Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 15 février 2022 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je suis un peu ému : il s'agit de ma dernière audition par votre commission. Député pendant vingt-cinq ans et ministre pendant dix, j'ai derrière moi trente-cinq ans d'hémicycle ! Cela commence à être une histoire !

Au cours des cinq dernières années, je me suis efforcé d'être à votre écoute et de répondre le mieux possible à vos interrogations, en fonction des informations que je pouvais livrer. Je conçois que les députés aient une préférence pour les auditions ouvertes à la presse, mais cela m'interdit de tout dire. Lorsque cela était nécessaire, je réservais les informations à un cercle plus restreint, où toutes les sensibilités politiques étaient représentées.

Avant d'en venir aux deux sujets retenus pour nos débats, j'aimerais mentionner, en fond de tableau, quelques événements importants. Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), la conférence de Brest sur les océans a été un moment très fort, au cours duquel une dynamique s'est créée. Mercredi dernier, une réunion conjointe des ministres des affaires étrangères et des ministres de la santé des Vingt-sept s'est tenue à Lyon, en présence de M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s'agissait d'une première. Nous avons bien travaillé ensemble. Par ailleurs, nous avons des rendez-vous dans les jours à venir : le sommet Union européenne-Union africaine, qui se tiendra à Bruxelles jeudi et vendredi prochains, et le forum ministériel pour la coopération dans l'Indopacifique, qui se déroulera le mardi suivant et qui constitue un rendez-vous important de la PFUE.

Venons-en aux grands sujets de tensions du moment.

Nous vivons une période de grande tension dans notre voisinage oriental. Des capacités militaires sont regroupées aux frontières est de l'Ukraine. Des manœuvres russes et biélorusses se déroulent en ce moment même au Belarus. Des manœuvres navales se poursuivent en mer Noire. La Russie vient de commencer l'exercice de sa triade nucléaire, auquel elle se livre régulièrement.

C'est en raison de ce contexte que le Président de la République a fait un déplacement, la semaine dernière, qui nous a menés à Moscou, à Kiev et à Berlin. Nous avons eu des échanges approfondis avec les présidents Poutine et Zelensky, qui se sont poursuivis samedi par des discussions téléphoniques. Cette séquence a aussi comporté une rencontre de coordination du Triangle de Weimar, à l'invitation du chancelier Scholz et en présence du président Duda. L'Allemagne, dont le chancelier revenait de Washington, assure la présidence du G7 ; la Pologne assure celle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et le président en avait présenté la veille, à Vienne, ses priorités. Ce rendez-vous de coordination était utile et nécessaire. Par ailleurs, le chancelier allemand s'est rendu à Kiev hier et se trouve à Moscou aujourd'hui, pour poursuivre les efforts de désescalade que nous avons engagés.

J'aimerais rappeler les trois piliers sur lesquels se fondent nos efforts diplomatiques.

Premier pilier : l'unité. Le Président de la République l'a dit sans détour au président Poutine, les Européens, avec leurs alliés et partenaires, notamment les États-Unis, sont unis autour d'une demande claire du respect des grands principes qui fondent l'ordre de sécurité européen. Ces principes, issus de l'Acte final de la conférence d'Helsinki de 1975, signé alors par l'URSS, et de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, signée en 1990, sont le socle non négociable de toute démarche de sécurité et de stabilité en Europe. Le Président de la République a rappelé à Moscou que ce n'est pas par l'OTAN qu'ils ont été remis en cause depuis deux décennies.

S'agissant de notre politique à l'égard de la Russie, notamment du dialogue avec ce pays, nous devons maintenir une approche convergente, faite de fermeté, de solidarité et de coordination dans tout ce que nous entreprenons. C'est ce qui fait notre force et c'est une priorité de la PFUE. C'est pourquoi le Président de la République et moi-même avons eu de très nombreux échanges avec nos alliés et nos partenaires, avant et après la séquence de la semaine dernière, et après les divers entretiens, téléphoniques et en présence, que nous avons eus au cours de cette période. J'en ai moi-même eu à Bucarest, la semaine dernière, avec les pays du B9, qui regroupe les États membres de l'UE les plus récents. J'ai des relations très régulières avec mes homologues, notamment le secrétaire d'État américain, avec lequel je m'entretiendrai par téléphone à l'issue de cette réunion.

