La séance est ouverte à dix-huit heures dix.
Mes chers collègues, nous nous retrouvons à nouveau pour auditionner ce soir, et avec beaucoup de plaisir, la ministre des armées, Florence Parly.
Je vous prie tout d'abord, Madame la ministre, de recevoir au nom de tous les commissaires, en dépit de la montée des menaces qui pèsent à cette heure sur la paix et sur la stabilité du monde, mes vœux de bonne et heureuse année.
Je vous remercie d'avoir accepté cette audition qui revêt pour nous une importance toute particulière, tout d'abord parce que le début d'année est une période propice à la fois aux bilans et aux initiatives nouvelles.
Elle est importante parce qu'elle a lieu dans un contexte géostratégique de crise – de nombreux observateurs ayant craint ces derniers jours, avec les frappes des États-Unis contre le général Qassem Soleimani, un embrasement du Moyen-Orient – qui suscite de très nombreuses interrogations.
Elle était également nécessaire parce qu'elle intervient quarante-huit heures après le sommet de Pau consacré à la situation dans l'espace G5 Sahel, dont vous avez salué la réussite, en estimant qu'un nouveau chapitre s'ouvrait avec lui.
Ce sommet, qui a réuni les cinq présidents des pays sahéliens, avait pour objectif avoué d'être un sommet de clarification et de remobilisation : clarification des objectifs et des méthodes, et remobilisation avec davantage d'action, de recherche, d'efficacité et de coordination. Ces objectifs sont-ils atteints, sachant bien sûr que la réponse définitive ne pourra être obtenue qu'au vu de la situation sur le terrain à moyen terme ? D'un point de vue strictement militaire, peut-on assimiler les décisions prises à Pau à une évolution stratégique ?
Quelles seront les missions dévolues aux 220 hommes supplémentaires promis par notre pays ? À quelles difficultés particulières doit répondre le futur groupement des forces spéciales, la task force Takuba ? Cette initiative rencontre-t-elle le succès que vous espérez ?
S'agissant des Européens, sous quelle autre forme ces derniers pourraient-ils nous appuyer davantage ? Disposez-vous d'informations sur l'éventualité d'un retrait américain de l'Ouest de l'Afrique et, dans l'affirmative, sur son calendrier ?
Il a été également question à Pau de l'importance à accorder au continuum sécurité et développement. Vous savez que vous êtes auditionnée par des commissaires à la défense, convaincus qu'il ne saurait y avoir de solution durable strictement militaire. La commission a ainsi confié une mission d'information sur cette problématique à deux de nos collègues, Jean-Michel Jacques et Manuéla Kéclard-Mondésir, qui nous présenteront leurs conclusions à la mi-février.
Le communiqué final du sommet de Pau établit un lien entre l'instabilité au Sahel et la crise libyenne, qui oppose les deux hommes forts du pays, Fayez El-Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar. Avec l'intervention de forces étrangères de part et d'autre, qui serait de nature à accroître tant l'instabilité de la région que le risque d'établissement de camps djihadistes, les risques d'une internationalisation du conflit sont grands.
Êtes-vous optimiste au sujet du succès de la future conférence de Berlin, qui doit se tenir dans quelques jours en vue de trouver une solution politique à cette crise ?
Enfin, même si jusqu'à ce jour la riposte de l'Iran à l'assassinat du général Soleimani peut être considérée comme minimale, les tirs visant des bases américaines n'ayant pas fait de victimes, le risque demeure très important d'une escalade militaire : quelle est donc votre appréciation du risque d'embrasement de cette région ?
L'avenir de l'accord de Vienne sur le nucléaire semble par ailleurs de plus en plus compromis, même si l'Iran ne l'a pas encore formellement dénoncé : existe-t-il, dans un délai relativement court, un risque réel de voir ce pays se doter de l'arme nucléaire ?
L'impression domine que le monde danse sur un volcan et que les déséquilibres stratégiques peuvent aujourd'hui conduire à la résurgence de conflits majeurs.
Voilà, Madame la ministre, quelques-unes des principales questions que nous nous posons tous aujourd'hui et dont nous souhaitons débattre avec vous. Nous espérons de votre part des réponses d'autant plus libres et précises que nous siégeons à nouveau à huis clos.
Madame la présidente, mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de vous renouveler, pour ceux à qui j'ai déjà pu les formuler, et de vous adresser, pour les autres, mes vœux les plus sincères de très bonne et heureuse année 2020, année qui a débuté de manière difficile, avec beaucoup de tensions.
Je vais tenter, au travers de mon propos liminaire, de répondre d'ores et déjà à un certain nombre de questions que vous avez, Madame la présidente, soulevées, même si je ne doute pas que d'autres me seront posées ultérieurement.
Je vais donc commencer par un tour d'horizon des faits marquants de l'année 2019. Je ne citerai évidemment que les plus importants, en commençant tout d'abord par nos efforts en matière de lutte contre le terrorisme.
Au Levant, en mars dernier, nous étions aux côtés de la coalition internationale pour arracher à Daech son dernier bastion territorial en Syrie, dans la vallée de l'Euphrate.
Ce jour était un grand jour : il venait récompenser quatre années d'efforts continus et soutenus en vue de libérer les villages et de chasser Daech de son territoire. Nous le savions alors, et nous le savons toujours : si Daech est sans territoire, Daech n'est pas sans existence. Notre combat n'est donc pas achevé. Pire, il semble même mis en péril car nos efforts sont menacés de toutes parts, et d'abord par l'opération « Source de paix » – je ne sais si elle si bien nommée que cela – lancée par le président Erdogan à la frontière turco-syrienne, dans le sillage du désengagement américain, et qui permet en outre à la Russie de s'attribuer le rôle d'arbitre incontournable qu'elle recherche au Levant.
Nos efforts sont également menacés par les récents remous dans le Golfe : l'accroissement des tensions entre l'Iran et les États-Unis depuis le mois de mai 2019 – 2 018 à vrai dire, puisque c'est le moment où les États-Unis se sont retirés de l'accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien – menace de façon inquiétante la lutte contre le terrorisme.
Dans ce contexte, la France est lucide et fidèle à sa propre voix. Nous ne menons qu'une seule guerre : celle contre Daech.
Plus près de notre territoire national, sur le flanc sud de la Méditerranée, le maréchal Khalifa Haftar a lancé au mois d'avril une offensive en direction de Tripoli, qui n'aura eu à ce jour d'autre résultat que de bloquer le processus politique et de donner prétexte à des ingérences étrangères, au premier rang desquelles celle de la Turquie.
Enfin, au Sahel, où la France se trouve en première ligne pour lutter contre l'expansion du terrorisme islamiste, les forces partenaires du G5 Sahel ont connu une année difficile, endeuillée par une suite de revers importants et préoccupants, face à un ennemi qui tente de rompre la dynamique positive à l'œuvre au sein du G5 comme de la communauté internationale. C'est ce qui a conduit le Président de la République à provoquer le sommet de Pau auquel j'ai participé lundi. Ce n'était pas une réunion de plus, mais bien un tournant, un moment nécessaire de clarification de nos objectifs au Sahel.
Dans ce paysage stratégique bouleversé, la France continue à combattre, à peser et à porter sa propre voix : elle le fait avec ses alliés et avec ses partenaires, même si, vous le savez, rien n'est jamais acquis.
J'en viens maintenant aux défis à venir, aux menaces qui nous guettent et à la manière dont nous nous y sommes préparés. Nous travaillons ensemble depuis presque deux ans et demi, et le monde devient de plus en plus dangereux. Depuis que je suis en responsabilité, je vous parle du retour des puissances, de l'expansionnisme des uns, des rapports de force des autres et de l'érosion de l'ordre international ; et ce n'est pas le nouveau coup porté à l'accord de Vienne qui me fera mentir.
La France doit donc plus que jamais s'efforcer de promouvoir une convergence de vues et d'action européenne : c'est la seule manière de faire durablement face aux menaces qui se présentent à nous.
