La séance est ouverte à 17 h 30
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le ministre, sauf événement d'une gravité exceptionnelle, la réunion de ce jour sera votre dernière audition de la législature par la commission des affaires étrangères. Vous êtes venu devant nous à trente reprises depuis 2017, sans compter les trois réunions que vous avez tenues avec les membres du bureau et les coordonnateurs des groupes, toutes très positives. Nous saluons votre disponibilité exemplaire à l'égard de la représentation nationale et vous en remercions, de même que les membres de votre cabinet, qui ont toujours prêté la plus grande attention aux sollicitations des parlementaires et du secrétariat de la commission. J'inclus dans ces remerciements les fonctionnaires de votre administration, notamment les ambassadeurs, qui ont toujours fait preuve d'une grande disponibilité à notre égard et se sont montrés très accueillants lorsque nous avons été amenés à effectuer des déplacements.
Compte tenu de l'actualité, nous sommes convenus de restreindre votre présentation à deux sujets : la situation à la frontière ukrainienne, la conduite à tenir face à la Russie, à la Biélorussie et à l'Ukraine, et le rôle de l'OTAN et de l'Union européenne (UE) ; la situation au Sahel et la conduite à tenir face au gouvernement, putschiste et très inamical, du Mali, et à celui, putschiste et très incertain, du Burkina Faso. Bien entendu, nos collègues seront libres d'aborder d'autres questions de relations internationales.
L'affaire ukrainienne a un arrière-plan assez structuré. Le 13 juillet dernier, le président Poutine a prononcé un discours sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens, proclamant l'indivisibilité fondamentale de ces peuples, ainsi qu'avec le peuple biélorusse, ce qui indiquait la direction géopolitique qu'il comptait prendre. Le 18 novembre, il a renouvelé les griefs qu'il avait exprimés à cette occasion, affirmant qu'il sentait la Russie victime d'un complot menaçant sa sécurité et, plus subtilement, à séparer, par des manœuvres de toutes sortes – par exemple, le recours aux élections démocratiques –, l'Ukraine de la Russie. Or la partition entre l'Ukraine et la Russie découle bien d'une décision prise par les peuples de l'Union soviétique, à laquelle nous n'avons pris aucune part. Le 17 décembre, le président Poutine a proposé deux traités, dont l'objet, que je résume de façon un peu polémique mais pas infidèle à la vérité, était de permettre à la Russie d'exercer une tutelle sur le format de l'OTAN ainsi que sur les dispositions militaires que celle-ci met en œuvre.
Ensuite, il est passé à une action bien plus démonstrative, par la mobilisation à la frontière ukrainienne de troupes importantes, comptant plus de 150 000 soldats. Ces troupes venues de partout, notamment de la partie asiatique du pays, lui donnent des moyens d'intervention très importants, ce qui laisse penser que, si une intervention militaire devait avoir lieu – je ne dis pas qu'elle aura lieu –, elle pourrait être massive.
Monsieur le ministre, quelle est votre analyse des objectifs visés par M. Poutine ? Nous vous interrogeons sur la nature des risques que nous ferait courir un conflit – s'il devait s'agir d'une guerre, à quoi ressemblerait-elle ? Nous voulons savoir quels efforts sont déployés par la France et le Président de la République française, par les responsables de l'UE, par nos collègues allemands, par les responsables de l'Alliance Atlantique et par le président Biden : comment se construit la réponse à la démarche, que l'on peut qualifier de révisionniste au sens diplomatique du terme, du président Poutine ? Nous vous interrogeons sur la probabilité, la possibilité ou l'invraisemblance du risque de conflit, à court et à moyen terme.
Vous ne pouvez sans doute pas répondre à toutes ces questions, mais l'on ne peut éviter de les poser. La situation est très grave, peut-être la plus grave depuis la crise de Cuba, selon moi. Certes, nous ne sommes pas en guerre et la paix a ses chances. Chacun fait ce qu'il peut pour éviter un conflit ouvert, mais nous ne pouvons rien exclure.
Je suis un peu ému : il s'agit de ma dernière audition par votre commission. Député pendant vingt-cinq ans et ministre pendant dix, j'ai derrière moi trente-cinq ans d'hémicycle ! Cela commence à être une histoire !
Au cours des cinq dernières années, je me suis efforcé d'être à votre écoute et de répondre le mieux possible à vos interrogations, en fonction des informations que je pouvais livrer. Je conçois que les députés aient une préférence pour les auditions ouvertes à la presse, mais cela m'interdit de tout dire. Lorsque cela était nécessaire, je réservais les informations à un cercle plus restreint, où toutes les sensibilités politiques étaient représentées.
Avant d'en venir aux deux sujets retenus pour nos débats, j'aimerais mentionner, en fond de tableau, quelques événements importants. Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), la conférence de Brest sur les océans a été un moment très fort, au cours duquel une dynamique s'est créée. Mercredi dernier, une réunion conjointe des ministres des affaires étrangères et des ministres de la santé des Vingt-sept s'est tenue à Lyon, en présence de M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s'agissait d'une première. Nous avons bien travaillé ensemble. Par ailleurs, nous avons des rendez-vous dans les jours à venir : le sommet Union européenne-Union africaine, qui se tiendra à Bruxelles jeudi et vendredi prochains, et le forum ministériel pour la coopération dans l'Indopacifique, qui se déroulera le mardi suivant et qui constitue un rendez-vous important de la PFUE.
Venons-en aux grands sujets de tensions du moment.
Nous vivons une période de grande tension dans notre voisinage oriental. Des capacités militaires sont regroupées aux frontières est de l'Ukraine. Des manœuvres russes et biélorusses se déroulent en ce moment même au Belarus. Des manœuvres navales se poursuivent en mer Noire. La Russie vient de commencer l'exercice de sa triade nucléaire, auquel elle se livre régulièrement.
C'est en raison de ce contexte que le Président de la République a fait un déplacement, la semaine dernière, qui nous a menés à Moscou, à Kiev et à Berlin. Nous avons eu des échanges approfondis avec les présidents Poutine et Zelensky, qui se sont poursuivis samedi par des discussions téléphoniques. Cette séquence a aussi comporté une rencontre de coordination du Triangle de Weimar, à l'invitation du chancelier Scholz et en présence du président Duda. L'Allemagne, dont le chancelier revenait de Washington, assure la présidence du G7 ; la Pologne assure celle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et le président en avait présenté la veille, à Vienne, ses priorités. Ce rendez-vous de coordination était utile et nécessaire. Par ailleurs, le chancelier allemand s'est rendu à Kiev hier et se trouve à Moscou aujourd'hui, pour poursuivre les efforts de désescalade que nous avons engagés.
J'aimerais rappeler les trois piliers sur lesquels se fondent nos efforts diplomatiques.
Premier pilier : l'unité. Le Président de la République l'a dit sans détour au président Poutine, les Européens, avec leurs alliés et partenaires, notamment les États-Unis, sont unis autour d'une demande claire du respect des grands principes qui fondent l'ordre de sécurité européen. Ces principes, issus de l'Acte final de la conférence d'Helsinki de 1975, signé alors par l'URSS, et de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, signée en 1990, sont le socle non négociable de toute démarche de sécurité et de stabilité en Europe. Le Président de la République a rappelé à Moscou que ce n'est pas par l'OTAN qu'ils ont été remis en cause depuis deux décennies.
S'agissant de notre politique à l'égard de la Russie, notamment du dialogue avec ce pays, nous devons maintenir une approche convergente, faite de fermeté, de solidarité et de coordination dans tout ce que nous entreprenons. C'est ce qui fait notre force et c'est une priorité de la PFUE. C'est pourquoi le Président de la République et moi-même avons eu de très nombreux échanges avec nos alliés et nos partenaires, avant et après la séquence de la semaine dernière, et après les divers entretiens, téléphoniques et en présence, que nous avons eus au cours de cette période. J'en ai moi-même eu à Bucarest, la semaine dernière, avec les pays du B9, qui regroupe les États membres de l'UE les plus récents. J'ai des relations très régulières avec mes homologues, notamment le secrétaire d'État américain, avec lequel je m'entretiendrai par téléphone à l'issue de cette réunion.
