques prises de position un peu particulières avec d'autres collègues d'ailleurs, m'engager à préserver l'intégrité territoriale de la Chine en me rendant en Chine. Quel pouvoir ! Je me suis senti investi d'une mission mondiale subitement. En tout cas, il y a effectivement une position toute particulière de ce grand pays qu'est la Chine vis-à-vis de notre pays et vis-à-vis de ses citoyens et de ses représentants.
Merci aux rapporteurs pour cette somme, je voudrais faire deux remarques et une question très courte. Je crois effectivement que ce qui concerne tout ce que l'on appelle la « diplomatie d'influence » - vous savez mes chers collègues que ce n'est pas un nom que j'aime bien, je préfère parler de l'action de la France dans le monde - doit être traité de manière globale. J'insiste par rapport à l'audition que nous allons avoir de M. Rioux, on ne peut pas parler de l'aide publique au développement et de la Chine sans intégrer dans notre question et notre jugement comme vient de le faire Jean-François le fait que la Chine a une aide publique au développement également. C'est-à-dire qu'il ne sert à rien de reposer des questions en disant strictement pourquoi nous on donne de l'argent à la Chine, il faut réinterroger l'ensemble de la politique de développement, qu'on le fasse avec M. Rioux c'est très bien, mais il y a des choses qui se passent aujourd'hui en Afrique du côté de la Chine qui joue au go, qui est très différente de nous. On ne peut pas aborder ces sujets qui sont des sujets d'action extérieure, pas uniquement diplomatiques, mais d'action extérieure des sociétés civiles, de l'économie, sans les inscrire dans un ensemble. Je voulais insister sur ce point, notre aide publique au développement va dans les deux sens.
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister me tient à cœur en tant que Français établi à l'étranger et conseiller du commerce extérieur. Quand on insiste et que l'on prend plaisir à insister sur le fait que les Français ne parlent pas de langues étrangères, que les Français ne connaissent pas la Chine, il faut rappeler qu'il y a je crois chers collègues environ trente mille de nos compatriotes installés en Chine. Trente mille compatriotes en Chine, 13 élus locaux, 13 élus de la République française en Chine.
Je voudrais revenir sur le côté « connaisseur ». Évidement il faut être plus connaisseur, mais je voudrais que l'on arrête aussi d'oublier comme je viens de le dire que la présence de la France dans le monde n'est pas que de la diplomatie, ce n'est pas que ce que l'on en voit au journal de 20h en France. C'est aussi des gens qui sont « au charbon » aujourd'hui en Chine. Je vous rappelle chers collègues et je vous appelle à le lire, que les 4 500 conseillers du commerce extérieur dans le monde ont écrit un livre en 2012-2013 - auquel j'ai participé puisque j'étais alors en Égypte - qui s'appelait « la Chine hors les murs » et qui était une analyse et une compilation. C'est un sujet extrêmement intéressant. Appuyons-nous sur ce que nous faisons aussi en termes de diplomatie hors les murs. Ma question est la suivante, vous avez dit que vous n'étiez pas d'accord sur certains points, j'aimerais que vous nous disiez où se sont situés ces désaccords.
Je me réjouis que l'on puisse discuter des relations France-Chine et Europe- Chine, je regrette simplement que cela vienne si tard en fin de mandat parce que la Chine va tellement vite qu'on aurait dû s'en occuper beaucoup plus vite au début du mandat. Mais « mieux vaut tard que jamais ». Rebondissant sur ce que vient de dire Frédéric Petit, je voudrais rendre un hommage aux Français qui sont établis en Chine. Vous signalez que la démographie française en Chine a baissé au cours de l'année 2021 de 13 %. C'est un énorme handicap pour les relations que nous essayons de développer. Je pense à ceux qui sont bloqués en Chine depuis deux ans – il y a un article des Échos sur leur situation – et ne peuvent absolument pas sortir de Chine. Il n'y a d'ailleurs aucune réciprocité.
Je voudrais rappeler aussi - et vous l'avez souligné - que la Chine et le pouvoir en place ne comprennent que le rapport de force et que l'Union européenne doit être extrêmement forte. Pour qu'elles soient équilibrées, les relations que nous pourrions établir doivent passer par ce rapport de force incarné beaucoup plus par l'Union européenne que par la France toute seule.