Cette coordination très étroite, à chaque étape, assure la transparence des échanges entre ministres des affaires étrangères ainsi qu'entre chefs d'État et de gouvernement. Elle est tout à fait essentielle et doit être poursuivie. Elle permet l'unité. Vendredi soir, à Brest, à l'issue du sommet sur les océans, une visioconférence a réuni le président Macron et le président Biden ainsi que plusieurs chefs d'État européens. Je me suis entretenu dimanche avec mon homologue allemande avant le départ du chancelier à Kiev. Il faut avoir conscience que tout cela se passe en permanence, pour éviter des initiatives autonomes et assurer la cohérence ainsi que la coordination de notre démarche.

Deuxième pilier : la fermeté. La semaine dernière, nos efforts ont porté principalement sur la recherche de gestes de désescalade. Si nous insistons sur la nécessité de cette dernière, pour éviter tout conflit, nous n'oublions pas que nous devons rester prêts à toutes les éventualités, notamment à réagir très fermement à toute nouvelle atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous le ferions, si d'aventure cela devait arriver, par l'adoption de sanctions massives, qui porteraient un coup sévère à la Russie. Nous nous préparons aussi à envisager les conséquences d'un conflit et de sanctions qui auraient des effets pour nous-mêmes. C'est le sens des travaux engagés par les institutions européennes, en lien avec les États membres, pour renforcer notre résilience, notamment dans les domaines énergétique et migratoire. Nous poursuivons nos échanges à ce sujet, si malheureusement nous étions obligés de recourir à ce type d'intervention.

La fermeté, c'est d'abord un élément de crédibilité et de dissuasion qui contribue à la désescalade – à cet égard, je vous renvoie à la dernière déclaration du Triangle de Weimar, que nous avons rendue publique mercredi soir. C'est aussi affirmer notre pleine solidarité avec l'Ukraine. À Kiev, le Président de la République a annoncé la signature de plusieurs accords destinés à envoyer un message de confiance dans la situation de l'Ukraine, à laquelle 1,2 milliard d'euros de garanties seront apportés, en complément des financements européens, d'un montant identique, annoncés par Mme von der Leyen.

La fermeté s'exprime également dans notre pleine implication dans la posture de dissuasion et de défense de l'OTAN, comme je l'ai confirmé en Roumanie il y a deux semaines, en faisant état de notre disposition à être nation-cadre de l'OTAN, si elle le décide, sur le territoire roumain, conformément à notre logique d'engagement auprès des pays les plus fragiles de l'Alliance. C'est aussi prendre acte du fait que la remise en cause des équilibres stratégiques en Europe ne pourrait rester sans conséquence sur les engagements pris à l'égard de la Russie dans un contexte différent. L'accord entre la Russie et l'OTAN conclu en 1997, qui comporte des dispositions militaires, deviendrait inévitablement caduc en cas d'intervention.

Troisième pilier : le dialogue. Sans un dialogue exigeant avec la Russie, nous ne trouverons pas le chemin de la désescalade nécessaire aujourd'hui, ni celui de la stabilité et de la sécurité dont nous avons besoin dans la durée. Les échanges qui ont eu lieu jusqu'à présent, dans le cadre du déplacement du Président de la République et après, n'avaient qu'un seul objectif : enrayer la dynamique de l'escalade. De ce point de vue, j'ai pris bonne note des prises de position russes adoptées dans les dernières heures. Mon homologue Lavrov, dans le cadre d'un entretien un peu mis en scène, a fait état de sa volonté de poursuivre une discussion diplomatique. Le ministre de la défense Choïgou a fait part du retrait de certaines unités militaires. Les paroles sont intéressantes, mais les actes sont meilleurs. Nous observerons avec vigilance ceux qui suivront ces déclarations, ainsi que la traduction concrète de ce déclaratif nouveau.

