La séance est ouverte à 9 h 35
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
Échange, ouvert à la presse, sur la situation en Ukraine avec M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes.
Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, que je remercie de sa présence devant notre commission alors que les membres du Gouvernement sont très sollicités en ce moment. Nous serions très heureux de pouvoir auditionner également M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et Mme Florence Parly, ministre des armées, mais il me semble très intéressant de nous focaliser aujourd'hui sur les aspects européens de la crise ukrainienne, qu'il s'agisse des sanctions décidées contre la Russie, de la demande d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne ou de la cohésion entre les États membres.
Jean-Yves Le Drian est en effet retenu par un déplacement en Pologne dans le cadre de l'action diplomatique menée par la France pour résoudre cette crise – il faudrait plutôt parler de guerre, puisque c'est de cela qu'il s'agit, en réalité, sur le terrain.
La situation est très grave et mouvante. Nous avons observé hier quelques signaux ou quelques espoirs de discussion entre les parties russe et ukrainienne, tandis que se poursuivait la nécessaire activité diplomatique française et européenne – après avoir reparlé au président Zelensky, le Président de la République s'est entretenu longuement avec le président Poutine. Sur le terrain, cependant, la réalité est celle d'une opération de guerre, d'une opération d'invasion. À l'heure où nous parlons, les combats semblent malheureusement s'intensifier. Cela ne veut pas dire que nos efforts collectifs ne doivent pas être poursuivis.
Je ne reviendrai pas sur la chronologie des événements. Je dirai quelques mots de la réaction française, européenne et internationale à cette situation de guerre et je m'efforcerai, avec beaucoup de modestie et de prudence dans ce contexte mouvant, d'en tirer quelques leçons politiques ou géopolitiques provisoires.
Nous avons vu le retour en Europe de la force brute, de la force brutale. Pour nous, Européens qui vivons, et c'est tant mieux, dans une union de paix et de droit, cela a été un choc, un traumatisme, de voir se produire ce que nous pensions impossible. Nous croyions tous que nous pouvions vivre avec le droit sans la force. Nous nous sentons alors rapidement impuissants lorsque d'autres ne pensent pas comme nous.
À l'inverse – mais je le dis évidemment avec beaucoup de prudence –, Vladimir Poutine et le régime russe ont pu constater que la force sans le droit, la coopération ni la reconnaissance d'une interdépendance internationale conduisait à une impasse. En cherchant à reconquérir un pays par la force, dans le cadre d'une stratégie impériale, Vladimir Poutine a voulu engager un combat du XXe siècle qui est, d'une certaine façon, perdu d'avance. Cela provoque un drame, cela fait des victimes par centaines et probablement par milliers, cela entraîne la fuite de centaines de milliers de personnes, mais en dépit de quelques victoires remportées sur le terrain, que nous ne souhaitons évidemment pas, c'est la meilleure façon de faire de l'Ukraine une démocratie européenne – ce qu'elle sera sans doute dans dix ou quinze ans – qui tournera le dos à la Russie – ce qui, d'un point de vue géopolitique, n'est pas vraiment une bonne nouvelle. L'idée que la force permet de se passer de toute coopération internationale et qu'un pays peut vivre en autarcie mène à une forme d'échec, dont la Russie de M. Poutine devra tirer les leçons.
Je le disais tout à l'heure : dans une sorte de confort, y compris moral, les Européens se sont habitués à vivre dans une Union réconciliée de droits, de valeurs et, si vous me permettez l'expression, de bonnes manières, à rebours de la réalité géopolitique mondiale. Cela ne nous a pas empêchés de tirer rapidement les conséquences très fortes des événements récents. Vous connaissez mon engagement européen mais vous savez que je ne chercherai pas à enjoliver le tableau : vous me permettrez donc de dire que le sursaut européen auquel nous avons assisté ces derniers jours est impressionnant. La réalité est dramatique, mais la réponse que nous y avons apportée, ou plutôt la capacité de réponse que nous avons mise en place, est positive.
Nous avons tout d'abord adopté un certain nombre de mesures que nous jugions traditionnellement insuffisantes voire inefficaces, telles que des sanctions individuelles et des sanctions économiques ; ce sont des armes que l'Europe avait déjà utilisées, y compris contre la Russie, mais qui ont pris cette fois une ampleur inédite, impensable il y a encore quelques jours. Je ne ferai pas la liste de ces mesures, que vous connaissez en très grande partie. Je me bornerai à citer la déconnexion de nombreuses banques russes du système de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), l'immobilisation des avoirs de la banque centrale russe – c'est sans doute la mesure dont l'impact économique et financier est le plus important –, ainsi que le recensement, le gel et potentiellement la saisie des avoirs de certains responsables politiques ou économiques russes. Ces dispositions habituelles ont pris une telle ampleur qu'elles ont changé de nature.
Nous y avons ajouté des mesures d'une nature tout à fait différente. Là non plus, je n'en dresserai pas la liste exhaustive, mais je pense notamment à la fermeture de notre espace aérien, ou encore à la déconnexion ou l'immobilisation d'un certain nombre de médias comme Sputnik et Russia Today (RT), qui sont devenus des instruments de propagande.
Au-delà des mesures de nature punitive qui exercent sur la Russie une pression inédite, nous nous sommes mis d'accord sur des dispositifs tout autres. C'est là que le saut européen est sans doute le plus impressionnant, d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif. Outre le soutien humanitaire et politique que nous apportons à l'Ukraine, nous avons décidé de lui venir en aide d'un point de vue militaire. Nous ne sommes pas nous-mêmes des belligérants, comme M. Le Drian l'a rappelé très clairement hier, mais nous soutenons un pays attaqué qui est, de fait, en guerre. Bien que je n'aime pas utiliser des mots galvaudés, je pense que nous pouvons parler ici d'une décision historique. Pour aider les États membres à livrer des équipements militaires à l'Ukraine – je souligne qu'il s'agit là d'une action indirecte –, nous mobilisons au niveau européen une enveloppe de 500 millions d'euros, dont 450 millions pourront être utilisés pour la livraison d'équipements à caractère létal. Cette mesure s'inscrit dans le cadre de la facilité européenne pour la paix, un outil prévu dans le budget européen 2021-2027 mais qui n'avait encore jamais été utilisé dans de telles circonstances.
Ce qui s'est passé chez notre premier partenaire européen, l'Allemagne, est sans doute le précipité ou le révélateur de cette évolution européenne à marche forcée. J'invite chacun à lire l'impressionnant discours prononcé dimanche par le chancelier Olaf Scholz devant le Bundestag. Tout en se situant clairement dans un cadre européen d'unité, l'Allemagne se montrait traditionnellement prudente lorsqu'il était question de livraison d'équipements militaires ou de sujets énergétiques – vous connaissez évidemment les enjeux liés aux gazoducs Nord Stream. Tout cela a été balayé en quelques jours, et même en quelques heures, par les événements historiques. Après avoir annoncé, quelques jours plus tôt, la suspension de la procédure concernant le pipeline Nord Stream 2, le chancelier Scholz s'est prononcé dimanche en faveur de la livraison d'équipements militaires à l'Ukraine et du vote d'un fonds de 100 milliards d'euros – deux fois le budget annuel actuel de la défense en Allemagne – pour la modernisation de la Bundeswehr dans un cadre européen. Il a également levé le tabou des 2 % du PIB consacrés à l'effort de défense, conformément à la cible de dépenses fixée dans le cadre de l'OTAN que sa coalition avait pourtant jusqu'alors refusé d'endosser.
Nous ne sommes qu'au début du chemin. Il est évident que la présidence française du Conseil de l'Union européenne devra désormais être consacrée presque exclusivement à ces sujets. Il faudra aussi tirer, à la lumière de cette guerre et de cette crise qui durera, un certain nombre de leçons pour l'avenir à propos de notre investissement et de la coopération européenne en matière de défense.
Sans vouloir faire de comparaisons inappropriées, j'aimerais mettre en perspective les crises vécues par l'Europe ces dernières années. Depuis le Brexit, en 2016, nous avons surmonté trois « impensés » en six ans. Le premier est celui du départ d'un pays de l'Union européenne – une situation que les fervents partisans de la construction européenne jugeaient impossible. Cet événement, dont la nature était certes différente de celui que nous vivons aujourd'hui, a été révélateur. Nous pensions également que l'Europe n'aurait jamais à gérer de questions sanitaires, et surtout que ses règles de rigueur budgétaire ne permettraient pas d'appliquer ce que la France a appelé le « quoi qu'il en coûte » et que tous les autres pays ont également mis en place ; or cela s'est fait en seulement quelques semaines, par l'adoption d'un plan de relance et la levée du tabou budgétaire allemand. Enfin, nous considérions qu'il était impossible de construire sérieusement une Europe de la défense utile ; même si nous n'en sommes encore qu'au début, nous avons constaté là aussi que ce tabou pouvait sauter, et qu'il était d'ailleurs nécessaire qu'il saute rapidement.
Je reviendrai évidemment, en répondant le plus précisément possible à toutes vos questions, sur la situation de nos ressortissants en Ukraine, sur notre travail diplomatique et consulaire sur place, sur l'accueil des réfugiés ainsi que sur la poursuite de nos efforts diplomatiques.
L'agression militaire de l'Ukraine préméditée par la Russie est venue mettre un terme à plusieurs décennies d'une paix si chèrement acquise en Europe. Elle a malheureusement plongé durablement notre continent dans des heures sombres, qu'il nous faudra affronter avec détermination. À l'heure où nous parlons, le sang coule encore sur le sol européen et je veux avoir ici, au nom de mon groupe et en mon nom personnel, une pensée émue et indignée pour les vies ukrainiennes fauchées depuis le début du conflit. Parmi les 350 décès dénombrés, on compte bien évidemment des soldats, mais aussi des civils, victimes du mépris du Kremlin pour les règles les plus fondamentales du droit international. Cette guerre est un affront à la souveraineté de l'Ukraine et une injure sans nom adressée à notre humanité commune par un seul homme, Vladimir Poutine, dont l'attitude contraste d'ailleurs avec celle du président Zelensky, en armes, déterminé à défendre au péril de sa vie l'intégrité de son pays et la liberté de son peuple.
Cette agression n'a pas manqué de faire réagir le monde entier, et à plus forte raison l'Union européenne et la France qui assure sa présidence. Pour la première fois de son histoire, l'Union a décidé d'investir 450 millions d'euros pour armer les forces ukrainiennes, appuyant ainsi concrètement leur effort de guerre contre leur agresseur. Elle a aussi pris la décision de fermer son espace aérien aux avions russes, de bannir des ondes les relais médiatiques de la propagande du Kremlin et d'exclure la Russie du réseau SWIFT, obérant ainsi sensiblement la bonne marche de l'économie de ce pays. Notre groupe s'associe sans réserve à cette réponse inédite, proportionnée à la gravité de la situation.