Je veux également rappeler, ce que votre rapport n'évoque pas, que la Chine dépend de nous. Il aurait été intéressant que vous puissiez développer ce point-là. La Chine a aussi besoin de nous, c'est là aussi que l'on peut établir un rapport de force. Vous avez souligné aussi monsieur le président – et j'ai beaucoup aimé vos remarques – que la Chine avait beaucoup changé depuis 2013, et plus encore la montée en puissance du parti communiste chinois. On ne peut pas laisser de côté le changement de récit national. Nous en avons besoin pour construire une réponse si possible avant la leur.
J'aimerais savoir, dans toutes les recommandations que vous formulez, comment vous envisagez de leur faire passer le mur du son. Nous en parlons entre nous, mais il faut s'en emparer. Par exemple, nos collectivités territoriales, lorsqu'elles reçoivent un investisseur chinois potentiel, lorsqu'elles envisagent d'implanter une usine chinoise, lorsque l'on envisage de faire venir des étudiants chinois, lorsque l'on envisage d'avoir des enseignants chinois, quels mécanismes pouvons-nous mettre en place pour nous assurer que toutes ces personnes agissent librement et qu'elles ne sont pas sous l'influence du parti communiste chinois et respectent nos valeurs et nos principes républicains. Cela me manque dans votre rapport ; dans tous les éléments d'attractivité des recommandations 26 à 28 par exemple il manque cet aspect. C'est bien gentil de vouloir faire venir des Chinois en Europe et en France, mais à quelles conditions ?
Il manque un outil, nous devons je pense nous armer pour être capables d'équilibrer la relation que nous avons à construire avec la Chine. La réciprocité aussi, pas suffisamment évoquée, doit être exigée, c'est un des éléments fondamentaux de la diplomatie française, qui est très important, nous devons à tous égards exiger la réciprocité des relations. On ne peut pas répondre et dialoguer avec la Chine sans avoir défini les mécanismes pour défendre nos valeurs, et cela me manque un peu dans votre rapport.
Effectivement une analyse de l'effet des crédits sociaux sur la liberté des acteurs est quelque chose d'essentiel et d'assez troublant.
Je pense en effet que les Chinois ont toujours en tête le fait que la France a été le premier pays à reconnaitre la Chine, la nouvelle Chine je dirais. Et par conséquent, la France est un ami particulier de la Chine, or elle attend beaucoup de ses amis proches, elle est beaucoup plus exigeante. En effet, je pense qu'un autre pays qui recevrait le Dalaï-lama n'aurait pas la même réaction de la part de Pékin et qu'il s'agit plutôt d'une marque d'affection dans le sens où la France a vraiment une image très particulière, très unique au niveau du pays et de la population chinoise.
Isabelle Rauch qui a posé une question sur la diplomatie culturelle, j'ai suivi de près le sujet des alliances françaises puisque j'ai essayé justement de demander une réciprocité et surtout que les alliances françaises puissent donner des cours à l'extérieur des établissements universitaires. J'ai eu comme réponse dans un premier temps que les alliances françaises n'étaient pas obligées de s'adosser à une université, mais à un établissement d'enseignement, qui peut être par exemple un établissement donnant des cours particuliers de piano. En effet, elles sont obligées de s'adosser à un établissement d'enseignement reconnu en Chine, quel que soit le type d'enseignement. C'est en effet un sujet, parce que c'est une grosse partie des ressources de nos alliances françaises et je pense que c'est quelque chose que l'on peut avoir comme réciprocité.
Pour Anne, concernant la démographie, si on fait le point instantanément, on a une baisse assez importante, entre 12 et 15 %. Cela m'inquiète un peu moins dans le sens ou je ne pense pas que ce soit une baisse dans la durée, mais plutôt une baisse liée au blocage de tous les visas quasiment, et notamment de beaucoup d'étudiants qui ne peuvent plus retourner en Chine. Je peux également citer le cas de dirigeants de filiales françaises qui rencontrent beaucoup de difficultés, ça s'est un peu résolu, mais je pense que ça vient de là et qu'on pourra le résorber lorsque la Chine rouvrira ses frontières.