L'enraiement de l'escalade passe aussi par des discussions substantielles au format Normandie, dont la nécessité de la relance est un constat partagé. Il l'est par Moscou. En dépit des différends significatifs que la discussion entre le Président de la République et le président russe a mis en lumière, ce dernier s'est montré prêt à faire en sorte que ce travail se poursuive. Il va de soi qu'aucun dialogue sincère ne peut être mené si l'escalade se poursuit. Pour autant, nous ne nous attendions pas à ce que les Russes engagent subitement des gestes clairs de désescalade ou de démobilisation des unités militaires. Nous savions tous que quelques heures de discussions ne suffiraient pas, et que les efforts devraient être poursuivis. Ce constat est aussi partagé par Kiev, ainsi que par nos partenaires allemands et polonais, comme le rappelle la déclaration de Weimar. Le président Zelensky et les autorités ukrainiennes ont adopté une position de retenue remarquable, insistant sur l'importance de nos entretiens et sur la nécessité de ne pas envoyer des signaux d'alarme excessifs, qui tendent à affaiblir l'économie et les autorités ukrainiennes.

La désescalade amorcée dans le cadre du format Normandie doit permettre la mise en œuvre des accords de Minsk, car il y a un format pour mener la négociation sur les questions ukrainiennes – le format Normandie – et un dispositif de fond – les accords de Minsk. À présent, il faut progresser dans leur mise en application sur les sujets qui sont sur la table – l'humanitaire, le sécuritaire et le politique. Deux réunions des conseillers diplomatiques des chefs d'État concernés ont eu lieu récemment, l'une à Paris, il y a deux semaines, et l'autre à Berlin, jeudi dernier. Elles n'ont pas permis de faire aboutir ces discussions très difficiles, mais les conseillers diplomatiques ont dit que la discussion doit se poursuivre. Ils ont notamment réaffirmé la nécessité de progresser pour obtenir le respect du cessez-le-feu, qui a été rompu un temps avant d'être de nouveau respecté – jusqu'à l'heure.

Sur le plan politique, le président Zelensky a fait un geste important en retirant de l'ordre du jour de la Rada, le Parlement ukrainien, le projet de loi sur la transition au Donbass. Il s'agissait d'un point de blocage lourd avec la Russie, car le texte ne correspondait pas aux engagements de Minsk.

Par ailleurs, nous avons pris connaissance avec une forte inquiétude du vote par la Douma, qui certes n'engage pas les autorités russes ni le président Poutine, d'une résolution appelant à reconnaître les régions du Donbass, qui appartiennent au territoire ukrainien, comme des États indépendants et souverains. Une telle reconnaissance par les autorités russes rendrait nuls et non avenus les accords de Minsk, ce qui nous renverrait au point de départ et à des difficultés majeures. Cette résolution est un peu préoccupante, même si le président Poutine, qui a abordé ce point avec le président Macron, ne l'a pas reprise à son compte.

Après la recherche de la désescalade et l'engagement du processus de Normandie, le troisième point de notre stratégie est d'essayer d'apporter des solutions concrètes aux différends structurels profonds avec la Russie qui pèsent sur la stabilité de l'Europe. À cet égard, l'OTAN et les États-Unis ont récemment présenté des propositions en réponse aux demandes que la Russie leur avait adressées en décembre, et ce afin d'apporter des garanties de sécurité tant à cette dernière qu'aux alliés de l'OTAN et de l'Union européenne.