Pour répondre à la crise qu'elle traverse, l'Europe amorce un tournant déterminant dans l'affirmation de sa souveraineté, dont les bases avaient été posées par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne. Nul ne peut désormais ignorer l'impérieuse nécessité pour l'Union européenne de placer son autonomie stratégique au cœur de ses préoccupations et de se doter des moyens d'y parvenir rapidement et efficacement. Comment la France, qui assure la présidence de l'Union européenne en ces temps troublés, entend-elle redéfinir ses priorités en matière de défense stratégique ?
En toute hypothèse, le groupe La République en Marche condamne une nouvelle fois avec la plus grande fermeté l'agression de l'Ukraine par la Russie. Il assure les autorités et la population ukrainiennes de son plein et entier soutien. L'histoire se souviendra à jamais de leur bravoure et de l'infamie de ceux qui ont sciemment choisi de répandre la terreur et la mort sur le sol européen.
L'invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine a été un choc pour nous tous. Au nom du groupe Les Républicains, je tiens évidemment à apporter tout notre soutien au peuple ukrainien qui se bat jour après jour, quartier par quartier, pour préserver sa souveraineté et protéger son pays. Nous accompagnerons les efforts diplomatiques accomplis par la France pour trouver une issue à ce conflit. Il est évident que nous ne parlons pas ici d'Emmanuel Macron comme d'un candidat ou même comme du président, mais comme du chef des armées. En tant que membres d'un parti de gouvernement, nous sommes parfaitement lucides quant au rôle que doit jouer la France, puissance d'équilibre dans l'Union européenne et dans le monde, pour trouver une issue à cette guerre.
Vous l'avez dit, ce conflit a été un électrochoc pour l'ensemble du continent européen. Nous avons l'impression qu'en l'espace de dix jours, nous avons avancé beaucoup plus vite que nous ne l'avions fait en dix ans. Nous avons redécouvert que certaines de nos économies, en particulier celles des pays ayant tourné le dos à l'énergie nucléaire, étaient dépendantes du gaz et des énergies fossiles russes. Nous avons également constaté qu'il était possible, pour les États membres de l'Union européenne, de mettre en place des sanctions coordonnées très fortes que personne n'aurait imaginées il y a encore quelques jours – elles vont d'ailleurs bien au-delà de l'Union européenne, qui n'est pas le seul cadre structurant du bloc occidental. Nous observons enfin qu'une réflexion plus importante est menée quant à l'élaboration d'une stratégie autonome de défense.
Aux yeux du groupe Les Républicains, nous sommes désormais confrontés à quatre défis importants. Le premier est celui de la paix ; il pose la question de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et de sa souveraineté, dont le respect se heurte aux exigences russes. Quelle est votre position à ce sujet ? Le deuxième défi concerne la construction d'une capacité autonome de défense pour assurer notre propre sécurité. Le troisième porte sur notre indépendance énergétique : alors que le gazoduc Nord Stream 1 continue d'abreuver le continent européen de gaz russe, a-t-on réfléchi à la possibilité d'y mettre un terme ? Enfin, il sera nécessaire de retrouver notre souveraineté alimentaire et agricole.
Nous avons entendu ce matin une expression très forte du ministre de l'économie, des finances et de la relance, lequel a expliqué que les sanctions européennes visaient à provoquer l'effondrement de l'économie russe. Pouvez-vous nous donner plus de détails, dans la limite de ce qu'il est possible de dire lors d'une audition publique, sur la durée de ces sanctions, les moyens qui leur permettront d'atteindre ce but ainsi que les objectifs recherchés en termes de politique intérieure ?
Enfin, nous constatons en Ukraine une demande pressante d'adhésion à l'Union européenne. Quelle est la réflexion de la France à ce sujet ? Il faut évidemment prendre le temps nécessaire et éviter de céder à l'émotion très vive qui nous saisit tous ; cependant, nous devons apporter une réponse à cette demande afin d'inscrire notre soutien dans un cadre et ne pas être pris au dépourvu dans la crise très grave qui frappe l'ensemble de notre continent.
Vous connaissez ma situation personnelle et mon émotion. La solidarité des Français ne concerne pas que nos compatriotes qui vivent en France : les communautés françaises réparties dans toute l'Europe, en particulier dans ma circonscription, sont déjà actives.
J'aimerais vous interroger sur un signal très fort que vous avez relevé et que j'ai moi aussi beaucoup analysé, qui est le discours d'Olaf Scholz. Il est construit sur cinq points que vous n'avez pas cités mais qu'il me paraît important de reprendre. Le point n° 2, en particulier, évoque le mot « dissuasion ». Comment le comprenez-vous ? Le chancelier allemand a également parlé de l'effort national à réaliser dans le domaine de la sécurité – ce que vous avez souligné –, ainsi que du sujet de l'énergie. Vous voyez certainement des choses que je ne vois pas : j'aimerais donc que nous confrontions nos avis. L'Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) s'est réunie deux jours avant la déclaration de guerre, et votre homologue allemande n'a pas toujours répondu très clairement aux questions qui lui étaient posées à propos de l'énergie, du nucléaire et de l'effort de défense. Comment analysez-vous les éléments qui sous-tendent le discours de M. Scholz ? Au-delà des apparences, pensez-vous qu'il risque de remettre en cause la cohérence de la coalition au pouvoir et la solidarité entre les partis qui la forment ? En d'autres termes, le discours vous semble-t-il dans la droite ligne de l'accord de coalition, lequel s'inscrit, à mes yeux, dans le prolongement du discours de la Sorbonne ? Pensez-vous que les efforts consentis par l'Allemagne permettront de renforcer la souveraineté européenne ou qu'ils iront dans une direction plus atlantique ? Concrètement, quelles sont les prochaines étapes qu'envisage la diplomatie française pour poursuivre ce dialogue avec l'Allemagne, qui a commencé à la Sorbonne, a continué à Meseberg et s'est renforcé par la conclusion de l'accord de coalition puis par le récent discours d'Olaf Scholz ?
Je vous remercie pour ces informations utiles et les leçons que vous tirez de la situation actuelle, que le groupe Socialistes et apparentés partage. Après la guerre en Yougoslavie, nous assistons au retour de la force brutale en Europe. La situation est évidemment dramatique, choquante et inquiétante – nous avons pu nous rendre compte, dans nos circonscriptions, que nos concitoyens s'inquiètent tant du maintien de la paix que des conséquences économiques de la guerre, qu'il nous faudra vraisemblablement assumer pleinement.
S'agissant de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, un accord d'association avait été discuté au début des années 2010 – c'est d'ailleurs ce qui avait provoqué en Ukraine une crise, probablement fomentée par les opposants à ce rapprochement. Alors que ce pays nous demande aujourd'hui une adhésion express qui est impossible, existe-t-il une piste qui permettrait de relancer cet accord d'association ?
Il me semble que les accords de Minsk concernant le Donbass avaient été négociés en format Normandie, autrement dit entre la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine. Le deuxième accord, conclu en 2015, prévoyait une discussion autour de l'évolution du statut du Donbass, qui n'aurait pas bénéficié d'une autonomie mais d'un statut particulier. Qu'a fait notre pays, depuis 2015, pour amorcer la négociation d'un tel statut, conformément à un accord dont il est lui-même signataire ? Même s'il s'agit évidemment d'un mauvais prétexte invoqué par la Russie, il semble bien que rien n'ait bougé depuis sept ans.
Je suis tout à fait favorable au gel des avoirs et aux sanctions financières prononcées contre la Russie, mais à quel moment ou à quelles conditions ces mesures seront-elles levées ? Un accord entre les deux parties, en cours de négociation mais peut-être loin d'être conclu, permettrait-il d'y mettre un terme ?
Certains médias ont affirmé que la fourniture d'armements à l'Ukraine inclurait des avions. Est-ce exact ? Si oui, ces avions seront-ils basés en Ukraine, ce qui paraît compliqué ?
Je vous remercie de votre présentation de la situation. Je souhaite saluer le travail de notre diplomatie sur le terrain, du Président de la République et de tous les membres du Gouvernement qui sont de grands interlocuteurs dans cette période incertaine. Je me félicite de la cohésion nationale dont nous faisons preuve, malgré la campagne électorale, et je me réjouis que l'ensemble des groupes, de la majorité comme de l'opposition, se tiennent derrière la France. Au-delà de la cohésion nationale, on peut même parler d'une cohésion européenne, derrière le Président de la République : c'est ce qui fait notre force.
J'aimerais également avoir une pensée pour les peuples – le peuple ukrainien, bien évidemment, qui subit la violence de cette guerre et verse son sang, mais aussi le peuple russe, soumis à la volonté d'un dictateur. Pensez-vous que M. Poutine soit réellement suivi par l'ensemble des autorités russes ? Les différentes séquences télévisées récemment diffusées donnent le sentiment que les responsables du pays ne sont pas tous en phase avec sa position.
Par ailleurs, la Russie joue un rôle international néfaste, non seulement en Europe mais aussi en Afrique. Je suis concerné au premier chef : au Mali, pays qui fait partie de ma circonscription, les manœuvres de déstabilisation de la Russie ont conduit au départ des Français et des autres Européens. Comment pouvons-nous lutter contre ces tentatives de déstabilisation ?
Pour terminer, je voudrais saluer le geste des autorités algériennes, qui ont déclaré qu'elles étaient prêtes à combler nos déficits énergétiques. Ne serait-il pas temps de créer une communauté européenne des énergies renouvelables, notamment dans l'ouest, et d'accélérer notre politique de voisinage avec les pays de la rive sud de la Méditerranée ? Il s'agit d'ailleurs d'une démarche que l'Assemblée nationale appelle de ses vœux, car elle a adopté il y a quelques semaines une résolution allant dans ce sens. Alors, accélérons !
Mon groupe et moi-même avons une pensée pour le peuple ukrainien, en particulier les civils qui font l'objet de bombardements constants dans un certain nombre de villes.
Quelle est la position de la présidence française de l'Union européenne à l'égard de la demande d'adhésion immédiate formulée par le président ukrainien ?
Considérez-vous que les fournitures d'armes létales par l'Union européenne sont suffisantes pour garantir la riposte ukrainienne, alors même que la domination militaire de la Russie passe par l'air, ce qui aura pour conséquence que la réponse au sol ne sera que limitée, et donc, à terme, sans doute inachevée, voire inutile ?
Des informations américaines concordantes font état d'une possible utilisation par la Russie de bombes à fragmentation su Kharkiv. Confirmez-vous ces informations qui donneraient un sens différent à la réponse mondiale face à l'agression russe ?
Qu'en est-il des informations selon lesquelles la représentation diplomatique française pourrait être rapidement déplacée de Kiev à Lviv ?
Enfin, quel message votre ministère envoie-t-il aux ressortissants français encore présents sur le sol ukrainien : doivent-ils le quitter ou peuvent-ils rester et, dans ce cas, dans quelles conditions de sécurité ?