Pour faire connaître nos recommandations, je pense que l'un des meilleurs moyens est que chacun d'entre nous puisse relayer les recommandations, peut-être porter les sujets qui vous concernent le plus, qui vous parlent le plus. En tout cas, nous allons essayer avec Bérengère de communiquer pour relayer ça dans les médias.
Pour répondre à Jean-François Mbaye, nous avons dans le rapport bien stipulé qu'il y avait des axes d'amélioration, notamment, nous avons proposé d'intégrer très en amont les entreprises françaises, les universités et Campus France pour améliorer notre système, pour proposer des formations qui correspondent aux besoins de nos entreprises. Ensuite évidemment que les emplois proposés par nos entreprises seront également un facteur d'attractivité, parce que beaucoup de Chinois font des études pour pouvoir trouver un travail ensuite. C'est également un moyen pour nous de sélectionner dans le sens ou si nous estimons que dans tels ou tels domaines nous avons besoin de plus d'étudiants, on peut le faire via les bourses. Je rappelle que même en allant beaucoup plus loin au niveau des bourses, on reste encore très très très loin derrière les anglo-saxons.
Pour Isabelle, je veux juste compléter ce qu'a dit Buon par rapport aux instituts Confucius parce qu'il y a un certain nombre d'instituts qui ont été fermés, notamment du fait de leur incapacité à travailler dans la transparence et de tentatives de conditionnement de certains jeunes esprits sous prétexte d'apprendre la langue. Il y a quand même eu un vrai souci de transparence qui s'est traduit par la fermeture de certains instituts.
François de Rugy nous a expliqué comment les choses s'étaient passées lorsqu'il est allé à Taïwan. Il a été complété dans son propos par Jean-Luc Reitzer qui nous demande ce que devrait faire la France, c'est la grande question. D'ailleurs c'est le titre de notre chapitre sur Taïwan, « la situation de Taïwan, l'endroit le plus dangereux de la planète », même si en ce moment on parle beaucoup de l'Ukraine, tout le monde est bien conscient que les tensions politiques avec Taïwan sont très compliquées. On ne sait pas très bien ce que les Américains vont faire par exemple. Interviendraient-ils vraiment à Taïwan ? Ils l'affirment, parce qu'ils sont dans la dissuasion par rapport à la Chine sur Taïwan, comme nous pouvons dire qu'étant dans l'OTAN, on suivrait la position américaine. Je ne peux rien garantir, je pense que Buon non plus, on ne serait pas nombreux à pouvoir le faire, mais en tout cas, la situation est extrêmement préoccupante et dangereuse, parce que quelque part lorsqu'on écoute les arguments côté chinois, ce n'est pas si, mais plutôt quand. C'est-à-dire qu'ils veulent quoi qu'il advienne réintégrer Taïwan dans le giron chinois, un peu comme ils l'ont fait avec Hong Kong. Pour l'instant, c'est une situation qui est en attente.
Jean-François Mbaye est parti, je voulais simplement lui dire que je suis la première à avoir émis un certain nombre de réserves sur ce que la France et notamment l'AFD peuvent faire avec la Chine dans certains pays d'Afrique, pour tenir compte du risque de donner les clefs de la bonne connaissance et du savoir-faire dans certains pays d'Afrique. Nous en avons discuté avec plusieurs des personnes que nous avons auditionnées, et un grand nombre étaient plutôt favorables, sous prétexte que la Chine était d'ores et déjà implantée en Afrique et que si l'on voulait continuer à pouvoir être influents en Afrique, il fallait que l'on soit avec les Chinois sur un certain nombre de sujets. Par contre, j'ai vraiment insisté sur le fait qu'il fallait conditionner toute coopération au fait qu'elle ne soit pas contraire aux intérêts de la France tant au niveau économique que politique.
Je voudrais revenir sur les moyens déployés pour notre diplomatie, que ce soit à l'extérieur ou en centrale au quai d'Orsay, pour dire que ce que font nos diplomates et ce que fait la haute fonction publique dans le domaine diplomatique avec la Chine est évidemment très bien, digne d'intérêt. Nous les avons auditionnés, ils sont connaisseurs, le problème est qu'ils ne sont pas suffisamment nombreux. Face aux enjeux que représentent l'espace indopacifique, la Chine elle-même, on ne déploie pas suffisamment de moyens humains pour être à la hauteur des enjeux. J'ai préparé quelques chiffres pour que vous puissiez comparer, au niveau du Quai d'Orsay, on a 4 rédacteurs qui s'occupent du sujet chinois, en Allemagne 15, au Royaume-Unis 47 et aux États-Unis évidemment plusieurs centaines. Même si l'on se compare à des pays européens à nos côtés on n'est pas à la hauteur de l'enjeu. C'est d'ailleurs la première alerte que nous avons formulée pendant l'exposé de ce rapport.
