Intervention de Bérengère Poletti

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti, rapporteure :

Le renforcement des moyens requis pour mieux analyser la Chine est un préalable à la mise en œuvre d'une stratégie exigeante et efficace vis-à-vis de ce pays dont nous ne saurions ignorer la montée en puissance et les défis qu'il soulève.

Comme nous l'avons rappelé, l'Union européenne a adopté une vision stratégique commune en 2019. Toutefois, nous avons constaté à plusieurs reprises que l'unité et la cohérence européennes n'étaient pas toujours acquises face à la Chine. Or, l'unité est une valeur cardinale pour les Chinois, c'est la base de leur stratégie politique, face à eux, au niveau européen, nous sommes l'addition de plusieurs pays souverains qui peuvent renvoyer une image de désunion. La Chine joue sur cette désunion, comme on l'a vu avec le 16/17+1. Ce qui s'est passé avec l'AUKUS démontre de leur point de vue notre très grande désunion, notre très grande fragilité finalement. Il est tellement facile d'avancer ses pions face à une structure qui n'est pas unie, qui ne parle pas d'une seule voix. Nous avons fait des progrès certes, il y a encore quelques années, l'adoption d'une stratégie commune aurait été impensable, ce que nous venons de faire en 2019 était impensable avant. Aucun pays ne s'est fermement opposé à l'adoption de sanctions relatives au Xinjiang au printemps 2021, une première depuis les évènements de la place Tiananmen en 1989, il y a plus de trente ans.

D'autre part, on constate encore des différences de positionnement entre pays mais aussi en interne, en fonction des sensibilités politiques. Des Etats baltes au positionnement traditionnellement atlantiste à la Hongrie qui affiche une certaine complaisance vis-à-vis de la Chine et a par exemple accepté d'accueillir sur son sol le campus européen de l'université Fudan, qui constituerait la première implantation d'une université chinoise en Europe, l'écart peut être important. Les Etats baltes et la Hongrie ont en commun d'ailleurs d'avoir rejoint le 17+1, aujourd'hui 16+1, format de coopération créé sur une initiative de la Chine et réunissant des Etats d'Europe centrale et orientale membres de l'Union européenne ainsi que les Etats des Balkans occidentaux. Ce format, qui a pu être plébiscité par les Etats l'ayant rejoint à ce moment-là, comme voie d'accès aux investissements et aux dirigeants chinois, semble avoir déçu la majorité d'entre eux, constatant que les investissements chinois en Europe restaient en priorité orientés vers l'Europe de l'Ouest. Pour les Etats d'Europe occidentale dont la France, ce format a d'emblée suscité des réserves face aux risques de division soulevés pour l'Europe.

Ainsi, l'unité européenne vis-à-vis de la Chine suppose de surmonter tant des différences intrinsèques que des tentatives de division extérieures. A noter que les différences de sensibilité ne se réduisent pas à une opposition Est/Ouest. Cela peut par exemple jouer au niveau du « couple franco-allemand ». En effet, la situation de l'Allemagne est très différente de la nôtre au plan économique et commercial, l'Allemagne étant, notamment grâce à son industrie automobile, dans une situation d'excédent vis-à-vis de la Chine. Dans le même temps, l'invitation faite par le président de la République à la chancelière Angela Merkel et au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker de s'associer à la visite officielle du président Xi Jinping en mai 2019 a été saluée comme une initiative pro-européenne, de nature à renforcer notre poids face à la Chine.

De façon générale, nous plaidons dans le rapport pour une approche à la fois exigeante et pragmatique de l'unité et de la cohérence européennes. Il ne fait aucun doute que leur renforcement doit être un objectif, mais nous ne devons pas attendre l'unanimité pour agir, nous devons plutôt tout faire pour la susciter. Nous nous situons dans des calendriers où les choses s'accélèrent, où il faut réagir très vite. Pour pouvoir mettre en place une nouvelle politique au niveau de l'Union européenne il faut parfois plusieurs années, jusqu'à six ans, ce qui est énorme à l'échelle du temps contemporain. Ainsi, de petites coalitions peuvent avoir un effet d'entraînement, comme ce fut le cas avec le règlement sur le filtrage des investissements, d'abord porté par la France, l'Allemagne et l'Italie. La France peut avoir un rôle d'entraînement en ce sens en Europe, sans pour autant renoncer à sa relation bilatérale avec la Chine, qui doit permettre d'aborder des sujets qui nous concernent plus directement.

Il existe aussi des pistes à même de renforcer concrètement la cohérence et la solidarité européennes, telles que la mise en place d'une task force européenne transversale au niveau de la Commission européenne ou la création d'un fonds de soutien pour les Etats membres de l'Union européenne victime de mesures de rétorsion, comme la Lituanie en a été l'objet ces derniers mois. Un tel fonds ne concernerait toutefois pas exclusivement la Chine mais tous les pays susceptibles de prendre de telles mesures à l'encontre d'un Etat européen. Le dialogue entre ambassades européennes en Chine doit aussi être mobilisé, afin d'assurer dans la mesure du possible notre coordination.

Enfin, la question de l'unité européenne se pose aussi dans le contexte de forte rivalité sino-américaine, dont Buon Tan a parlé. Dans le contexte géopolitique actuel, si nous voulons apparaître comme une troisième voie sur la scène internationale, nous avons en effet tout intérêt à parler d'une seule voix toutes les fois où cela est possible. Il faut éviter à tout prix le piège de la naïveté, ce qui a été trop souvent le cas durant les 30 dernières années, sans faire de compromis sur la défense de nos intérêts et de nos valeurs et en construisant nos partenariats au prisme de cet objectif. La montée en puissance chinoise a incité les Européens à se « géopolitiser » et nous devons trouver le moyen de le faire sans renoncer à notre identité. Nous vous remercions pour votre attention.

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