Je tiens d'abord à remercier M. le secrétaire d'État pour sa présence et ses explications. Cette audition témoigne de la volonté de l'exécutif d'informer le Parlement, dans la droite ligne du comité de liaison avec les parlementaires qui s'est réuni vendredi et du débat de cet après-midi en séance. Mais notre groupe demande davantage que d'être informé : le Parlement doit être associé au suivi de cette crise, et parfois même être vraiment consulté, y compris durant la période de suspension des travaux, non pas pour le bon plaisir de quelques parlementaires mais parce que la Constitution le requiert. Dans ce moment si grave, les représentants de la nation ont un rôle important à jouer.
Mon groupe condamne évidemment sans réserve l'invasion militaire de l'Ukraine par la Russie. L'Ukraine est un pays souverain et démocratique ; nous lui devons le soutien et l'assistance les plus fermes. Mes pensées vont au peuple ukrainien, première victime de cette guerre sans aucune justification légitime ; elles vont aussi bien aux personnes qui restent qu'à celles qui partent ; elles vont à tous ceux qui souffrent de la barbarie et continueront à en souffrir au cours des prochaines semaines et des prochains mois, y compris parmi la population russe.
Au-delà du conflit, qui est d'ores et déjà meurtrier et s'accompagne de la séparation des familles, de l'exil de nombreuses personnes, avec son lot de tragédies humaines, et de l'apparition de réfugiés, un grand bouleversement géopolitique est en cours. Le groupe Libertés et Territoires fait souvent figure de non-aligné en matière de politique étrangère. Dans ce moment très grave, sans oublier nos obligations constitutionnelles de parlementaires, qui supposent un contrôle attentif de l'action de l'exécutif, mes collègues et moi-même voulons avoir confiance dans votre gouvernement pour mener le dialogue avec nos partenaires européens habituels. Il convient toutefois de ne pas oublier les partenaires historiques de notre pays en Afrique ou au Moyen-Orient. Toutes les pistes de partenariat et de dialogue permettant de ramener la paix doivent être explorées, y compris directement avec la Russie, comme le fait le Président de la République.
Je tiens également à saluer l'ampleur des réponses européennes. L'Union européenne, si décriée, a su se montrer unie et imposer rapidement des sanctions importantes. Cette nouvelle manière européenne d'agir constitue une avancée considérable, à court terme et peut-être dans la durée. C'est sur ce dernier point que je voudrais vous interroger.
Quand on observe le jeu diplomatique des grandes puissances de ce monde, on constate qu'elles remettent en cause de manière quasi irrévocable l'ordre international qui existait depuis 1945. La manière de faire la paix qui prévalait depuis la deuxième guerre mondiale a vécu et il n'existe plus de communauté internationale à même d'arbitrer, de gérer et résoudre un conflit. Alors que les cartes de la géopolitique mondiale ont été rebattues, comment penser une planète pacifiée dans les décennies à venir ? Comment lutter collectivement contre l'affaiblissement des démocraties et le retour des empires belliqueux ? Face aux outils sophistiqués et aux moyens colossaux déployés par les tenants de la guerre et de la barbarie, quels nouveaux chemins la France entend-elle construire pour promouvoir la dignité humaine pour toutes et tous ? Car enfin, la paix n'est pas seulement une idée, c'est aussi une volonté, une méthode et des moyens pour la faire advenir.
Merci, monsieur le secrétaire d'État, d'être à nos côtés ce matin et, plutôt que de nous proposer un grand plaidoyer, d'être à notre écoute et de répondre à nos questions. J'apprécie beaucoup votre proposition.
D'abord, évidemment, je voudrais faire part de ma solidarité envers le peuple agressé, c'est-à-dire le peuple ukrainien. Dans les journaux télévisés, on parle beaucoup de « migrants ». Il va falloir expliquer aux journalistes qu'il s'agit de « réfugiés », de personnes fuyant la terreur. Il faut arrêter de se tromper sur le vocabulaire, car c'est quelque chose qui compte dans les périodes de crise.
J'ai aussi vu des Russes, défiant Poutine dans des manifestations pour la paix, se faire matraquer et arrêter. Je ne sais pas ce qu'ils vont subir dans les prisons russes, mais cela ne va pas être simple pour eux non plus. Il faut d'ailleurs rappeler qu'il existe depuis des années, en Russie, des forces qui défient Poutine. Avec ma formation politique, nous les appuyons – nous intervenons sur une multitude de sujets. Ce n'est pas seulement depuis quelques semaines que Poutine est un tyran : il a notamment triché pour gagner les élections. Nous devrons donc également soutenir les forces démocratiques russes.
Je suis surpris que personne, pour l'instant, n'ait parlé de l'OTAN. À ma connaissance, l'organisation porte pourtant une part de responsabilité dans la situation – en raison de son existence même, peut-être. En effet, c'est la volonté de l'Ukraine d'y adhérer, plus que celle d'intégrer l'Union européenne, qui a pesé dans la réaction russe. Il convient donc de se poser des questions à ce propos. C'est d'ailleurs ce que je fais depuis cinq ans dans cette commission, comme je l'avais fait il y a quinze ans, et comme d'autres l'ont fait. Depuis la fin du pacte de Varsovie, la question de l'existence de l'OTAN est posée, pour des raisons d'équilibre. On doit donc tirer toutes les leçons de la situation.
Avec mes camarades, nous apprécions beaucoup la réaction « pacifique » – même si, en réalité, elle a été agressive – de l'Union européenne en matière financière et économique. Comme quoi il existe des outils pour combattre les guerriers, qui plus est des outils démocratiques. Il faut continuer à les utiliser.
Nous tenions à saluer aussi la capacité de notre pays, à travers le Président de la République, à continuer le dialogue. La diplomatie a toute sa place : elle doit œuvrer jusqu'au bout et en permanence. La France ne fuit pas ses responsabilités ; c'est important.
En revanche, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Je sais décortiquer des images et faire la différence entre la propagande et l'information. Je ne vois donc pas pourquoi on empêche la diffusion des chaînes russes en Europe. Pour analyser une situation, il est bon d'entendre les deux parties. Il faut de la diversité, précisément si l'on veut éviter la propagande, y compris chez nous. Je ne pense pas que les Français soient influencés par la télévision russe.
Les fake news et la propagande, ce n'est pas la même chose…
Quant à moi, monsieur le secrétaire d'État, je voulais vous interroger sur le système SWIFT. Un partage a été fait entre les banques qui ne peuvent plus y participer et les autres, mais il est assez difficile de l'interpréter. On dit, par exemple, qu'ont été soustraites à la sanction les banques gérant les contrats gaziers avec l'Allemagne. Je ne dis pas cela de façon polémique : on peut aussi comprendre que ce pays n'ait pas envie de prendre des sanctions pesant d'abord sur lui.
Comment analysez-vous la demande du président Zelensky d'une intégration de l'Ukraine à l'Union européenne subito, pour reprendre un adverbe ayant cours à Rome ? Qu'en est-il également de la réponse de Mme von der Leyen ? L'adhésion à l'Union crée une sorte de lien de défense. L'article 42, paragraphe 7, du Traité sur l'Union européenne introduit en effet une clause de défense mutuelle et stipule que les pays de l'Union sont obligés d'aider un État membre si celui-ci fait l'objet d'une agression armée sur son territoire. Aider un pays, ce n'est pas entrer en guerre contre son agresseur, j'en conviens, mais en l'espèce cela pose tout de même un problème. Et puis, qu'est-ce qu'aider l'Ukraine ? Est-ce aider l'Ukraine avec la Crimée, avec le Donbass ? Plusieurs problèmes se posent donc, qui ne doivent pas du tout condamner l'idée d'une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, mais doivent être pris en compte.
Merci pour vos interventions ainsi que pour le climat qui règne ce matin, marqué par la gravité et l'émotion. Ces sentiments nous réunissent au moment où il s'agit de trouver une réponse à cette guerre.
Monsieur Mbaye, s'agissant de la redéfinition des priorités de la présidence française de l'Union européenne à la lumière de la guerre et de ses conséquences, il est évident que nous ne continuerons pas comme si rien ne s'était passé. Toutefois, un certain nombre d'enjeux prioritaires et pertinents, qui faisaient souvent l'objet de discussions depuis plusieurs années, pour lesquels la France avait pris des initiatives transpartisanes et soutenues par d'autres pays, ne seront pas abandonnés. Qu'il s'agisse de la régulation du numérique – sujet qui nous ramène à certains des aspects qui ont été évoqués, car il y a des liens avec les plateformes et les médias –, des normes sociales ou de la politique climatique, les négociations continuent. Des réunions des conseils des ministres européens concernés se tiennent et continueront à se tenir. Ce serait une faute de ne pas le faire. Néanmoins, nous ne saurions manquer d'initiative en ce qui concerne le conflit, qui est désormais la chose la plus importante. Je n'ai pas besoin de détailler les actions du Président de la République montrant son engagement à cet égard.
La prochaine échéance très importante au niveau des chefs d'État et de gouvernement européens sera un sommet informel qui se tiendra en France les 10 et 11 mars. Cette réunion était prévue ; il appartiendra au Président de la République d'en redéfinir les contours. Il devait être consacré aux questions de souveraineté européenne dans les domaines économique et industriel. L'enjeu était notamment de créer un nouveau modèle d'investissement européen. Nous devrons nous concentrer davantage sur la réduction de notre dépendance, ce qui est du reste cohérent avec le projet d'ensemble qui était annoncé. Cette dépendance concerne aussi bien la sécurité et la défense que l'énergie, la technologie – elle est manifeste dans de nombreuses industries de pointe, y compris l'aéronautique – et l'alimentation.
Comme l'a dit très clairement le Président de la République ce week-end au salon de l'agriculture, le conflit aura des conséquences à court terme sur nos vies et sur les filières économiques. Il importe de ne pas les nier et d'accompagner les filières concernées.
Un vaste mouvement européen s'est engagé à la faveur d'une prise de conscience du prix de la sécurité, de la démocratie et de la paix, et de la nécessité d'investir, en particulier dans le domaine de la défense. À cet égard, la France avait investi davantage et plus tôt que d'autres. Désormais, c'est à l'échelon européen qu'il faut le faire. L'Allemagne s'est d'ailleurs engagée dans ce chemin.
Dans le domaine de l'alimentation, nous appelons de nos vœux depuis plusieurs mois un plan européen pour le développement de la production de protéines. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation est très engagé dans cette démarche.
Dans le domaine de l'énergie, la réduction de la dépendance suppose d'accélérer la transition. Il est en effet indispensable de réduire plus rapidement notre dépendance à l'égard des énergies fossiles, en particulier du gaz russe. Moins de 20 % du gaz importé par la France vient de Russie, mais c'est 55 % pour l'Allemagne et plus encore pour l'Italie.
L'indépendance en matière de sécurité et de souveraineté, au sens large, sera plus que jamais la grande priorité de la présidence française dans les semaines qui viennent. Je ne suis pas en mesure de détailler l'ensemble du projet à cette heure, mais le sommet des 10 et 11 mars sera sans doute un rendez-vous important.
