Madame la présidente, mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de vous renouveler, pour ceux à qui j'ai déjà pu les formuler, et de vous adresser, pour les autres, mes vœux les plus sincères de très bonne et heureuse année 2020, année qui a débuté de manière difficile, avec beaucoup de tensions.
Je vais tenter, au travers de mon propos liminaire, de répondre d'ores et déjà à un certain nombre de questions que vous avez, Madame la présidente, soulevées, même si je ne doute pas que d'autres me seront posées ultérieurement.
Je vais donc commencer par un tour d'horizon des faits marquants de l'année 2019. Je ne citerai évidemment que les plus importants, en commençant tout d'abord par nos efforts en matière de lutte contre le terrorisme.
Au Levant, en mars dernier, nous étions aux côtés de la coalition internationale pour arracher à Daech son dernier bastion territorial en Syrie, dans la vallée de l'Euphrate.
Ce jour était un grand jour : il venait récompenser quatre années d'efforts continus et soutenus en vue de libérer les villages et de chasser Daech de son territoire. Nous le savions alors, et nous le savons toujours : si Daech est sans territoire, Daech n'est pas sans existence. Notre combat n'est donc pas achevé. Pire, il semble même mis en péril car nos efforts sont menacés de toutes parts, et d'abord par l'opération « Source de paix » – je ne sais si elle si bien nommée que cela – lancée par le président Erdogan à la frontière turco-syrienne, dans le sillage du désengagement américain, et qui permet en outre à la Russie de s'attribuer le rôle d'arbitre incontournable qu'elle recherche au Levant.
Nos efforts sont également menacés par les récents remous dans le Golfe : l'accroissement des tensions entre l'Iran et les États-Unis depuis le mois de mai 2019 – 2 018 à vrai dire, puisque c'est le moment où les États-Unis se sont retirés de l'accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien – menace de façon inquiétante la lutte contre le terrorisme.
Dans ce contexte, la France est lucide et fidèle à sa propre voix. Nous ne menons qu'une seule guerre : celle contre Daech.
Plus près de notre territoire national, sur le flanc sud de la Méditerranée, le maréchal Khalifa Haftar a lancé au mois d'avril une offensive en direction de Tripoli, qui n'aura eu à ce jour d'autre résultat que de bloquer le processus politique et de donner prétexte à des ingérences étrangères, au premier rang desquelles celle de la Turquie.
Enfin, au Sahel, où la France se trouve en première ligne pour lutter contre l'expansion du terrorisme islamiste, les forces partenaires du G5 Sahel ont connu une année difficile, endeuillée par une suite de revers importants et préoccupants, face à un ennemi qui tente de rompre la dynamique positive à l'œuvre au sein du G5 comme de la communauté internationale. C'est ce qui a conduit le Président de la République à provoquer le sommet de Pau auquel j'ai participé lundi. Ce n'était pas une réunion de plus, mais bien un tournant, un moment nécessaire de clarification de nos objectifs au Sahel.
Dans ce paysage stratégique bouleversé, la France continue à combattre, à peser et à porter sa propre voix : elle le fait avec ses alliés et avec ses partenaires, même si, vous le savez, rien n'est jamais acquis.
J'en viens maintenant aux défis à venir, aux menaces qui nous guettent et à la manière dont nous nous y sommes préparés. Nous travaillons ensemble depuis presque deux ans et demi, et le monde devient de plus en plus dangereux. Depuis que je suis en responsabilité, je vous parle du retour des puissances, de l'expansionnisme des uns, des rapports de force des autres et de l'érosion de l'ordre international ; et ce n'est pas le nouveau coup porté à l'accord de Vienne qui me fera mentir.
La France doit donc plus que jamais s'efforcer de promouvoir une convergence de vues et d'action européenne : c'est la seule manière de faire durablement face aux menaces qui se présentent à nous.
Ces menaces sont d'abord conventionnelles. Dans le Golfe, où les missiles iraniens ne sont pas tombés si loin des emprises de nos personnels en Irak, les comportements demeurent imprévisibles, et les risques d'escalade bien réels, ce qui rend indispensable de conserver des capacités sur tout le spectre de l'action militaire.
