Mon propos portera sur l'Afrique centrale et plus particulièrement sur le défi posé par les convoitises que suscite la République centrafricaine (RCA).
L'Afrique centrale est marquée par une profonde instabilité due à des crises localisées tantôt liées au djihadisme – essentiellement au nord-ouest, au Nigeria, au Tchad et au Cameroun, avec Boko Haram, ainsi qu'à l'est de la République démocratique du Congo –, tantôt liées aux conflits interethniques, au banditisme et aux trafics.
Véritable carrefour de l'Afrique, cette région est au cœur des problématiques stratégiques des États puissances, dont certains profitent du désordre ambiant pour proposer une alternative aux coopérations occidentales. L'Afrique centrale possède des ressources naturelles importantes et diversifiées – hydrocarbures, minerais, forêts, pêche et agriculture – faisant l'objet d'une compétition féroce entre acteurs étatiques ou compétiteurs stratégiques, notamment la Chine et la Russie. À titre d'exemple, la République démocratique du Congo possède 80 % des réserves mondiales de coltan, minerai essentiel à la fabrication de l'électronique des téléphones portables ; la Chine y exploite 2,8 millions d'hectares, pour produire de l'huile de palme. Paradoxalement, la population d'Afrique centrale est pauvre car elle subit la mauvaise gestion interne des ressources et la convoitise d'acteurs extérieurs.
La République centrafricaine est emblématique des problématiques inhérentes à l'Afrique centrale. La situation actuelle y est toujours marquée par la faiblesse de la gouvernance et par le poids des groupes armés qui contrôlent environ 80 % du territoire national. La montée en puissance des forces armées centrafricaines (FACA) est donc déterminante pour le retour de l'autorité de l'État dans le pays. Elles doivent prendre leur part à la sécurisation du pays aux côtés des forces de sécurité intérieure et de la MINUSCA – Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique –, cette dernière comptant actuellement 15 000 personnes, dont environ 13 600 en uniforme.
Fin 2016, à l'issue de l'opération Sangaris, la France a repris la coopération militaire bilatérale avec les FACA. Un détachement d'appui aux opérations, qui compte environ 170 personnes, stationné sur l'aéroport de Bangui, assure des formations dans un cadre bilatéral et maintient une capacité de remontée en puissance en cas de nécessité. Les autorités centrafricaines sont ainsi assurées de la pérennité du soutien militaire français dans le pays.
Depuis janvier 2018, un nouvel acteur stratégique majeur est entré en compétition avec l'action française : il s'agit de la Russie, qui exerce une influence croissante. La faiblesse de l'État, le poids des groupes armés et l'influence russe accroissent le risque de partition du pays et, plus généralement, de déstabilisation de l'Afrique centrale. Au-delà des risques pour la Centrafrique, c'est également le rôle de la France dans le pays qui est visé. Nos armées ont élaboré une stratégie de long terme en RCA, qui vise à appuyer la reconstruction, le redéploiement en province et l'autonomisation des forces armées centrafricaines. Cette stratégie se développe pour l'essentiel au travers des missions et opérations internationales : la MINUSCA avec l'ONU, et EUTM-RCA, la mission de formation de l'Union européenne.
La MINUSCA est chargée de la stabilisation de la République centrafricaine. Confrontée à une situation difficile en province et malgré certaines insuffisances capacitaires et humaines, elle remplit sa mission. Les armées françaises participent à la MINUSCA à hauteur de neuf officiers insérés dans l'état-major de sa composante militaire, dont son chef d'état-major. Dans ce contexte, la France a constamment soutenu la MINUSCA et assuré le renforcement de ses capacités en fournissant des équipements et des formations. La France fournit également, sur demande, un appui aérien à la MINUSCA, comme nous l'avons fait à Birao, en septembre dernier, avec les moyens déployés en BSS.
Lancée auprès de l'Union européenne à l'initiative de la France en septembre 2016, EUTM-RCA joue un rôle central dans la remontée en puissance des FACA en garantissant la cohérence des formations. Le camp de Bouar, à l'ouest, abrite le centre de formation et d'instruction militaire centrafricain. Ce centre a été choisi par la RCA comme site pilote de redéploiement en province des FACA.