Monsieur Dumont, je vous ai déjà répondu en partie s'agissant des quatre défis que vous avez recensés. En ce qui concerne la souveraineté énergétique, l'Europe est toujours en situation de dépendance. Sans entrer dans une polémique avec nos partenaires, force est de constater que la France a fait il y a quarante ans, en optant pour le nucléaire, un choix décisif pour garantir sa souveraineté. En effet, ce n'est pas l'ambition climatique qui nous guidait à l'époque, car cette préoccupation était moins présente. Ce n'était pas non plus la question du coût de l'énergie, même si, grâce à ce choix, nous avons bénéficié de prix plus bas que nos voisins européens. Le choix du nucléaire était avant tout guidé par le souci de la souveraineté, enjeu qui paraissait parfois abstrait à certains lors des débats européens, et dont on voit à quel point il est crucial. Les Pays-Bas et l'Allemagne évoluent sur ce point. Dans le débat allemand, notamment, la question du nucléaire apparaît sous un jour différent à la lumière des événements des derniers jours. Les points de vue avaient déjà commencé à évoluer il y a plusieurs semaines, avec la crise du prix de l'énergie.
Pour répondre précisément à votre question, il n'y a pas d'interruption ni même de difficultés de livraison pour cet hiver, mais nous devons nous préparer à tout. Les ministres de l'énergie ont ainsi été réunis hier par la présidence française pour faire un point sur les stocks et, à plus long terme, sur l'accélération de l'indépendance. La réglementation européenne doit évoluer de manière à renforcer les stocks. À l'évidence, certains pays européens sont plus vulnérables que d'autres. Une autre priorité est de préparer dès à présent l'hiver prochain, car c'est en général à partir du mois d'avril de l'année n que l'on reconstitue les stocks stratégiques et de précaution pour l'année n + 1.
Il faut également diversifier l'approvisionnement en gaz, y compris à travers des négociations à l'échelon européen. La Commission européenne s'est ainsi engagée depuis plusieurs semaines dans des discussions avec nos partenaires, en particulier au Proche-Orient, ainsi qu'avec les États-Unis.
Bruno Le Maire n'a pas dit que notre première intention était d'abîmer l'économie russe, voire de la précipiter vers l'effondrement : il s'agit d'une réponse à l'agression organisée par la Russie et, en effet, nous souhaitons imposer une pression maximale à l'économie russe, tout en procédant à une forme de ciblage. Le peuple russe n'est pas notre ennemi. Toutefois, ne soyons pas naïfs : il est difficile de faire une cote parfaitement taillée, c'est-à-dire de prendre des mesures dont l'impact économique est limité à quelques dirigeants, à quelques oligarques proches du pouvoir, ou encore aux services de défense et de renseignement. Je vous mentirais en vous disant que c'est possible. Si les sanctions individuelles permettent le ciblage, les mesures d'ordre économique sont nécessairement plus larges. Néanmoins, pour les sanctions économiques sectorielles, notamment les interdictions d'export, qui ont été adoptées en milieu de semaine dernière, nous avons tenté de cibler les domaines sensibles pour l'économie russe et participant au financement du pouvoir. Ainsi, certaines des banques visées contribuent au financement de l'appareil militaire. Nous avons donc fait en sorte d'engager une action proportionnée, ce qui ne signifie pas qu'elle soit légère : nous ciblons les intérêts russes les plus proches de M. Poutine et du pouvoir en nous efforçant de faire en sorte que l'impact sur le citoyen russe, qui n'est souvent pour rien dans cette affaire, soit le moins important possible. Cela dit, il est évident que les conséquences de ces mesures sur le rouble et sur l'inflation doivent être très fortes si l'on veut que la pression s'exerce ; elles pèseront donc aussi sur la population russe.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé, à juste titre, sur l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.
Je recommande une grande prudence, d'abord parce que nous exerçons la présidence du Conseil de l'Union européenne. À ma connaissance, neuf pays se sont exprimés très clairement en faveur d'une adhésion rapide de l'Ukraine – avec plus ou moins d'empressement, certes, mais le message a été envoyé. Nous ne pouvons pas ignorer non plus le signal très fort que constitue la signature de la demande formelle d'adhésion par le président Zelensky ; c'est une marque de confiance. Toutefois, certains États ne se sont pas exprimés. D'autres ont fait part de leurs réticences ou ont demandé que l'on agisse avec précaution. Dans la mesure où nous assurons la présidence de l'Union, nous devons prendre en compte tous ces éléments. Si je vous disais que tous les pays européens se sont exprimés en faveur de l'adhésion de l'Ukraine, ce ne serait pas la vérité.
En outre, dans la mesure où l'Europe est de plus en plus, notamment du fait de cette crise, un projet politique et géopolitique – ce qui était notre souhait collectif, me semble-t-il –, nous devons réfléchir aux conséquences de cette adhésion dans la durée et avoir une vue d'ensemble, malgré la gravité de la situation. Si l'Ukraine entre dans l'Union européenne, que dirons-nous à la Géorgie ou à la Moldavie, dont les dirigeants se sont entretenus avec le Président de la République ? Ces pays sont eux aussi dans l'œil du cyclone. Que dirons-nous aux pays des Balkans occidentaux, qui ont entamé de longue date le processus d'adhésion – lequel me paraît d'autant plus nécessaire que la guerre risque de déstabiliser encore plus cette région ?
Quoi qu'il en soit, comme l'a dit hier Jean-Yves Le Drian, il est certain que notre relation avec l'Ukraine ne sera plus la même après cette crise, et que l'Union européenne elle-même ne sera plus la même. Nous devrons sans doute – je le dis à titre prospectif, provisoire et personnel – imaginer des formes de partenariat plus approfondi avec notre voisinage immédiat. L'accord d'association avec l'Ukraine date de 2016. À ce titre, le pays participe à certains programmes de l'Union européenne et il est sans doute, dans notre voisinage, celui dont nous sommes le plus proches. Le soutien que nous lui accordons, indépendamment de la guerre, est de l'ordre de 160 millions d'euros par an dans le cadre de la nouvelle programmation financière, ce qui est très important. Il est évident qu'il faudra changer encore d'échelle. Toutefois, il serait prématuré et peu responsable de préciser dès maintenant à quelle échéance cette évolution aura lieu et quelle forme elle prendra – car on peut se demander si l'adhésion est la seule forme de partenariat possible avec l'Union européenne.
Je crois beaucoup à la force de l'Union européenne et je considère que l'adhésion est une démarche très puissante. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas la prendre à la légère – la situation ne l'est pas non plus, du reste. Nous devons donc bien réfléchir au projet d'adhésion ; je le dis pour l'Ukraine comme pour nous-mêmes. Une adhésion subito ne serait pas une bonne démarche et ne correspondrait pas non plus à la réalité des choses en la matière car, mutatis mutandis, le processus prend habituellement au moins quinze ans.
De plus, une adhésion immédiate n'apporterait pas à l'Ukraine une aide concrète et immédiate. Il est vrai que le traité prévoit des clauses de solidarité très importantes, mais elles ne sont pas exactement de même nature que celles d'une alliance du type de l'OTAN. Nous ne sommes pas, au départ, une alliance de défense et de sécurité. Toutefois, si M. Zelensky, avec le grand courage qui le caractérise, fait appel à l'Union européenne, c'est parce qu'il considère qu'elle offre déjà un cadre de protection – avec l'idée qu'une agression visant l'un de ses membres est beaucoup plus improbable, même s'il ne faut jurer de rien, malheureusement – et qu'elle sera de plus en plus une union de sécurité et de défense. Il s'agit là d'un projet de long terme ; pour l'heure, nous devons répondre à la demande qui nous est faite – je veux parler des livraisons d'équipements ; j'y reviendrai.
Nous devrons avoir un débat sur « les aspirations européennes de l'Ukraine », selon la formule du Conseil européen du 24 février. Il faut, à ce stade, assumer cette formule un peu générale. Dès la fin de semaine, je réunirai à Arles les ministres chargés des affaires européennes. La réunion était déjà programmée, mais nous consacrerons l'essentiel de nos débats à la question de l'Ukraine.
Monsieur Petit, vous avez raison de souligner le discours pivot du chancelier Scholz – je l'ai fait moi aussi –, même si certains termes mériteront d'être précisés. Il ne m'appartient pas de m'en faire l'interprète et encore moins de commenter la politique allemande. Toutefois, des mots forts ont été prononcés à propos de la dissuasion, ou encore de l'indépendance énergétique, qui marquent une évolution en l'espace de quelques jours par rapport à l'accord de coalition. Celui-ci, du reste, était déjà de nature très européenne et levait certains tabous, en particulier s'agissant des règles budgétaires. Cela dit, il entretenait encore ce que j'appellerais des ambiguïtés constructives dans le domaine de la défense, en particulier en ce qui concerne l'engagement européen dans des interventions extérieures, ou encore dans le domaine de la politique commerciale. Même si ce ne fut pas tout à fait le cas dans les toutes premières heures de la crise puis de la guerre, les positions du chancelier Scholz ont ensuite été soutenues par la plupart des partis, dans un moment d'unité et de responsabilité exemplaire : outre les libéraux, les Verts et les sociaux-démocrates, la CDU et la CSU se sont exprimées très clairement en ce sens, notamment par la voix de Friedrich Merz, au Bundestag, dès dimanche.
Cela veut-il dire que tout est réglé, qu'il n'y aura plus de débats entre le poids de l'Union européenne et celui de la relation transatlantique, entre le rôle de l'Union européenne et celui de l'OTAN ou de la complémentarité entre les deux ? À l'évidence, non. Quand il s'agira des achats de matériel militaire, de la priorité donnée à telle ou telle alliance, ou encore des opérations extérieures européennes, ces débats se poursuivront, bien entendu. Malheureusement, ils n'ont pas été éteints par la crise. Cela dit, nous nous dirigeons clairement vers une augmentation des dépenses liées à la défense, et l'Union européenne a marqué sa volonté de jouer directement un rôle en matière de sécurité, y compris par la livraison d'armes. Par ailleurs, l'Allemagne a fait savoir qu'elle respecterait son engagement, pris dans le cadre de l'OTAN, de consacrer 2 % de son PIB aux dépenses de défense.
Monsieur Lambert, je ne peux pas en dire beaucoup plus que je ne l'ai déjà fait à propos des conséquences économiques de la guerre. S'il n'y a pas de risque de rupture de l'approvisionnement, l'impact de la crise sur les prix, quant à lui, n'est pas seulement de l'ordre du risque : c'est une réalité. Combien de temps cela durera-t-il et quelles seront les proportions du phénomène ? Je ne saurais vous le dire, mais cela durera. C'est à peu près inévitable. Nous devons le dire en toute transparence à nos concitoyens.
Les accords de Minsk 2 ont été signés en février 2015 par les parties russe et ukrainienne et par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dans le cadre du format Normandie, qui associe la France, l'Allemagne, l'Ukraine et la Russie. Ce format a connu des difficultés. Il a été suspendu pendant longtemps, notamment parce que les deux parties n'arrivaient pas à trouver un terrain de convergence. Il a été réuni pour la dernière fois au niveau des chefs d'État et de gouvernement en décembre 2019, sur l'initiative de la France. Nous avons réussi à le réunir de nouveau au niveau des conseillers diplomatiques des chefs d'État et de gouvernement au début de la crise actuelle, quand nous avons lancé une nouvelle initiative.
