Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 1er mars 2022 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Clément Beaune, secrétaire d'État :

Je suis d'accord avec vous, monsieur le président. Mais, pour qu'il y ait une carotte, encore faut-il qu'il y ait une forme de sincérité dans la négociation. Pour l'instant, même si nous nous y employons fortement, nous ne sommes pas encore dans la situation où nous pouvons dire aux Russes que s'ils remplissent telle condition, ils auront une forme de « récompense » ou d'incitation. Il faudra définir des critères dans le cadre du mécanisme de revue que j'évoquais à l'instant. En tout cas, l'occupation d'un pays ne peut pas être une condition de discussion réelle.

S'agissant de la fourniture des armements, 450 millions d'euros – 500 millions au total – permettront de financer des armes létales, de combat. Des pays ont commencé leurs livraisons sans attendre les financements européens. Certains – ce n'est pas le choix de la France – ont indiqué, sans pour autant en donner une liste exhaustive, le type d'équipements qu'ils fournissent ; c'est le cas des Belges et des Allemands. Nous ne faisons pas le même choix, car nous cherchons à répondre de manière adaptée aux demandes de la partie ukrainienne. Nous avons déjà effectué un certain nombre de livraisons ; nous les poursuivrons, mais sans publier la liste des équipements fournis. Quant aux avions, les représentants de l'Union européenne ont indiqué, à la fin de la semaine dernière, qu'il s'agissait d'une des options possibles : cela fait partie de ce qui est finançable par l'Union européenne en fonction des demandes de l'Ukraine et de ce que les États membres sont prêts à fournir.

Monsieur El Guerrab, je vous remercie pour le soutien que vous apportez à notre action diplomatique de terrain. J'en profite pour rendre à nouveau hommage à notre ambassadeur, Étienne de Poncins, et à son équipe, qui ont dû, compte tenu de la gravité de la situation, quitter Kiev hier pour s'installer, comme un certain nombre d'autres postes diplomatiques, à Lviv. L'équipe continue à travailler, dans des conditions difficiles et apporte un soutien à nos ressortissants. Notre conseil de quitter le territoire ukrainien le plus rapidement possible reste bien entendu plus que jamais valable. Nous nous efforçons de recenser nos ressortissants présents sur le territoire ukrainien et d'accompagner au mieux chacune des personnes avec lesquelles l'équipe est en contact. Nous avons découvert que ces ressortissants étaient un peu plus nombreux que ce qu'indiquaient les chiffres du recensement et les inscriptions officielles. La gravité de la situation a incité plusieurs d'entre eux à se manifester. Nous nous efforçons de leur offrir un accompagnement. Comme Jean-Yves Le Drian l'a rappelé hier, il est encore possible – mais il faut suivre la situation heure par heure et, en tout état de cause, contacter l'ambassade avant toute démarche – de quitter le territoire ukrainien par la route, au sud. Hélas, nous ne pouvons évidemment pas procéder à des opérations d'évacuation globale ni assurer la protection de chaque voiture ou de chaque convoi, mais nous pouvons, par un contact téléphonique avec l'ambassade et en lien avec le centre de crise du Quai d'Orsay, faire le maximum pour apporter au moins des informations, voire une solution, à chaque ressortissant français.

Quant aux énergies renouvelables, je ne ferai pas un long exposé sur nos coopérations avec le continent africain mais elles concourent à la diversification de nos approvisionnements – je pense notamment à l'énergie solaire. Je vous renvoie, sur ce point, à la déclaration commune publiée à l'issue du sommet de l'Union africaine et de l'Union européenne qui s'est tenu il y a deux semaines : ces projets d'investissement et de développement font partie de ceux que nous avons décidé de financer.

Les fournitures à l'Ukraine sont-elles suffisantes ? Nous n'excluons pas de les augmenter encore. Une enveloppe budgétaire a été définie par la Facilité européenne pour la paix ; nous ajusterons à la fois les sanctions et nos mesures de soutien à l'Ukraine. La logique consiste à répondre autant que faire se peut aux demandes de l'Ukraine, qu'il s'agisse d'armements ou d'aide humanitaire.

Permettez-moi de dire un mot du volet humanitaire, puisque la question a été soulevée. Nous, Français, avons déjà acheminé, dans le cadre du Mécanisme européen de protection civile, un premier convoi composé de tentes, de couvertures et de divers autres équipements ; un deuxième convoi, comprenant notamment un hôpital de campagne, est en cours d'acheminement. Par ailleurs, je ne peux pas confirmer, vous le comprendrez, les informations, voire les rumeurs concernant l'utilisation par la Russie de tel ou tel armement – vous avez évoqué la bombe à fragmentation.

Monsieur Nadot, l'information du Parlement se déroule dans le cadre juridique et constitutionnel, et parfois au-delà – je pense à une structure plus informelle comme le comité de liaison. Nous répondons à toutes les questions ; Jean-Yves Le Drian et le pôle du Quai d'Orsay seront prêts à le faire en commission et dans d'autres formats. Comme en témoigne le débat organisé dans le cadre de l'article 50-1, le cadre constitutionnel est parfaitement respecté.