Sur la réciprocité, c'est un sujet important, il a été noté plusieurs fois dans le rapport et a fait l'objet de propositions, mais honnêtement, tous cela pose un problème de fonctionnement en général, pas seulement dans notre commission, dans toutes les commissions, entre le moment on reçoit le rapport et le moment où on discute ensemble, évidemment, on n'a pas le temps de lire tout dans le rapport. Donc évidemment il y a des choses dont vous avez raison de vous inquiéter, mais en l'occurrence ce sont des choses qui ont été notées dans le rapport et notamment sur le sujet de la réciprocité sur lequel on ne va pas encore assez loin. Il faut encore avancer sur ces sujets-là.
Nos désaccords. On va dire que je suis plus « raide » que Buon. A plusieurs moments nous avons envisagé la possibilité de faire des propositions séparées, et je pense que ça n'aurait pas été une bonne chose sur un sujet aussi important. Il y a des choses sur lesquelles peut-être j'aurais été plus raide, plus dure, que j'ai assouplies dans la formulation tout en veillant à ce que tous les sujets qui me préoccupent et qui vous préoccupent soient présents et formellement inscrits dans le rapport. Et Buon Tan – en tout cas c'est ainsi que je l'ai ressenti – a une approche de la Chine qui est très économique, qui est plus économique que politique. Par conséquent, il a identifié énormément de sujets sur la problématique économique et il a voulu que ces sujets-là soient développés. Nous avons essayé de trouver un moyen terme et je pense honnêtement qu'on a vraiment tout expliqué.
Parfois quand on dit tout, on dit que l'on ne dit rien, mais nous n'étions pas dans un exercice comme celui que nous avons eu l'autre jour lors de la table-ronde sur les Ouïghours ou lors de l'examen de proposition de résolution sur la reconnaissance du caractère génocidaire des crimes commis au Xinjiang dans l'hémicycle. On est dans un exercice qui dure depuis presque un an. Nous avons auditionné plus de 80 personnes, c'est un sujet très lourd et il est regrettable qu'il soit arrivé en fin de mandat, mais je pense qu'il sera intéressant d'en prendre connaissance au début du prochain mandat parce qu'il y a énormément de références, énormément de notes de bas de pages avec des liens pour se référer à des travaux. Si l'on veut bien appréhender le sujet chinois au prochain mandat, je pense qu'il sera utile de s'y plonger sérieusement.
Très rapidement, je dirais qu'avec Bérengère nous n'étions pas parfaitement synchro, mais que sur le fond, nous sommes tout à fait d'accord, notamment sur le diagnostic des problèmes à traiter, des faiblesses de l'Europe, de la France. En revanche, en effet nous avons peut-être eu des lectures différentes sur les faits et je la remercie d'avoir - comme je l'ai fait d'ailleurs - essayé de mettre de « l'eau dans son vin ».
L'idée était vraiment importante, et je réponds à la remarque du président Bourlanges en introduction, notre but était vraiment de faire un rapport sur le fond et de proposer des recommandations qui puissent être utiles et ne pas faire de la représentation, et c'est peut-être pour cela aussi que l'on a pu se détacher de l'actualité.
Je comprends qu'aujourd'hui, dans les semaines qui ont précédé et pour plusieurs semaines sans doute, le sujet du Xinjiang va être beaucoup dans l'actualité, mais justement, nous avons essayé d'en sortir et de faire quelque chose en profondeur pour pouvoir tout balayer. Nous avons laissé passer quelques gros sujets que l'on a un peu moins traités en profondeur, sur l'indopacifique, sur le spatial en tenant compte de l'existence d'autres rapports d'information qui ont été présentés ou qui vont l'être. Modulo ces points nous avons essayé de couvrir tous les sujets, et surtout de proposer quelque chose de pragmatique qui puisse aboutir sur des recommandations applicables dans les relations stratégiques entre la France et l'Europe vis-à-vis de la Chine.