Il est difficile de produire le bilan complet de ce format. Il a eu des effets positifs, parmi lesquels la consolidation du cessez-le-feu et la libération de prisonniers, y compris en décembre 2019. Nous avons tenté de le raviver, mais cela n'a pas fonctionné, principalement, disons-le très clairement, à cause du manque de volonté des Russes.
Néanmoins, c'est un format qui, je l'espère, vivra de nouveau à l'avenir. À ceux qui, dès le début de la crise, ont dit que l'Europe était très absente, je n'ai pas manqué de rappeler que, depuis 2014 et l'invasion de la Crimée, le seul format qui a, parfois et partiellement – reconnaissons-le humblement –, produit des résultats, c'est le format Normandie, sous l'égide la France et de l'Allemagne. Il ne faut donc pas l'abandonner.
Quant aux sanctions, notamment le gel des avoirs, nous n'avons pas défini les critères exacts de leur levée ou de leur atténuation. Il est évident que le contexte actuel ne le permet pas et que de telles perspectives n'existent pas à court terme. Cependant, conformément au mécanisme traditionnel en matière de sanctions, il est prévu que, tous les six mois, les États membres passent la situation en revue et, le cas échéant, décident à l'unanimité la prolongation des sanctions. Ainsi, les régimes de sanction appliqués à la Russie font déjà l'objet, au sein du Conseil européen, d'une telle revue, pilotée par la France et l'Allemagne. La même clause de rendez-vous s'appliquera pour définir des critères, selon une appréciation nécessairement politique et collective.
Je suis d'accord avec vous, monsieur le président. Mais, pour qu'il y ait une carotte, encore faut-il qu'il y ait une forme de sincérité dans la négociation. Pour l'instant, même si nous nous y employons fortement, nous ne sommes pas encore dans la situation où nous pouvons dire aux Russes que s'ils remplissent telle condition, ils auront une forme de « récompense » ou d'incitation. Il faudra définir des critères dans le cadre du mécanisme de revue que j'évoquais à l'instant. En tout cas, l'occupation d'un pays ne peut pas être une condition de discussion réelle.
S'agissant de la fourniture des armements, 450 millions d'euros – 500 millions au total – permettront de financer des armes létales, de combat. Des pays ont commencé leurs livraisons sans attendre les financements européens. Certains – ce n'est pas le choix de la France – ont indiqué, sans pour autant en donner une liste exhaustive, le type d'équipements qu'ils fournissent ; c'est le cas des Belges et des Allemands. Nous ne faisons pas le même choix, car nous cherchons à répondre de manière adaptée aux demandes de la partie ukrainienne. Nous avons déjà effectué un certain nombre de livraisons ; nous les poursuivrons, mais sans publier la liste des équipements fournis. Quant aux avions, les représentants de l'Union européenne ont indiqué, à la fin de la semaine dernière, qu'il s'agissait d'une des options possibles : cela fait partie de ce qui est finançable par l'Union européenne en fonction des demandes de l'Ukraine et de ce que les États membres sont prêts à fournir.
Monsieur El Guerrab, je vous remercie pour le soutien que vous apportez à notre action diplomatique de terrain. J'en profite pour rendre à nouveau hommage à notre ambassadeur, Étienne de Poncins, et à son équipe, qui ont dû, compte tenu de la gravité de la situation, quitter Kiev hier pour s'installer, comme un certain nombre d'autres postes diplomatiques, à Lviv. L'équipe continue à travailler, dans des conditions difficiles et apporte un soutien à nos ressortissants. Notre conseil de quitter le territoire ukrainien le plus rapidement possible reste bien entendu plus que jamais valable. Nous nous efforçons de recenser nos ressortissants présents sur le territoire ukrainien et d'accompagner au mieux chacune des personnes avec lesquelles l'équipe est en contact. Nous avons découvert que ces ressortissants étaient un peu plus nombreux que ce qu'indiquaient les chiffres du recensement et les inscriptions officielles. La gravité de la situation a incité plusieurs d'entre eux à se manifester. Nous nous efforçons de leur offrir un accompagnement. Comme Jean-Yves Le Drian l'a rappelé hier, il est encore possible – mais il faut suivre la situation heure par heure et, en tout état de cause, contacter l'ambassade avant toute démarche – de quitter le territoire ukrainien par la route, au sud. Hélas, nous ne pouvons évidemment pas procéder à des opérations d'évacuation globale ni assurer la protection de chaque voiture ou de chaque convoi, mais nous pouvons, par un contact téléphonique avec l'ambassade et en lien avec le centre de crise du Quai d'Orsay, faire le maximum pour apporter au moins des informations, voire une solution, à chaque ressortissant français.
Quant aux énergies renouvelables, je ne ferai pas un long exposé sur nos coopérations avec le continent africain mais elles concourent à la diversification de nos approvisionnements – je pense notamment à l'énergie solaire. Je vous renvoie, sur ce point, à la déclaration commune publiée à l'issue du sommet de l'Union africaine et de l'Union européenne qui s'est tenu il y a deux semaines : ces projets d'investissement et de développement font partie de ceux que nous avons décidé de financer.
Les fournitures à l'Ukraine sont-elles suffisantes ? Nous n'excluons pas de les augmenter encore. Une enveloppe budgétaire a été définie par la Facilité européenne pour la paix ; nous ajusterons à la fois les sanctions et nos mesures de soutien à l'Ukraine. La logique consiste à répondre autant que faire se peut aux demandes de l'Ukraine, qu'il s'agisse d'armements ou d'aide humanitaire.
Permettez-moi de dire un mot du volet humanitaire, puisque la question a été soulevée. Nous, Français, avons déjà acheminé, dans le cadre du Mécanisme européen de protection civile, un premier convoi composé de tentes, de couvertures et de divers autres équipements ; un deuxième convoi, comprenant notamment un hôpital de campagne, est en cours d'acheminement. Par ailleurs, je ne peux pas confirmer, vous le comprendrez, les informations, voire les rumeurs concernant l'utilisation par la Russie de tel ou tel armement – vous avez évoqué la bombe à fragmentation.
Monsieur Nadot, l'information du Parlement se déroule dans le cadre juridique et constitutionnel, et parfois au-delà – je pense à une structure plus informelle comme le comité de liaison. Nous répondons à toutes les questions ; Jean-Yves Le Drian et le pôle du Quai d'Orsay seront prêts à le faire en commission et dans d'autres formats. Comme en témoigne le débat organisé dans le cadre de l'article 50-1, le cadre constitutionnel est parfaitement respecté.
Par ailleurs, le travail diplomatique que nous menons pour sécuriser nos approvisionnements énergétiques nous a conduits à renforcer nos contacts avec nos partenaires du Proche-Orient, du Moyen-Orient et du nord de l'Afrique – Égypte, Émirats arabes unis, Qatar – ainsi qu'avec des partenaires asiatiques, qui sont parfois des réexportateurs d'énergie. J'ajoute que la coopération avec nos partenaires d'Afrique et du Moyen-Orient est également très bonne aux Nations unies ; le Kenya a ainsi très clairement soutenu, en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, nos efforts diplomatiques. À ce sujet, une proposition de résolution a été déposée à l'ONU à l'initiative de la France pour appeler à la cessation des hostilités et à faciliter le passage de l'aide humanitaire ; nous espérons qu'elle sera soutenue le plus largement possible.
Monsieur Lecoq, à cette heure, plus de 400 000 personnes ont fui l'Ukraine. Il s'agit, vous avez raison de les nommer ainsi, de réfugiés qui fuient une guerre. Ils sont entrés sur le territoire de pays de l'Union européenne – principalement la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie – et, hors de l'UE, sur le territoire de la Moldavie. Nous sommes prêts à faire preuve de solidarité vis-à-vis de ces pays – Jean-Yves le Drian est actuellement en Pologne, où je me rendrai moi-même dans quelques jours. La « bonne nouvelle » est que certains pays qui refusaient la solidarité européenne dans ce domaine sont désormais prêts à accueillir des réfugiés ; ils ne font pas directement appel, à ce stade, à la solidarité européenne mais ils conviennent qu'elle sera nécessaire. Nous sommes prêts à manifester cette solidarité dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la protection des frontières, de l'accueil immédiat – dans le cadre de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, ou de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile –, de la fourniture, sur le plan humanitaire, d'équipements aux centres d'accueil provisoires ou, plus tard, d'une forme de répartition.
Les discussions sont en cours entre les ministres de l'intérieur. Les Ukrainiens sont dans une situation particulière puisqu'ils ont, la plupart du temps, un titre de séjour et peuvent rester quatre-vingt-dix jours sur le territoire de l'Union européenne. Une protection temporaire leur sera sans doute accordée – la plupart des États-membres semblent y être favorables – afin que leurs titres de séjour soient prolongés d'au moins quatre-vingt-dix jours supplémentaires. Nous adapterons notre dispositif au fur et à mesure, mais la solidarité européenne sera à l'évidence nécessaire sur le plan financier et humanitaire, et sur le plan de l'accueil.
Vous avez évoqué les manifestations en Russie. Au-delà – car, quoi qu'on en pense, un pays ne peut jamais avoir pour objectif de déstabiliser le régime d'à côté –, nous avons sans doute manqué, bien que le président Macron ait visé cet objectif, notamment dans le cadre du dialogue de Trianon, le lien avec les sociétés civiles. Il est, à très court terme, trop difficile de l'établir, mais nous devrons poursuivre dans cette voie. Du reste, ce que fait le président Zelensky lorsqu'il s'adresse, dans la bataille de l'information, en russe au peuple russe est très important.
Je ne me lancerai dans aucune polémique sur le rôle de l'OTAN : le débat est beaucoup plus vaste. Évoquer la responsabilité de cette organisation dans le cheminement qu'a suivi la Russie ne correspond pas à la réalité. Ce pays est seul responsable de la crise et de la guerre actuelles. Nous avons toujours bien voulu considérer, le Président de la République au premier chef, la question dite des garanties de sécurité et de l'architecture européenne de sécurité. Nous n'avons pas estimé que les choses étaient figées, et nous avons tendu la main au président russe, notamment ces dernières semaines, pour en discuter. Nos partenaires ont parfois jugé que ce dialogue n'aurait pas dû avoir lieu, mais nous l'avons assumé, car nous pensons que c'est, pour l'avenir, une des voies de stabilisation de notre relation à la Russie. Encore faut-il que la discussion demeure possible et qu'une autre voie que celle de la guerre soit choisie. En tout état de cause, cette discussion, nous le savons, sera, un jour, nécessaire.