Je le redis, les principes qui fondent l'ordre de sécurité européen et qui structurent la stabilité en Europe ne sont pas négociables, que ce soit la souveraineté, l'inviolabilité des frontières, l'interdiction du recours à la force pour modifier les frontières, ou la liberté de choisir ses alliances et d'appartenir à une organisation internationale. Nous avons toujours été clairs, on ne transige pas sur ces principes.

Dans ce cadre, nous cherchons à obtenir des garanties de sécurité sur ce qui constitue des motifs d'inquiétude légitimes. Le Président de la République a ainsi évoqué la situation en Biélorussie, en particulier les déploiements militaires russes qui y sont opérés ainsi que le projet de réforme constitutionnelle remettant en cause les objectifs de neutralité et de non-déploiement d'armes nucléaires dans le pays. Sur ces deux points, le président Poutine s'est montré rassurant mais nous resterons vigilants, comme nous le sommes après les récentes déclarations de mon homologue et de son collègue chargé de la défense.

Sur plusieurs garanties de sécurité exigées par les Russes et qui, contrairement à ce qu'ils affirment, ne sont pas secondaires, les États-Unis et l'OTAN ont ouvert la porte à des discussions substantielles. Il s'agit de la limitation des déploiements militaires en Ukraine ; la transparence de la défense antimissile de l'OTAN ; la maîtrise des armements conventionnels et la transparence des exercices et des déploiements ; l'avenir des restrictions prévues par l'ancien traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Sur ces enjeux lourds, les discussions sont possibles puisque la Russie et les Européens, qui continuent à coordonner leur position, en partagent la nécessité. Nous verrons ce qu'il ressort des entretiens que le chancelier allemand a eus aujourd'hui. Nous attendons, sur les sujets que je viens d'évoquer, un calendrier et, sur la première demande que les Russes avaient faite, une réponse aux propositions émises par les Américains et par l'OTAN.

Pour conclure sur l'Ukraine, nous avons pris des mesures à l'égard de la communauté française qui est peu nombreuse – environ un millier de personnes dont une part significative de binationaux. Nous avons durci les conseils aux voyageurs afin de dissuader nos compatriotes de se rendre en Ukraine. Nous avons aidé les familles de nos agents à revenir en France si elles le jugeaient utile. Nous avons fermé le lycée et les écoles. Nous sommes en lien permanent avec notre ambassade et nous avons dépêché à Kiev plusieurs éléments du centre de crise et de soutien pour assurer la bonne coordination. Toutefois, nous n'avons pas jugé opportun de déplacer notre ambassade. À l'heure où je vous parle, nous considérons que nos mesures sont adaptées à la situation. Certains pays ont fait d'autres choix.

S'agissant du Mali et de notre engagement au Sahel, je voudrais rappeler certains faits pour dissiper les malentendus qui s'invitent encore parfois dans le débat public.

Les provocations auxquelles s'est livrée la junte malienne au cours des dernières semaines ne sont pas les épisodes d'une crise franco-malienne mais les symptômes de la fuite en avant d'un régime, qui, parce qu'il cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix, en est venu à s'isoler de ses partenaires sahéliens, africains, européens et internationaux.

Avant de demander le départ de notre ambassadeur, la junte avait expulsé le représentant de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui rassemble quatorze États. Elle avait également exigé le retrait du contingent danois de la task force Takuba pour des motifs infondés et entravé les activités dans le centre du Mali de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), en violation du mandat donnée à celle-ci par le Conseil de sécurité.

J'y insiste, la crise actuelle n'est pas une crise franco-malienne mais une crise entre, d'une part, une junte arrivée au pouvoir à l'issue d'un double coup d'État, et d'autre part, l'ensemble des pays qui, depuis des années, soutiennent le combat du Mali et des Maliens contre la menace terroriste, parfois au prix du sang – c'est le cas de la France qui y a perdu cinquante-trois soldats, ce que personne ne doit oublier.