Monsieur Frédéric Petit, la différence entre nos deux rapporteurs est simple : Mme Bérengère Poretti aurait voté pour la résolution tendant à la reconnaissance du caractère génocidaire des crimes commis au Xinjiang si elle avait pu voter et M. Buon Tan s'est exprimé contre. Cette différence est importante, je ne sais pas si elle se manifeste dans le rapport.
Nous allons, à présent, voter sur la publication du rapport, sauf si les rapporteurs souhaitent, compte tenu de ce qui a été dit, apporter des modifications qui ne pourraient être que très limitées, auquel cas nous leur donnerions huit jours pour le faire avant de voter, sans débat bien sûr. Sinon, je pense qu'il y a un avis très large et sans doute unanime pour autoriser la publication du rapport tel quel dès maintenant.
Pour tenir compte de toutes les remarques qui ont été faites, notamment par vous, je pense qu'il serait peut-être plus simple d'adjoindre dans le rapport le compte rendu des débats de la commission, si vous l'acceptez.
Je pense que c'est une excellente suggestion des rapporteurs. Sur la base de la proposition de Mme Poletti, je mets aux voix la publication du rapport d'information sur – j'insiste sur ce nouveau titre – la stratégie de la France et de l'Europe à l'égard de la Chine.
La commission modifie l'intitulé de la mission d'information et autorise le dépôt du rapport d'information sur la stratégie de la France et de l'Europe à l'égard de la Chine en vue de sa publication.
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Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Autorité bancaire européenne relatif au siège de l'Autorité bancaire européenne et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (Mme Aina Kuric, rapporteure) (n° 4868)
Nous examinons le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et l'Autorité bancaire européenne relatif au siège de l'Autorité bancaire européenne et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.
Le dispositif du projet de loi est connu de notre commission puisque nous avons examiné le 1er décembre dernier la convention relative au siège de l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer et à ses privilèges et immunités. Le présent texte nous offre cependant l'occasion de débattre de l'attractivité de la place financière de Paris et des effets du Brexit sur la localisation de ceux des acteurs de premier plan de la finance et de l'assurance qui opéraient depuis Londres sur les différentes places européennes.
L'Autorité bancaire européenne (ABE) a été créée en novembre 2010, au lendemain de la crise financière mondiale qui mit en exergue les failles du système européen de surveillance financière. Depuis, le renforcement de la supervision a contribué à assainir et à stabiliser le système financier et bancaire de l'Union européenne et à accompagner la croissance.
En participant à l'amélioration de la supervision bancaire, l'activité de l'ABE bénéficie non seulement au secteur des services bancaires, mais aussi à tous les secteurs de l'économie, au grand public, aux consommateurs et aux investisseurs, particuliers et institutionnels. Aux côtés de l'Autorité européenne des marchés financiers ou de l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, elle concourt au système européen de surveillance qui, en complément des autorités nationales de régulation, assure la stabilité des marchés financiers et du système bancaire.
Conséquence du Brexit, le transfert du siège de l'ABE de Londres à Paris est un atout important pour le rayonnement de la place financière parisienne, dont il contribue à accroître tant l'attractivité que l'activité. Il vient enrichir l'écosystème financier qui s'est constitué en région parisienne après l'installation à Paris de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), dont nous avons approuvé l'accord de siège en 2019.
En effet, la France a notamment fait valoir, à l'appui de la candidature de Paris, l'intérêt que présentent pour l'AEB, d'une part, son implantation au cœur d'un écosystème financier dense et d'un bassin d'emploi international et qualifié, d'autre part, la proximité géographique de l'AEMF, avec laquelle les synergies et les interactions sont réelles et importantes pour la qualité et la cohérence de la régulation. De fait, le déplacement du siège de l'ABE à Paris facilitera sa collaboration avec l'AEMF et contribuera ainsi à maintenir une supervision adéquate des activités de marché des entreprises du secteur bancaire, l'ABE définissant les règles prudentielles, l'AEMF les règles de conduite.