En ce qui concerne les médias Russia Today et Sputnik, je crois qu'il existe une différence entre une information, même radicale ou adoptant un point de vue différent, et un organe qui, ces derniers jours, soutient à 100 % une agression étrangère. On peut avoir un débat éthique et philosophique sur ce point, mais il ne s'agit plus, en l'espèce, d'information ni même de désinformation, mais d'une propagande pure et simple. Je veux bien croire que chacun est capable de faire la différence mais, quand des reportages sont mensongers, il n'est plus possible – et ma remarque n'est aucunement condescendante – d'exercer son discernement. Des mensonges sont proférés qui, dans une situation comme celle-là, sont dangereux. Il faut être sans naïveté à cet égard et réagir en Européens. C'est pourquoi il a été décidé collectivement, ce week-end, de suspendre ces médias.
Monsieur le président, la décision a été prise, à ce stade, de ne déconnecter du système SWIFT que celles des institutions financières russes qui ont le plus d'impact sur le régime, le financement des opérations militaires, le cœur de l'État russe. Mais nous n'excluons pas de prendre des mesures plus importantes. Ce découpage est imparfait, mais il a un impact très puissant sur les transactions financières et les exportations russes, en particulier dans le secteur des matières premières, qui est crucial pour l'économie et le pouvoir russes.
Dix-sept orateurs se sont inscrits : si chacun d'entre eux s'exprime pendant deux minutes, le secrétaire d'État sera parti depuis longtemps lorsqu'ils auront terminé !
Chaque intervenant disposera donc d'une minute pour poser sa question.
Dans son message au Parlement, vendredi dernier, le Président de la République a confirmé la volonté de la France de renforcer la lutte contre la manipulation de l'information et les attaques cyber pour nous protéger contre les ingérences étrangères.
Après avoir eu des échanges avec Susan Wojcicki, directrice générale de YouTube, Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, a déclaré que la France et l'Union européenne étaient déterminées à prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre la propagande russe sur le territoire. De son côté, Meta affirme que ses équipes sont mobilisées en continu afin d'assurer la sécurité des utilisateurs de leurs services et de contrer les tentatives de manipulation de l'information, sachant que Twitter, à quelques heures du début du conflit, a suspendu par erreur des comptes relayant des informations sur l'attaque russe.
Hier, à sa sortie du Conseil de défense, Jean-Yves Le Drian a annoncé avoir acté un paquet de sanctions qui permettra de mettre fin à la désinformation diffusée en Europe par les organes de propagande russes. Ces mesures vont être prises dans un délai très bref, c'est-à-dire aujourd'hui et demain. Par ailleurs…
Hier, au Salon de l'agriculture, j'ai pu percevoir la vive inquiétude que ressent le monde agricole face notamment à l'évolution du prix des céréales. Par ailleurs, jeudi dernier, j'ai été interpellée par les dirigeants d'une entreprise de ma circonscription qui hésitaient à faire partir des camions ukrainiens chargés notamment de conserves alimentaires. Les chauffeurs craignaient d'être bombardés sur les routes ukrainiennes, mais il est impératif d'envoyer de la nourriture en Ukraine. Ma question est importante,…
Merci. Si vous ne commencez pas par poser vos questions, nous ne nous en sortirons pas. Je vous redonnerai brièvement la parole plus tard, ainsi qu'à Marion Lenne, mais je ne peux pas vous laisser poursuivre.
La guerre en Ukraine aura des conséquences sur la vie quotidienne des Français, notamment en raison de son impact sur les prix. De nombreux secteurs sont concernés : l'aéronautique, l'élevage, la production de céréales, la parfumerie, les cosmétiques… Quelle forme prendra le soutien du Gouvernement aux consommateurs français et à ces secteurs ?
Pouvez-vous nous donner les grandes lignes du nécessaire renforcement de l'union de sécurité et de défense pour l'Europe ?
Je veux tout d'abord saluer l'action menée par le Gouvernement pour éviter cette guerre inutile, injuste et illégitime.
Je fais partie, avec d'autres députés, du réseau parlementaire sur la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Nous avons demandé, en amont du G7 finances, que soit maximisé le déploiement rapide des ressources du FMI à travers l'accord de confirmation, avec la possibilité d'aller au-delà de la somme de 2,2 milliards d'euros, et que soient mobilisés les financements d'urgence du FMI à travers l'instrument de financement rapide d'un montant équivalent à la quote-part de l'Ukraine.
Que compte faire la France auprès du FMI et de la Banque mondiale pour renforcer le soutien apporté à l'Ukraine et réduire celui dont bénéficie la Russie, qui pourrait recourir à ces institutions pour assurer sa stabilité monétaire ?
Je veux tout d'abord saluer l'effort de médiation du Président de la République. Quelles sont les chances d'un cessez-le-feu rapide ? Quel est le scénario le plus probable concernant l'évolution de ce conflit ? Un retournement de l'opinion russe contre Vladimir Poutine vous semble-t-il possible ? La menace nucléaire russe peut-elle dissuader les États-Unis d'intervenir dans le conflit ? Enfin, l'OTAN, dont on se souvient qu'elle a bombardé la Yougoslavie en 1999 pour mettre fin à la répression des Kosovars albanais, peut-elle demeurer passive face à l'agression par la Russie d'un pays souverain ?
Monsieur le secrétaire d'État, je veux rendre hommage à ces hommes et à ces femmes, dont vous faites partie, qui sont à la hauteur des enjeux dramatiques de l'invasion russe en Ukraine.
Je regrette que les canaux de la diplomatie parlementaire entre députés français et russes aient été trop peu activés au cours de la législature, même si la commission des affaires étrangères a auditionné, à ma demande, Bill Browder et Vladimir Kara-Murza sur la politique de sanction. Mais les regrets sont stériles.
Qui sont les jeunes soldats conduisant les tanks et les camions dont la liste des noms est publiée sur le site 200rf.com ? L'information est à prendre avec des pincettes, mais il semble qu'ils ne sachent pas où ils arrivent. Cela peut-il influencer l'opinion publique russe ?
Qu'en est-il des entreprises françaises à forts capitaux russes ? Elles seraient au nombre de quatre-vingt-six et ne sont pas uniquement présentes dans le tourisme et l'hôtellerie. Je pense, par exemple, à Superox, implanté à Marignane, expert en supraconducteurs, et à GEFCO, un des dix principaux opérateurs de logistique.
Enfin, nos satellites et nos câbles sous-marins font l'objet de menaces avérées. Quelles dispositions devons-nous prendre pour que les alertes en matière de cybersécurité soient diffusées auprès de toutes les entreprises et de tous les ménages français ?
De nombreuses initiatives sont prises par les collectivités territoriales, les entreprises mais aussi des particuliers pour accueillir les réfugiés ukrainiens. Certains pays, notamment l'Allemagne, qui avait su anticiper l'accueil des réfugiés syriens, s'organisent. Que fait la France pour ne pas être prise de court ?
On sait que les Russes contrôlent actuellement le ciel ukrainien. Dans les pays de l'OTAN frontaliers de l'Ukraine, notamment en Pologne, des forces militaires aériennes sont déployées par nos alliés. Quelles sont les conditions requises et les mesures prises pour que la situation aux frontières ne conduise pas à une escalade violente et incontrôlable ? Par ailleurs, nos concitoyens me demandent souvent comment aider concrètement les Ukrainiens qui se battent contre l'armée russe et ceux qui fuient leur pays en guerre.
Je termine en saluant votre action et celle de tous ceux qui se battent pour la résolution de ce conflit. Je crois que nous sommes à la hauteur.
Je souhaite vous alerter sur l'impact qu'a d'ores et déjà la crise ukrainienne sur le territoire guyanais. Carrefour de coopération entre l'Union européenne et la Russie, le pas de tir Soyouz a ainsi vu ses activités suspendues dès ce week-end par Roscosmos.
À l'heure où je vous parle, la préfecture organise le rapatriement de quatre-vingt-cinq techniciens russes présents dans la commune de Sinnamary. Si cette annonce est un coup dur pour les commerçants et les hôteliers de la circonscription, elle fait planer le doute sur la poursuite de l'ensemble des activités spatiales en Guyane. En 2022, trois lancements étaient prévus depuis la Guyane, notamment, le 6 avril prochain, celui de deux satellites Galileo, le GPS européen. Ces opérations sont pour l'heure reportées à une date inconnue. La situation est donc préoccupante pour le spatial guyanais.
J'en viens à mes questions.
Non, c'est trop tard. Je suis désolé, mais j'ai fixé une règle. Il est facile de poser une question en une minute !
À chaque crise, l'Europe progresse ; comme elles sont nombreuses, elle progresse vite.
Grâce à la présidence française de l'Union européenne, le président Macron est à l'avant-garde de la crise actuelle. Au-delà des qualités humaines du Président, le fait est que la France est une puissance militaire et qu'elle a probablement une certaine crédibilité aux yeux de Poutine. Mais la durée d'une présidence du Conseil, qui est de six mois, soulève la question de la gouvernance face à des crises longues. On peut en effet imaginer que plusieurs présidents se succéderont face à Poutine. Certes, la solution la plus immédiate consiste d'abord à prolonger au-delà du 24 avril la mission du président Macron ! Mais la gouvernance à venir fait-elle l'objet de réflexions ?
Plusieurs centaines de milliers d'Ukrainiens ont fui leur pays. Au-delà de la solidarité avec leurs pays de destination, notamment la Pologne, que peut faire la France ? Didier Leschi a indiqué que nous avions des capacités d'accueil à court terme, moins à moyen terme.
S'agissant de la nucléarisation du Belarus, envisage-t-on de renforcer les sanctions contre ce pays ?
Qu'en est-il du rôle du groupe Wagner, notamment dans la capitale ukrainienne ?
Enfin, nous connaissons la force symbolique des sanctions appliquées dans le domaine du sport. Envisage-t-on de prendre de telles sanctions en France, notamment dans la perspective du tournoi de Roland-Garros ?
Il semble que rien ne puisse arrêter le président Poutine dans sa volonté d'anéantir l'Ukraine et, surtout, d'éliminer le président de ce pays. De fait, il renforce les troupes russes présentes sur le territoire ukrainien et envisage d'aller jusqu'au bout, affirmant que son peuple est prêt à tous les sacrifices. Que ferons-nous lorsque l'Ukraine sera en ruine ?
Nous sommes face au plus grand défi que l'Europe et les démocraties aient à affronter. On parle très peu de la Chine et de l'Iran ; la Russie restera la Russie. Parce que nous voulons tous la paix, nous devons nous préparer à la guerre. Sommes-nous prêts ? Je l'ignore.
Je m'inquiète de la déclaration du ministre de l'Europe et des affaires étrangères concernant l'arme nucléaire. N'était-ce pas plutôt au Président de la République d'évoquer cette question ?
Je connais bien l'Ukraine, où je me suis encore rendu il y a un an et demi. J'étais, ce matin, au téléphone avec un parlementaire ukrainien, qui était sous les bombes. C'est un pays extraordinaire, et l'inquiétude est immense.
L'exercice AsterX, qui s'inscrit dans le cadre de la montée en puissance du spatial de défense – dont nous avons traité, Jean-Paul Lecoq et moi, dans un récent rapport – a lieu en ce moment. J'aimerais savoir si cet exercice est un peu modifié à des fins de protection dans l'espace.