Cette fuite en avant et, finalement, cet enfermement, sont les symptômes d'une dérive politique qui menace de ramener le Mali aux années sombres de la dictature de Moussa Traoré, renversé en 1991, et dont certaines figures de la junte se revendiquent ouvertement. La dérive vers la dictature est manifeste lorsque des opposants sont jetés en prison dans l'arbitraire le plus complet et désignés par le régime comme les ennemis de l'intérieur ; lorsque la presse malienne et internationale reçoit des consignes, pour ne pas dire des instructions, de la junte sur la ligne à suivre ; lorsque la junte, au mépris de ses propres engagements, se refuse à organiser des élections avant cinq ans, après deux années d'exercice du pouvoir, ce qui revient à s'arroger un mandat de sept ans sans aucune légitimité. La CEDEAO n'a pas manqué de dénoncer cette prise en otage du peuple malien pour cinq ans en adoptant des sanctions économiques et financières à l'encontre de la junte. L'Union africaine a approuvé les orientations et l'action de la CEDEAO et l'Union européenne lui a apporté son soutien unanime et déterminé en prenant des sanctions individuelles.

Après celle du cadre politique, la rupture du cadre opérationnel de la lutte contre le terrorisme est l'autre symptôme de la remise en cause de la transition malienne. Elle se matérialise par les entraves à l'action de la MINUSMA que j'ai déjà évoquées et par le recours aux mercenaires de la société russe Wagner qui sont déployés de manière significative sur le terrain. Ces deux ruptures sont liées : c'est bien parce que la junte cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix qu'elle fait appel à des mercenaires destinés avant toute chose à lui servir de garde prétorienne et d'assurance vie. Ce « service » est payant et pèse inévitablement sur les ressources financières, déjà limitées, du Mali ainsi que sur l'exploitation par les Maliens et à leur profit des ressources naturelles du pays. La société Wagner est en effet connue pour sa fâcheuse habitude à se « servir sur la bête ». Sa présence nuit aussi à la sécurité de la population malienne, déjà menacée par les groupes terroristes. Le précédent de la Centrafrique suffit, sans parler des autres théâtres, à rappeler les exactions et les violations des droits humains dont elle est capable à l'encontre des populations civiles. Le rôle donné à Wagner met également en péril les acquis de huit années de lutte contre le terrorisme, car la société est incapable, structurellement et sur le plan opérationnel, d'apporter une réponse crédible à la menace terroriste au Sahel. Contrairement à ce qu'une certaine propagande voudrait laisser croire, Wagner brille par son inefficacité face au terrorisme – on l'a vu au Mozambique où les mercenaires ont dû rapidement se retirer.

Le terrorisme se combat sur plusieurs plans à la fois. Pour empêcher des groupes terroristes de s'implanter dans une région, il faut, non seulement briser leurs capacités d'action par des opérations militaires, mais aussi répondre aux besoins des populations. Notre dispositif comprend ainsi des engagements financiers destinés à soutenir les populations, car l'instabilité et la pauvreté sont des portes d'entrée pour le terrorisme. C'est l'approche que nous défendons au sein de la coalition internationale pour le Sahel.

La junte est seule aujourd'hui : seule à prendre des décisions qui engagent la sécurité et l'avenir du Mali ; seule sur la scène africaine et internationale ; seule dans un tête-à-tête mortifère avec Wagner, puisque l'organisation se nourrit de la guerre et du chaos. La dérive vers la dictature et l'isolement n'est pas sans conséquence pour nous. Elle pose en profondeur la question de notre engagement au Mali et des modalités de la poursuite de notre lutte contre le terrorisme au Sahel. Plus la fuite en avant s'accentue, plus la junte s'éloigne de l'horizon de légitimité qu'elle semblait s'être fixé lorsqu'elle s'inscrivait dans un processus de transition démocratique, plus elle s'écarte de ses partenaires. Lorsque nous nous sommes engagés aux côtés du Mali en 2013, les autorités maliennes pouvaient se prévaloir d'une légitimité tirée de la perspective tangible d'un processus électoral, autant de conditions qui ne sont plus remplies aujourd'hui.