Cette coordination très étroite, à chaque étape, assure la transparence des échanges entre ministres des affaires étrangères ainsi qu'entre chefs d'État et de gouvernement. Elle est tout à fait essentielle et doit être poursuivie. Elle permet l'unité. Vendredi soir, à Brest, à l'issue du sommet sur les océans, une visioconférence a réuni le président Macron et le président Biden ainsi que plusieurs chefs d'État européens. Je me suis entretenu dimanche avec mon homologue allemande avant le départ du chancelier à Kiev. Il faut avoir conscience que tout cela se passe en permanence, pour éviter des initiatives autonomes et assurer la cohérence ainsi que la coordination de notre démarche.
Deuxième pilier : la fermeté. La semaine dernière, nos efforts ont porté principalement sur la recherche de gestes de désescalade. Si nous insistons sur la nécessité de cette dernière, pour éviter tout conflit, nous n'oublions pas que nous devons rester prêts à toutes les éventualités, notamment à réagir très fermement à toute nouvelle atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous le ferions, si d'aventure cela devait arriver, par l'adoption de sanctions massives, qui porteraient un coup sévère à la Russie. Nous nous préparons aussi à envisager les conséquences d'un conflit et de sanctions qui auraient des effets pour nous-mêmes. C'est le sens des travaux engagés par les institutions européennes, en lien avec les États membres, pour renforcer notre résilience, notamment dans les domaines énergétique et migratoire. Nous poursuivons nos échanges à ce sujet, si malheureusement nous étions obligés de recourir à ce type d'intervention.
La fermeté, c'est d'abord un élément de crédibilité et de dissuasion qui contribue à la désescalade – à cet égard, je vous renvoie à la dernière déclaration du Triangle de Weimar, que nous avons rendue publique mercredi soir. C'est aussi affirmer notre pleine solidarité avec l'Ukraine. À Kiev, le Président de la République a annoncé la signature de plusieurs accords destinés à envoyer un message de confiance dans la situation de l'Ukraine, à laquelle 1,2 milliard d'euros de garanties seront apportés, en complément des financements européens, d'un montant identique, annoncés par Mme von der Leyen.
La fermeté s'exprime également dans notre pleine implication dans la posture de dissuasion et de défense de l'OTAN, comme je l'ai confirmé en Roumanie il y a deux semaines, en faisant état de notre disposition à être nation-cadre de l'OTAN, si elle le décide, sur le territoire roumain, conformément à notre logique d'engagement auprès des pays les plus fragiles de l'Alliance. C'est aussi prendre acte du fait que la remise en cause des équilibres stratégiques en Europe ne pourrait rester sans conséquence sur les engagements pris à l'égard de la Russie dans un contexte différent. L'accord entre la Russie et l'OTAN conclu en 1997, qui comporte des dispositions militaires, deviendrait inévitablement caduc en cas d'intervention.
Troisième pilier : le dialogue. Sans un dialogue exigeant avec la Russie, nous ne trouverons pas le chemin de la désescalade nécessaire aujourd'hui, ni celui de la stabilité et de la sécurité dont nous avons besoin dans la durée. Les échanges qui ont eu lieu jusqu'à présent, dans le cadre du déplacement du Président de la République et après, n'avaient qu'un seul objectif : enrayer la dynamique de l'escalade. De ce point de vue, j'ai pris bonne note des prises de position russes adoptées dans les dernières heures. Mon homologue Lavrov, dans le cadre d'un entretien un peu mis en scène, a fait état de sa volonté de poursuivre une discussion diplomatique. Le ministre de la défense Choïgou a fait part du retrait de certaines unités militaires. Les paroles sont intéressantes, mais les actes sont meilleurs. Nous observerons avec vigilance ceux qui suivront ces déclarations, ainsi que la traduction concrète de ce déclaratif nouveau.
L'enraiement de l'escalade passe aussi par des discussions substantielles au format Normandie, dont la nécessité de la relance est un constat partagé. Il l'est par Moscou. En dépit des différends significatifs que la discussion entre le Président de la République et le président russe a mis en lumière, ce dernier s'est montré prêt à faire en sorte que ce travail se poursuive. Il va de soi qu'aucun dialogue sincère ne peut être mené si l'escalade se poursuit. Pour autant, nous ne nous attendions pas à ce que les Russes engagent subitement des gestes clairs de désescalade ou de démobilisation des unités militaires. Nous savions tous que quelques heures de discussions ne suffiraient pas, et que les efforts devraient être poursuivis. Ce constat est aussi partagé par Kiev, ainsi que par nos partenaires allemands et polonais, comme le rappelle la déclaration de Weimar. Le président Zelensky et les autorités ukrainiennes ont adopté une position de retenue remarquable, insistant sur l'importance de nos entretiens et sur la nécessité de ne pas envoyer des signaux d'alarme excessifs, qui tendent à affaiblir l'économie et les autorités ukrainiennes.
La désescalade amorcée dans le cadre du format Normandie doit permettre la mise en œuvre des accords de Minsk, car il y a un format pour mener la négociation sur les questions ukrainiennes – le format Normandie – et un dispositif de fond – les accords de Minsk. À présent, il faut progresser dans leur mise en application sur les sujets qui sont sur la table – l'humanitaire, le sécuritaire et le politique. Deux réunions des conseillers diplomatiques des chefs d'État concernés ont eu lieu récemment, l'une à Paris, il y a deux semaines, et l'autre à Berlin, jeudi dernier. Elles n'ont pas permis de faire aboutir ces discussions très difficiles, mais les conseillers diplomatiques ont dit que la discussion doit se poursuivre. Ils ont notamment réaffirmé la nécessité de progresser pour obtenir le respect du cessez-le-feu, qui a été rompu un temps avant d'être de nouveau respecté – jusqu'à l'heure.
Sur le plan politique, le président Zelensky a fait un geste important en retirant de l'ordre du jour de la Rada, le Parlement ukrainien, le projet de loi sur la transition au Donbass. Il s'agissait d'un point de blocage lourd avec la Russie, car le texte ne correspondait pas aux engagements de Minsk.
Par ailleurs, nous avons pris connaissance avec une forte inquiétude du vote par la Douma, qui certes n'engage pas les autorités russes ni le président Poutine, d'une résolution appelant à reconnaître les régions du Donbass, qui appartiennent au territoire ukrainien, comme des États indépendants et souverains. Une telle reconnaissance par les autorités russes rendrait nuls et non avenus les accords de Minsk, ce qui nous renverrait au point de départ et à des difficultés majeures. Cette résolution est un peu préoccupante, même si le président Poutine, qui a abordé ce point avec le président Macron, ne l'a pas reprise à son compte.
Après la recherche de la désescalade et l'engagement du processus de Normandie, le troisième point de notre stratégie est d'essayer d'apporter des solutions concrètes aux différends structurels profonds avec la Russie qui pèsent sur la stabilité de l'Europe. À cet égard, l'OTAN et les États-Unis ont récemment présenté des propositions en réponse aux demandes que la Russie leur avait adressées en décembre, et ce afin d'apporter des garanties de sécurité tant à cette dernière qu'aux alliés de l'OTAN et de l'Union européenne.
Je le redis, les principes qui fondent l'ordre de sécurité européen et qui structurent la stabilité en Europe ne sont pas négociables, que ce soit la souveraineté, l'inviolabilité des frontières, l'interdiction du recours à la force pour modifier les frontières, ou la liberté de choisir ses alliances et d'appartenir à une organisation internationale. Nous avons toujours été clairs, on ne transige pas sur ces principes.
Dans ce cadre, nous cherchons à obtenir des garanties de sécurité sur ce qui constitue des motifs d'inquiétude légitimes. Le Président de la République a ainsi évoqué la situation en Biélorussie, en particulier les déploiements militaires russes qui y sont opérés ainsi que le projet de réforme constitutionnelle remettant en cause les objectifs de neutralité et de non-déploiement d'armes nucléaires dans le pays. Sur ces deux points, le président Poutine s'est montré rassurant mais nous resterons vigilants, comme nous le sommes après les récentes déclarations de mon homologue et de son collègue chargé de la défense.