Je salue l'action du Gouvernement face à la crise. Afin de trouver des solutions pour des personnes en ce moment plongées dans de vives inquiétudes, pourrait-on créer un numéro de téléphone spécifique qui permettrait aux députés de servir de relais auprès du Quai d'Orsay ?
Après l'embargo consécutif à l'invasion de la Crimée, la Russie a montré qu'elle savait s'adapter. Les sanctions économiques qui viennent d'être décidées ne risquent-elles pas de pousser les Russes vers un acteur dont personne ne parle actuellement, à savoir la Chine ? Quelle position celle-ci pourrait-elle adopter demain ? En particulier, ne risque-t-elle pas de pousser plus loin concernant Taïwan ?
Grâce aux efforts de concision des uns et des autres, je peux redonner très brièvement la parole à Mme Lenne et Mme Le Peih pour leur permettre de poser leurs questions.
Je voulais interroger M. le secrétaire d'État au sujet de l'application russe Telegram, que nous utilisons tous allègrement et, plus largement, sur la souveraineté numérique européenne.
Les syndicats agricoles, la MSA – Mutualité sociale agricole – et les services du ministère du travail ont annoncé hier, au Salon de l'agriculture, une opération de solidarité pour l'accueil des réfugiés, notamment en milieu rural. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le plan de soutien qui a été annoncé ?
Cédric O a échangé hier avec Meta et TikTok. Meta a annoncé que les contenus que nous interdirions – Jean-Yves Le Drian a annoncé hier que les mesures sont en cours pour RT et Sputnik –, qui se diffuseraient ou se rediffuseraient sur des plateformes, seraient retirés ou bloqués. Des discussions sont également en cours avec d'autres plateformes, au niveau européen, sous la responsabilité du commissaire Thierry Breton, et au niveau français, sous celle de Roselyne Bachelot et de Cédric O. Je vous tiendrai informés des résultats de ces discussions.
La stratégie européenne consiste à viser spécifiquement RT et Sputnik. À ce stade, il n'y a pas d'autres outils, plateformes ou applications visés. Telegram n'entre pas dans le champ actuel. Je réponds ainsi à la remarque de M. Lecoq, qui est légitime dans nos démocraties. Il ne faut pas adopter une espèce de réaction tous azimuts ; nous devons au contraire cibler, sans naïveté, des médias qui servent, en période de guerre, non pas d'outils d'information libre mais différente de celle délivrée par la plupart, mais d'organes de diffusion de propagande et, souvent, de mensonges. Voilà ce que nous ciblons aujourd'hui dans un cadre européen.
Cela renvoie aussi, en effet, à la question de notre souveraineté numérique et de notre cadre juridique. Nous allons prendre des mesures concernant les deux médias que j'ai cités. Plus largement, le but des textes qui sont sur la table en matière de régulation numérique, notamment le Digital Services Act (DSA), est d'avoir des outils permanents pour interdire, en dehors des périodes de crise, des contenus à caractère terroriste ou incitant à la haine, et de disposer d'un cadre de régulation transparent au niveau européen.
S'agissant du monde agricole, nous nous sommes entretenus, Julien Denormandie et moi, avec Christiane Lambert. Le Président de la République a été très clair sur le fait qu'il y aura certes un impact mais aussi un soutien – et cela vaut aussi pour d'autres secteurs, notamment ceux évoqués par Michel Herbillon. Je ne peux pas encore vous parler des contours, des montants et des modalités, mais notre engagement est très clair : les filières touchées bénéficieront d'un soutien économique. Bruno Le Maire et les ministres compétents pour les différentes filières sont en train d'y travailler, et des concertations auront lieu dans les prochains jours. Dans le cadre de la présidence française de l'UE, Julien Denormandie a convoqué une réunion extraordinaire des vingt-sept ministres de l'agriculture pour faire le point sur les prix, les approvisionnements et d'éventuelles mesures de soutien coordonnées au niveau européen.
Pour ce qui est des camions, et même si je ne veux pas être trop prescriptif – il faudrait regarder la situation au cas par cas –, se rendre sur le territoire ukrainien en ce moment n'est évidemment pas une bonne idée. Il ne faudrait pas mettre en danger d'autres ressortissants français alors que nous incitons ceux déjà présents en Ukraine à quitter ce pays le plus vite possible.
Il y aura, il est de notre responsabilité de le dire, un impact sur la vie économique et quotidienne des Français. Nous minimiserons cet impact, nous essaierons d'assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques mais aussi, bien sûr, alimentaires. Je crois qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir en la matière. Néanmoins, les prix de l'énergie, de l'agroalimentaire et peut-être aussi dans d'autres secteurs subiront un impact que l'on ne peut pas mesurer aujourd'hui, étant entendu, par ailleurs, que nous mettrons en place, dans les prochaines semaines, l'accompagnement dont j'ai parlé.
Vous m'avez interrogé, monsieur Herbillon, sur le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune. D'abord, même si tout ne saurait s'y résumer, une question financière se pose. C'est pourquoi les annonces du chancelier allemand, qui a levé le tabou portant sur l'augmentation des dépenses militaires et le seuil de 2 % du PIB, étaient si importantes. De son côté, la France a réinvesti massivement ces dernières années, en particulier à la faveur de la loi de programmation militaire. Même si nous n'avions pas prévu ce qui se passe en ce moment, nous étions bien conscients de la nécessité de notre souveraineté. Au niveau européen, de même que nous avons été capables de lancer un plan de reconstruction et de relance de nos économies, je crois que nous avons besoin de développer des capacités communes d'investissement dans le domaine militaire. Il existe déjà un Fonds européen de la défense, qui est doté d'à peu près 1 milliard d'euros par an, ce qui est évidemment très faible. Cet outil peut et doit – même si je n'en préjuge pas, car il faudra le décider tous ensemble – être musclé dans les temps qui viennent. Pour ce qui est de notre effort de défense, nous ne devons pas faire preuve de pusillanimité au niveau européen.
Les perspectives que M. Berville a évoquées sont encore incertaines : le rôle du FMI et de la Banque mondiale doit faire l'objet de discussions au cours des prochaines heures, autour de Bruno Le Maire et de la présidence allemande du G7. Je n'ai donc pas encore d'informations précises à vous donner.
Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, madame Tanguy, nous souhaitons un cessez-le-feu. Ce fut le principal objet de la discussion que le Président de la République a eue hier avec le président Poutine. Le cessez-le-feu est entre les mains de ce dernier, si je puis dire. Nous travaillons sur cette question par les pressions sur la Russie, par la solidarité avec l'Ukraine et par la poursuite de nos efforts diplomatiques.
S'agissant d'un éventuel retournement de l'opinion russe, il ne serait pas raisonnable de se livrer à des spéculations. Ce que l'on constate, et cela compte à l'échelle de la Russie, c'est que plusieurs milliers de manifestants continuent, dans beaucoup de villes et avec beaucoup de courage, compte tenu des circonstances, à se lever contre la guerre – plus d'ailleurs que contre le régime. C'est également le cas au sein de différentes communautés russes dans le monde. Il faut reconnaître ce courage, soutenir ceux qui, en France et ailleurs, dans ces communautés, sont en faveur de la paix, et faire la part des choses – tous les Russes ne sont pas impliqués dans la guerre et ne la soutiennent pas nécessairement. Il faut garder cela en tête pour l'avenir.
Quant à une intervention dans le cadre de l'OTAN ou dans un autre cadre, nous avons été clairs : nous ne ferons pas partie des belligérants, car cela ne serait ni raisonnable ni utile, mais cela ne veut pas dire que nous ne faisons rien ou que nous ne prenons que des mesures minimes. Chacun voit bien la force des sanctions que nous avons adoptées et de notre soutien militaire à l'Ukraine. Ce sont des engagements très forts de la part des pays de l'Union européenne – ce qui est très nouveau – et de l'OTAN.
À ce stade, je ne sais pas répondre, madame Clapot, à votre question portant sur les soldats russes.
Nous allons examiner le sujet des entreprises françaises à forts capitaux russes. Le fait de ne pas pouvoir commercer avec la Russie et les territoires qu'elle occupe en Ukraine ne signifie pas que toute structure ayant des capitaux russes verra son activité entravée. Nous travaillerons sur ce sujet secteur par secteur, et au cas par cas. Néanmoins, je le dis pour faire passer un message de vigilance, les régimes de sanctions pourraient être renforcés dans les jours qui viennent. À ce stade, les entreprises à forts capitaux russes ne sont pas directement concernées, mais c'est un sujet que nous devrons suivre et nous serons à votre disposition, avec le ministère des finances, pour examiner les cas particuliers.
En ce qui concerne la guerre hybride, notamment les cyberattaques, nous sommes également très vigilants. Nous n'avons pas attendu cette guerre pour subir de telles attaques et y réagir, même si le risque est évidemment accru partout en Europe, y compris en France, et a fortiori en période électorale. Nous avons renforcé l'équipement de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), non seulement pour déjouer des cyberattaques ayant des origines et des cibles gouvernementales, mais aussi pour conseiller. Je recommande à toutes les grandes entreprises et aux organisations professionnelles, y compris les plus petites, comme celle de M. Asselin qui s'est exprimé à ce sujet ce matin même, de prendre contact, en cas de doute, avec les services de l'État, notamment l'ANSSI, pour rendre compte de menaces ou difficultés potentielles et pour connaître la conduite à tenir.
S'agissant de l'accueil des réfugiés, le ministère de l'intérieur et, pour la partie concernant le logement, le ministère de la transition écologique dévoileront d'ici à la fin de la semaine un dispositif qui est en cours de construction – plusieurs réunions ont eu lieu hier et d'autres se déroulent aujourd'hui avec Gérald Darmanin. Comme vous l'avez signalé, beaucoup de collectivités, dont je salue l'engagement, ont déjà fait part de leur disponibilité pour l'accueil de réfugiés. Nous allons recenser – nous y travaillons avec Marlène Schiappa, en particulier – toutes les initiatives dans le cadre d'une plateforme qui permettra de savoir comment se signaler et ensuite comment s'organiser concrètement, en lien avec les services de l'État. Il existe aussi, et ce n'est pas anecdotique, des plateformes servant à recenser des initiatives individuelles qui fonctionnent déjà, comme la plateforme JeVeuxAider.
Merci pour vos mots de soutien, madame Rauch. Nous n'avons pas connaissance, à part sur le front biélorusse, qui est très particulier, de difficultés aux frontières. Ce qui s'y passe actuellement, et nécessite d'ailleurs un déploiement européen, concerne le passage et l'accueil de réfugiés ukrainiens qui fuient leur pays vers l'Union européenne. Il n'y a pas de combats aux frontières, mais nous devrons, évidemment, nous adapter à la situation.
Nous avons renforcé notre dispositif consulaire afin que les ressortissants qui quittent l'Ukraine par leurs propres moyens, en contact avec notre ambassade, puissent être tout de suite accompagnés, si besoin, dans leurs démarches. Le Quai d'Orsay est en train d'armer, en un sens pacifique du terme, notre dispositif consulaire dans les pays de l'Union européenne frontaliers de l'Ukraine.