Ces menaces sont aussi nucléaires : en témoignent l'érosion des accords censés limiter les vastes arsenaux américains et russes, le rattrapage chinois à marche forcée et l'échec du dispositif multilatéral à contenir les crises nord-coréenne et iranienne.
Ces menaces sont également hybrides, c'est-à-dire qu'elles combinent différents modes d'action difficilement attribuables. Le cyber défie ainsi volontiers les attributions, bien qu'il s'impose graduellement comme un nouveau champ de bataille.
Enfin, la menace terroriste persiste. Pour la contenir, au-delà des actions cinétiques, il faut créer les conditions du développement et de la sécurité. Il n'existe pas de recette miracle contre la radicalisation : la lutte passe autant par des actions pour nos partenaires que contre nos ennemis.
Face à ces différents types de menaces, nous avons besoin de moyens. La loi de programmation militaire 2019-2025 a ainsi acté une augmentation aussi conséquente qu'indispensable de nos moyens matériels et humains.
Nous avons aussi besoin du soutien des Français, sans lequel toute résilience est illusoire. La bataille de l'opinion n'est pas une figure de style, et la guerre de l'information est une réalité. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas laisser les groupes terroristes ou certains États disqualifier et délégitimer nos actions dans le champ des perceptions.
Nous avons enfin besoin d'alliés, tout comme eux, d'ailleurs, ont besoin de nous. Que ce soit au Sahel, au Levant et dans le Golfe, nous devons les rassembler autour d'enjeux communs. Tel est le sens de la coalition internationale pour le Sahel, annoncée par le Président de la République, de la task force Takuba, de la coalition internationale contre Daech, ou encore de la mission de surveillance européenne dans le Golfe.
Un rapide tour d'horizon des théâtres s'impose, en commençant par le territoire national et l'opération Sentinelle, où nos soldats patrouillent, dissuadent et protègent depuis cinq ans. Nous l'avons repensée il y a près de deux ans ; elle met désormais en œuvre 7 000 militaires qui peuvent être engagés sur réquisition, auxquels vient s'ajouter une réserve stratégique de 3 000 hommes. Lors des fêtes de fin d'année, l'ensemble des forces ont été engagées : je me dois de souligner devant vous leur professionnalisme et leur dévouement en tout temps et en tous lieux.
Parallèlement, nos armées ont cette année encore démontré leur capacité de réaction en appuyant les forces d'assistance et de sécurité dans la lutte contre les feux de forêt en Nouvelle-Calédonie, lors des inondations qui ont touché les départements du Var et des Alpes-Maritimes, dans le secours aux populations touchées par le cyclone Belna à proximité de Mayotte ou par l'ouragan Dorian aux Bahamas. Rappelons qu'à cette occasion, l'intervention des forces armées françaises a eu lieu aux côtés de leurs homologues néerlandaises, ce qui a confirmé toute la pertinence de l'Initiative européenne d'intervention (IEI) en vue de consolider une culture stratégique commune et de faciliter des engagements communs.
Ces engagements communs, c'est aussi ce que nous continuerons de permettre et de faciliter au Sahel pour faire face au terrorisme djihadiste qui s'enracine et qui frappe durement les civils comme les militaires.
Rappelons au préalable que nous avons toujours, tout comme vous, défendu l'idée que la solution n'était pas seulement militaire : on ne combat pas le terrorisme uniquement avec des armes. On le combat en permettant le retour de l'État, en renforçant la chaîne pénale et en favorisant le développement économique : tel est d'ailleurs l'objet même du partenariat stratégique pour la sécurité et la stabilité au Sahel, dit P3S. Cela a d'ailleurs été réaffirmé cette semaine.