Sur plusieurs garanties de sécurité exigées par les Russes et qui, contrairement à ce qu'ils affirment, ne sont pas secondaires, les États-Unis et l'OTAN ont ouvert la porte à des discussions substantielles. Il s'agit de la limitation des déploiements militaires en Ukraine ; la transparence de la défense antimissile de l'OTAN ; la maîtrise des armements conventionnels et la transparence des exercices et des déploiements ; l'avenir des restrictions prévues par l'ancien traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Sur ces enjeux lourds, les discussions sont possibles puisque la Russie et les Européens, qui continuent à coordonner leur position, en partagent la nécessité. Nous verrons ce qu'il ressort des entretiens que le chancelier allemand a eus aujourd'hui. Nous attendons, sur les sujets que je viens d'évoquer, un calendrier et, sur la première demande que les Russes avaient faite, une réponse aux propositions émises par les Américains et par l'OTAN.
Pour conclure sur l'Ukraine, nous avons pris des mesures à l'égard de la communauté française qui est peu nombreuse – environ un millier de personnes dont une part significative de binationaux. Nous avons durci les conseils aux voyageurs afin de dissuader nos compatriotes de se rendre en Ukraine. Nous avons aidé les familles de nos agents à revenir en France si elles le jugeaient utile. Nous avons fermé le lycée et les écoles. Nous sommes en lien permanent avec notre ambassade et nous avons dépêché à Kiev plusieurs éléments du centre de crise et de soutien pour assurer la bonne coordination. Toutefois, nous n'avons pas jugé opportun de déplacer notre ambassade. À l'heure où je vous parle, nous considérons que nos mesures sont adaptées à la situation. Certains pays ont fait d'autres choix.
S'agissant du Mali et de notre engagement au Sahel, je voudrais rappeler certains faits pour dissiper les malentendus qui s'invitent encore parfois dans le débat public.
Les provocations auxquelles s'est livrée la junte malienne au cours des dernières semaines ne sont pas les épisodes d'une crise franco-malienne mais les symptômes de la fuite en avant d'un régime, qui, parce qu'il cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix, en est venu à s'isoler de ses partenaires sahéliens, africains, européens et internationaux.
Avant de demander le départ de notre ambassadeur, la junte avait expulsé le représentant de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui rassemble quatorze États. Elle avait également exigé le retrait du contingent danois de la task force Takuba pour des motifs infondés et entravé les activités dans le centre du Mali de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), en violation du mandat donnée à celle-ci par le Conseil de sécurité.
J'y insiste, la crise actuelle n'est pas une crise franco-malienne mais une crise entre, d'une part, une junte arrivée au pouvoir à l'issue d'un double coup d'État, et d'autre part, l'ensemble des pays qui, depuis des années, soutiennent le combat du Mali et des Maliens contre la menace terroriste, parfois au prix du sang – c'est le cas de la France qui y a perdu cinquante-trois soldats, ce que personne ne doit oublier.
Cette fuite en avant et, finalement, cet enfermement, sont les symptômes d'une dérive politique qui menace de ramener le Mali aux années sombres de la dictature de Moussa Traoré, renversé en 1991, et dont certaines figures de la junte se revendiquent ouvertement. La dérive vers la dictature est manifeste lorsque des opposants sont jetés en prison dans l'arbitraire le plus complet et désignés par le régime comme les ennemis de l'intérieur ; lorsque la presse malienne et internationale reçoit des consignes, pour ne pas dire des instructions, de la junte sur la ligne à suivre ; lorsque la junte, au mépris de ses propres engagements, se refuse à organiser des élections avant cinq ans, après deux années d'exercice du pouvoir, ce qui revient à s'arroger un mandat de sept ans sans aucune légitimité. La CEDEAO n'a pas manqué de dénoncer cette prise en otage du peuple malien pour cinq ans en adoptant des sanctions économiques et financières à l'encontre de la junte. L'Union africaine a approuvé les orientations et l'action de la CEDEAO et l'Union européenne lui a apporté son soutien unanime et déterminé en prenant des sanctions individuelles.
Après celle du cadre politique, la rupture du cadre opérationnel de la lutte contre le terrorisme est l'autre symptôme de la remise en cause de la transition malienne. Elle se matérialise par les entraves à l'action de la MINUSMA que j'ai déjà évoquées et par le recours aux mercenaires de la société russe Wagner qui sont déployés de manière significative sur le terrain. Ces deux ruptures sont liées : c'est bien parce que la junte cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix qu'elle fait appel à des mercenaires destinés avant toute chose à lui servir de garde prétorienne et d'assurance vie. Ce « service » est payant et pèse inévitablement sur les ressources financières, déjà limitées, du Mali ainsi que sur l'exploitation par les Maliens et à leur profit des ressources naturelles du pays. La société Wagner est en effet connue pour sa fâcheuse habitude à se « servir sur la bête ». Sa présence nuit aussi à la sécurité de la population malienne, déjà menacée par les groupes terroristes. Le précédent de la Centrafrique suffit, sans parler des autres théâtres, à rappeler les exactions et les violations des droits humains dont elle est capable à l'encontre des populations civiles. Le rôle donné à Wagner met également en péril les acquis de huit années de lutte contre le terrorisme, car la société est incapable, structurellement et sur le plan opérationnel, d'apporter une réponse crédible à la menace terroriste au Sahel. Contrairement à ce qu'une certaine propagande voudrait laisser croire, Wagner brille par son inefficacité face au terrorisme – on l'a vu au Mozambique où les mercenaires ont dû rapidement se retirer.
Le terrorisme se combat sur plusieurs plans à la fois. Pour empêcher des groupes terroristes de s'implanter dans une région, il faut, non seulement briser leurs capacités d'action par des opérations militaires, mais aussi répondre aux besoins des populations. Notre dispositif comprend ainsi des engagements financiers destinés à soutenir les populations, car l'instabilité et la pauvreté sont des portes d'entrée pour le terrorisme. C'est l'approche que nous défendons au sein de la coalition internationale pour le Sahel.
La junte est seule aujourd'hui : seule à prendre des décisions qui engagent la sécurité et l'avenir du Mali ; seule sur la scène africaine et internationale ; seule dans un tête-à-tête mortifère avec Wagner, puisque l'organisation se nourrit de la guerre et du chaos. La dérive vers la dictature et l'isolement n'est pas sans conséquence pour nous. Elle pose en profondeur la question de notre engagement au Mali et des modalités de la poursuite de notre lutte contre le terrorisme au Sahel. Plus la fuite en avant s'accentue, plus la junte s'éloigne de l'horizon de légitimité qu'elle semblait s'être fixé lorsqu'elle s'inscrivait dans un processus de transition démocratique, plus elle s'écarte de ses partenaires. Lorsque nous nous sommes engagés aux côtés du Mali en 2013, les autorités maliennes pouvaient se prévaloir d'une légitimité tirée de la perspective tangible d'un processus électoral, autant de conditions qui ne sont plus remplies aujourd'hui.
La situation n'est donc plus tenable en l'état. Elle appelle une reconfiguration et une adaptation du cadre de notre engagement au Sahel dont les modalités doivent être décidées avec nos partenaires africains, européens et internationaux. Nous avons donc engagé avec eux des discussions sur le sujet. Demain soir est organisée, sous l'égide du Président de la République, une réunion informelle avec plusieurs chefs d'État et de gouvernement africains et européens.
Je ferai trois remarques à cet égard. D'abord, ce qui n'a jamais changé depuis 2013 et ne changera pas, c'est notre détermination à combattre la menace terroriste au Sahel. Notre propre sécurité et celle de nos partenaires sont en jeu. Si l'opération Serval a été lancée en janvier 2013, alors que les colonnes djihadistes d'Al-Qaïda s'apprêtaient à s'emparer de la ville de Konna sur sa route vers Bamako pour faire du Mali un califat, c'est parce que nous étions convaincus de la nécessité d'aider nos partenaires africains à préserver leur propre sécurité mais aussi des risques pour notre propre sécurité. Al-Qaïda et Daech, qui sont toujours à l'œuvre au Sahel, sont une menace pour nos ressortissants. Elles ont toujours désigné notre pays comme leur ennemi et ont un lien direct avec la mouvance djihadiste internationale.