Sur le plan humanitaire, 33 tonnes de matériel ont d'ores et déjà été livrées en Ukraine, et plus de 30 tonnes en Moldavie. Nous allons continuer nos efforts dans le cadre du mécanisme européen de protection civile qui a été activé par les autorités ukrainiennes. L'Union européenne a annoncé ce matin 90 millions d'euros supplémentaires pour l'aide humanitaire, et cet effort ira très vraisemblablement croissant.
S'agissant de l'accueil sur le territoire de l'Union européenne, j'ai déjà évoqué les chiffres : ils sont très impressionnants et vont encore augmenter. Nous déployons avec les pays concernés, principalement la Pologne et la Roumanie, des centres d'accueil provisoires, que nous équipons en matériel grâce à un soutien financier et matériel européen dans lequel la France prend sa part.
Monsieur Adam, votre inquiétude concernant le Centre spatial guyanais est parfaitement légitime. La coopération avec la Russie a en effet été remise en cause samedi, à l'initiative de Moscou. Le départ de personnels russes peut être à l'origine de difficultés locales et pour la filière spatiale, puisque des lancements faisant appel à Soyouz devaient avoir lieu dans les prochaines semaines. Je tiens à souligner, néanmoins, que notre engagement en faveur de la pérennité du site guyanais et de la filière spatiale est total, y compris financièrement si besoin – le ministre des outre-mer examinera la question. Il n'y aura évidemment aucune remise en cause du Centre spatial guyanais.
Ce qui se passe montre bien la nécessité de déployer rapidement Ariane 6 – c'était prévu pour la fin de l'année. Je ne peux pas vous dire pour le moment s'il est possible d'accélérer le processus – j'en doute, parce que ce sont des questions très lourdes sur le plan industriel –, mais tout cela démontre la nécessité d'être indépendant en matière spatiale. S'il est possible de continuer les coopérations avec la Russie dans un autre climat, tant mieux, mais nous devrons renforcer notre engagement aux côtés d'Ariane. Nous avons besoin d'une filière spatiale de lanceurs indépendante au niveau européen, en particulier grâce à Ariane et à Vega.
Je n'entrerai pas dans la discussion concernant la pérennité des acteurs de la présidence française de l'Union, monsieur le président Waserman. Même dans les circonstances difficiles que nous traversons, je ne recommanderais pas de dire à nos partenaires que nous voulons garder cette présidence dans les mois qui viennent… Par ailleurs, quel que soit le résultat des élections, et que nous exercions ou non la présidence de l'Union, même si celle-ci nous donne une responsabilité particulière, la France jouera un rôle de premier plan dans cette crise, qui va durer.
S'agissant de la gouvernance, les améliorations institutionnelles des dernières années, qui sont issues d'une initiative française, nous permettent d'avoir une stabilité plus grande. Le Haut Représentant de l'Union, M. Borrell, et le président du Conseil européen, M. Michel, dont le mandat de deux ans et demi sera vraisemblablement renouvelé au mois de mars, sont des acteurs européens qui restent en place. Je tiens également à saluer la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, qui a accompagné la levée des tabous que j'ai évoqués concernant la défense et les sanctions. Nous pouvons nous féliciter d'avoir en M. Borrell, en M. Michel et en Mme von der Leyen des acteurs européens très engagés : cela nous a permis, ce week-end, de réagir parfois en quelques heures. Nous le leur devons, au-delà des efforts engagés par le Président de la République et la présidence française, efforts qui se poursuivront.
Je reviens, en réponse à Mme Gatel, sur les capacités d'accueil. Nous les recensons, je l'ai dit, et nous n'avons pas d'inquiétude malgré la gravité de la situation. Beaucoup de chiffres circulent, mais on ne sait pas ce que seront l'ampleur des flux et la durée du conflit. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu'il pourrait y avoir entre 4 et 7 millions de personnes déplacées en Ukraine, mais cela ne signifie pas que toutes franchiront les frontières. Néanmoins, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, les flux seront très importants. Les pays situés en première ligne, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie, ont souvent d'importantes communautés ukrainiennes. Les personnes venant d'Ukraine restent dans ces communautés, et parfois dans les familles qui les accueillent : il n'y a donc pas, pour l'instant, de mouvements massifs au-delà des pays de première entrée. Néanmoins, cela pourrait se produire et il faut, quoi qu'il arrive, faire preuve de solidarité avec ces pays. Nous devons nous préparer aux flux, et nous devrons les organiser. La France précisera dans les prochains jours, je le répète, son dispositif de coordination nationale.
La Biélorussie est effectivement devenue cobelligérante, aux côtés de la Russie et contre l'Ukraine. Elle est donc visée par le deuxième paquet de sanctions individuelles et sectorielles qui a été décidé ce week-end par le Conseil européen – vingt-deux sanctions individuelles portent ainsi sur des personnels militaires, et une entité biélorusse est également concernée. Nous renforcerons, si besoin, le dispositif de sanctions à l'égard de ce pays.
Je n'ai pas d'informations, au moment où je vous parle, concernant un redéploiement du groupe Wagner, mais nous serons très vigilants et nous vous informerons. En tout cas, le lien entre ce groupe et la Russie n'était plus vraiment à démontrer.
Les mesures, symboliques, concernant le sport sont très importantes, notamment à l'égard du peuple russe. C'est une forme d'ostracisation assumée de la Russie, qui a décidé de se mettre en marge de la communauté internationale, en sous-estimant, peut-être, l'impact que cela aurait. Les mesures économiques sont certes les plus structurantes, mais la mise au ban de la Russie dans les compétitions sportives et les événements culturels européens, comme l'Eurovision, envoie également un signal. Je n'ai pas encore d'informations au sujet des prochaines compétitions sportives : nous prendrons, avec la ministre des sports, les décisions au fur et mesure, notamment pour Roland Garros. Le dispositif sera adapté selon l'évolution de la situation.
M. David m'a demandé jusqu'où ira M. Poutine – vaste question – et ce qu'il faut faire. Nous devons nous préparer à tous les scénarios. Je ne peux pas vous dire si M. Poutine entend mener une offensive limitée ou non. Ce qui se passe actuellement – et on voit à quel point les choses ont changé en quelques jours – est déjà immensément grave. Sans même avoir besoin de spéculer sur d'autres théâtres de crise, nous sommes confrontés à l'invasion d'un pays frontalier de l'Union européenne, l'Ukraine. C'est une situation qui nécessite de faire preuve de fermeté et de solidarité tout en continuant le dialogue que j'ai évoqué.
S'agissant du nucléaire, monsieur Habib, Jean-Yves Le Drian a répondu précisément à une question qui lui était posée. Je crois qu'il n'y a pas lieu de se livrer à des interprétations ou à des polémiques sur ce point.
Monsieur Cabaré, la seule question qui a été tranchée dans le domaine spatial, pour l'instant, concerne Soyouz. À ma connaissance, nous n'avons pris aucune décision particulière à propos de l'exercice que vous avez évoqué. Des menaces russes portent sur différents points, auxquels nous sommes vigilants – je pense notamment à la station spatiale internationale –, mais cela ne s'est traduit par aucune conséquence opérationnelle à ce stade.
En cas de difficulté ou de question particulière, c'est plutôt vers le Centre de crise du Quai d'Orsay qu'il faut se tourner, en veillant à ne pas le surcharger. Ses agents étant très mobilisés, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il convient de limiter les appels aux situations les plus critiques. Si vous souhaitez des précisions ou une intervention concernant votre circonscription, je suis, avec mon cabinet, à votre disposition.
Il est évident que personne, à commencer par la Russie elle-même, n'a intérêt à ce qu'elle devienne le junior partner de la Chine, si je puis m'exprimer ainsi. C'est notamment pour cette raison géopolitique que nous avons poursuivi, au niveau français et européen, le dialogue avec la Russie. C'est elle qui a choisi l'isolement et la guerre et qui, ce faisant, se mettra sans doute, à terme, davantage entre les mains de la Chine, en cherchant à réorienter ses exportations de matières premières et d'énergie. Près de 80 % du gaz exporté par la Russie part en Europe, contre environ 5 %, me semble-t-il, en Chine. Si la Russie, pour se mettre à l'abri de certaines restrictions ou sanctions, souhaite pivoter vers l'Asie, en particulier vers la Chine – elle essaiera sans doute de le faire, même si je ne sais pas ce qui se passera en pratique –, ce n'est pas un résultat que nous aurons souhaité.
Cette situation nous préoccupe, évidemment, bien qu'il n'y ait pas eu de nouveaux développements ces derniers jours. C'est pourquoi, parmi d'autres raisons, il était nécessaire d'avoir un dialogue avec la Russie. Ce dialogue implique, toutefois, un minimum de bonne volonté et le respect de quelques préalables élémentaires – notamment ne pas mener une guerre d'invasion comme celle d'aujourd'hui. Même si c'est difficile, et d'abord pour préserver l'Ukraine et éviter autant que possible des morts, nous gardons, au niveau du Président de la République, un contact avec Vladimir Poutine.
Je ne spéculerai pas sur les conséquences en chaîne potentielles, notamment du côté de la Chine et de Taïwan – c'était déjà un sujet de préoccupation avant la crise actuelle, et il n'a pas disparu. Je ne veux pas élaborer de scénarios parce que nous ne sommes encore en mesure de le faire. Ce que nous voyons, après d'autres crises moins graves en Europe au cours des dernières années, comme le Brexit et la crise sanitaire, c'est que l'impensable doit être pensé. La meilleure façon de s'y préparer consiste à réduire nos dépendances et à renforcer notre souveraineté, ce qui ne se fait pas d'un coup de baguette magique.
Sans faire de politique au sens partisan du terme, je crois que la France fait partie des pays qui avaient une conscience plus forte que d'autres de ce que c'est la défense, du fait que la paix et nos démocraties méritent d'être préservées et de la nécessité, parfois, de s'engager pour cela fermement, économiquement voire militairement, y compris en luttant contre des attaques cyber ou médiatiques. Nous avons maintenant pris conscience au niveau européen que notre démocratie embourgeoisée – je le dis de manière délibérément provocatrice – mérite d'être défendue. Il faut expliquer à nos concitoyens que cela a un prix, infiniment moindre que celui que paient, malheureusement, les Ukrainiens.
Je vous remercie d'être allé très au-delà du temps que vous aviez initialement prévu de passer avec nous. Je déclare maintenant close la 362e réunion de notre commission sous la XVe législature.
La séance est levée à 11 h 35.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, Mme Aude Amadou, M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, Mme Sandra Boëlle, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pascal Brindeau, M. Pierre Cabaré, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, Mme Maud Gatel, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, Mme Aina Kuric, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Brigitte Liso, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Sébastien Nadot, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, Mme Natalia Pouzyreff, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. François de Rugy, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas, M. Sylvain Waserman
Excusés. - M. Nicolas Forissier, Mme Michèle Tabarot
Assistait également à la réunion. - M. Jimmy Pahun