Autre point à rappeler : depuis 2014, Barkhane n'a jamais cessé d'évoluer. Nous avons éliminé des hommes clés des groupes terroristes. Nous nous sommes adaptés afin d'être à même d'intégrer les soutiens que nous sommes parvenus à obtenir de la part de nos partenaires, notamment européens : les hélicoptères britanniques et danois, les avions de transport espagnol et le contingent estonien.
Nous avons en parallèle concentré notre action sur la formation des forces locales, ce qui explique que toutes les opérations que les militaires français conduisent impliquent des forces locales. Barkhane n'est donc pas une OPEX en vase clos, mais un travail d'équipe avec nos partenaires européens, maliens, burkinabés ou nigériens, au prix parfois de lourdes pertes. Il peut évidemment paraître contre-intuitif d'affirmer qu'elles progressent néanmoins ; c'est pourtant la vérité.
Nous avons, du 1er au 17 novembre dernier, mené dans la zone des trois frontières une opération conjointe, dite Bourgou IV, qui s'est traduite par un déploiement sans précédent de 1 400 soldats, dont 55 % – c'est cela que je vous appelle à retenir – faisaient partie des forces partenaires. Cette opération a permis de reprendre pied dans des zones contestées de Boulikessi et de Koutougou, précisément dans cette région des trois frontières dans laquelle nous allons concentrer nos moyens militaires et renforcer nos effectifs : c'est la première décision arrêtée lundi au sommet de Pau.
Par conséquent, oui, les forces partenaires progressent.
Deuxième décision prise à Pau : la création d'une coalition pour le Sahel, qui rassemblera les pays du G5 Sahel, la France, les partenaires déjà engagés, ainsi que tous les pays et toutes les organisations qui voudront y contribuer, afin de marquer une nouvelle étape dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel et dans la prise de responsabilité collective.
Nous le savons, seules des forces autonomes pourront empêcher durablement les résurgences de Daech, d'Al Qaïda et de tous leurs avatars. Chaque action que nous menons vise autant à mettre les groupes armés terroristes un peu plus à la portée des forces partenaires qu'à protéger nos propres concitoyens : nous ne relâcherons pas nos efforts et nous continuerons de nous battre.
C'est avec cet engagement à l'esprit que le Président de la République a annoncé le déploiement de 220 militaires français supplémentaires au sein de la force Barkhane et que nous travaillons au déploiement de la task force Takuba, unité de forces spéciales européenne entièrement dédiée à l'accompagnement des forces armées maliennes.
Vous-même et votre commission, Madame la présidente, aurez un rôle à jouer pour que Takuba suscite l'adhésion de nos partenaires européens : nous avons en effet besoin que cet appel soit largement relayé auprès des parlementaires de nos pays partenaires.
En République centrafricaine, nous continuons d'appuyer l'action de la communauté internationale au travers des missions Military training mission in the Central African Republic (EUTM RCA) et de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) pour permettre le retour de l'État centrafricain et pour opérationnaliser les forces armées du pays : nous avons ainsi doublé notre participation, qui est passée cet été à près de 100 militaires engagés au sein de l'EUTM RCA.
Nous suivons de près les évolutions du pays : l'approche des élections, le retour de François Bozizé en décembre, ainsi que l'annonce d'un possible retour de Michel Djotodia risquent en effet de renforcer la polarisation de la scène politique et les clivages communautaires.
Dans le Golfe de Guinée, le constat est mitigé : si le nombre d'attaques de piraterie est resté stable en 2019, elles se sont caractérisées par une plus grande violence : au total, pas moins de 147 marins auront été pris en otage. Nous cherchons donc à toujours mieux coordonner nos actions, à nous positionner vis-à-vis des programmes de l'Union européenne et, enfin, à agréger les bonnes volontés locales et étrangères. Par son ampleur et son retentissement, l'exercice majeur Grand African Nemo 2 019 a été un succès.
Quant à la Méditerranée, elle est redevenue un espace de compétition : la France continue d'y prôner le multilatéralisme et souhaite y maintenir des relations de partenariat privilégié avec ses voisins méditerranéens, notamment avec les pays de la rive sud.