Ensuite, notre dispositif au Sahel a constamment évolué depuis 2013 : il a connu une régionalisation lorsque l'opération Barkhane a succédé à Serval pour combattre la menace à l'échelle de la région ; une « sahélisation » progressive grâce à la montée en puissance des armées de la force conjointe du G5 Sahel ; une internationalisation dont témoigne la présence de la MINUSMA, forte de 12 000 soldats et chargée de la mise en œuvre de l'accord d'Alger ainsi que de la sécurité de la population ; une européanisation à travers la mission EUTM qui assure la formation des militaires et la task force Takuba ; une transformation pour renforcer la logique de coopération avec nos partenaires sahéliens et ouest-africains. Cette dynamique nous a permis de porter des coups très durs aux filiales de Daech et d'Al-Qaïda au Sahel. Nous avons empêché la territorialisation des groupes armés terroristes, en particulier dans la zone dite des trois frontières, et nous les avons désorganisés.
Parallèlement, l'Alliance Sahel soutient, pour un montant de 22 milliards d'euros, un millier de projets de développement dans les cinq pays concernés, les plus notables consistant à assurer l'accès à l'eau potable de 6 millions de Sahéliens. Il s'agit aussi d'accompagner le sursaut civil nécessaire lorsque les territoires sont abandonnés par les forces terroristes, sursaut dont le meilleur exemple est celui de la région de Tillabéri au Niger.
Enfin, la réorganisation du dispositif est aussi rendue nécessaire par l'évolution de la menace terroriste, dont on observe une double forme de diffusion : d'une part, une diffusion géographique, vers le sud, la région des trois frontières et le nord des pays du golfe de Guinée ; d'autre part, une diffusion communautaire à travers l'instrumentalisation des oppositions communautaires par les groupes terroristes pour gagner du terrain. Tout en restant aux côtés des pays du G5 Sahel qui sont demandeurs d'un appui, nous devons être davantage présents aux côtés des États du golfe de Guinée, notamment en soutenant l'initiative d'Accra, réunissant le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Togo ainsi que le Burkina Faso et destinée à prévenir le risque terroriste par le partage du renseignement et la conduite d'opérations transfrontalières communes. Nous répondons aussi aux demandes dans le cadre des stratégies nationales de stabilisation et de développement dans les zones vulnérables du nord des pays côtiers.
Je redis notre détermination à combattre le terrorisme au Sahel et à revoir notre dispositif en coordination avec les pays africains et européens.
Puisqu'il s'agit de votre dernière audition permettez-moi, monsieur le ministre, de saluer la qualité de nos échanges avec vous mais aussi avec vos collaborateurs. Je rends hommage au travail remarquable de vos services et du centre de crise, en particulier lors de la crise sanitaire pour rapatrier nos compatriotes bloqués à l'étranger, mais aussi lors des événements récents en Afghanistan. Je vous remercie également pour votre mobilisation lors de l'examen de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Je salue le rôle du Président de la République dans la désescalade de la crise ukrainienne, très mouvante.
La situation au Mali nous invite à repenser notre engagement au Sahel et à faire évoluer notre dispositif militaire. La menace terroriste s'est de nouveau amplifiée avec le retour de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et à l'État islamique en Afrique, tandis que le G5 Sahel a été fortement affecté par les coups d'État au Tchad, au Mali et au Burkina Faso. Des annonces sont attendues demain, à l'issue de la rencontre entre le Président de la République et les chefs d'État du G5, en prélude au sommet entre l'Union européenne et l'Union africaine.
La Russie apparaît comme un dénominateur commun à la situation de crise que connaissent l'Ukraine et le Sahel. Il convient d'entretenir avec elle un dialogue franc sur ces deux sujets.
L'hostilité grandissante de la junte malienne à l'égard de la France, le rapprochement opéré par la Russie par l'intermédiaire de la société Wagner et le poids des sanctions sur les populations constituent des points d'achoppement. Quelles nouvelles relations la France entend-elle établir avec le Mali et quelles suites donner au G5 Sahel compte tenu de la suspension du Mali et du Burkina Faso par la CEDEAO ?
Je tiens, au nom du groupe Les Républicains, à saluer la qualité du dialogue avec vous, monsieur le ministre, ainsi que votre engagement, celui de vos collaborateurs et des fonctionnaires du Quai d'Orsay.
Alors que les travaux de notre commission sont rarement de nature législative, nous avons adopté à l'unanimité une loi importante. C'est révélateur du climat qui règne ici et que je tiens à souligner.
Je voudrais vous faire part de ma perplexité face à la situation en Ukraine. Malgré de nouvelles déclarations encourageantes, des manœuvres ont eu lieu en Ukraine – un neuvième des forces armées russes s'y trouve –, en Biélorussie et en mer Noire, et l'exercice de la triade nucléaire russe est en cours. Pensez-vous qu'une nouvelle chance sera donnée à la diplomatie ? Peut-on espérer une confirmation des signes de désescalade ? Vladimir Poutine va-t-il continuer, comme il en a l'habitude, à souffler le froid ou à rester, si ce n'est silencieux, évasif ? Quelles sont les hypothèses les plus favorables à ce stade ?
Les principes non négociables que vous avez rappelés n'ont-ils pas déjà été bafoués lors de l'invasion de la Crimée et des événements du Donbass ? N'est-ce pas là le début des difficultés que nous connaissons. En réponse à la violation de ces principes, ont en effet été adoptées des sanctions à l'efficacité douteuse et aux conséquences désastreuses pour nos agriculteurs, et à la suite desquelles la Russie a pu reconstituer une agriculture et une industrie agroalimentaire. Il eût été souhaitable que l'Europe réagisse davantage lors de l'invasion de la Crimée. Quelles « sanctions massives » sont envisagées aujourd'hui ?
Enfin, quelle que soit l'issue de cette crise dramatique, nos relations, ainsi que celles de l'OTAN, avec la Russie ne pourront plus être les mêmes, non plus que l'attitude de l'Europe vis-à-vis de la Russie. Comment envisagez-vous ces nouvelles relations afin d'éviter de continuer à pousser la Russie dans les bras de la Chine ?
Je m'associe aux remerciements de mes collègues pour les échanges denses que nous avons eus.
Les tensions en Ukraine sont considérées par le Président de la République et beaucoup d'entre nous comme parmi les plus dangereuses entre l'Est et l'Ouest depuis la fin de la guerre froide. La visite du Président en Russie le 7 février, celle d'Olaf Scholz aujourd'hui, les réunions en format Normandie et Weimar, toutes les tractations que vous avez rappelées, ainsi que les annonces un peu rassurantes de ce jour, ne doivent pas nous faire oublier que d'importantes et inquiétantes manœuvres sont toujours en cours au Belarus et que des manœuvres maritimes bloquent l'Ukraine.
Dans cette crise, l'Europe est en première ligne et, en cas de sanctions, les Européens sont les premiers à en souffrir – on l'a vu lors de la crise en Crimée. Le Président a salué le sang-froid des Ukrainiens ; je salue celui des ressortissants français en Ukraine. Vous avez salué l'unanimité franco-allemande et européenne. Sont-elles conjoncturelles, favorisées par les circonstances dramatiques, la présidence simultanée du G7 par l'Allemagne, de l'OSCE par la Pologne, et du Conseil de l'Union européenne par la France ?
Quel rôle vont jouer le couple franco-allemand et l'Union européenne dans la crise, et plus généralement à l'international ? Comment prolonger l'unité circonstancielle afin d'affermir la place de l'Union européenne dans les affaires du monde, de manière moins réactive et plus proactive ?
Monsieur le ministre, je vous remercie pour la qualité des relations que vous avez entretenues avec notre commission.
Le dossier ukrainien est emblématique d'une nouvelle donne diplomatique qui voit les intérêts stratégiques de la Chine, de la Russie, de la Corée du Nord ou de la Turquie, tous pays autoritaires, converger. On n'entend pas la Russie condamner les atteintes aux droits de l'homme au Xinjiang ou les problèmes avec Taïwan ; on n'entend pas plus la Chine s'agissant de la menace russe aux frontières ukrainiennes. La Douma envisage d'examiner aujourd'hui deux projets de résolution demandant au président Poutine de reconnaître l'indépendance des républiques de Donetsk et de Lougansk – une stratégie qui permettrait sans doute de les annexer en douceur, voire sans résistance. Les troupes russes restent massées à la frontière. La guerre hybride des hackers désorganise l'économie et les services ukrainiens.
