Intervention de Anne Genetet

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne Genetet, rapporteure :

Les conventions d'entraide pénale sont des accords assez classiques par lesquels deux pays s'engagent à s'entraider dans la conduite d'enquêtes judiciaires lorsque des éléments de preuve se trouvent dans l'autre pays. Cette entraide peut inclure la localisation de personnes, la perquisition, la saisie ou la communication de documents officiels.

Il ne faut pas confondre les accords d'entraide judiciaire avec les accords d'extradition qui concernent la remise de personnes poursuivies ou condamnées. Les accords d'extradition présentent des risques bien plus immédiats pour le droit des personnes.

La France a déjà signé des accords d'entraide pénale avec de nombreux pays en Asie dont le Laos, la Corée du sud, la Thaïlande ou le Vietnam. Le contenu de ces accords est, dans l'ensemble, assez standardisé.

Cette convention présente une spécificité : elle a vocation à nous lier avec un pays, Singapour, dont le système juridique est très différent du nôtre, puisqu'il découle de la common law alors que nous sommes gouvernés par le droit civil. De ce fait, la procédure pénale est plus longue et complexe à Singapour, au stade de l'enquête judiciaire.

D'autre part, Singapour est l'un de nos principaux partenaires dans l'espace Indopacifique. Nous avons tissé des liens étroits. La communauté française de Singapour, à laquelle j'appartiens, est la plus importante de l'Indopacifique regroupée dans un même espace urbain. Nous sommes officiellement 14 000 mais sans doute beaucoup plus en réalité – 20 000 ou 25 000. À titre de comparaison, environ 25 000 Français sont répartis dans toute la Chine et autant le sont en Australie. Cela explique en partie le dynamisme de la relation bilatérale.

Nous avons conclu avec Singapour des accords dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse de la défense, de la fiscalité ou de la culture mais nous ne sommes liés par aucune convention en matière pénale.

Même en l'absence de convention, nos deux pays s'entraident déjà sur le fondement de la réciprocité et de la courtoisie internationale. La France a saisi Singapour de 103 demandes d'entraide pénale depuis 2010. La plupart de ces demandes concernent des affaires de délinquance économique et financière. N'allez pas en conclure que Singapour est gangrenée par la délinquance financière ! La communauté française ne se résume pas à des délinquants financiers. Je signale au passage que le lycée français de Singapour accueille près de 3 000 élèves et a vocation à se développer encore davantage pour recevoir 4 000 élèves. C'est dire la bonne santé de notre relation !

L'entraide avec Singapour a récemment permis de saisir plus de 10 millions de dollars provenant de l'activité d'un réseau organisé spécialisé dans l'escroquerie aux quotas carbone.

La France souhaite encadrer plus sûrement l'entraide pénale avec Singapour pour deux raisons. Tout d'abord, les demandes adressées par la France à Singapour ont augmenté depuis sept ou huit ans et Singapour se montre beaucoup plus coopérant. Ensuite, ces demandes d'entraide se heurtent à des difficultés d'exécution qui ne sont pas liées au manque de bonne volonté des autorités singapouriennes mais à la complexité de la procédure pénale de ce pays, qui oblige les praticiens français à formuler de nombreuses demandes complémentaires.

Voici un extrait de l'étude d'impact qui traite du cas des perquisitions : « Une perquisition est très difficile à obtenir et implique de motiver très précisément la demande, avec un exposé des faits très complet, des éléments sur la nécessité de la perquisition pour l'enquête française, l'indication du lieu à perquisitionner et les éléments de preuve qui y seront présents. Toute demande nécessite également de nombreux certificats signés par diverses autorités visant à justifier que l'auteur de la demande a qualité pour faire la demande ou que la demande est liée à une affaire pénale. »

Sur les 103 demandes judiciaires que nous avons présentées à Singapour depuis 2010, plus de la moitié sont toujours en cours d'exécution.

La convention n'a pas seulement pour objet de lever ces difficultés d'exécution, elle a aussi un intérêt politique. Pour Singapour, la convention présente en réalité un faible intérêt opérationnel puisque, depuis 2010, Singapour n'a saisi la France que de trois demandes d'entraide.