En Libye, les forces pro-Tobrouk avaient annoncé le 5 avril 2019 une offensive vers la capitale libyenne et vers la Tripolitaine. Après de rapides avancées, la situation s'est enlisée dans la périphérie sud de Tripoli. L'implication croissante de parrains étrangers au profit des deux camps alimente en outre ce conflit. Le président Erdogan a annoncé le début du déploiement de soldats turcs en réponse à la demande d'assistance militaire exprimée par le gouvernement d'entente nationale ; cette ingérence renforce les risques d'escalade et présente le risque corrélatif d'accroître le flux des migrants illégaux au départ de la Libye.
Seule une solution politique démocratique et reconnue par la communauté internationale pourra restaurer la paix en Libye. Nous y tenons, d'autant plus que le retour d'une paix durable au Sahel dépend également de la résolution de la crise libyenne.
Comme d'autres pays européens, la France appelle les parties à un cessez-le-feu immédiat ainsi qu'à la reprise des négociations sous l'égide de l'Organisation des Nations unies, dont l'action doit être saluée et soutenue. Le sommet de Berlin, qui se tiendra dimanche 19 janvier, représentera donc un jalon important.
J'en viens au Levant, que je ne veux pas dissocier du Golfe car nous y sommes confrontés à la même double menace, celle du terrorisme et celle de la déstabilisation pilotée par l'Iran au travers des pasdarans et des Popular Mobilization Forces (PMF).
La situation est aujourd'hui très fragile. Avec le Liban, où notre présence est ancienne, la France entretient des liens historiques et culturels très forts. Avec près de 700 militaires déployés dans ce cadre, elle est l'un des principaux pays contributeurs de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Nous portons la plus grande attention à l'évolution de la situation sur place : jusqu'à présent, les contestations qui ont lieu depuis maintenant des semaines n'ont eu qu'un impact limité sur la capacité d'action de la FINUL qui continue ses patrouilles conjointes avec les forces armées libanaises – je parle évidemment au présent et suis très prudente sur ce sujet.
Un peu plus à l'Est, l'opération Chammal a connu en 2019 un succès retentissant avec la chute du pseudo-califat territorial. Mais le combat est loin d'être achevé : il est même menacé, notamment par l'offensive turque dans le Nord-est syrien. Maintenir le dialogue avec la Turquie et avec la Russie est donc une de nos priorités afin de prévenir toute reprise de l'offensive.
Dans la région insurgée d'Idlib, où la situation est préoccupante, nous ne mésestimons pas la présence terroriste, mais nous savons qu'une offensive d'ampleur entraînerait un désastre humanitaire, avec des conséquences migratoires ingérables pour la Turquie. Elle aurait en effet probablement pour conséquences près de 3 millions de déplacés et l'infiltration de terroristes étrangers dans les flux de réfugiés en route vers l'Europe et l'utilisation, toujours possible, de l'arme chimique. Nous continuerons de faire respecter notre ligne rouge sur l'emploi de cette arme, comme nous l'avons déjà fait par le passé avec nos partenaires américains et britanniques.
En Irak, la situation s'est comme vous le savez brutalement tendue à la fin de l'année 2019. Alors que le pays se trouve dans une impasse politique qui accentue un chaos déjà exploité par Daech, les attaques des milices pro-iraniennes contre les emprises de la coalition en Irak se sont multipliées tout au long du mois décembre, allant jusqu'à provoquer à la fin de ce même mois la mort d'un ressortissant américain. Nous avons fermement condamné ces attaques et exprimé nos préoccupations vis-à-vis du rôle déstabilisateur joué par l'Iran dans la région, et en particulier par la force Al-Qods qui était placée sous l'autorité du général Qassem Soleimani.
Avec les frappes de représailles américaines qui ont eu lieu le 29 décembre, puis le 3 janvier dernier, et avec sa neutralisation ainsi que celle du chef de la Katiba Hezbollah, Abou Mehdi Mouhandis, un seuil supplémentaire a été franchi dans la montée des tensions.