La situation n'est donc plus tenable en l'état. Elle appelle une reconfiguration et une adaptation du cadre de notre engagement au Sahel dont les modalités doivent être décidées avec nos partenaires africains, européens et internationaux. Nous avons donc engagé avec eux des discussions sur le sujet. Demain soir est organisée, sous l'égide du Président de la République, une réunion informelle avec plusieurs chefs d'État et de gouvernement africains et européens.

Je ferai trois remarques à cet égard. D'abord, ce qui n'a jamais changé depuis 2013 et ne changera pas, c'est notre détermination à combattre la menace terroriste au Sahel. Notre propre sécurité et celle de nos partenaires sont en jeu. Si l'opération Serval a été lancée en janvier 2013, alors que les colonnes djihadistes d'Al-Qaïda s'apprêtaient à s'emparer de la ville de Konna sur sa route vers Bamako pour faire du Mali un califat, c'est parce que nous étions convaincus de la nécessité d'aider nos partenaires africains à préserver leur propre sécurité mais aussi des risques pour notre propre sécurité. Al-Qaïda et Daech, qui sont toujours à l'œuvre au Sahel, sont une menace pour nos ressortissants. Elles ont toujours désigné notre pays comme leur ennemi et ont un lien direct avec la mouvance djihadiste internationale.

Ensuite, notre dispositif au Sahel a constamment évolué depuis 2013 : il a connu une régionalisation lorsque l'opération Barkhane a succédé à Serval pour combattre la menace à l'échelle de la région ; une « sahélisation » progressive grâce à la montée en puissance des armées de la force conjointe du G5 Sahel ; une internationalisation dont témoigne la présence de la MINUSMA, forte de 12 000 soldats et chargée de la mise en œuvre de l'accord d'Alger ainsi que de la sécurité de la population ; une européanisation à travers la mission EUTM qui assure la formation des militaires et la task force Takuba ; une transformation pour renforcer la logique de coopération avec nos partenaires sahéliens et ouest-africains. Cette dynamique nous a permis de porter des coups très durs aux filiales de Daech et d'Al-Qaïda au Sahel. Nous avons empêché la territorialisation des groupes armés terroristes, en particulier dans la zone dite des trois frontières, et nous les avons désorganisés.

Parallèlement, l'Alliance Sahel soutient, pour un montant de 22 milliards d'euros, un millier de projets de développement dans les cinq pays concernés, les plus notables consistant à assurer l'accès à l'eau potable de 6 millions de Sahéliens. Il s'agit aussi d'accompagner le sursaut civil nécessaire lorsque les territoires sont abandonnés par les forces terroristes, sursaut dont le meilleur exemple est celui de la région de Tillabéri au Niger.

Enfin, la réorganisation du dispositif est aussi rendue nécessaire par l'évolution de la menace terroriste, dont on observe une double forme de diffusion : d'une part, une diffusion géographique, vers le sud, la région des trois frontières et le nord des pays du golfe de Guinée ; d'autre part, une diffusion communautaire à travers l'instrumentalisation des oppositions communautaires par les groupes terroristes pour gagner du terrain. Tout en restant aux côtés des pays du G5 Sahel qui sont demandeurs d'un appui, nous devons être davantage présents aux côtés des États du golfe de Guinée, notamment en soutenant l'initiative d'Accra, réunissant le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Togo ainsi que le Burkina Faso et destinée à prévenir le risque terroriste par le partage du renseignement et la conduite d'opérations transfrontalières communes. Nous répondons aussi aux demandes dans le cadre des stratégies nationales de stabilisation et de développement dans les zones vulnérables du nord des pays côtiers.

Je redis notre détermination à combattre le terrorisme au Sahel et à revoir notre dispositif en coordination avec les pays africains et européens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.