Par ailleurs, le travail diplomatique que nous menons pour sécuriser nos approvisionnements énergétiques nous a conduits à renforcer nos contacts avec nos partenaires du Proche-Orient, du Moyen-Orient et du nord de l'Afrique – Égypte, Émirats arabes unis, Qatar – ainsi qu'avec des partenaires asiatiques, qui sont parfois des réexportateurs d'énergie. J'ajoute que la coopération avec nos partenaires d'Afrique et du Moyen-Orient est également très bonne aux Nations unies ; le Kenya a ainsi très clairement soutenu, en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, nos efforts diplomatiques. À ce sujet, une proposition de résolution a été déposée à l'ONU à l'initiative de la France pour appeler à la cessation des hostilités et à faciliter le passage de l'aide humanitaire ; nous espérons qu'elle sera soutenue le plus largement possible.

Monsieur Lecoq, à cette heure, plus de 400 000 personnes ont fui l'Ukraine. Il s'agit, vous avez raison de les nommer ainsi, de réfugiés qui fuient une guerre. Ils sont entrés sur le territoire de pays de l'Union européenne – principalement la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie – et, hors de l'UE, sur le territoire de la Moldavie. Nous sommes prêts à faire preuve de solidarité vis-à-vis de ces pays – Jean-Yves le Drian est actuellement en Pologne, où je me rendrai moi-même dans quelques jours. La « bonne nouvelle » est que certains pays qui refusaient la solidarité européenne dans ce domaine sont désormais prêts à accueillir des réfugiés ; ils ne font pas directement appel, à ce stade, à la solidarité européenne mais ils conviennent qu'elle sera nécessaire. Nous sommes prêts à manifester cette solidarité dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la protection des frontières, de l'accueil immédiat – dans le cadre de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, ou de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile –, de la fourniture, sur le plan humanitaire, d'équipements aux centres d'accueil provisoires ou, plus tard, d'une forme de répartition.

Les discussions sont en cours entre les ministres de l'intérieur. Les Ukrainiens sont dans une situation particulière puisqu'ils ont, la plupart du temps, un titre de séjour et peuvent rester quatre-vingt-dix jours sur le territoire de l'Union européenne. Une protection temporaire leur sera sans doute accordée – la plupart des États-membres semblent y être favorables – afin que leurs titres de séjour soient prolongés d'au moins quatre-vingt-dix jours supplémentaires. Nous adapterons notre dispositif au fur et à mesure, mais la solidarité européenne sera à l'évidence nécessaire sur le plan financier et humanitaire, et sur le plan de l'accueil.

Vous avez évoqué les manifestations en Russie. Au-delà – car, quoi qu'on en pense, un pays ne peut jamais avoir pour objectif de déstabiliser le régime d'à côté –, nous avons sans doute manqué, bien que le président Macron ait visé cet objectif, notamment dans le cadre du dialogue de Trianon, le lien avec les sociétés civiles. Il est, à très court terme, trop difficile de l'établir, mais nous devrons poursuivre dans cette voie. Du reste, ce que fait le président Zelensky lorsqu'il s'adresse, dans la bataille de l'information, en russe au peuple russe est très important.

Je ne me lancerai dans aucune polémique sur le rôle de l'OTAN : le débat est beaucoup plus vaste. Évoquer la responsabilité de cette organisation dans le cheminement qu'a suivi la Russie ne correspond pas à la réalité. Ce pays est seul responsable de la crise et de la guerre actuelles. Nous avons toujours bien voulu considérer, le Président de la République au premier chef, la question dite des garanties de sécurité et de l'architecture européenne de sécurité. Nous n'avons pas estimé que les choses étaient figées, et nous avons tendu la main au président russe, notamment ces dernières semaines, pour en discuter. Nos partenaires ont parfois jugé que ce dialogue n'aurait pas dû avoir lieu, mais nous l'avons assumé, car nous pensons que c'est, pour l'avenir, une des voies de stabilisation de notre relation à la Russie. Encore faut-il que la discussion demeure possible et qu'une autre voie que celle de la guerre soit choisie. En tout état de cause, cette discussion, nous le savons, sera, un jour, nécessaire.

En ce qui concerne les médias Russia Today et Sputnik, je crois qu'il existe une différence entre une information, même radicale ou adoptant un point de vue différent, et un organe qui, ces derniers jours, soutient à 100 % une agression étrangère. On peut avoir un débat éthique et philosophique sur ce point, mais il ne s'agit plus, en l'espèce, d'information ni même de désinformation, mais d'une propagande pure et simple. Je veux bien croire que chacun est capable de faire la différence mais, quand des reportages sont mensongers, il n'est plus possible – et ma remarque n'est aucunement condescendante – d'exercer son discernement. Des mensonges sont proférés qui, dans une situation comme celle-là, sont dangereux. Il faut être sans naïveté à cet égard et réagir en Européens. C'est pourquoi il a été décidé collectivement, ce week-end, de suspendre ces médias.

Monsieur le président, la décision a été prise, à ce stade, de ne déconnecter du système SWIFT que celles des institutions financières russes qui ont le plus d'impact sur le régime, le financement des opérations militaires, le cœur de l'État russe. Mais nous n'excluons pas de prendre des mesures plus importantes. Ce découpage est imparfait, mais il a un impact très puissant sur les transactions financières et les exportations russes, en particulier dans le secteur des matières premières, qui est crucial pour l'économie et le pouvoir russes.

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