Depuis 2014 et le déclenchement des velléités séparatistes au Donbass, l'Europe et la France se sont engagées en faveur de l'apaisement et du cessez-le-feu, avec constance. En février 2015, le président Hollande et la chancelière Merkel étaient en première ligne pour négocier les accords de Minsk 2, qui ont abouti à un relatif statu quo malgré des épisodes funestes, comme la destruction en vol du Boeing de Malaysia Airlines ou les reprises ponctuelles des combats. Le Président de la République a tenu à ce que le semestre de la PFUE percute la période de campagne présidentielle ; il doit l'assumer et réagir avec force. Les menaces de sanctions économiques ou diplomatiques sont manifestement insuffisantes pour ramener le président Poutine à la mesure. Il convient d'envoyer des messages clairs sur la détermination de la France et de l'Europe à œuvrer à la désescalade, tout en garantissant l'intégrité de l'Ukraine.
Je m'associe à mes collègues pour saluer l'exceptionnel travail que nous avons fait ensemble, ainsi que le soutien sans faille de votre équipe.
La semaine s'annonce cruciale pour l'engagement français et européen au Sahel. De grands rendez-vous diplomatiques vont suivre la réunion des ministres européens des affaires étrangères qui a eu lieu hier, par visioconférence. Des annonces sont attendues sur l'évolution de notre dispositif militaire au Mali. Demain, le président Macron recevra à Paris les chefs d'État des pays du G5 Sahel. Le lendemain s'ouvrira à Bruxelles le sommet Union africaine-Union européenne. Il est prévu de longue date et doit traiter de multiples sujets, mais donnera probablement lieu à des annonces.
Je rentre de Guinée-Conakry où j'ai pu échanger avec le président de transition, Mamady Doumbouya. Nos relations avec ce pays pourraient se normaliser, à la condition qu'il présente un chronogramme raisonnable de retour vers les institutions.
Quels sont les attendus du Quai d'Orsay et de la diplomatie française ? Comment l'Assemblée nationale, et plus particulièrement les membres de notre commission, pourraient-ils être mieux associés aux réflexions en cours et participer à différents événements ? Mieux associer les parlementaires, c'est aussi mieux associer la communauté française de ma circonscription, qui est concernée au premier chef.
Ma collègue Sira Sylla, qui vous prie d'excuser son absence, tenait à rappeler que, dans leur grande majorité, les diasporas veulent retrouver des relations pacifiées, d'égal à égal et respectueuses entre le Mali et la France. La diaspora malienne de France a le sentiment que le focus est mis sur le seul aspect sécuritaire alors qu'il conviendrait de l'élargir à l'humanitaire ou au culturel, car la situation va se compliquer avec l'asphyxie économique actuelle du Mali. Alors qu'ils représentent plus de 6 % du PIB malien, les transferts d'argent vers le Mali sont considérablement affectés par la crise diplomatique. Les diasporas se sentent prises en otage. Comment les rassurer et éviter le développement d'un sentiment anti-français ?
Enfin, en Tunisie, le président de la République a pris, depuis le 25 juillet, des mesures renforçant ses pouvoirs, faisant craindre un retour vers un pouvoir autoritaire : il a suspendu le Parlement élu, limogé le Gouvernement puis dissout, le 5 février, le conseil supérieur de la magistrature, instance indépendante créée en 2016, afin de nommer lui-même les juges. Quelle est votre analyse de la situation ? Alors qu'il ne devrait pas y avoir d'élections législatives avant la fin de l'année, de quelle nature sont les échanges que la France entretient avec nos partenaires tunisiens ?
Mon groupe s'associe aux compliments adressés à l'administration du Quai d'Orsay. Nous devons continuer à la défendre, et vous avez joué un rôle important pour arrêter l'hémorragie. Ce mandat a illustré l'utilité des services diplomatiques et leur grande efficacité, même si nous souhaiterions qu'ils se focalisent davantage sur la paix et les discussions. Ainsi, nous n'avons pas la même analyse sur le Mali.
Les députés communistes le disent depuis plusieurs années, Israël pratique envers les Palestiniens qui vivent sur son territoire une politique d'apartheid. Sur ce point, le rapport très long et détaillé d'Amnesty International est sans ambiguïté. Tous les éléments observés en Afrique du Sud sont repris dans la politique israélienne. En 2018, la loi fondamentale Israël, État-nation du peuple juif a créé deux catégories inégales de citoyens : les juifs et les non-juifs. L'apartheid se traduit matériellement partout. Depuis fin décembre, les soldats israéliens peuvent tirer à balles réelles sur des lanceurs de pierres, même sans menace immédiate.
Les nouvelles dispositions ne s'appliquent pas aux Israéliens. Ainsi, un système de plaques minéralogiques permet de réserver des routes, entretenues et sans checkpoint, à ces derniers. Celles pour les Palestiniens sont hérissées de checkpoints, les obligeant parfois à attendre plusieurs heures pour être contrôlés avant d'aller à l'hôpital ou au travail. Israël impose plus d'une centaine de permis de circulation différents pour les Palestiniens.
Lorsqu'on habite à Jérusalem, obtenir un permis de construire coûte environ 30 000 euros et on doit attendre cinq à dix ans, alors que les colons peuvent faire valider a posteriori les constructions illégales. L'armée peut détruire une maison pour des raisons punitives, pratique qui avait été abandonnée en 2005 puis réactivée en 2020. Et je ne parle pas des détentions arbitraires et administratives à durée indéterminée, de celles des mineurs ou du récent classement d'organisations non gouvernementales comme terroristes.
L'apartheid est un crime internationalement reconnu depuis l'adoption de la convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid en 1973. La Cour pénale internationale le reconnaît comme crime contre l'humanité. Le rapport d'Amnesty International propose d'appliquer des sanctions, notamment financières, aux responsables de cette politique, ou un embargo sur les armes. Les députés communistes soutiennent sans réserve ce rapport et ses recommandations.
Au regard de ces éléments, la France considère-t-elle encore qu'Israël est une démocratie respectable ? Allons-nous continuer à commercer avec un État raciste ? La semaine dernière, l'ambassadeur de France en Israël a dit devant le Sénat qu'il fallait renforcer les investissements dans les colonies du fait de l'importance du marché. À rebours d'un tel cynisme, nous estimons qu'il faut désinvestir massivement, afin de toucher Israël au portefeuille.
Pour faire tomber l'apartheid en Afrique du Sud, des voix se sont élevées dans le sport, dans la culture pour boycotter les événements et les marchandises issues de ce régime brutal. Au terme de cinq années, pensez-vous que l'action de votre ministère a permis de protéger les droits des Palestiniens ? Avez-vous réagi à chaque fois qu'Israël franchissait les limites ? Pensez-vous qu'il est encore possible de le faire avant la fin de la législature ?
Tout le monde l'a affirmé, le président des États-Unis en tête, en cas de conflit, nous n'interviendrons pas militairement, nous prendrons des sanctions. Quel en serait le dispositif ? Sur l'enjeu gazier, par exemple, avons-nous avec l'Allemagne une approche commune de ce qu'il doit advenir de Nord Stream 2 ? Quant à l'exclusion des Russes du mécanisme interbancaire SWIFT, qui porterait un coup très dur à l'économie russe, on a le sentiment qu'il n'y a pas d'accord dessus. Or seules des sanctions suffisamment claires et cohérentes pourraient dissuader M. Poutine de s'engager dans une aventure extrême de nature militaire.
Au Sahel, nous ne pourrons pas rester longtemps présents militairement au Mali si le colonel Goïta reste en place et maintient sa proposition invraisemblable de chronogramme. Les sanctions sont, là encore, le seul instrument viable de la confrontation entre la CEDEAO et Goïta. Quelle est l'efficacité opérationnelle des sanctions actuelles ?
Dans les deux cas, la crédibilité des sanctions est un élément essentiel du déblocage – ou du non-déblocage – de la crise.
