Avant tout, je tiens à m'exprimer en tant que présidente et au nom de tous les commissaires, pour m'associer à l'hommage de la représentation nationale que vous venez de rendre aux treize militaires français morts au cours d'une action de combat dans le cadre de l'opération Barkhane au Mali.
Chaque jour, notre commission de la Défense nationale et des forces armées constate, à travers ses nombreuses rencontres, l'engagement et le professionnalisme de nos soldats qui méritent toute l'admiration et la reconnaissance de la Nation. Ces décès nous rappellent que cet engagement en faveur de notre sécurité peut aller jusqu'au sacrifice suprême. Nos pensées se tournent aujourd'hui vers les familles, les proches, les frères d'armes de ces jeunes gens morts pour la France.
Permettez-moi aussi d'avoir, en votre nom à tous, chers collègues, une pensée d'amitié et de fraternité toute particulière pour notre collègue parlementaire, Jean-Marie Bockel, qui a perdu son fils dans cette action.
Je souhaite la bienvenue à nos trois invités que je remercie d'avoir accepté d'être présents ce matin pour débattre avec nous de l'avenir de l'Alliance atlantique. Cette audition est commune avec votre commission, Madame la présidente, et je m'en réjouis, car une bonne politique étrangère dépend, est-il besoin de le rappeler, d'une fine articulation entre la défense et la diplomatie. L'une ne peut pas aller sans l'autre et je souhaite que cette réunion soit le prélude à de nombreux travaux communs entre nos deux commissions.
Cette audition intervient à quelques jours d'un sommet programmé à Londres pour fêter les 70 ans de l'OTAN et devrait être l'occasion d'apporter de premiers éléments de réponses aux interrogations politiques et stratégiques qui se posent aujourd'hui de manière ouverte à l'OTAN. Cette audition répond aussi à une nécessité, pour que les députés puissent se saisir de ce débat, de ne pas être de simples spectateurs et qu'ils fassent connaître dans leur diversité, et peut-être leur convergence, leurs opinions.
La crise politique et stratégique que traverse l'OTAN ne date pas des déclarations, il y a quelques jours, du Président de la République dans The Economist. Celles-ci ont eu le mérite de la mettre publiquement à jour et de contraindre l'ensemble de nos partenaires à se positionner par rapport à elle, les obligeant à rompre avec toute tentation d'immobilisme. Mais cette crise est beaucoup plus ancienne. L'Alliance atlantique, créée en 1949 pour conjurer la menace soviétique, a survécu à la disparition du Pacte de Varsovie en février 1991 et à celle de l'Union soviétique en décembre 1991. Cette belle longévité de 70 ans est en soi déjà un succès. Elle s'explique par la volonté des États-Unis de continuer à exercer une influence stratégique en Europe et la crainte de nombreux pays européens de voir resurgir la menace russe. Cet équilibre a été remis en cause à la fois par les déclarations du président Trump, qui a jugé l'OTAN obsolète dès sa campagne électorale de 2016 et s'était interrogé sur la clause de défense mutuelle de l'article 5 du traité de Washington.
L'intervention unilatérale de la Turquie en Syrie, le mois dernier, contre ceux-là mêmes qui nous ont apporté une aide déterminante dans la lutte contre le califat de Daech n'a fait que renforcer les doutes quant à la cohérence et la stratégie de l'Alliance en tant que structure politique. Certes, le rôle militaire de l'organisation n'est pas en cause. Nul ne songerait à remettre en question les acquis de 70 ans de planification, de standardisation et d'interopérabilité de l'OTAN. Il serait insensé de prétendre remplacer ce capital patiemment accumulé par une structure créée ex nihilo. Ce n'est donc pas sous cet angle qu'il faut comprendre le concept d'autonomie stratégique de l'Union européenne ; ce serait d'ailleurs contraire aux textes européens eux-mêmes. En instaurant une obligation d'aide et d'assistance à tout État membre qui serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, plus contraignant que l'article 5, l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne rappelle que l'OTAN reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre. On ne peut cependant se satisfaire de la vision mercantile du président Trump, qui semble ne voir dans le parapluie américain offert à tous ses alliés, y compris asiatiques, qu'un investissement dont la rentabilité économique doit être désormais sérieusement prise en considération.
En tout cas, le président Macron estime que la France n'a pas signé pour cela. Je suis persuadée que nous sommes nombreux à considérer ici qu'il a raison de le dire, et que ses mots peuvent contribuer à accélérer les réflexions en cours au sein de l'OTAN et la prise de conscience par les Européens de leurs responsabilités. Pour développer une nécessaire autonomie stratégique européenne, il nous faut nous interroger sur les moyens pour la France de mettre en œuvre un pilier européen de l'Alliance. Elle ne peut agir seule. Ne faudrait-il pas commencer par une alliance entre les trois principales puissances militaires européennes ? La France, le Royaume-Uni et l'Allemagne contribuent ensemble, en effet, aux deux tiers de l'effort de défense européen, et représentent bien davantage en termes opérationnels et capacitaires. Il pourrait être possible ensuite d'y associer d'autres pays ; je pense notamment à l'Espagne, qui témoigne d'un intérêt de plus en plus accru pour les projets de coopération de défense. Pour aller plus loin, peut-on ou faut-il même envisager à terme une OTAN sans les États-Unis ?
Les questions que nous nous posons et que nous posent nos concitoyens sont nombreuses, et les trois heures qui viennent ne seront pas de trop pour les évoquer ensemble.