Plus largement, la France tire ainsi bénéfice d'une politique d'attractivité qui vise notamment à attirer une partie de l'écosystème de la City en tirant parti de la perte par le Royaume-Uni du passeport financier européen, lequel permettait à toute entreprise financière britannique de proposer ses services depuis Londres dans toute l'Union. Parmi les mesures d'attractivité adoptées par la France figurent la facilitation de la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues après le Brexit et l'allongement de cinq à huit ans du régime spécifique des « impatriés ».
Dans ce contexte, selon le cabinet Ernst&Young, près de 44 % des sociétés de services financiers ont déplacé ou prévoient de déplacer des opérations ou du personnel du Royaume-Uni vers l'Union pour pouvoir y exercer leur activité. Si leurs bureaux sont principalement transférés à Dublin et Luxembourg, c'est Paris qui accueille le plus grand nombre de personnels. En juin 2021, le Président de la République a ainsi inauguré les nouveaux locaux parisiens de la banque américaine JPMorgan, en prévision du transfert de plusieurs centaines de traders.
L'installation de l'ABE et de l'AEMF à Paris a valeur de symbole : elle positionne celle-ci comme une capitale financière internationale et européenne. D'autres mesures ont été prises pour conforter la position de Paris au centre du jeu européen en matière de régulation financière, comme la création d'une chambre commerciale internationale au sein de la cour d'appel et du tribunal de commerce de Paris ou le développement de l'offre internationale en matière éducative, qui est un élément important pour attirer les talents.
La présence de l'AEB à Paris témoigne donc de l'attractivité nouvelle de notre pays, qui se confirme également au plan économique. En effet, en 2020, la France a conservé, pour la deuxième année consécutive, la première place des pays européens en matière d'accueil de projets d'investissements étrangers : 985 projets ont été annoncés au cours de l'année 2020, notamment dans l'industrie pharmaceutique, l'énergie et la finance. Elle devance ainsi le Royaume-Uni et l'Allemagne dans le baromètre européen de l'attractivité d'Ernst&Young.
Le présent accord vise à offrir à l'ABE les meilleures conditions possibles pour son bon fonctionnement sur le sol français. Il s'agit d'un accord de siège tout à fait classique, qui précise les privilèges et immunités accordés aux agents de l'Autorité en application des règles qui valent pour l'ensemble des agences de l'Union, fixées dans le protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne. Ces privilèges sont, en outre, comparables à ceux ordinairement reconnus par accord de siège aux organisations internationales et à leurs personnels. Cet accord n'octroie pas d'immunité diplomatique aux agents de l'ABE au sens de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques mais une immunité de juridiction qui s'applique aux seuls actes commis en leur qualité officielle d'agents de l'ABE.
Cette immunité et l'ensemble des privilèges contenus dans l'accord sont justifiés par la préservation de l'intérêt européen, singulièrement quand les missions des agents de l'ABE sont des missions de supervision. En l'absence de tels privilèges et immunités, ils ne pourraient exercer leur activité en toute objectivité. Il ne s'agit donc pas d'avantages octroyés à des agents européens, mais bien d'une condition à l'exercice même de leur mission au service de l'intérêt général européen.
L'une des spécificités du présent accord réside dans l'enrichissement de l'offre éducative internationale de Paris par la création d'une école européenne agréée qui scolarise 230 élèves à La Défense et qui a vocation à accueillir des élèves internationaux mais également les Franciliens habitant à proximité.
En conclusion, le présent accord concrétise les efforts fournis par la France pour attirer les agences européennes sur son sol et consolider son influence en Europe, efforts qui ont déjà conduit à la conclusion d'accords de siège avec l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer, installée à Valenciennes et à Lille, et l'Office communautaire des variétés végétales, dont le siège est à Angers.
À la lumière de toutes ces remarques, je vous invite à adopter le projet de loi.
Je veux tout d'abord remercier notre rapporteure pour la qualité de son rapport et de son exposé.
Le projet de loi a trait à un accord de siège classique, qui vise à assurer le bon fonctionnement de l'Autorité bancaire européenne sur notre sol. Les stipulations de cet accord sont analogues à celles des autres accords de siège et conformes au droit de l'Union européenne. Elles n'ont donc aucune conséquence juridique en droit interne. Par ailleurs, l'ABE étant un organisme entièrement financé par l'Union européenne, l'installation de son siège à Paris n'entraîne aucun coût pour l'État.