En revanche, pour Singapour, la dimension politique de cet accord est importante puisque la France serait le premier pays de droit civil avec lequel Singapour conclurait une convention d'entraide pénale. Elle n'en avait conclu jusqu'à présent qu'avec des pays de la common law, ce qui témoigne de la proximité entre nos deux pays.

Alors que nos systèmes juridiques sont différents et que nous aurions pu nous attendre à de longues discussions avant de parvenir à une rédaction commune, il n'aura fallu que trois tours de négociation pour conclure cette convention.

Nous devons ce résultat à la grande compétence des négociateurs français du bureau de la négociation pénale européenne et internationale du ministère de la justice, ainsi qu'à celle des négociateurs singapouriens.

Que devons-nous attendre de cette nouvelle convention ? L'enjeu est clair : mieux réprimer toutes les infractions pénales pour faire reculer l'impunité.

Certes, il s'agira de s'attaquer plus fermement à la délinquance économique et financière mais cette convention a vocation à s'appliquer à tous les crimes et délits, y compris les homicides ou la pédophilie. Les faits de visionnage de vidéos pédopornographiques, où l'on peut assister au viol d'enfants d'Asie du sud-est, ont explosé durant le confinement. On en déplore des dizaines de milliers chaque année. Les personnels du bureau du ministère de l'intérieur chargé des enquêtes manquent cruellement de moyens contrairement à leurs homologues allemands ou britanniques.

Cette convention élargit le champ de l'entraide. Nos deux pays s'engagent, à l'article 1er, à s'accorder l'entraide judiciaire la plus large possible. L'extradition est exclue du dispositif. Les autorités singapouriennes ont indiqué vouloir procéder par étape, en commençant par l'entraide judiciaire qui pose moins de questions au regard du droit des personnes.

La convention prévoit également une série de motifs qui permettent de refuser l'entraide. Ce sera ainsi le cas lorsque la demande concernera une infraction de nature politique. Ces clauses sont classiques mais indispensables pour rester fidèles à notre conception de l'État de droit et des droits humains.

Tous les motifs de refus ne sont toutefois pas justifiés et il convenait également d'écarter ceux qui pouvaient limiter indûment la portée de la convention. Il est ainsi prévu qu'aucune partie ne peut invoquer la nature fiscale d'une infraction ou l'obstacle du secret bancaire pour refuser une demande d'entraide.

D'autre part, la convention permettra de fluidifier les interactions. Les autorités compétentes sont ainsi clairement identifiées. Au passage, nous ne disposons pas de magistrat de liaison à Singapour. Pour créer ce poste, il faudrait prévoir les crédits nécessaires dans le budget du ministère de la justice.

L'article 4 dresse la liste de tous les documents qu'il faudra produire à l'appui d'une demande d'entraide. La longueur de cette liste reflète la complexité de la procédure pénale singapourienne mais elle est simplifiée par rapport à ce que demande habituellement Singapour. Surtout, elle est exhaustive, ce qui évitera aux praticiens français de devoir présenter de trop nombreuses demandes complémentaires qui ralentissent le processus.

La convention prévoit également des standards partagés pour chaque type de demande d'entraide : localisation d'une personne, comparution, perquisition ou confiscation des produits d'une infraction. Ces référentiels communs sont évidemment très utiles pour les praticiens.

Enfin, cette convention intègre les règles les plus modernes en matière d'entraide. Elle ouvre ainsi la possibilité d'auditionner des témoins ou des experts par visioconférence lorsque la comparution en personne est compliquée. Elle sanctuarise également le socle de protection des données personnelles tel qu'il s'impose à nous dans le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Notons que Singapour réfléchit à la rédaction d'un règlement qui s'inspire de notre RGPD, ce qui témoigne de l'influence mondiale de cette norme.

Cette convention est la première à être signée par visioconférence, signe que la pandémie ne doit pas entraver la coopération.

Je vous invite à présent à autoriser la ratification de cette convention que Singapour attend avant d'engager la sienne, selon une procédure beaucoup plus simple. Nous pourrons ainsi avancer plus rapidement sur la conclusion d'une convention d'extradition dont les discussions ont déjà commencé.

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