Ces menaces sont d'abord conventionnelles. Dans le Golfe, où les missiles iraniens ne sont pas tombés si loin des emprises de nos personnels en Irak, les comportements demeurent imprévisibles, et les risques d'escalade bien réels, ce qui rend indispensable de conserver des capacités sur tout le spectre de l'action militaire.
Ces menaces sont aussi nucléaires : en témoignent l'érosion des accords censés limiter les vastes arsenaux américains et russes, le rattrapage chinois à marche forcée et l'échec du dispositif multilatéral à contenir les crises nord-coréenne et iranienne.
Ces menaces sont également hybrides, c'est-à-dire qu'elles combinent différents modes d'action difficilement attribuables. Le cyber défie ainsi volontiers les attributions, bien qu'il s'impose graduellement comme un nouveau champ de bataille.
Enfin, la menace terroriste persiste. Pour la contenir, au-delà des actions cinétiques, il faut créer les conditions du développement et de la sécurité. Il n'existe pas de recette miracle contre la radicalisation : la lutte passe autant par des actions pour nos partenaires que contre nos ennemis.
Face à ces différents types de menaces, nous avons besoin de moyens. La loi de programmation militaire 2019-2025 a ainsi acté une augmentation aussi conséquente qu'indispensable de nos moyens matériels et humains.
Nous avons aussi besoin du soutien des Français, sans lequel toute résilience est illusoire. La bataille de l'opinion n'est pas une figure de style, et la guerre de l'information est une réalité. Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas laisser les groupes terroristes ou certains États disqualifier et délégitimer nos actions dans le champ des perceptions.
Nous avons enfin besoin d'alliés, tout comme eux, d'ailleurs, ont besoin de nous. Que ce soit au Sahel, au Levant et dans le Golfe, nous devons les rassembler autour d'enjeux communs. Tel est le sens de la coalition internationale pour le Sahel, annoncée par le Président de la République, de la task force Takuba, de la coalition internationale contre Daech, ou encore de la mission de surveillance européenne dans le Golfe.
Un rapide tour d'horizon des théâtres s'impose, en commençant par le territoire national et l'opération Sentinelle, où nos soldats patrouillent, dissuadent et protègent depuis cinq ans. Nous l'avons repensée il y a près de deux ans ; elle met désormais en œuvre 7 000 militaires qui peuvent être engagés sur réquisition, auxquels vient s'ajouter une réserve stratégique de 3 000 hommes. Lors des fêtes de fin d'année, l'ensemble des forces ont été engagées : je me dois de souligner devant vous leur professionnalisme et leur dévouement en tout temps et en tous lieux.
Parallèlement, nos armées ont cette année encore démontré leur capacité de réaction en appuyant les forces d'assistance et de sécurité dans la lutte contre les feux de forêt en Nouvelle-Calédonie, lors des inondations qui ont touché les départements du Var et des Alpes-Maritimes, dans le secours aux populations touchées par le cyclone Belna à proximité de Mayotte ou par l'ouragan Dorian aux Bahamas. Rappelons qu'à cette occasion, l'intervention des forces armées françaises a eu lieu aux côtés de leurs homologues néerlandaises, ce qui a confirmé toute la pertinence de l'Initiative européenne d'intervention (IEI) en vue de consolider une culture stratégique commune et de faciliter des engagements communs.
Ces engagements communs, c'est aussi ce que nous continuerons de permettre et de faciliter au Sahel pour faire face au terrorisme djihadiste qui s'enracine et qui frappe durement les civils comme les militaires.
Rappelons au préalable que nous avons toujours, tout comme vous, défendu l'idée que la solution n'était pas seulement militaire : on ne combat pas le terrorisme uniquement avec des armes. On le combat en permettant le retour de l'État, en renforçant la chaîne pénale et en favorisant le développement économique : tel est d'ailleurs l'objet même du partenariat stratégique pour la sécurité et la stabilité au Sahel, dit P3S. Cela a d'ailleurs été réaffirmé cette semaine.
Autre point à rappeler : depuis 2014, Barkhane n'a jamais cessé d'évoluer. Nous avons éliminé des hommes clés des groupes terroristes. Nous nous sommes adaptés afin d'être à même d'intégrer les soutiens que nous sommes parvenus à obtenir de la part de nos partenaires, notamment européens : les hélicoptères britanniques et danois, les avions de transport espagnol et le contingent estonien.
Nous avons en parallèle concentré notre action sur la formation des forces locales, ce qui explique que toutes les opérations que les militaires français conduisent impliquent des forces locales. Barkhane n'est donc pas une OPEX en vase clos, mais un travail d'équipe avec nos partenaires européens, maliens, burkinabés ou nigériens, au prix parfois de lourdes pertes. Il peut évidemment paraître contre-intuitif d'affirmer qu'elles progressent néanmoins ; c'est pourtant la vérité.
Nous avons, du 1er au 17 novembre dernier, mené dans la zone des trois frontières une opération conjointe, dite Bourgou IV, qui s'est traduite par un déploiement sans précédent de 1 400 soldats, dont 55 % – c'est cela que je vous appelle à retenir – faisaient partie des forces partenaires. Cette opération a permis de reprendre pied dans des zones contestées de Boulikessi et de Koutougou, précisément dans cette région des trois frontières dans laquelle nous allons concentrer nos moyens militaires et renforcer nos effectifs : c'est la première décision arrêtée lundi au sommet de Pau.
Par conséquent, oui, les forces partenaires progressent.
Deuxième décision prise à Pau : la création d'une coalition pour le Sahel, qui rassemblera les pays du G5 Sahel, la France, les partenaires déjà engagés, ainsi que tous les pays et toutes les organisations qui voudront y contribuer, afin de marquer une nouvelle étape dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel et dans la prise de responsabilité collective.
Nous le savons, seules des forces autonomes pourront empêcher durablement les résurgences de Daech, d'Al Qaïda et de tous leurs avatars. Chaque action que nous menons vise autant à mettre les groupes armés terroristes un peu plus à la portée des forces partenaires qu'à protéger nos propres concitoyens : nous ne relâcherons pas nos efforts et nous continuerons de nous battre.
C'est avec cet engagement à l'esprit que le Président de la République a annoncé le déploiement de 220 militaires français supplémentaires au sein de la force Barkhane et que nous travaillons au déploiement de la task force Takuba, unité de forces spéciales européenne entièrement dédiée à l'accompagnement des forces armées maliennes.
Vous-même et votre commission, Madame la présidente, aurez un rôle à jouer pour que Takuba suscite l'adhésion de nos partenaires européens : nous avons en effet besoin que cet appel soit largement relayé auprès des parlementaires de nos pays partenaires.
En République centrafricaine, nous continuons d'appuyer l'action de la communauté internationale au travers des missions Military training mission in the Central African Republic (EUTM RCA) et de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) pour permettre le retour de l'État centrafricain et pour opérationnaliser les forces armées du pays : nous avons ainsi doublé notre participation, qui est passée cet été à près de 100 militaires engagés au sein de l'EUTM RCA.
Nous suivons de près les évolutions du pays : l'approche des élections, le retour de François Bozizé en décembre, ainsi que l'annonce d'un possible retour de Michel Djotodia risquent en effet de renforcer la polarisation de la scène politique et les clivages communautaires.
Dans le Golfe de Guinée, le constat est mitigé : si le nombre d'attaques de piraterie est resté stable en 2019, elles se sont caractérisées par une plus grande violence : au total, pas moins de 147 marins auront été pris en otage. Nous cherchons donc à toujours mieux coordonner nos actions, à nous positionner vis-à-vis des programmes de l'Union européenne et, enfin, à agréger les bonnes volontés locales et étrangères. Par son ampleur et son retentissement, l'exercice majeur Grand African Nemo 2 019 a été un succès.
Quant à la Méditerranée, elle est redevenue un espace de compétition : la France continue d'y prôner le multilatéralisme et souhaite y maintenir des relations de partenariat privilégié avec ses voisins méditerranéens, notamment avec les pays de la rive sud.
En Libye, les forces pro-Tobrouk avaient annoncé le 5 avril 2019 une offensive vers la capitale libyenne et vers la Tripolitaine. Après de rapides avancées, la situation s'est enlisée dans la périphérie sud de Tripoli. L'implication croissante de parrains étrangers au profit des deux camps alimente en outre ce conflit. Le président Erdogan a annoncé le début du déploiement de soldats turcs en réponse à la demande d'assistance militaire exprimée par le gouvernement d'entente nationale ; cette ingérence renforce les risques d'escalade et présente le risque corrélatif d'accroître le flux des migrants illégaux au départ de la Libye.
Seule une solution politique démocratique et reconnue par la communauté internationale pourra restaurer la paix en Libye. Nous y tenons, d'autant plus que le retour d'une paix durable au Sahel dépend également de la résolution de la crise libyenne.
Comme d'autres pays européens, la France appelle les parties à un cessez-le-feu immédiat ainsi qu'à la reprise des négociations sous l'égide de l'Organisation des Nations unies, dont l'action doit être saluée et soutenue. Le sommet de Berlin, qui se tiendra dimanche 19 janvier, représentera donc un jalon important.
J'en viens au Levant, que je ne veux pas dissocier du Golfe car nous y sommes confrontés à la même double menace, celle du terrorisme et celle de la déstabilisation pilotée par l'Iran au travers des pasdarans et des Popular Mobilization Forces (PMF).
La situation est aujourd'hui très fragile. Avec le Liban, où notre présence est ancienne, la France entretient des liens historiques et culturels très forts. Avec près de 700 militaires déployés dans ce cadre, elle est l'un des principaux pays contributeurs de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Nous portons la plus grande attention à l'évolution de la situation sur place : jusqu'à présent, les contestations qui ont lieu depuis maintenant des semaines n'ont eu qu'un impact limité sur la capacité d'action de la FINUL qui continue ses patrouilles conjointes avec les forces armées libanaises – je parle évidemment au présent et suis très prudente sur ce sujet.
Un peu plus à l'Est, l'opération Chammal a connu en 2019 un succès retentissant avec la chute du pseudo-califat territorial. Mais le combat est loin d'être achevé : il est même menacé, notamment par l'offensive turque dans le Nord-est syrien. Maintenir le dialogue avec la Turquie et avec la Russie est donc une de nos priorités afin de prévenir toute reprise de l'offensive.
Dans la région insurgée d'Idlib, où la situation est préoccupante, nous ne mésestimons pas la présence terroriste, mais nous savons qu'une offensive d'ampleur entraînerait un désastre humanitaire, avec des conséquences migratoires ingérables pour la Turquie. Elle aurait en effet probablement pour conséquences près de 3 millions de déplacés et l'infiltration de terroristes étrangers dans les flux de réfugiés en route vers l'Europe et l'utilisation, toujours possible, de l'arme chimique. Nous continuerons de faire respecter notre ligne rouge sur l'emploi de cette arme, comme nous l'avons déjà fait par le passé avec nos partenaires américains et britanniques.
En Irak, la situation s'est comme vous le savez brutalement tendue à la fin de l'année 2019. Alors que le pays se trouve dans une impasse politique qui accentue un chaos déjà exploité par Daech, les attaques des milices pro-iraniennes contre les emprises de la coalition en Irak se sont multipliées tout au long du mois décembre, allant jusqu'à provoquer à la fin de ce même mois la mort d'un ressortissant américain. Nous avons fermement condamné ces attaques et exprimé nos préoccupations vis-à-vis du rôle déstabilisateur joué par l'Iran dans la région, et en particulier par la force Al-Qods qui était placée sous l'autorité du général Qassem Soleimani.
Avec les frappes de représailles américaines qui ont eu lieu le 29 décembre, puis le 3 janvier dernier, et avec sa neutralisation ainsi que celle du chef de la Katiba Hezbollah, Abou Mehdi Mouhandis, un seuil supplémentaire a été franchi dans la montée des tensions.
Le Golfe a un long passé d'instabilité. Cependant, même si les événements récents sont graves, je ne crois pas à l'imminence d'une confrontation majeure : nous pouvons éviter une troisième guerre du Golfe.
Nous avons donc trois priorités : lutter contre Daech, résoudre la crise de prolifération et restaurer la stabilité dans la région.
Lutter contre Daech implique de restaurer la confiance des Irakiens dans la coalition internationale en dissociant clairement les actions que peuvent mener les Américains à titre national de celles qu'elle conduit. Il faut également améliorer les mécanismes de coordination avec les forces irakiennes en leur donnant plus de visibilité et de responsabilités au sein du commandement de la coalition.
Le Parlement irakien a adopté, sans le soutien des Kurdes ni des sunnites, une résolution dont le statut n'est pas très clair, mais qui appelle à retirer les forces étrangères du territoire irakien. Si ce texte n'est pas contraignant, il doit néanmoins nous inciter à réfléchir aux moyens de préserver la lutte contre Daech. Vous connaissez notre détermination dans ce domaine ; vous pouvez être assurés que nous y travaillons avec nos partenaires.
S'agissant du deuxième point, c'est-à-dire la crise de prolifération, nous avons toujours dit que la décision des États-Unis de se retirer de l'accord de Vienne était une mauvaise décision. L'Iran s'est à son tour désengagé non de l'accord, mais des engagements qu'il avait pris dans ce cadre – sur fond de tirs de missiles sur les bases d'Erbil et d'Al-Assad –, ce qui était également une très mauvaise décision.
Loin de moi donc l'idée que l'accord se porte bien. Cela étant, et sans doute parce que je suis optimiste, je veux encore croire qu'il y a place dans ce dossier pour la diplomatie.
Troisième priorité : la restauration de la stabilité dans la région. Nous avons appelé l'Iran à la retenue et à la responsabilité, parce qu'il nous paraît inutile de franchir un nouveau cap dans la déstabilisation d'une région chaotique.
Nous avons donc réaffirmé notre attachement à la souveraineté et à la sécurité de l'Irak. Dans ce contexte, notre posture, qui est une posture d'équilibre, prévisible et claire, est plus que jamais nécessaire en vue d'apaiser les tensions. Tel sera l'objet de la mission de surveillance maritime européenne dans le Golfe, à laquelle les premiers navires européens participeront à partir du mois de février.
Le premier bâtiment français à y participer est la frégate Courbet, à bord de laquelle nous avons, Madame la présidente, passé les dernières heures de l'année 2019 et les premières de l'année 2020. Les Pays-Bas, bientôt suivis par le Danemark, ont été les premiers à rejoindre la France pour prendre part à cette initiative, en annonçant le déploiement d'une frégate. Cet exemple montre que la défense européenne prend corps. Fidèle à ses valeurs, elle porte un message d'équilibre et de désescalade.
Mais pendant que nous menons la lutte de l'avant contre le terrorisme, nous devons aussi assurer dans la durée nos missions fondamentales de souveraineté et de dissuasion. Notre diplomatie est agile, et notre capacité à dialoguer avec tous reconnue. Mais tout cela marche toujours mieux lorsque les vaches sont bien gardées, si vous voulez bien me passer cette expression un peu triviale… Dans notre contrat fondamental avec la nation figure notre capacité à assurer sa défense, même contre l'impensable, c'est-à-dire dans ces circonstances extrêmes de légitime défense au cours desquelles tout est possible. C'est une mission complexe et redoutable, à laquelle nous nous préparons avec la plus grande détermination. Nous assurons la protection de nos approches, nous affinons notre connaissance des menaces, nous garantissons enfin au Président de la République que les outils ultimes de souveraineté sont prêts.
Un mot rapide, mais nécessaire, sur l'OTAN, cette alliance essentielle dont nous œuvrons d'ailleurs à entretenir la culture nucléaire : le Président de la République a eu, il y a quelques semaines, des mots forts à son égard, que la presse anglo-saxonne a d'ailleurs qualifiés de « sonnerie de réveil ». Le sommet de Londres a permis au Président d'exprimer sa vision des réflexions stratégiques que doit engager l'OTAN pour continuer de contribuer à la paix et à la stabilité en Europe.
Cette évolution passe à mon sens en premier lieu, vous n'en serez pas étonnés, par un réengagement des Européens au sein de l'Alliance, qui est indispensable pour répondre au rééquilibrage des responsabilités que le contexte impose. Les Européens doivent poursuivre la construction engagée il y a deux ans d'une Europe de la défense, qui n'est pas une alternative à l'OTAN mais bien, en son sein, un pilier.
Par ailleurs, la France continue de participer activement aux mesures d'assurance au profit des Alliés orientaux – comme à Tapa, en Estonie, où nous restons très vigilants sur la situation ukrainienne – ainsi qu'aux exercices d'envergure de l'OTAN. Lors de la dernière réunion des ministres de la défense de l'OTAN, j'ai confirmé la contribution française à l'initiative pour la réactivité (NATO Readiness Initiative), qui assoit la crédibilité de la posture défensive de l'OTAN. La France y contribuera à hauteur de 10 %.
Je voudrais, pour finir, ouvrir une parenthèse concernant la gestion budgétaire 2019, notamment sur les aspects financiers des missions extérieures et intérieures : il s'agit d'un point d'attention traditionnel en fin de gestion, sur lequel je voudrais vous donner les premiers éléments.
En 2019, le coût des opérations extérieures et intérieures s'est élevé à 1,398 milliard d'euros, soit 1,245 milliard d'euros au titre des opérations extérieures, les OPEX, et 0,153 milliard d'euros au titre des missions intérieures, les MISSINT, ce qui représente une relative stabilisation de leur coût, en une hausse de 2,8 % par rapport à 2018.
Le coût des opérations extérieures aura donc été en hausse d'un peu plus de 40 millions d'euros par rapport à 2018, l'essentiel des surcoûts – 85 % – étant dus aux opérations Barkhane et Chammal, ce qui illustre sur le plan financier l'engagement de nos armées dans la lutte contre le terrorisme hors du territoire national.
Le coût des missions intérieures est stabilisé à 153 millions d'euros, contre 156 millions l'année dernière, ce qui démontre la pertinence du dispositif rénové de Sentinelle, qui permet de répondre aux besoins opérationnels, y compris au cours d'une année de présidence française du G7, tout en maîtrisant les moyens alloués.
À noter que le bouclage du financement de ces 1,398 milliard d'euros au titre des OPEX et des MISSINT a été grandement facilité par la hausse des provisions prévues à cet effet dans la loi de programmation militaire : 850 millions d'euros pour 2019 – elles ne s'élevaient qu'à 450 millions d'euros en 2017 –, auxquels sont venus s'ajouter 100 millions pré-identifiés pour couvrir les besoins de masse salariale de l'opération Sentinelle : autrement dit, nous disposions dès le budget initial d'une provision totale de 950 millions d'euros et le reste à couvrir n'était plus que d'un peu moins de 450 millions d'euros.
À cela se sont ajoutées, à hauteur de 233 millions d'euros, des ressources complémentaires et des marges en gestion : 37 millions d'euros de contributions internationales aux opérations françaises, venant de l'ONU et de l'OTAN, un redéploiement de 56 millions d'euros au sein du programme 178, « Préparation et emploi des forces », qui découle d'un retard dans la passation de marché de la « verticalisation » du maintien en condition opérationnelle – la question se reposera naturellement lors de l'exercice budgétaire suivant – et une sous-consommation de la masse salariale ministérielle de 140 millions d'euros.
Je vais m'arrêter un peu sur ce dernier point, même si nous aurons l'occasion d'y revenir lorsque vous examinerez la fin de gestion dans le cadre du printemps de l'évaluation. Tout d'abord, nous avions anticipé cette sous-consommation de la masse salariale, car elle est un écho de ce que nous avions déjà constaté en 2018, pour un montant de 155 millions d'euros, mais trop tardivement pour en tirer les conséquences dans la loi de finances initiale pour 2019. Nous avons donc retrouvé, d'une manière mécanique, un effet qui n'avait pas pu être corrigé en fin de gestion l'année précédente.
Même si la situation est encore fragile sur le front des recrutements et des départs, je peux d'ores et déjà vous dire qu'elle s'améliore et qu'elle est mieux maîtrisée. J'espère pouvoir vous confirmer dans quelques semaines que le ministère a atteint ses objectifs de hausse des effectifs en 2019.
Minoré des provisions, des ressources complémentaires et des marges qui ont pu être mobilisées par le ministère, le reste à financer des coûts liés aux opérations extérieures (OPEX) et aux missions intérieures s'est élevé, au total, à 214 millions d'euros. Ces crédits ont été ouverts, dans le budget du ministère, grâce au projet de loi de finances rectificative et ils ont permis de couvrir intégralement le besoin de financement.
Je précise également que le montant des annulations intervenues dans le périmètre de la mission « Défense » – à hauteur de 284 millions d'euros – n'est pas exactement égal aux 214 millions d'euros que je viens d'évoquer. Un solde négatif de 70 millions d'euros apparaît en fin de gestion, qui mérite explication.
Pour contribuer aux mesures décidées par le Gouvernement en faveur du pouvoir d'achat des Français, le Premier ministre a demandé une réduction exceptionnelle de 1 milliard d'euros des dépenses de l'État lors du collectif budgétaire de la fin de l'année. Dans ce cadre, j'ai décidé de restituer au budget général 70 millions d'euros, qui résultent des gains réalisés à l'occasion des négociations relatives aux contrats d'armement et du paiement de pénalités. J'insiste sur le fait que cela n'aura aucune conséquence physique sur l'application de la loi de programmation militaire, en particulier sur le volet des commandes et des livraisons – il est naturel, lorsqu'on voit apparaître un chiffre négatif au bas d'une colonne, de s'interroger sur les conséquences éventuelles.
Enfin, 420 millions d'euros de crédits restaient gelés au titre de la réserve de précaution du ministère lors de la présentation du collectif de fin d'année. À ma demande, ces crédits ont été dégelés dans leur intégralité avant la fin de gestion, ce qui a permis au ministère des armées de terminer l'année dans de bonnes conditions. Même si cela demande à être consolidé d'ici au printemps, les résultats des principaux indicateurs de gestion pour 2019 devraient être bons. Hors recettes extrabudgétaires, l'exécution devrait être conforme au budget initial, ce qui représente, à quelques ajustements près, environ 35,9 milliards d'euros de crédits de paiement consommés ; par ailleurs, notre hypothèse de report de charges devrait se confirmer, un peu au-dessus de 3,8 milliards d'euros. Mais il est encore un peu tôt pour vous fournir un bilan définitif de la gestion réalisée en 2019.
Au terme de ce tour d'horizon, nous avons, pour résumer, cinq priorités pour 2020 : pérenniser et opérationnaliser nos partenariats, en renforçant les liens de confiance que nous avons tissés ; transformer l'essai en ce qui concerne les initiatives européennes – Takuba, la mission de surveillance dans le Golfe et l'initiative européenne d'intervention, autant d'actions concrètes donnant vie à notre besoin et à notre projet d'Europe de la défense ; continuer de dialoguer avec tous, la stabilité et la sécurité en Europe dépendant aussi du dialogue établi avec des pays tels que la Russie ; tenter de préserver le soutien américain au Sahel, ce qui est un des objectifs que je poursuivrai avec beaucoup de détermination lors de mon déplacement à Washington, dans quelques jours ; enfin – le répéter ne me paraît pas superflu –, communiquer et expliquer sans cesse le sens de notre action aux Français. Nos armées et nos opérations jouissent d'un fort soutien dans la population. Ce soutien est précieux ; il ne doit jamais être considéré comme acquis. Je sais que vous œuvrez à mes côtés pour l'entretenir au quotidien, et je ne peux que vous encourager à continuer à le faire.
Merci beaucoup, Madame la ministre, pour ce panorama et pour toutes les précisions que vous nous avez apportées.
La France s'investit sans relâche pour lutter contre le terrorisme aux côtés des pays du G5 Sahel : plus de 4 500 hommes risquent leur vie chaque jour pour défendre cette région, et je voudrais leur rendre hommage. Nous avons payé un prix élevé l'année dernière. Cet engagement permet évidemment d'assurer la protection de la France.
Le pacte avec nos alliés africains a été renouvelé, et l'implication de nos partenaires européens s'est considérablement renforcée grâce à la création de la force Takuba. Pouvez-vous nous donner quelques précisions supplémentaires sur les effectifs, les missions envisagées et les pays qui se sont déjà engagés, afin que nous puissions jouer notre rôle de parlementaires auprès de nos homologues européens ?
Je crois que cette force constitue un premier pas dans la construction très opérationnelle d'une véritable armée européenne dont nous avons déjà beaucoup parlé : on voit qu'il y a une concrétisation. Pouvez-vous revenir sur la question du développement d'une armée européenne ?
J'ai reçu dans ma permanence, en décembre dernier, un ancien membre des commandos de marine avec qui j'ai longuement échangé. Il m'a notamment indiqué que les soldats manquaient de moyens à Kidal, au Mali, pour pratiquer une activité physique régulière. Je suis néanmoins heureuse de constater que vous prenez à cœur leur entraînement, Madame la ministre : cela fait partie des mesures prévues par le plan famille. En 2020, près de quarante kits sportifs mobiles ou fixes vont être déployés. J'espère que nos militaires envoyés en OPEX pourront également en bénéficier.
Puisque j'ai évoqué Kidal, j'en profite pour vous interroger sur le « focus » consacré à cette région du Mali dans les travaux des chefs d'État présents à Pau lundi dernier. Pourquoi avoir fait le choix de Kidal ? D'autres régions ou localités, comme Tombouctou, ne devraient-elles pas aussi être concernées ? Le seront-elles dans un avenir proche ? Comment la nouvelle stratégie que constitue le troisième pilier, c'est-à-dire l'appui au retour de l'État et des administrations sur le territoire de la coalition pour le Sahel, va-t-elle se déployer ?
Madame la ministre, j'ai eu le plaisir de faire un déplacement avec vous pour fêter, en 2019, le nouvel an avec nos soldats de la base H5 au Levant. Quel est le devenir de cette base, à l'origine de plus de 8 700 sorties aériennes et de 1 500 frappes qui ont permis de réduire à néant 2 300 positions de l'État islamique ? S'agissant de l'Irak, nous avons vu la résolution adoptée par le Parlement de ce pays – elle a fait grand bruit dans la presse. Mais quelle est précisément la position du gouvernement irakien, de nature multiconfessionnelle, ce qui introduit un élément de complexité, au sujet de la présence de nos soldats ?
En ce qui concerne Barkhane, ne croyez-vous pas qu'il conviendrait d'effectuer un véritable travail de communication, de pédagogie, auprès des populations locales en vue de justifier la présence française et de mettre fin aux fake news qui accusent la France de déstabiliser le Sahel ? Avez-vous prévu des mesures en ce sens ?
J'aimerais d'abord poser une question toute simple à propos de Barkhane : que vont changer, par rapport à la situation actuelle, ces 220 soldats supplémentaires ?
Vous avez fait allusion, dans le cadre de vos priorités pour cette année, au renseignement américain. Quel est à l'heure actuelle son volume ? Si jamais les Américains décident de se retirer, quels seront nos moyens pour remplacer leur renseignement ?
Cela m'amène, d'une certaine manière, à vous interroger sur la tragédie qui s'est déroulée à Chinégodar, où 89 soldats nigériens ont été tués. Le camp aurait été attaqué par 500 djihadistes. Comment ont-ils pu passer au travers de notre système de renseignement sur place ?
À la suite de la réunion du Conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui s'est tenue au niveau ministériel en novembre dernier, l'Allemagne va devenir, pour la première fois, le premier pays contributeur de cette agence, à la place de la France, alors que vous expliquez qu'il existe une ambition française pour les questions spatiales. On sait, par ailleurs, que la répartition des fonds au sein de l'ESA a des impacts considérables pour les industries concernées.
Comme vous l'avez rappelé, Madame la ministre, la situation internationale est particulièrement tendue en ce début d'année. Je pense notamment aux relations entre les États-Unis et l'Iran, à la position de la Russie, à l'intervention turque et à la situation des Kurdes. Je suis d'accord avec vos priorités et vos objectifs, d'une manière globale.
J'ai posé une question au Gouvernement, en juillet dernier, sur la situation dans le golfe Persique et sur la possibilité, qui était alors évoquée compte tenu des attaques qui se déroulaient, d'une mission européenne visant à assurer la stabilité dans le détroit d'Ormuz. Je sais qu'un travail a été réalisé au niveau européen et qu'une mission dénommée EMASOH a vu le jour : j'aimerais savoir où elle en est. Nous avons notamment appris que les Pays-Bas avaient décidé de nous aider avec un bateau qui devait être déployé dans le cadre de l'OTAN. Des graves problèmes peuvent se produire si une surveillance du détroit d'Ormuz n'est pas assurée.
L'OTAN, créée en 1949 dans l'objectif initial d'assurer un engagement américain au service de la sécurité européenne, s'est par la suite transformée en une organisation dont le nouvel objectif est d'assurer un engagement européen au service de la stratégie globale des États-Unis. Ne pensez-vous pas que cette évolution amplifie certains risques militaires ?
Je vais illustrer ma question en citant le général de Gaulle (« Ah ! » sur plusieurs bancs). « D'abord, on a vu que des possibilités de conflit, et par conséquent d'opération militaire, s'étendaient bien au-delà de l'Europe […] et, qu'à leur sujet, il y avait, entre les principaux participants de l'Alliance Atlantique, des divergences politiques qui pourraient, le cas échéant, tourner en discordance stratégique. » Quelques années plus tard, il déclarait que « des conflits où l'Amérique s'engage dans d'autres parties du monde […] risquent de prendre, en vertu de la fameuse escalade, une extension telle qu'il pourrait en sortir une conflagration générale. Dans ce cas, l'Europe, dont la stratégie est, dans l'OTAN, celle de l'Amérique, serait automatiquement impliquée dans la lutte lors même qu'elle ne l'aurait pas voulu. » Ne pensez-vous pas que ces propos restent d'actualité ?
Takuba est une force en cours de constitution : elle n'est pas encore opérationnelle – je n'ai peut-être pas été assez précise dans mon propos liminaire. Placée sous le commandement de l'opération Barkhane, Takuba sera composée de forces spéciales venant de différents pays européens. Elle réalisera des missions de conseil, d'assistance et d'accompagnement.
Qui a vocation à en faire partie ? Les pays qui ont été approchés et qui ont marqué leur intérêt – soutenu – sont la Belgique, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, la République tchèque et la Suède. J'appelle néanmoins votre attention sur le fait qu'un intérêt marqué n'est pas nécessairement, à ce stade, un intérêt confirmé, en particulier de la part de pays où une validation parlementaire est nécessaire.
Notre objectif est que cette force commence ses opérations à partir de l'été prochain et qu'elle ait une pleine opérationnalité dans le courant de l'année.
J'ai souligné que le soutien de l'Europe au G5 Sahel était bien réel. Une conférence des donateurs a permis de mobiliser 412 millions d'euros de promesses de dons pour équiper les forces locales. Cela s'est déjà traduit par des livraisons d'équipements ou des versements au fonds de la force conjointe, à hauteur de 197 millions d'euros. La dernière manifestation du soutien de l'Europe au G5 Sahel était la présence de Charles Michel et de Josep Borrell à Pau.
Pourquoi avoir insisté sur Kidal dans la déclaration conjointe ? C'est un lieu emblématique de la crise politique qui sévit au Mali et de la désertion de l'État dans les provinces du Nord. Si l'on veut faire du sommet de Pau le tournant que tout le monde souhaite, il faut que l'État revienne rapidement à Kidal. C'est ce qui a été souligné non seulement par le président du Mali mais aussi par celui du Niger : ils demandent qu'une attention particulière soit portée à cette zone.
Sur le plan pratique, la mise à disposition de moyens permettant de faire du sport fait partie des nombreuses mesures du plan famille. Il est prévu de déployer de nouveaux équipements sportifs aussi bien dans le territoire national que dans le cadre des opérations extérieures.
Le discours anti-français – je préfère utiliser ce terme plutôt que celui de « sentiment anti-français » – puise à diverses sources : la frustration légitime de la population, qui subit au tout premier chef l'insécurité qui règne, une rhétorique politique et idéologique utilisée pour discréditer l'action de la France, mais aussi un certain nombre de manipulations de l'information orchestrées par des groupes d'influence. Nous menons des actions déterminées pour lutter contre la désinformation et pour expliquer notre présence, en étroite coordination avec les autorités locales. Mais pour que cela soit efficace, encore fallait-il que les chefs d'État des pays concernés s'expriment d'une manière claire, sans aucune ambiguïté, sur le fait que la présence étrangère – de la France mais aussi d'autres partenaires – est souhaitée dans la durée et d'une façon plus étendue : la déclaration de Pau comporte effectivement un appel à l'internationalisation de cette présence.
La base H5 continue d'être très utile et très efficace dans le cadre des vols de reconnaissance qui sont toujours menés en Syrie et en Irak. À ce stade, et tant qu'il y a une présence américaine au Levant, nous n'avons pas l'intention de réduire ou de fermer cette base que les autorités jordaniennes ont mise à notre disposition. Nous avons apporté un certain nombre de modifications au dispositif Chammal depuis la chute du califat territorial : nous avons rapatrié les canons CAESAR, mais nous avons gardé la base aérienne H5. Si les États-Unis maintiennent leur présence et si la coalition internationale poursuit ses opérations, nous avons l'intention de conserver cette base.
Quelle est précisément la position du Gouvernement irakien au sujet de la présence étrangère ? Le statut de la résolution adoptée par le Parlement irakien n'est pas totalement clair : la totalité des forces et des communautés de l'Irak n'étaient pas présentes au moment du vote. Il s'agit, en outre, d'une résolution et non d'une décision. Enfin, des membres du Gouvernement irakien, qui est de transition – j'ai omis de le préciser tout à l'heure – disent en privé qu'ils ne souhaitent pas le départ des forces étrangères et le désengagement des États-Unis. Il y a donc une voie à explorer pour permettre aux forces présentes au sein de la coalition internationale de rester, en prenant mieux en compte qu'aujourd'hui, comme je l'ai indiqué dans mon propos liminaire, la souveraineté de l'Irak.
Quel sera l'impact des 220 personnes supplémentaires déployées au Sahel ? Cette augmentation – nous avions déjà 4 500 personnes sur place – va-t-elle changer la donne ? C'est un signal que nous avons voulu adresser à nos partenaires européens et internationaux, mais aussi sahéliens. La déclaration conjointe de Pau souligne que chacun doit faire sa part du travail. Nous avons décidé de signifier que nous sommes prêts à nous engager plus, mais il faut aussi que ce qui a été défini dans la feuille de route de Pau soit réalisé par nos partenaires, sur le plan militaire comme dans le cadre des autres piliers : je pense en particulier au pilier politique, qui relève des États du Sahel. Ce que nous avons décidé n'est pas un changement de magnitude ou d'échelle de la force Barkhane, mais un puissant signal que nous voulions adresser, d'une façon positive, à l'ensemble des partenaires.
Le renseignement américain, qui nous est fourni par un certain nombre de capacités, est important. Nous souhaitons pouvoir en conserver le bénéfice. Cela sera-t-il le cas dans la durée ? Il est trop tôt pour le dire. Nous avons reçu des signaux qui n'étaient pas forcément positifs, et c'est pour cela qu'il faut agir. Tout ce que vous pourrez faire à votre niveau, en complément de ce nous nous efforçons de faire, avec le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sera le bienvenu.
Je ne répondrai pas aux questions portant sur l'espace, Monsieur Lachaud, car elles ne sont pas nécessairement au cœur de cette audition, mais nous pourrons revenir plus tard sur ce sujet, qui le mérite – il y a notamment des aspects industriels.
La mission de sécurisation maritime dans le golfe Arabo-persique a été très positivement comprise et accueillie par nos partenaires : elle est le reflet de notre position équilibrée, de notre volonté de favoriser une désescalade et de ne pas prendre part à la stratégie de pression maximale des États-Unis vis-à-vis de l'Iran. Cette mission sera officiellement lancée à la fin du mois. Sa capacité opérationnelle sera initialement constituée d'un état-major tactique européen, établi à Abou Dhabi, et de la frégate Courbet. La mission aura une pleine capacité opérationnelle à la mi-février avec l'arrivée de la frégate néerlandaise. D'autres contributions suivront, en particulier de la part du Danemark.
L'engagement de la France dans l'OTAN sert d'abord nos intérêts stratégiques et ceux des Européens, Monsieur Chassaigne. Nous avons décidé de participer à l'EFP (enhanced Forward Presence), qui est une force de réassurance face à la Russie. Cela sert nos intérêts stratégiques, je le répète, et cela nous aide beaucoup à conserver, voire à amplifier l'effort que réalisent certains de nos partenaires européens – les Estoniens en particulier, qui sont d'ores et déjà présents au Sahel, à travers un contingent déployé à Gao, et qui pourraient l'être encore plus dans le cadre de la task force Takuba. Je ne devrais d'ailleurs pas employer le conditionnel mais le futur : l'Estonie est le premier pays à avoir été au bout du processus politique permettant de sécuriser, d'une façon certaine, sa participation à la task force Takuba.
Rien n'empêche les Européens de travailler à bâtir une autonomie stratégique leur permettant de réagir à une crise même si l'OTAN n'est pas concernée : c'est le sens des outils que nous développons, notamment l'Initiative européenne d'intervention, la coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense. Je rappelle aussi que les décisions sont prises à l'unanimité au sein de l'Alliance : si nous voulons nous opposer à une action, parce qu'elle serait manifestement contraire à nos intérêts, nous avons la capacité de l'empêcher. Je ne voudrais pas paraphraser le général de Gaulle, mais vous m'avez comprise. (Sourires.).
Nous passons à une nouvelle série de questions, en commençant par M. de la Verpillière, à qui j'aurais dû donner la parole tout à l'heure… Je vous présente toutes mes excuses, mon cher collègue.
Peut-être avez-vous pensé qu'à partir du moment où André Chassaigne citait le général de Gaulle, le groupe Les Républicains n'avait plus rien à dire, Madame la présidente… (Sourires.) Mais cela ne suffit tout de même pas !
Vous avez donné un certain nombre de chiffres au sujet de la fin de gestion budgétaire, Madame la ministre. Nous en avons pris note et nous aurons l'occasion d'en reparler. J'observe tout de même qu'il n'y a plus de financement issu de la solidarité interministérielle pour les OPEX et les OPINT – c'est un sujet que nous avions évoqué lors de nos travaux sur la loi de programmation militaire.
Nos forces sont évidemment très engagées. Nous avons eu mardi dernier un débat très intéressant sur les conséquences auxquelles cela conduit, notamment les absences, et sur l'évolution que doit connaître le plan famille. Je voudrais insister sur un autre effet, qui est paradoxal : le surengagement dans les OPEX et les OPINT a également des incidences sur l'entraînement, dont le coût peut être terrible : lors de l'accident du 9 janvier 2019, qui a coûté la vie à deux pilotes, le rapport du Bureau enquête accidents pour la sécurité aéronautique de l'État (BEA-É) a montré que le pilote avait bien fait ses cent quatre-vingts heures de vol l'année précédente, mais essentiellement en opérations et en convoyage, et qu'il n'avait effectué que peu d'entraînements – pas suffisamment – au sens propre du terme.
S'agissant des craintes de désengagement des États-Unis au Levant et en Afrique, dont il a déjà été question tout à l'heure, peut-on faire la part entre les facteurs conjoncturels – le tempérament bouillonnant de M. Trump, mais aussi la proximité des élections américaines – et les évolutions de long terme ? Je pense au « basculement » évoqué par le président Obama, dont on pourrait commencer à éprouver les effets.
Lors du sommet qui s'est tenu à Pau, le Président de la République a indiqué que l'opinion publique des pays du G5 Sahel était manipulée par des puissances étrangères au détriment de notre pays – on le constate, en effet, très souvent. Êtes-vous en mesure de nous indiquer quelles sont ces puissances étrangères ?
Le Président de la République et ses homologues sahéliens ont annoncé à Pau la création d'une coalition dotée d'un commandement conjoint. Pouvez-vous préciser quelle en sera la traduction opérationnelle ?
Takuba et EUTM comportent toutes les deux un volet important de formation pour les armées locales : quelle pourrait être l'articulation entre ces deux missions ?
Nous assistons à une montée des périls dans le monde – bande sahélo-saharienne, Afrique centrale, Proche-Orient, Moyen-Orient – qui sont autant de menaces pour notre zone économique exclusive. Ne faudrait-il pas accélérer le rythme du renouvellement et du renforcement des équipements de nos forces de souveraineté maritimes, aériennes et terrestres positionnées outre-mer afin de mieux protéger notre zone économique exclusive ? Vous savez, je pense, quelle arme a ma préférence !
À Pau, le Président de la République a annoncé le déploiement de 220 soldats supplémentaires. Les missions qui leur seront confiées seront-elles d'ordre logistique, ou seront-ils engagés dans les combats contre les groupes armés terroristes, au sein des forces spéciales ou des forces conventionnelles ? Pouvez-vous nous préciser quelles sont leurs unités d'origine ?
Les événements opposant les États-Unis et l'Iran mettent en question la sécurité des 160 militaires français maintenus sur le sol irakien pour lutter contre Daech. Vous avez déclaré que le niveau de protection de nos soldats avait été renforcé, pouvez-vous préciser le type de mesures adoptées pour permettre leur maintien en Irak ?
Au vu des interrogations sur le maintien de l'opération Chammal et du déplacement des forces d'autres pays de la coalition, notamment Canadiens et Allemands, le rôle stratégique de la France dans cette zone doit-il évoluer ?
Monsieur de la Verpillière, si la solidarité interministérielle n'a pas joué en faveur des OPEX en 2019, c'est parce qu'elle a été appelée pour financer les « mesures gilets jaunes », et pour des montants sans commune mesure. N'en tirez pas de leçon générale, mais le fait est qu'en 2019, le principe de solidarité interministérielle, bien que consacré par la loi de programmation militaire, a été écrasé par d'autres besoins plus pressants.
Vous avez mentionné l'accident tragique dans lequel deux de nos pilotes stationnés dans la base aérienne de Nancy ont trouvé la mort le 9 janvier 2019. Le rapport du BEA pointe la nécessité impérative pour nos pilotes de continuer à bénéficier d'un entraînement suffisant, et c'est précisément la raison pour laquelle ce pilote et cette navigatrice, de retour d'OPEX, reprenaient l'entraînement.
Le désengagement des États-Unis tient à des causes structurelles : la réorientation des efforts américains vers l'Asie et le Pacifique, qui s'inscrit dans le long terme. Cela ne signifie pas que le soutien que les États-Unis nous apportent ailleurs devra être remis en cause du jour au lendemain. Il nous appartient d'expliquer sans cesse que ce soutien nous est précieux au Sahel, et il ne représente pas un effort financier considérable au regard de l'investissement total des États-Unis dans le monde.
Je ne citerai pas les puissances visées par les propos du Président de la République.
L'opération Takuba et l'EUTM n'ont pas exactement les mêmes missions. L'EUTM remplit une mission de formation, tandis que Takuba va au-delà, jusqu'à l'accompagnement au combat. Ce sont deux missions différentes et complémentaires.
S'agissant des moyens de souveraineté outre-mer, nous nous employons à accélérer le rythme dans le cadre de la loi de programmation militaire. En 2019, nous avons déployé un patrouilleur Antilles Guyane (PAG) et un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) aux Antilles, dans une région durement marquée par l'activité cyclonique cet automne ; nous allons poursuivre cet effort.
Les 220 militaires supplémentaires déployés au sein de la force Barkhane rempliront des missions conventionnelles ; il ne s'agit pas de forces spéciales. Sans trahir de secret, Monsieur Ferrara, je suis sûre que vous me comprendrez si je vous dis qu'ils seront issus d'unités chères à votre cœur.
S'agissant des mesures de protection des forces engagées dans l'opération Chammal, nous avons suspendu les formations que nous dispensions aux forces irakiennes pour nous concentrer sur la protection de nos propres unités. Ces unités restent cantonnées et nous avons demandé que les mesures maximales soient prises : protection balistique par casque et gilet pare-balles ; et en cas d'alerte, toutes les forces doivent se protéger dans des abris. Enfin, nous avons regroupé nos forces dans les emprises les moins vulnérables.
La base sur laquelle nous sommes présents en Irak, à proximité de l'aéroport, n'abritait pas de soldats américains et n'a pas été touchée par les frappes iraniennes. Nous ne sommes pas présents dans la base touchée par ces frappes. L'évolution ultérieure sera fonction de l'évolution de la menace.
La force Takuba ayant à opérer sur un territoire très vaste, l'aéromobilité constitue un point crucial. Pourrons-nous bénéficier du renfort de nos partenaires européens en ce domaine ?
Certaines puissances hésitent à quitter le Sahel, d'autres n'hésitent pas à y entrer. Je pense à la Russie, soupçonnée d'encourager le sentiment antifrançais, selon des propos tenus à l'AFP par un haut gradé français. Vous avez parlé de manipulation orchestrée par des groupes d'influence, la France est malheureusement sensibilisée aux campagnes de manipulation, notamment en période électorale. Selon vous, quel rôle joue la Russie dans ces manipulations ?
Les manipulations existent sans doute en période de guerre, et peut-être même en pratiquons-nous dans certains conflits…
Mais quelles que soient ces manipulations, la situation des populations sur le terrain et leurs difficultés d'existence alimentent le soutien aux groupes djihadistes. Il ne tient pas toujours à des raisons idéologiques : ces groupes apportent souvent des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent les gens, et apparaissent comme des protecteurs qui s'opposent à ceux qui oppriment les populations.
La lutte contre le djihadisme ne peut passer par la seule réponse militaire, le volet politique manque. J'avais demandé la création d'une commission d'enquête pour dresser le bilan géostratégique de notre action militaire au Mali, mais elle a été refusée. Je pense que la situation continue de se dégrader, et je n'ai pas entendu dans vos propos de réponse politique satisfaisante à la question : « Que faisons-nous là-bas ? », question à laquelle sont confrontées nos armées, et que beaucoup de Français se posent.
J'ai eu la chance de m'entretenir avec nos officiers sur place. Nos armées sont très compétentes, mais leur constat est très lucide : ils estiment que nous sommes engagés pour au moins vingt ans, et qu'à ce stade, nous n'avons pas la réponse politique à l'effondrement des États.
Comment sortir de ce bourbier ? Nous, parlementaires, devons débattre de notre projet politique et des moyens mis en œuvre pour la reconstruction de ces États, notamment les investissements financiers requis pour rétablir un minimum de santé et d'éducation. Les sommes que nous investissons là-bas sont trop faibles, surtout au regard du coût de l'intervention militaire.
Quels sont nos objectifs politiques dans cette région, et ne pensez-vous pas que le moment soit venu d'y consacrer un débat parlementaire ?
Quelles sont les probabilités que la coalition internationale, et le dispositif français qui en fait partie, se maintienne en Irak, connaissant la posture américaine et le fait que les Occidentaux y soient devenus indésirables ?
Une alliance objective avec les milices chiites pour lutter contre Daech est-elle encore possible ?
Enfin, avons-nous des informations sur la situation des troupes kurdes dans l'est de la Syrie ?
L'élue paloise que je suis est fière d'entendre toutes ces références au G5 Sahel qui s'est tenu à Pau. Je suis sûre que cela aura été un bon sommet, qui aura des conséquences concrètes.
Si nous comprenons que la mutation de la situation au Sahel provoque des adaptations sur le plan militaire, est-il possible d'évaluer les conséquences des déplacements de population en cours, et de connaître les réponses qui seront apportées ? On parle d'un million de personnes déplacées ; selon l'ONU, le Burkina Faso est devenu en 2019 l'épicentre d'une crise humanitaire dramatique. Cette situation est provoquée par les djihadistes et les criminels qui gagnent du terrain en jouant tout à la fois sur l'émotion du temps court et l'usure du temps long. L'approche globale, seule solution pour sortir de la crise, vise à gagner le cœur et l'esprit des populations en répondant aux exigences de sécurité.