Le Golfe a un long passé d'instabilité. Cependant, même si les événements récents sont graves, je ne crois pas à l'imminence d'une confrontation majeure : nous pouvons éviter une troisième guerre du Golfe.
Nous avons donc trois priorités : lutter contre Daech, résoudre la crise de prolifération et restaurer la stabilité dans la région.
Lutter contre Daech implique de restaurer la confiance des Irakiens dans la coalition internationale en dissociant clairement les actions que peuvent mener les Américains à titre national de celles qu'elle conduit. Il faut également améliorer les mécanismes de coordination avec les forces irakiennes en leur donnant plus de visibilité et de responsabilités au sein du commandement de la coalition.
Le Parlement irakien a adopté, sans le soutien des Kurdes ni des sunnites, une résolution dont le statut n'est pas très clair, mais qui appelle à retirer les forces étrangères du territoire irakien. Si ce texte n'est pas contraignant, il doit néanmoins nous inciter à réfléchir aux moyens de préserver la lutte contre Daech. Vous connaissez notre détermination dans ce domaine ; vous pouvez être assurés que nous y travaillons avec nos partenaires.
S'agissant du deuxième point, c'est-à-dire la crise de prolifération, nous avons toujours dit que la décision des États-Unis de se retirer de l'accord de Vienne était une mauvaise décision. L'Iran s'est à son tour désengagé non de l'accord, mais des engagements qu'il avait pris dans ce cadre – sur fond de tirs de missiles sur les bases d'Erbil et d'Al-Assad –, ce qui était également une très mauvaise décision.
Loin de moi donc l'idée que l'accord se porte bien. Cela étant, et sans doute parce que je suis optimiste, je veux encore croire qu'il y a place dans ce dossier pour la diplomatie.
Troisième priorité : la restauration de la stabilité dans la région. Nous avons appelé l'Iran à la retenue et à la responsabilité, parce qu'il nous paraît inutile de franchir un nouveau cap dans la déstabilisation d'une région chaotique.
Nous avons donc réaffirmé notre attachement à la souveraineté et à la sécurité de l'Irak. Dans ce contexte, notre posture, qui est une posture d'équilibre, prévisible et claire, est plus que jamais nécessaire en vue d'apaiser les tensions. Tel sera l'objet de la mission de surveillance maritime européenne dans le Golfe, à laquelle les premiers navires européens participeront à partir du mois de février.
Le premier bâtiment français à y participer est la frégate Courbet, à bord de laquelle nous avons, Madame la présidente, passé les dernières heures de l'année 2019 et les premières de l'année 2020. Les Pays-Bas, bientôt suivis par le Danemark, ont été les premiers à rejoindre la France pour prendre part à cette initiative, en annonçant le déploiement d'une frégate. Cet exemple montre que la défense européenne prend corps. Fidèle à ses valeurs, elle porte un message d'équilibre et de désescalade.
Mais pendant que nous menons la lutte de l'avant contre le terrorisme, nous devons aussi assurer dans la durée nos missions fondamentales de souveraineté et de dissuasion. Notre diplomatie est agile, et notre capacité à dialoguer avec tous reconnue. Mais tout cela marche toujours mieux lorsque les vaches sont bien gardées, si vous voulez bien me passer cette expression un peu triviale… Dans notre contrat fondamental avec la nation figure notre capacité à assurer sa défense, même contre l'impensable, c'est-à-dire dans ces circonstances extrêmes de légitime défense au cours desquelles tout est possible. C'est une mission complexe et redoutable, à laquelle nous nous préparons avec la plus grande détermination. Nous assurons la protection de nos approches, nous affinons notre connaissance des menaces, nous garantissons enfin au Président de la République que les outils ultimes de souveraineté sont prêts.
Un mot rapide, mais nécessaire, sur l'OTAN, cette alliance essentielle dont nous œuvrons d'ailleurs à entretenir la culture nucléaire : le Président de la République a eu, il y a quelques semaines, des mots forts à son égard, que la presse anglo-saxonne a d'ailleurs qualifiés de « sonnerie de réveil ». Le sommet de Londres a permis au Président d'exprimer sa vision des réflexions stratégiques que doit engager l'OTAN pour continuer de contribuer à la paix et à la stabilité en Europe.
Cette évolution passe à mon sens en premier lieu, vous n'en serez pas étonnés, par un réengagement des Européens au sein de l'Alliance, qui est indispensable pour répondre au rééquilibrage des responsabilités que le contexte impose. Les Européens doivent poursuivre la construction engagée il y a deux ans d'une Europe de la défense, qui n'est pas une alternative à l'OTAN mais bien, en son sein, un pilier.
Par ailleurs, la France continue de participer activement aux mesures d'assurance au profit des Alliés orientaux – comme à Tapa, en Estonie, où nous restons très vigilants sur la situation ukrainienne – ainsi qu'aux exercices d'envergure de l'OTAN. Lors de la dernière réunion des ministres de la défense de l'OTAN, j'ai confirmé la contribution française à l'initiative pour la réactivité (NATO Readiness Initiative), qui assoit la crédibilité de la posture défensive de l'OTAN. La France y contribuera à hauteur de 10 %.
Je voudrais, pour finir, ouvrir une parenthèse concernant la gestion budgétaire 2019, notamment sur les aspects financiers des missions extérieures et intérieures : il s'agit d'un point d'attention traditionnel en fin de gestion, sur lequel je voudrais vous donner les premiers éléments.
En 2019, le coût des opérations extérieures et intérieures s'est élevé à 1,398 milliard d'euros, soit 1,245 milliard d'euros au titre des opérations extérieures, les OPEX, et 0,153 milliard d'euros au titre des missions intérieures, les MISSINT, ce qui représente une relative stabilisation de leur coût, en une hausse de 2,8 % par rapport à 2018.
Le coût des opérations extérieures aura donc été en hausse d'un peu plus de 40 millions d'euros par rapport à 2018, l'essentiel des surcoûts – 85 % – étant dus aux opérations Barkhane et Chammal, ce qui illustre sur le plan financier l'engagement de nos armées dans la lutte contre le terrorisme hors du territoire national.
Le coût des missions intérieures est stabilisé à 153 millions d'euros, contre 156 millions l'année dernière, ce qui démontre la pertinence du dispositif rénové de Sentinelle, qui permet de répondre aux besoins opérationnels, y compris au cours d'une année de présidence française du G7, tout en maîtrisant les moyens alloués.
À noter que le bouclage du financement de ces 1,398 milliard d'euros au titre des OPEX et des MISSINT a été grandement facilité par la hausse des provisions prévues à cet effet dans la loi de programmation militaire : 850 millions d'euros pour 2019 – elles ne s'élevaient qu'à 450 millions d'euros en 2017 –, auxquels sont venus s'ajouter 100 millions pré-identifiés pour couvrir les besoins de masse salariale de l'opération Sentinelle : autrement dit, nous disposions dès le budget initial d'une provision totale de 950 millions d'euros et le reste à couvrir n'était plus que d'un peu moins de 450 millions d'euros.
À cela se sont ajoutées, à hauteur de 233 millions d'euros, des ressources complémentaires et des marges en gestion : 37 millions d'euros de contributions internationales aux opérations françaises, venant de l'ONU et de l'OTAN, un redéploiement de 56 millions d'euros au sein du programme 178, « Préparation et emploi des forces », qui découle d'un retard dans la passation de marché de la « verticalisation » du maintien en condition opérationnelle – la question se reposera naturellement lors de l'exercice budgétaire suivant – et une sous-consommation de la masse salariale ministérielle de 140 millions d'euros.
Je vais m'arrêter un peu sur ce dernier point, même si nous aurons l'occasion d'y revenir lorsque vous examinerez la fin de gestion dans le cadre du printemps de l'évaluation. Tout d'abord, nous avions anticipé cette sous-consommation de la masse salariale, car elle est un écho de ce que nous avions déjà constaté en 2018, pour un montant de 155 millions d'euros, mais trop tardivement pour en tirer les conséquences dans la loi de finances initiale pour 2019. Nous avons donc retrouvé, d'une manière mécanique, un effet qui n'avait pas pu être corrigé en fin de gestion l'année précédente.
Même si la situation est encore fragile sur le front des recrutements et des départs, je peux d'ores et déjà vous dire qu'elle s'améliore et qu'elle est mieux maîtrisée. J'espère pouvoir vous confirmer dans quelques semaines que le ministère a atteint ses objectifs de hausse des effectifs en 2019.
Minoré des provisions, des ressources complémentaires et des marges qui ont pu être mobilisées par le ministère, le reste à financer des coûts liés aux opérations extérieures (OPEX) et aux missions intérieures s'est élevé, au total, à 214 millions d'euros. Ces crédits ont été ouverts, dans le budget du ministère, grâce au projet de loi de finances rectificative et ils ont permis de couvrir intégralement le besoin de financement.
Je précise également que le montant des annulations intervenues dans le périmètre de la mission « Défense » – à hauteur de 284 millions d'euros – n'est pas exactement égal aux 214 millions d'euros que je viens d'évoquer. Un solde négatif de 70 millions d'euros apparaît en fin de gestion, qui mérite explication.
Pour contribuer aux mesures décidées par le Gouvernement en faveur du pouvoir d'achat des Français, le Premier ministre a demandé une réduction exceptionnelle de 1 milliard d'euros des dépenses de l'État lors du collectif budgétaire de la fin de l'année. Dans ce cadre, j'ai décidé de restituer au budget général 70 millions d'euros, qui résultent des gains réalisés à l'occasion des négociations relatives aux contrats d'armement et du paiement de pénalités. J'insiste sur le fait que cela n'aura aucune conséquence physique sur l'application de la loi de programmation militaire, en particulier sur le volet des commandes et des livraisons – il est naturel, lorsqu'on voit apparaître un chiffre négatif au bas d'une colonne, de s'interroger sur les conséquences éventuelles.
Enfin, 420 millions d'euros de crédits restaient gelés au titre de la réserve de précaution du ministère lors de la présentation du collectif de fin d'année. À ma demande, ces crédits ont été dégelés dans leur intégralité avant la fin de gestion, ce qui a permis au ministère des armées de terminer l'année dans de bonnes conditions. Même si cela demande à être consolidé d'ici au printemps, les résultats des principaux indicateurs de gestion pour 2019 devraient être bons. Hors recettes extrabudgétaires, l'exécution devrait être conforme au budget initial, ce qui représente, à quelques ajustements près, environ 35,9 milliards d'euros de crédits de paiement consommés ; par ailleurs, notre hypothèse de report de charges devrait se confirmer, un peu au-dessus de 3,8 milliards d'euros. Mais il est encore un peu tôt pour vous fournir un bilan définitif de la gestion réalisée en 2019.
Au terme de ce tour d'horizon, nous avons, pour résumer, cinq priorités pour 2020 : pérenniser et opérationnaliser nos partenariats, en renforçant les liens de confiance que nous avons tissés ; transformer l'essai en ce qui concerne les initiatives européennes – Takuba, la mission de surveillance dans le Golfe et l'initiative européenne d'intervention, autant d'actions concrètes donnant vie à notre besoin et à notre projet d'Europe de la défense ; continuer de dialoguer avec tous, la stabilité et la sécurité en Europe dépendant aussi du dialogue établi avec des pays tels que la Russie ; tenter de préserver le soutien américain au Sahel, ce qui est un des objectifs que je poursuivrai avec beaucoup de détermination lors de mon déplacement à Washington, dans quelques jours ; enfin – le répéter ne me paraît pas superflu –, communiquer et expliquer sans cesse le sens de notre action aux Français. Nos armées et nos opérations jouissent d'un fort soutien dans la population. Ce soutien est précieux ; il ne doit jamais être considéré comme acquis. Je sais que vous œuvrez à mes côtés pour l'entretenir au quotidien, et je ne peux que vous encourager à continuer à le faire.