Je ne vais pas m'immiscer dans les fonctions du ministre de la défense d'Ukraine.
Les sanctions sont un outil de dissuasion et nous devons donc rester dans l'ambiguïté – j'imagine que nos amis russes sont attentifs à ce que je suis en train de dire. Pour être dissuasives, les sanctions doivent être massives, de plusieurs ordres et beaucoup plus significatives que celles qui ont suivi l'opération de la Crimée. Cependant, il faut bien analyser les effets de celles que nous pourrions mettre en œuvre, pour éviter de frapper nos propres secteurs, notamment dans le domaine énergétique – sur ce point, le président Bourlanges a raison. Le train de sanctions est prêt ; il est partagé entre Européens et avec les États-Unis d'Amérique. Les autorités russes doivent le savoir, et savoir que nous serons très mobilisés pour le mettre en œuvre.
Je suis profondément convaincu que la Russie est européenne, encore faut-il qu'elle puisse se sentir comme telle. Il importe que les Européens conservent cette vision sur le long terme et l'affichent, même si nous devons affronter la situation avec fermeté et détermination. Cela étant, il appartient au président Poutine de faire ses choix.
Dans ce que je vis en ce moment, ce qui me frappe le plus, c'est l'union des Européens. Bien sûr, au titre de la PFUE, il est de ma responsabilité de multiplier les échanges – j'en ai encore eu hier après-midi, avec l'ensemble de mes collègues à propos du Sahel –, mais cela reste une avancée considérable. Nos partenaires sont très réactifs, d'autant plus que certains sont directement concernés – je pense tout particulièrement aux pays du B9, avec lesquels je me suis longuement entretenu à Bucarest. Si Vladimir Poutine a réussi quelque chose, c'est le renforcement de l'union des acteurs !
Je note aussi que lorsque le président Poutine a fait valoir ses exigences à l'égard de l'Ukraine, qu'il s'agisse de sa non-appartenance à l'OTAN ou de son désarmement, il s'est adressé aux États-Unis et à l'OTAN, pas à l'Union européenne. Pourtant, pour la première fois, et alors que la lettre ne nous était pas destinée, nous avons participé à la rédaction de la réponse. La symbolique est forte à tout point de vue. Quelles en seront les retombées ? Espérons que le débat autour de la boussole stratégique permettra d'arrimer ces premières avancées.
Monsieur El Guerrab, l'enjeu dont se préoccupent les diasporas est important, et la présidence française ne devra pas limiter son action à l'évolution de la situation au Mali ou au Sahel. Le sommet entre l'Union africaine et l'Union européenne (UA-UE), qui se tiendra jeudi et vendredi, sera l'occasion d'engager des initiatives concrètes en faveur de la société civile. L'ambition de ce sommet, qui ne s'était plus tenu depuis celui d'Abidjan en 2017, sera de sceller une alliance nouvelle avec le continent africain. La mobilisation sera très importante autour des thèmes de mobilité, de santé, d'investissement, l'objectif étant de reverser 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) aux pays africains. Les Européens et les Américains ont eu un plan de relance après la crise sanitaire ; les pays africains doivent également avoir le leur. Depuis le début du quinquennat, le Président de la République a souhaité que, sur les questions africaines, l'ensemble de la société civile soit associé, ce que nous avons initié à Montpellier. Il est important que les diasporas soient parties prenantes, elles aussi. Je comprends que la diaspora malienne soit perturbée. Que faire ? Il convient sans doute d'intervenir auprès de ceux qui ont le pouvoir de décision, et que la junte prépare une vraie transition démocratique.
La situation en Tunisie est perturbante depuis la dissolution du conseil supérieur de la magistrature. Le président Kaïs Saïed a annoncé un plan en trois étapes : une consultation populaire de janvier à fin mars 2022, un référendum constitutionnel en juillet et des élections législatives sur la base de nouvelles lois électorales. L'opinion publique tunisienne semble approuver cette proposition, en dépit d'actions préoccupantes de la part du président, dont cette dissolution du conseil supérieur de la magistrature. Nous souhaitons néanmoins que l'équipe au pouvoir, dirigée par la première ministre Najla Bouden, que j'ai rencontrée à Brest vendredi dernier, mène ce processus politique le plus rapidement possible pour éviter que les crises ne s'accumulent dans un pays en proie à de grandes difficultés économiques.
S'agissant de l'appel de la Douma à reconnaître l'indépendance des territoires séparatistes en Ukraine, nous avons fait part de nos interrogations. Certes, il y a eu un vote, mais il exprime la position des députés, non celle du gouvernement de Poutine. Si Poutine entendait cet appel, nous aurions affaire à une forme d'agression, de démantèlement, sans armes, de l'Ukraine. Ce serait une atteinte à la souveraineté et à l'intégrité de ce pays.
Pour ce qui est de la relation sino-russe, l'élément frappant du communiqué commun c'est qu'il annonce un partenariat contre les États-Unis et qui favorise plutôt les intérêts chinois. Les deux parties se présentent également comme des chantres du multilatéralisme, tant mieux ! Voyons maintenant comment ces deux puissances envisagent le multilatéralisme, notamment si elles respectent le droit international.
Monsieur Lecoq, je reste vigilant sur la question israélo-palestinienne, mais n'oublions pas la période Trump que nous venons de traverser. Y compris durant celle-ci, nous avons pris les initiatives nécessaires, au sein du groupe dit de Munich – France, Allemagne, Égypte et Jordanie – pour maintenir des liens entre les autorités palestiniennes et les autorités israéliennes, lorsqu'elles le voulaient bien. Les contacts que nous avons noués avec le premier ministre par alternance, Yaïr Lapid, nous permettront, je l'espère, de restaurer la relation de confiance et de démarrer une nouvelle séquence pour reprendre ce dialogue trop longtemps interrompu. Malheureusement, les agissements du gouvernement américain ont eu des répercussions qui pèsent encore dans le paysage. Je ne désespère pas de provoquer une première réunion de ce nouveau cycle dans les délais les plus brefs, sous présidence française.