S'agissant du Sahel, je serais tenté de répondre à M. Mbaye qu'il appartient à la junte de dire si elle veut revenir à l'ordre constitutionnel rapidement ou pas. Au premier coup d'État, on disposait d'un processus, avec un agenda et des échéances : les élections devaient avoir lieu en février. Cet agenda est tombé et le Mali est maintenant géré par une junte de cinq colonels qui s'est autoproclamée légitime pour sept ans. Il faut faire savoir à la diaspora malienne que c'est contraire à tous les principes des organisations africaines et internationales. La balle est donc dans le camp de la junte malienne. Le meilleur chemin qu'elle pourrait choisir, c'est celui que semble prendre le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba au Burkina Faso, en réponse aux pressions et aux discussions avec la CEDEAO, en engageant un processus de transition assorti d'une charte et d'un calendrier. À plusieurs reprises, la CEDEAO et l'Union africaine ont sollicité la junte en ce sens ; à elle d'assumer ses choix.
Cela ne nous empêche pas de continuer à nous battre contre le terrorisme dans la zone, où la menace a muté, l'action terroriste étant maintenant concentrée sur la zone des trois frontières, et même plus au sud. Le dernier attentat, qui a suscité une réaction militaire assez forte, s'est produit il y a quelques jours au Bénin, qui ne se trouve pas dans l'aire initiale d'intervention des forces de Barkhane et du G5 Sahel.
La perplexité de M. Herbillon est largement partagée. Le président Macron vient de s'entretenir pendant une heure avec le président Biden : il faut vérifier que les inflexions dont j'ai parlé dans mon propos liminaire sont bien réelles et que les engagements se concrétisent. C'est à la Russie de dire si elle veut être une puissance de déséquilibre, qui profite des interstices de crise pour développer sa puissance ou son modèle politique, ou si elle veut être une puissance partenaire, prête à discuter de ses garanties de sécurité. C'est tout autant à elle de faire le choix de son arrimage à l'Est, dans un partenariat avec la Chine – ce que semblait indiquer le communiqué commun de Vladimir Poutine et Xi Jinping au début des Jeux olympiques –, ou de son arrimage à l'Europe. Si la Russie veut engager un nouveau type de rapport avec l'Union européenne et les pays européens, nous y sommes prêts. Le processus avait d'ailleurs été engagé au moment de la rencontre à Versailles, au début du quinquennat du président Macron, puis lors de la rencontre à Brégançon. Le dialogue de Trianon a été initié pour promouvoir les échanges entre sociétés civiles françaises et russes et en approfondir la connaissance mutuelle dans les domaines scientifiques, littéraires, artistiques, etc. Cela n'a pas beaucoup avancé, pour des raisons diverses, notamment liées au covid, mais c'est bien ce que nous souhaitons. La France a donné des signes de sa bonne volonté et, même si le dialogue est devenu compliqué, nous sommes déterminés à le poursuivre pour éviter la guerre.
Toutes les conditions sont-elles réunies pour une offensive de la Russie sur l'Ukraine ? Oui. Le président Poutine a-t-il pris sa décision ? Non. Cela vaut-il encore la peine de se parler ? Oui.
Militairement, il n'y a rien entre le Bélarus et Kiev. Toute l'armée ukrainienne est à l'Est. C'est quand même très inquiétant.
Des manœuvres sont en cours au Bélarus ; un nombre important de forces russes et bélarusses sont effectivement positionnées près de Kiev.
Les conditions sont donc réunies mais aucune décision n'a été prise.
Je ne vais pas m'immiscer dans les fonctions du ministre de la défense d'Ukraine.
Les sanctions sont un outil de dissuasion et nous devons donc rester dans l'ambiguïté – j'imagine que nos amis russes sont attentifs à ce que je suis en train de dire. Pour être dissuasives, les sanctions doivent être massives, de plusieurs ordres et beaucoup plus significatives que celles qui ont suivi l'opération de la Crimée. Cependant, il faut bien analyser les effets de celles que nous pourrions mettre en œuvre, pour éviter de frapper nos propres secteurs, notamment dans le domaine énergétique – sur ce point, le président Bourlanges a raison. Le train de sanctions est prêt ; il est partagé entre Européens et avec les États-Unis d'Amérique. Les autorités russes doivent le savoir, et savoir que nous serons très mobilisés pour le mettre en œuvre.
Je suis profondément convaincu que la Russie est européenne, encore faut-il qu'elle puisse se sentir comme telle. Il importe que les Européens conservent cette vision sur le long terme et l'affichent, même si nous devons affronter la situation avec fermeté et détermination. Cela étant, il appartient au président Poutine de faire ses choix.
Dans ce que je vis en ce moment, ce qui me frappe le plus, c'est l'union des Européens. Bien sûr, au titre de la PFUE, il est de ma responsabilité de multiplier les échanges – j'en ai encore eu hier après-midi, avec l'ensemble de mes collègues à propos du Sahel –, mais cela reste une avancée considérable. Nos partenaires sont très réactifs, d'autant plus que certains sont directement concernés – je pense tout particulièrement aux pays du B9, avec lesquels je me suis longuement entretenu à Bucarest. Si Vladimir Poutine a réussi quelque chose, c'est le renforcement de l'union des acteurs !
Je note aussi que lorsque le président Poutine a fait valoir ses exigences à l'égard de l'Ukraine, qu'il s'agisse de sa non-appartenance à l'OTAN ou de son désarmement, il s'est adressé aux États-Unis et à l'OTAN, pas à l'Union européenne. Pourtant, pour la première fois, et alors que la lettre ne nous était pas destinée, nous avons participé à la rédaction de la réponse. La symbolique est forte à tout point de vue. Quelles en seront les retombées ? Espérons que le débat autour de la boussole stratégique permettra d'arrimer ces premières avancées.
Monsieur El Guerrab, l'enjeu dont se préoccupent les diasporas est important, et la présidence française ne devra pas limiter son action à l'évolution de la situation au Mali ou au Sahel. Le sommet entre l'Union africaine et l'Union européenne (UA-UE), qui se tiendra jeudi et vendredi, sera l'occasion d'engager des initiatives concrètes en faveur de la société civile. L'ambition de ce sommet, qui ne s'était plus tenu depuis celui d'Abidjan en 2017, sera de sceller une alliance nouvelle avec le continent africain. La mobilisation sera très importante autour des thèmes de mobilité, de santé, d'investissement, l'objectif étant de reverser 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) aux pays africains. Les Européens et les Américains ont eu un plan de relance après la crise sanitaire ; les pays africains doivent également avoir le leur. Depuis le début du quinquennat, le Président de la République a souhaité que, sur les questions africaines, l'ensemble de la société civile soit associé, ce que nous avons initié à Montpellier. Il est important que les diasporas soient parties prenantes, elles aussi. Je comprends que la diaspora malienne soit perturbée. Que faire ? Il convient sans doute d'intervenir auprès de ceux qui ont le pouvoir de décision, et que la junte prépare une vraie transition démocratique.
La situation en Tunisie est perturbante depuis la dissolution du conseil supérieur de la magistrature. Le président Kaïs Saïed a annoncé un plan en trois étapes : une consultation populaire de janvier à fin mars 2022, un référendum constitutionnel en juillet et des élections législatives sur la base de nouvelles lois électorales. L'opinion publique tunisienne semble approuver cette proposition, en dépit d'actions préoccupantes de la part du président, dont cette dissolution du conseil supérieur de la magistrature. Nous souhaitons néanmoins que l'équipe au pouvoir, dirigée par la première ministre Najla Bouden, que j'ai rencontrée à Brest vendredi dernier, mène ce processus politique le plus rapidement possible pour éviter que les crises ne s'accumulent dans un pays en proie à de grandes difficultés économiques.
S'agissant de l'appel de la Douma à reconnaître l'indépendance des territoires séparatistes en Ukraine, nous avons fait part de nos interrogations. Certes, il y a eu un vote, mais il exprime la position des députés, non celle du gouvernement de Poutine. Si Poutine entendait cet appel, nous aurions affaire à une forme d'agression, de démantèlement, sans armes, de l'Ukraine. Ce serait une atteinte à la souveraineté et à l'intégrité de ce pays.
Pour ce qui est de la relation sino-russe, l'élément frappant du communiqué commun c'est qu'il annonce un partenariat contre les États-Unis et qui favorise plutôt les intérêts chinois. Les deux parties se présentent également comme des chantres du multilatéralisme, tant mieux ! Voyons maintenant comment ces deux puissances envisagent le multilatéralisme, notamment si elles respectent le droit international.
