Monsieur le ministre, sauf événement d'une gravité exceptionnelle, la réunion de ce jour sera votre dernière audition de la législature par la commission des affaires étrangères. Vous êtes venu devant nous à trente reprises depuis 2017, sans compter les trois réunions que vous avez tenues avec les membres du bureau et les coordonnateurs des groupes, toutes très positives. Nous saluons votre disponibilité exemplaire à l'égard de la représentation nationale et vous en remercions, de même que les membres de votre cabinet, qui ont toujours prêté la plus grande attention aux sollicitations des parlementaires et du secrétariat de la commission. J'inclus dans ces remerciements les fonctionnaires de votre administration, notamment les ambassadeurs, qui ont toujours fait preuve d'une grande disponibilité à notre égard et se sont montrés très accueillants lorsque nous avons été amenés à effectuer des déplacements.
Compte tenu de l'actualité, nous sommes convenus de restreindre votre présentation à deux sujets : la situation à la frontière ukrainienne, la conduite à tenir face à la Russie, à la Biélorussie et à l'Ukraine, et le rôle de l'OTAN et de l'Union européenne (UE) ; la situation au Sahel et la conduite à tenir face au gouvernement, putschiste et très inamical, du Mali, et à celui, putschiste et très incertain, du Burkina Faso. Bien entendu, nos collègues seront libres d'aborder d'autres questions de relations internationales.
L'affaire ukrainienne a un arrière-plan assez structuré. Le 13 juillet dernier, le président Poutine a prononcé un discours sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens, proclamant l'indivisibilité fondamentale de ces peuples, ainsi qu'avec le peuple biélorusse, ce qui indiquait la direction géopolitique qu'il comptait prendre. Le 18 novembre, il a renouvelé les griefs qu'il avait exprimés à cette occasion, affirmant qu'il sentait la Russie victime d'un complot menaçant sa sécurité et, plus subtilement, à séparer, par des manœuvres de toutes sortes – par exemple, le recours aux élections démocratiques –, l'Ukraine de la Russie. Or la partition entre l'Ukraine et la Russie découle bien d'une décision prise par les peuples de l'Union soviétique, à laquelle nous n'avons pris aucune part. Le 17 décembre, le président Poutine a proposé deux traités, dont l'objet, que je résume de façon un peu polémique mais pas infidèle à la vérité, était de permettre à la Russie d'exercer une tutelle sur le format de l'OTAN ainsi que sur les dispositions militaires que celle-ci met en œuvre.
Ensuite, il est passé à une action bien plus démonstrative, par la mobilisation à la frontière ukrainienne de troupes importantes, comptant plus de 150 000 soldats. Ces troupes venues de partout, notamment de la partie asiatique du pays, lui donnent des moyens d'intervention très importants, ce qui laisse penser que, si une intervention militaire devait avoir lieu – je ne dis pas qu'elle aura lieu –, elle pourrait être massive.
Monsieur le ministre, quelle est votre analyse des objectifs visés par M. Poutine ? Nous vous interrogeons sur la nature des risques que nous ferait courir un conflit – s'il devait s'agir d'une guerre, à quoi ressemblerait-elle ? Nous voulons savoir quels efforts sont déployés par la France et le Président de la République française, par les responsables de l'UE, par nos collègues allemands, par les responsables de l'Alliance Atlantique et par le président Biden : comment se construit la réponse à la démarche, que l'on peut qualifier de révisionniste au sens diplomatique du terme, du président Poutine ? Nous vous interrogeons sur la probabilité, la possibilité ou l'invraisemblance du risque de conflit, à court et à moyen terme.
Vous ne pouvez sans doute pas répondre à toutes ces questions, mais l'on ne peut éviter de les poser. La situation est très grave, peut-être la plus grave depuis la crise de Cuba, selon moi. Certes, nous ne sommes pas en guerre et la paix a ses chances. Chacun fait ce qu'il peut pour éviter un conflit ouvert, mais nous ne pouvons rien exclure.