Intervention de Buon Tan

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBuon Tan, rapporteur :

J'aimerais commencer mon propos en remerciant ma collègue Bérengère Poletti avec qui j'ai vraiment pris plaisir à mener cette mission d'information.

L'un des principaux enseignements que nous avons tirés de nos travaux sur la stratégie de la France et de l'Union européenne avec la Chine, menés pendant près d'un an, est que malgré la présence croissante de la Chine sur la scène internationale, notre connaissance de ce pays reste souvent limitée. Or, nous pensons que la connaissance mutuelle est indispensable dans toute bonne relation bilatérale est que cela vaut d'autant plus avec un pays très différent du nôtre comme la Chine. C'est pourquoi nous avons construit nos travaux et notre rapport selon deux axes : un état des lieux de la Chine contemporaine au prisme de sa montée en puissance dans le monde, en préalable d'une analyse de nos relations bilatérales au niveau national et au niveau européen et des marges de progression que nous connaissons pour mieux défendre nos intérêts. Cela nous a permis de formuler 48 recommandations, classées par thèmes.

Je vais tout d'abord revenir sur le premier axe. Si la Chine a connu à partir de 1978 une phase d'ouverture économique, marquée par une croissance annuelle moyenne de 10 %, cette phase a d'abord nourri son développement intérieur. Aujourd'hui, et d'une façon de plus en plus affichée depuis l'arrivée au pouvoir du président Xi en 2013, la montée de la Chine s'accompagne d'une présence accrue sur la scène internationale. Ces dernières années, de nombreux objectifs ont été fixés – et en général atteints – pour promouvoir un « développement de qualité », associant la croissance à d'autres objectifs tels que la lutte contre les inégalités ou l'éradication de la grande pauvreté, objectif que la Chine a annoncé avoir atteint en 2020.

L'objectif affiché des autorités est de faire de la Chine la première puissance mondiale d'ici 2049 et cela doit être remis dans le contexte de ce que le PCC qualifie de « grande renaissance de la nation chinoise », en référence au siècle d'humiliation et aux « traités inégaux » imposés au 19e et 20e siècle par les puissances occidentales. Pour atteindre cet objectif, les autorités mobilisent des outils caractéristiques du système politique et économique chinois, tels que la planification, sur le court comme sur le long terme, outils associés à une projection croissante de la Chine hors de ses frontières. Soulignons également l'omniprésence du Parti communiste chinois, qui par son maillage participe à la cohérence, et à l'efficacité des politiques mises en œuvre.

En matière de politique étrangère, le répertoire dont dispose la Chine est très large. Le budget de défense chinois connaît une tendance à la hausse (près de 7 % en 2021) et la Chine a ravi à l'Inde en 2019 la deuxième place mondiale derrière les États-Unis, l'écart entre les deux puissances restant considérable à ce stade (163 milliards de dollars pour l'un, 750 pour l'autre). Depuis 2019, la Chine détient toutefois la plus importante flotte maritime mondiale, devant les États-Unis. Les modes d'action chinois passent aussi par la diplomatie d'influence, illustrée par les 500 Instituts Confucius dans le monde, dont 17 en France, ou encore le développement du média extérieur chinois CGTN.

La Chine est également présente de façon croissante dans les organisations internationales. En plus de son siège au Conseil de sécurité de l'ONU, elle est devenue le deuxième contributeur au budget des opérations de maintien de la paix et se montre particulièrement impliquée dans les organisations internationales à vocation normative comme l'UIT (Union internationale des télécommunications) ou l'ONUDI (Organisation des Nations unies pour le développement industriel). De façon générale, la Chine mène parallèlement des investissements massifs dans l'innovation et une stratégie d'influence sur la définition des normes internationales, sujet sur lequel la France et l'Union européenne devraient se doter d'une vision stratégique qui nous fait défaut aujourd'hui. Elle développe aussi ses propres instances régionales et internationales, qui concourent au soutien de sa stratégie. Citons à titre d'exemples la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII) ou la New Development Bank, créée conjointement avec les BRICS mais dont la Chine est le premier actionnaire.

Ainsi, la Chine apparaît aujourd'hui comme un acteur incontournable sur de nombreux sujets. L'exemple de la lutte contre le réchauffement climatique est souvent cité, de même que le financement du développement, en lien avec le lancement des Nouvelles routes de la soie en 2013. Il s'agit d'un projet protéiforme, qui a connu des évolutions dans le temps et auquel l'Union européenne cherche aujourd'hui à apporter une réponse avec le projet « Global Gateway ».

La montée en puissance chinoise s'inscrit aussi dans un contexte géopolitique mouvant, où l'Asie occupe une place centrale, ce que le « pivot » vers l'Asie de l'administration Obama a souligné dès 2011. L'indopacifique est devenue une zone dont l'importance stratégique et économique est devenue incontournable, tout particulièrement pour la France qui, au travers de ses sept régions, départements et collectivités d'outre-mer, y compte 1 650 000 ressortissants et 93 % de sa Zone Économique Exclusive.

Cette importance a été de nouveau soulignée avec l'entrée en vigueur au 1er janvier 2022 du RCEP, accord de libre-échange régional qui couvre plus de 30 % du PIB mondial et qui pourrait générer un surplus d'échanges de près de 165 milliards de dollars d'ici 2030 pour les seuls pays signataires.

La Chine se situe ainsi au cœur de cette dynamique géopolitique, marquée par des tensions dans les mers de Chine orientale et méridionale et autour de Taïwan, dont le statut constitue une ligne rouge pour Pékin. Dans ce contexte, la France s'attache à promouvoir le droit international maritime et la liberté de navigation en projetant des moyens militaires. Si cela a déjà donné lieu à des protestations de la Chine, il ne s'agit en aucun cas d'une posture agressive ni d'une préparation à un affrontement.

Face à l'importance accrue de l'Asie dans les équilibres géopolitiques mondiaux, il nous semble ainsi important tant au plan national qu'au plan européen de renforcer nos liens politiques et économiques avec les pays de la région, notamment au niveau de l'ASEAN.

L'indopacifique et Taïwan sont aussi au cœur d'une autre donnée géopolitique structurante que nous ne pouvons pas ignorer : l'exacerbation de la rivalité sino-américaine et la conclusion du pacte AUKUS, qui n'a pas été sans effet sur la relation transatlantique. Si l'Union européenne n'a rien à gagner à s'embarquer dans un conflit qui n'est pas le sien, nous devons toutefois tenir compte de cette forte rivalité dans le calibrage de notre relation avec la Chine comme avec les États-Unis et œuvrer pour ne pas être simplement au « menu » de cette rivalité. Je cède la parole à ma collègue Bérengère Poletti qui va revenir sur les éléments structurants de nos relations bilatérales et sur la dynamique dans lesquelles elles sont engagées aujourd'hui.

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