Monsieur Lecoq, je reste vigilant sur la question israélo-palestinienne, mais n'oublions pas la période Trump que nous venons de traverser. Y compris durant celle-ci, nous avons pris les initiatives nécessaires, au sein du groupe dit de Munich – France, Allemagne, Égypte et Jordanie – pour maintenir des liens entre les autorités palestiniennes et les autorités israéliennes, lorsqu'elles le voulaient bien. Les contacts que nous avons noués avec le premier ministre par alternance, Yaïr Lapid, nous permettront, je l'espère, de restaurer la relation de confiance et de démarrer une nouvelle séquence pour reprendre ce dialogue trop longtemps interrompu. Malheureusement, les agissements du gouvernement américain ont eu des répercussions qui pèsent encore dans le paysage. Je ne désespère pas de provoquer une première réunion de ce nouveau cycle dans les délais les plus brefs, sous présidence française.
Je voudrais saluer l'action de notre ambassadeur en Ukraine, Étienne de Poncins, qui réalise un travail remarquable dans des conditions difficiles, ainsi que celle de nos élus et de tous les Français qui sont restés sur place. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir fait l'effort de communiquer auprès du grand public. Votre prestation dans l'émission C à vous, diffusée hier, était excellente.
Il semble dans l'air du temps, pour certains candidats, de vouloir sortir du commandement intégré de l'OTAN : quelles en seraient les conséquences ?
D'autre part, la France fait-elle bien partie des pays qui souhaitent revoir l'acte fondateur OTAN-Russie ?
Enfin, n'oublions pas que des guerres invisibles peuvent aussi être livrées. L'Union européenne prendra-t-elle des sanctions en cas de cyberattaque contre l'Ukraine ou d'une attaque par des soldats non étiquetés ?
Cela fait maintenant dix ans que vous êtes au Gouvernement. Vous avez vécu cinq ans avec François Hollande, cinq ans aux côtés du Président Emmanuel Macron. Vous avez dû gérer des crises, sous la présidence Macron, dont les origines remontaient à la présidence Hollande. Voyez-vous une différence entre ces deux périodes ? Une continuité ? Une complémentarité ?
Depuis le 29 septembre, nous tentons en vain, avec l'aide de vos services, de faire évacuer quarante et un Afghans dont le seul crime fut de travailler sous l'autorité directe d'un ressortissant français, à l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, alors même que celui-ci recevait dans son bureau des militaires français qui opéraient au nord de Kaboul pour leur donner des conseils dans ce domaine. L'un d'entre eux, activement recherché par les talibans, a vu son fils se faire kidnapper fin septembre. Les ambassades et les consulats du Pakistan, de l'Inde et du Qatar ont été sollicités pour nous aider. Ces personnes encourent un grand danger pour avoir travaillé avec un Français qui exerçait un métier de conseil auprès de nos militaires. Que faire ?
Nous avons beaucoup parlé de la manière dont vos services avaient géré la crise mais n'oublions pas que vous avez rencontré d'autres succès, notamment dans le domaine commercial – une commande de quarante-deux avions de combat Rafale pas plus tard qu'avant-hier –, et que votre soutien à l'ensemble de nos entreprises à l'étranger ne s'est jamais démenti.
En Biélorussie, Alexandre Loukachenko multiplie, depuis le scrutin présidentiel de 2020, les gages de fidélité à l'égard du Kremlin. Même si le déploiement de soldats a pris fin et qu'une désescalade semble s'amorcer depuis ce matin, ces manœuvres inquiètent tant elles sont inédites depuis la fin de la guerre froide et ont contribué à l'encerclement de l'Ukraine par les forces russes. Elles posent aussi des questions à plus long terme pour la sécurité du reste de l'Europe. Les missiles déployés par la Russie, par exemple, pourront atteindre une bonne partie de notre continent. La pérennisation des moyens russes en Biélorussie doit donc être prise au sérieux. Comment la France et l'Union européenne comptent-elles se positionner vis-à-vis de la Biélorussie ? Du fait des différents que nous avons avec ce pays, entretenons-nous toujours un dialogue diplomatique ? Les sanctions infligées à la Russie frapperaient elles aussi la Biélorussie ?
Depuis le début de l'année, les rebelles Houtis ont lancé des missiles balistiques sur Abu Dhabi. Le 7 janvier, une attaque a causé la mort de trois personnes malgré la présence d'importants dispositifs antimissiles pour protéger les Émirats arabes unis. Par la suite, les rebelles Houtis ont revendiqué deux nouvelles attaques sans faire de mort. L'envoi de ces missiles représente une attaque grave contre de proches alliés de la France.
La France a promis un soutien militaire qui prend la forme de missions de surveillance, de détection et d'interception. Comment compte-t-elle peser diplomatiquement pour faire cesser ces attaques ? Est-elle prête à faire qualifier à nouveau les rebelles Houtis de terroristes, comme cela fut le cas avant 2021, pour répondre à la demande de nos alliés émiratis ainsi que du général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU ?
Il est opportun que le sujet de l'autonomie stratégique européenne figure à l'agenda de la PFUE. Le mois prochain, les chefs d'État et de gouvernement européens se retrouveront à Bruxelles pour voter le texte final sur la boussole stratégique. Comment cette crise influencera-t-elle l'écriture de ce Livre blanc censé déterminer notre politique européenne de défense et de sécurité commune ?
L'Europe est dépendante du gaz russe. La France a su construire son indépendance énergétique mais 5 % du gaz provient de la Russie. Nos contrats avec les autres pays nous permettent-ils de garantir le prix du gaz pour les Français ? Ces contrats sécurisent-ils l'alimentation des Français en gaz naturel ?
La Russie a annoncé le retrait de ses troupes, mais une hirondelle ne fait pas le printemps. L'ensemble de l'écosystème de la cybersécurité est réuni au sein du Campus Cyber, qui vient d'être inauguré à La Défense par le Président de la République. À l'heure où nous parlons, des banques ainsi que le ministère de la défense sont victimes, en Ukraine, de cyberattaques. Comment la France et l'Union européenne peuvent-elles prévenir de telles attaques et y riposter ?
Les chefs d'État africains étaient réunis début février à Addis-Abeba pour la trente-cinquième édition du sommet de l'Union africaine. La séance d'ouverture a été marquée par des appels à la solidarité africaine pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire sur le continent, au fléau émergent des coups d'État et à la menace du terrorisme. En effet, beaucoup d'États de la région demeurent fragiles et instables politiquement, ce qui se traduit par une perte de contrôle sur une part grandissante de leur territoire. Quel effet le sommet UE-UA, qui doit se tenir les 17 et 18 février prochains, pourrait-il avoir sur les menaces et quelles réponses pourrait-il apporter aux défis qui se posent au continent africain ? Plus généralement, quelles mesures la communauté internationale peut-elle prendre pour réduire la recrudescence d'États faillis et éviter ainsi que le continent ne soit pris dans une spirale de crises ?
Sans la raison, nous ne sommes que folie, disait Cicéron. Sans la raison diplomatique, nous ne sommes que conflits, en particulier dialectiques, oserai-je ajouter.
La présentation simultanée de la situation au Mali et du conflit à la frontière ukrainienne est intéressante en ce qu'elle nous offre un bel exemple de contrepoint : alors que l'action est structurée en Europe, elle est davantage opérationnelle en Afrique. Comment mettre plus d'Europe en Afrique, comment peser dans l'unité ? Comment écrire les accords de Minsk 3 alors que nous ne sommes pas capables de faire respecter ceux de Minsk 2, en particulier le retrait de tous les armements lourds ?
Monsieur Kokouendo, le sommet de l'Union africaine s'est bien déroulé puisqu'il lui a permis de prendre position sur des sujets économiques essentiels et d'élire le président sénégalais Macky Sall à sa tête. L'objectif du sommet UE-UA est de concrétiser l'alliance nouvelle avec le continent africain annoncée par le Président de la République lors du sommet de Montpellier, par l'engagement d'actions en matière de connectivité et de mobilité, de redéploiement économique, de politique vaccinale – en s'appuyant sur les capacités de production de vaccins en Afrique du sud, au Sénégal, au Rwanda, en Égypte et peut-être au Ghana –, mais aussi en matière de sécurité. L'appui de l'Europe à la sécurité africaine est déterminant. Le sommet sera peut-être l'occasion de prendre des initiatives. Les Africains doivent s'approprier ce sujet de la sécurité.
Madame Le Peih, la boussole stratégique tourne bien. Elle vise à définir l'ambition et les grandes orientations stratégiques de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense, et à les décliner au travers de propositions concrètes, tangibles, assorties d'échéances précises pour la prochaine décennie. Ce Livre blanc européen pour la défense devrait revêtir une importance particulière en raison de l'actualité internationale, notamment en Ukraine. En tout cas, nous sommes en bonne voie pour recueillir l'unanimité autour de ce projet de boussole stratégique en mars prochain.
Si la France sortait de l'OTAN, elle serait isolée et fragilisée au sein de l'Union européenne qui en perdrait son unité. Nous avons intérêt à rester dans l'OTAN et à y jouer notre partition, d'autant que la boussole stratégique devra être articulée avec le concept stratégique de l'OTAN, qui sera décidé au prochain sommet de l'OTAN à Madrid, en juin. La France, hors de l'OTAN, perdrait son rôle de locomotive dans les discussions, même si elle préside l'Union européenne.
Monsieur Maire, le moment politique le plus fort pour moi dans ce quinquennat fut l'adoption à l'unanimité de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Chacun aura pu participer à sa rédaction et nous sommes parvenus, non sans difficulté, à aboutir à ce texte qui a recueilli l'assentiment général. Pour une loi d'une telle importance, ce n'est pas si fréquent.
Madame Clapot, le renforcement de la souveraineté numérique européenne est un enjeu essentiel et l'une des priorités de la présidence française. La réunion qui s'est tenue la semaine dernière a été décisive. La souveraineté passe par la souveraineté numérique et nous devons nous donner les moyens de l'acquérir. Nous sommes prêts à apporter notre soutien à l'Ukraine, aux côtés de l'Union européenne, en cas de cyberattaque majeure. Reste à déterminer à partir de quel seuil on considère qu'une atteinte est portée à l'intégrité d'un pays. Nous sommes en relation à ce propos avec les Ukrainiens.
Monsieur Barbier, pour ce qui concerne la résilience européenne en matière énergétique, nous ne faisons pas cavalier seul. Dans notre réflexion sur les sanctions à proposer, nous veillons à ce que la résilience européenne soit préservée, pour éviter toute distorsion de situation entre les différents pays et ne pas perdre cette unité européenne que je n'ai pas cessé de louer. Certains pays sont beaucoup plus dépendants que d'autres du gaz ; il faut en tenir compte et réfléchir en Européen, pas uniquement en Français.
S'agissant de l'Afghanistan, nous restons mobilisés pour apporter aux Afghans qui la demandent notre protection, mais je ne vous cache pas que les conditions de travail sont difficiles. Nous avons pu rapatrier, depuis le 10 septembre, 400 Afghans et Afghanes menacés ainsi que leur famille, grâce au soutien du Qatar, ce que je ne crains pas de reconnaître. C'est en effet le Qatar qui facilite les opérations de mobilité sur la base des indications que nous lui fournissons. Il est extrêmement difficile d'obtenir les autorisations des autorités talibanes, d'autant plus qu'à présent elles imposent la présentation d'un passeport à l'exclusion de tout autre document d'identité, alors même que le bureau des passeports est en général fermé. Il ne s'ouvre que par intermittence. Nous avons donc des dossiers en attente que nous réglons difficilement. Les talibans ne tiennent pas les engagements qu'ils avaient pris pour laisser ceux qui voulaient partir libres de le faire.
Monsieur Fuchs, je suis content que vous posiez la question du Yémen, car on n'entend souvent qu'un seul point de vue. J'ai pris soin, la dernière fois, de retracer l'histoire du Yémen pour mettre en évidence la responsabilité des Houtis dans la chute d'un gouvernement légitime – certains, absents aujourd'hui, pensaient le contraire et prenaient fait et cause pour les Houtis. Cela étant, cette guerre est horrible et il faut essayer de trouver une solution avec l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies. Je n'entends pas justifier les actions militaires intempestives des acteurs de la riposte mais, aujourd'hui, ce sont les Houtis qui attaquent, non seulement l'Arabie saoudite mais aussi les Émirats arabes unis. Nous avons apporté un soutien opérationnel, dans le cadre de l'accord de défense que nous avons signé avec les Émirats arabes unis, qui s'appuie sur notre dispositif permanent à Abu Dhabi, et nous avons pu obtenir que le Conseil de sécurité qualifie ces attaques de terroristes. Nous continuerons à exercer une pression sur les Houtis pour briser cette logique devenue insupportable et préoccupante.
Pour ce qui est du Belarus, un dispositif de sanction existe déjà, qui est d'ordre individuel et concerne notamment le président Loukachenko et son entourage ainsi que plusieurs entités, dont des compagnies aériennes. Les mesures ont été prises à cinq reprises par l'Union européenne, notamment après les offensives autoritaires du président Loukachenko et les élections truquées. Les sanctions envisagées contre la Russie sont différentes. Pour l'instant, nous ne déplorons pas d'actes de la part du Belarus, simplement des manœuvres entre ce pays et la Russie, ce qui n'est pas interdit. La donne changerait en cas d'intervention militaire contre l'Ukraine ce qui, heureusement, n'est pas le cas.
Monsieur Hammouche, quand on additionne toutes les aides au développement des Européens en Afrique, ceux-ci ressortent comme les plus gros contributeurs au développement de l'Afrique, bien au-dessus de la Chine. Malheureusement, nous ne le faisons pas suffisamment savoir. Après en avoir discuté, nous avons convenu qu'il fallait améliorer la communication de la Team Europe pour donner de la force à notre discours européen. Dans le domaine des vaccins, nous avons largement dépassé tous les autres contributeurs mais, contrairement à certains, nous ne sommes pas adeptes de la diplomatie vaccinale du tarmac – poser les vaccins sur le tarmac, les photographier et s'en tenir là. Ce n'est pas ainsi que les Européens se comportent et ils devront faire des efforts pour témoigner de la réalité de leur contribution.
Vous allez parler avec M. Blinken. Vous avez célébré l'unité profonde des Européens et de l'Alliance Atlantique. Toutefois, on constate une certaine réticence de votre part à souscrire aux communications très alarmistes des Anglo-Américains et à en envisager des conséquences précises pour nos ressortissants et notre ambassadeur en Ukraine. Pensez-vous qu'ils nous mentent, qu'ils nous intoxiquent, qu'ils se trompent ou qu'ils manquent de sang-froid ?
Ils ne nous mentent pas. Nous croyons les informations qu'ils nous donnent, largement diffusées dans les médias après nous avoir été transmises en priorité. S'agissant des conclusions que nous en tirons pour nos ressortissants, nous n'avons pas la même histoire qu'eux, ni le même type de communauté et de présence sur place. Il y a 7 000 ressortissants américains sur le territoire ukrainien, ainsi que plusieurs milliers de touristes et de visiteurs ; cela représente un effectif important, dont ils doivent se préoccuper par anticipation. Pour notre part, nous avons adopté des dispositions qui sécurisent nos concitoyens, et que nous sommes à même de renforcer dans l'heure si nécessaire. Elles sont moins spectaculaires que certains de leurs comportements et de leurs décisions, mais non moins sécuritaires.
Merci pour cette réponse de ministre et de diplomate. Les moyens militaires considérables déployés nous inquiètent à juste titre et nous sommes fondés à nous poser, à propos de Poutine, la question qu'André Malraux posait au général de Gaulle : a-t-il amené ses troupes au bord du Rubicon pour y pêcher à la ligne ? Nous vous faisons confiance pour représenter le parti de la paix.
La séance est levée à 19 h 50
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, Mme Sandra Boëlle, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre Cabaré, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Pierre-Henri Dumont, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, Mme Maud Gatel, Mme Anne Genetet, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, Mme Natalia Pouzyreff, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, M. Sylvain Waserman
Excusés. - M. Éric Girardin, M. Christian Hutin
Assistaient également à la réunion. - M. Brahim Hammouche, M. Jimmy Pahun