L'Autorité bancaire européenne concourt au système européen de surveillance financière créé par la Commission européenne à la suite de la crise de 2008 afin de prévenir les risques systémiques menaçant la stabilité des marchés financiers. Ce système est chargé de contribuer à l'élaboration d'un ensemble unique de règles visant à prévenir toute accumulation de risques susceptibles de menacer la stabilité du système financier global ; il comprend notamment le Conseil européen du risque systémique, placé sous la responsabilité de la Banque centrale européenne (BCE), l'Autorité bancaire européenne, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et l'Autorité européenne des marchés financiers.
Le règlement européen du 24 novembre 2010, qui crée l'ABE, prévoit en son article 74 qu'un accord de siège doit être conclu et approuvé par l'État hôte, d'une part, et le conseil d'administration de l'ABE, d'autre part. Ce règlement a été modifié le 14 novembre 2018 dans le cadre de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Outre que les privilèges et immunités mentionnés à l'article 11 du protocole n° 7 sont accordés aux membres du conseil d'administration et du conseil des autorités de surveillance de l'ABE ainsi qu'à leurs conseillers et experts techniques, l'accord de siège précise le régime des privilèges et immunités accordés aux experts nationaux détachés de l'Autorité et engage le gouvernement français à favoriser le détachement d'experts français auprès d'elle. Hormis ces points, cet accord n'a aucune conséquence matérielle.
Cet accord, certes nécessaire, est d'une portée relative et s'apparente donc à une formalité. Aussi, je vous invite à approuver le projet de loi.
Je remercie notre rapporteure pour sa présentation exhaustive de l'accord.
Si, comme on l'a rappelé, l'Autorité bancaire européenne a été créée à la suite de la crise financière de 2008, son transfert à Paris, qui fait l'objet du présent texte, est une des conséquences majeures du Brexit, lequel aura donc eu de bons côtés pour notre pays.
Par ailleurs, l'accord est tout à fait classique et conforme aux autres accords de siège relatifs à des organismes européens. Le groupe MODEM votera donc pour le projet de loi sans aucun état d'âme.
Notre rapporteure l'a souligné, cet accord classique est conforme en tout point au droit européen, en particulier au protocole n° 7 sur les privilèges et immunités. Il n'appelle donc pas de modification de notre droit interne.
Ainsi l'examen du présent projet de loi est surtout l'occasion pour nous de nous pencher sur les conséquences du Brexit et sur la consolidation de l'influence de la France en Europe. De fait, avant le siège de l'ABE, nous avons déjà accueilli celui de l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer, situé à Lille et à Valenciennes, celui de l'Office européen des variétés végétales, installé à Angers, celui de l'Autorité européenne des marchés financiers, à Paris, et le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) – même si ce projet n'est pas exclusivement européen –, à Cadarache.
J'ai pris bonne note de la confirmation qu'en 2020, notre pays a démontré son attractivité sur le plan économique en accueillant de nombreux projets d'investissements étrangers. Ceux-ci sont favorisés en partie par des infrastructures publiques de qualité ; je salue, à cet égard, l'enrichissement de l'offre éducative internationale, dont témoigne l'ouverture du lycée international de Saclay et de l'école européenne agréée de La Défense.
Le groupe Socialistes et apparentés soutient le projet de loi.
Je vous remercie pour le soutien que vous apportez à cet accord. Son approbation est, certes, une formalité, mais elle est une obligation. Quoi que l'on pense par ailleurs du Brexit, il aura offert à la France l'opportunité d'accueillir le siège de l'Agence bancaire européenne, et nous nous en réjouissons.
La commission adopte l'article unique du projet de loi non modifié.
L'ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
La séance est levée à 12 h 15.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Sandra Boëlle, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre Cabaré, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, Mme Frédérique Dumas, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, Mme Maud Gatel, Mme Anne Genetet, Mme Olga Givernet, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, Mme Aina Kuric, M. Jérôme Lambert, Mme Fiona Lazaar, Mme Marion Lenne, Mme Brigitte Liso, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Luc Reitzer, M. François de Rugy, Mme Sira Sylla, Mme Michèle Tabarot, M. Buon Tan, M. Guy Teissier, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse
Excusés. – Mme Aude Amadou, M. Philippe Benassaya, M. Jean-Claude Bouchet, M. Éric Girardin, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire