Intervention de Colonel Loïc

Réunion du mercredi 18 décembre 2019 à 9h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Colonel Loïc :

Le P3S, défendu par la France et l'Allemagne, est dans la phase de pré-opérationnalisation. Nous sommes en train de travailler sur un plan interministériel et avec nos partenaires allemands sur sa caractérisation et sa gestion.

Notre vision du P3S repose sur deux facteurs essentiels.

Le premier : il s'agit d'obtenir un appui politique plus important au profit de l'ensemble de l'Afrique de l'ouest et du G5 Sahel en particulier, notamment par la remise en selle ou une nouvelle implication de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest. Il s'agit de prendre en compte l'extension de la menace terroriste vers le Golfe de Guinée et de demander aux États côtiers de travailler ensemble, de réfléchir avec eux pour savoir comment y répondre tout en restant concentrés sur la zone des trois frontières – Mali, Niger, Burkina –, où se situe le cancer initial.

Le deuxième : il s'agit de remettre un coup de projecteur sur les forces de sécurité intérieure. Face à la menace à laquelle nous sommes confrontés, la police, la gendarmerie, les gardes nationales, les chaînes judiciaire et pénale ont leur rôle à jouer. Si nous, Barkhane, sommes aux côtés de nos frères d'armes africains, s'il y a nombre de partenariats bilatéraux opérationnels, il nous semble néanmoins que l'effort de la communauté internationale en direction de la chaîne pénale, judiciaire, et des forces de sécurité intérieure pourrait peut-être être plus important.

Cela me permet de faire écho à votre évocation des problèmes liés aux droits de l'homme. Je n'ai pas besoin de vous en convaincre mais, en la matière, nous sommes très vigilants. Nous entretenons des rapports très étroits avec le Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, et nous organisons des sessions de formation à la sensibilisation au droit des conflits armés et aux droits de l'homme à destination de nos forces partenaires, comme ce fut le cas à San Remo. Nous parlons du « risque réputationnel ». Il n'est évidemment pas question que nous nous commettions avec des troupes qui se rendraient coupables d'exactions et je peux vous dire que, lorsque nous sommes présents, les forces armées partenaires se comportent très bien.

Je suis heureux, Madame la députée Dubois, que vous ayez évoqué le Togo. Cela me permet de mettre un petit coup de projecteur sur une initiative intéressante, assez peu connue en France : l'initiative d'Accra, soutenue par le Ghana, le Bénin, le Togo, le Burkina à des fins de mise en commun de leurs ressources, notamment en termes de renseignement, de forces de police, de forces judiciaires, de manière à prendre en compte la menace terroriste.

Il est intéressant de noter que cette initiative est totalement africaine : pas un Européen, pas un Américain n'est venu leur dire de faire ceci et cela, et que c'est comme cela que ça marchera… Nous sommes donc très « en appui » de cette initiative.

La question de la francophonie, en effet, se pose. Que veut-on pour cette région du monde ? Nous sommes membres fondateurs de l'OTAN, membres de l'Alliance militaire, nous comptons plus de 800 officiers dans les structures intégrées mais aussi le numéro deux de l'OTAN avec le poste de commandant suprême allié Transformation au SACT (Supreme Allied Commander Transformation) etc. La question, bien évidemment, est celle du partage du fardeau.

Pourquoi un pays accepterait-il de s'engager si l'Alliance s'engage ? Pourquoi tel pays, déciderait tout à coup de s'engager parce que l'OTAN s'engage alors que l'Union européenne, les coalitions ad hoc, l'Alliance Sahel, le P3S, etc., tous les instruments sont là.

Un membre de votre assemblée a évoqué l'interopérabilité : reconnaissons que l'adaptation des SOP – Standing operating procedures –, les procédures standardisées opérationnelles de l'OTAN, à partenaires locaux, prendra un peu de temps.

Je terminerai par une petite anecdote. Lorsque j'étais aux États-Unis, j'ai participé à la création de la cellule de coordination et de liaison au profit de la force multinationale mixte réunissant aux Français nos camarades britanniques et américains afin d'apporter un appui en matière de renseignement et de planification à nos camarades de la commission du bassin du lac Tchad. La première question que mes camarades américains m'ont posée est la suivante : « Mon cher, pourriez-vous nous donner le manuel de fonctionnement de la cellule de coordination et de liaison ? ». J'ai répondu que les procédures étaient inexistantes et que nous étions précisément en train de les inventer : nous inventons un outil qui répond à un besoin. Il y a pour le moins, sinon une dichotomie, en tout cas un biais culturel…

Le débat est évidemment ouvert, toutes les capacités critiques que des partenaires tiers pourraient nous apporter sont bien entendu les bienvenues : avions de transport stratégique, tactique, hélicoptères, renseignement d'intérêt maritime – ISR…

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