L'objectif dans la reconstruction des FACA est la mise sur pied d'une armée de garnison de 9 800 hommes, répartie sur l'ensemble du territoire. EUTM-RCA a déjà formé plus de 4 100 militaires et a également assuré la formation des formateurs FACA. EUTM-RCA a néanmoins quelques difficultés pour obtenir les effectifs nécessaires pour poursuivre son mandat dans de bonnes conditions.
Un général français assure depuis juillet 2019, et pour un an, la fonction de commandant de la mission d'EUTM-RCA. La contribution globale française à la mission s'élève désormais à 98 militaires et, jusqu'à présent, seule la France s'est engagée à fournir du personnel pour armer l'antenne de Bouar. Notre pays demeure donc le premier contributeur à la mission de reconstruction des FACA en République centrafricaine.
Mais cette stratégie française au profit de la RCA est quelque peu contrariée depuis le renforcement de l'intervention russe dans le pays. Après la période de crise des années quatre-vingt-dix, peu propice à l'interventionnisme, Moscou s'est engagée depuis les années deux mille dans une politique de réaffirmation de sa puissance et s'intéresse à nouveau à l'Afrique, continent en plein essor. Le rôle tenu par la Russie en RCA lui permet de s'imposer comme un acteur important dans ce pays en crise, qui occupe une position stratégique au centre du continent et de sa sous-région.
Moscou entretient des contacts avec les groupes rebelles dans leurs zones d'implantation, tout en soutenant le gouvernement via de l'armement et la formation des forces de sécurité. Ces actions se font notamment par l'intermédiaire de sociétés privées de sécurité reliées à des oligarques russes. Un partenariat de défense entre les gouvernements russe et centrafricain a été signé en août 2018 à Moscou. L'action russe s'étend à l'ensemble des segments du soft power : fourniture d'armements, coopération, influence politique, désinformation. Depuis fin 2017, 175 instructeurs russes, répartis sur le territoire, sont officiellement déployés en République centrafricaine. Sans enfreindre l'embargo sur les armes, la Russie a cédé en deux vagues près de 7 000 armes diverses, du pistolet à la mitrailleuse lourde, ainsi que de nombreuses munitions. Cette stratégie lui permet ainsi de se positionner en vue d'accéder aux nombreuses ressources naturelles – diamant, fer, nickel, or ou uranium.
Mais le soutien russe s'est rapidement étendu au-delà des FACA, prenant un tour très intrusif. Cette stratégie d'influence offensive, basée sur une communication limitée mais ciblée, n'hésite pas à jouer sur le sentiment anti-français : ces actions visent à affaiblir la position de la France, voire à l'évincer, garantissant ainsi une plus grande liberté d'action à la Russie.
Si notre position vis-à-vis de Moscou est restée dans un premier temps ouverte, l'accroissement de son influence et son manque de transparence nous ont fait douter de ses intentions réelles et ont conduit à une réponse proportionnée et adaptée. Pour les armées, l'enjeu est de faire reconnaître l'engagement militaire français à son juste niveau. Les actions menées en ce sens portent déjà leurs fruits. Notre stratégie nous permet de rétablir la vérité, elle est fondée sur une communication positive et des actions proportionnées face aux attaques informationnelles. Ainsi, la presse écrite, la radio, les campagnes d'affichage, les réseaux sociaux ont été judicieusement employés afin de valoriser, toujours à leur juste niveau, les actions françaises ainsi que celles de nos partenaires internationaux que sont l'EUTM-RCA et la MINUSCA, elles aussi ciblées. En outre, dans le domaine des actions civilo-militaires, un effort tout particulier a été réalisé au profit de la jeunesse centrafricaine.
La Chine a progressivement renforcé son influence en RCA au début des années 2000, essentiellement dans le domaine économique – dons de matériel et d'équipements, construction d'infrastructures publiques. Elle s'est ainsi implantée dans le nord-est du pays pour les hydrocarbures et à l'ouest pour les ressources minières. Elle livre également, depuis 2018, des matériels militaires aux forces de sécurité intérieure et aux FACA, mais elle apparaît bien moins offensive que la Russie dans la compétition avec les Occidentaux.
Pour conclure, l'engagement de la France en République centrafricaine demeure essentiel pour préserver l'intégrité du pays en contribuant à la reconstruction et au redéploiement de son armée. C'est actuellement la meilleure réponse à apporter sur le terrain, dans la compétition stratégique avec nos rivaux.