Comment appliquer cette approche à une population sous le choc et mobile ? Comment répondre à ces déplacements de population dans l'urgence, sans alimenter l'effet de rejet de la force conjointe et de ses partenaires ? Comment ces mouvements sont-ils intégrés à la planification opérationnelle de l'approche globale ?
Madame la ministre, vous avez rappelé que Daech était désormais sans territoire, mais pas sans existence, et que nous menions une seule guerre, contre Daech. Je vous remercie d'avoir répondu assez précisément aux inquiétudes profondes qui ont émergé suite à la suspension des activités de la coalition.
Face au durcissement de la situation au Mali et au Sahel, des informations peu rassurantes me sont parvenues sur la sécurité de nos bases. Pourriez-vous nous dire si les matériels concourant à cette sécurité sont disponibles et fonctionnels, notamment au Mali ?
Les déclarations du Président de la République avant le sommet de l'OTAN à Londres étaient tout à fait pertinentes. Encore faut-il les replacer dans le contexte général de l'entrevue qu'il a donnée, et non s'en tenir aux petits mots qui ont fait sensation.
Vous allez vous rendre prochainement aux États-Unis, il serait opportun d'interroger nos alliés – notamment les États-Unis – sur les violations caractérisées de l'article 4 du Traité de l'Atlantique nord, lequel dispose que les alliés s'engagent à s'informer préalablement de toute action. Le retrait partiel des États-Unis du nord de la Syrie et ses conséquences pour les Kurdes, l'assassinat ciblé d'un général iranien, ou l'intervention de la Turquie en Libye sont décidées de façon unilatérale, sans avertir les pays alliés. La France ne devrait-elle pas dénoncer haut et fort ces pratiques qui affaiblissent l'alliance ?
Quel est votre point de vue sur la situation des prisonniers de nationalité française actuellement détenus dans le nord de la Syrie ? Ils étaient sous la garde des Kurdes, et semblent échapper à notre contrôle. Quelles mesures sont prises pour surveiller leurs mouvements, et quelle est votre doctrine quant à leur retour en France ? Seuls des enfants isolés ont été rapatriés en France jusqu'à présent, dans un souci d'humanité légitime, et je ne pense pas que les Français soient prêts au retour de ces détenus.
Monsieur Jacques, l'aéromobilité est en effet un facteur décisif. Nous avons d'ores et déjà reçu le renfort de trois hélicoptères britanniques Chinook et de deux hélicoptères de manœuvre danois ; ils sont à Gao, certains depuis plusieurs mois. Ce renfort va s'accroître dans le cadre de l'opération Takuba : plusieurs autres pays européens étudient la possibilité d'envoyer des hélicoptères avec leurs forces spéciales, en particulier la Suède et la Norvège. Je serai dans quelques semaines au Sahel avec mon homologue suédois, afin de concrétiser son intention de contribuer.
S'agissant du rôle de la Russie dans la manipulation de l'information, chaque fois qu'apparaissent des espaces pour exercer une influence, un certain nombre de pays s'y engouffrent. Je vous renvoie sur ce sujet à l'excellent rapport conjoint du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire du ministère des Armées : sa lecture vous instruira sur l'ensemble de ces questions.
Monsieur Corbière, la question que vous posez me paraît totalement légitime : c'est bien parce que le volet politique faisait défaut que nous avons éprouvé le besoin de poser à nouveau un certain nombre de questions, sans lesquelles les Français ne peuvent pas comprendre pourquoi la France est présente militairement au Sahel, dans une région grande comme l'Europe où 4 500 soldats ne peuvent pas, à eux seuls, rétablir les conditions de souveraineté des États et la sécurité des populations.
Comme vous, je pense que la réponse militaire n'est pas la solution, c'est une des conditions nécessaires pour amorcer un processus qui comprend beaucoup d'autres éléments. C'est pourquoi nous avons éprouvé le besoin de clarifier la volonté des pays du Sahel ; nous ne sommes pas là-bas en tant qu'ancienne puissance coloniale, contrairement à ce qu'affirment parfois certains, mais parce que nous y avons été appelés par des pays souverains. Après le passage de l'opération Serval à l'opération Barkhane, il était essentiel que le mandat politique soit rappelé : nous sommes présents parce que les pays du G5 Sahel l'ont souhaité.
Il faut ensuite qu'un certain nombre d'actions soient mises en œuvre. Les forces armées nationales doivent se doter d'abord d'équipements de protection, de fusils, de munitions pour armes légères, dont elles sont parfois bien démunies, mais aussi d'équipements plus lourds, dont des véhicules, car la mobilité est déterminante. C'est le deuxième pilier de notre stratégie : renforcer les capacités des forces armées nationales.
Le troisième pilier a pour objet de faciliter le retour de l'État dans des zones où il n'est plus présent depuis des mois, voire des années. C'est à ce niveau que joue le lien entre l'action militaire et les États : pour permettre aux préfets, aux maires, aux policiers, aux gendarmes, aux magistrats et aux instituteurs de revenir, il faut préalablement sécuriser les zones. Encore faut-il que le relais soit immédiatement pris, faute de quoi nos actions ne sont que des gouttes d'eau versées dans le sable. C'est l'articulation entre la sécurisation permise par la présence militaire et ce qui relève de l'action des États que nous avons voulu sceller.
Le quatrième pilier, c'est le développement économique. Nous devons faciliter le retour des opérateurs du développement : c'est la raison pour laquelle un conseiller pour le développement a été placé auprès du commandant de la force Barkhane. Nous devons articuler notre présence sur le terrain avec les projets des opérateurs du développement. S'il faut attendre des mois entre la sécurisation et le lancement des projets de développement, nous aurons perdu. Les actions doivent être concomitantes.
Cette coalition pour le Sahel est donc constituée autour de ces quatre piliers : le pilier militaire que vous connaissez très bien ; l'amélioration des capacités des armées des États du Sahel pour qu'elles combattent de façon efficace ; le retour de l'État dans les zones où il n'est plus présent depuis longtemps ; l'aide au développement enfin. Ces quatre piliers doivent s'articuler à la perfection. Nous verrons alors quels seront les premiers résultats. Le Président de la République a été clair vis-à-vis de ses homologues : il faut que les choses aillent vite parce que les terroristes gagnent du terrain très rapidement en ce moment et les armées du Sahel en subissent très directement les conséquences dramatiques et douloureuses. Même si rétablir la sécurité sur l'ensemble du territoire et lutter contre la pauvreté des populations est une action au long cours, il faut obtenir des résultats dans les mois qui viennent.
J'ai également été interrogée sur les probabilités que la coalition se maintienne en Irak. Elles sont loin d'être nulles, qu'il s'agisse de la coalition sous sa forme actuelle ou d'une partie des forces internationales qui y contribuaient jusqu'à présent. Pour la stabilité et la souveraineté de l'Irak, il est nécessaire que ces forces continuent de contribuer à la lutte contre le terrorisme. Daech a changé ses modes d'intervention en entrant en clandestinité, mais toutes les cellules dormantes en Irak ne demandent qu'à agir le plus rapidement possible.
S'agissant du sort des Kurdes, il est vrai que l'entrée des Turcs et leur installation sur la bande frontalière au nord-est syrien ont bouleversé la situation. Les Kurdes ont été affaiblis par cette offensive, ce qui a créé de nouvelles opportunités pour Daech. Depuis cette offensive, la situation s'est stabilisée, la coalition a pu reprendre les opérations de lutte contre Daech en partenariat avec les forces démocratiques syriennes, mais avec un dispositif américain considérablement réduit.
En Irak, les tensions nées de la crise entre Erbil et Bagdad depuis le référendum pour l'indépendance se sont apaisées, les rapports entre le Kurdistan irakien et l'État central irakien se sont normalisés. Par ailleurs, une feuille d'orientation stratégique franco-irakienne a été signée au mois de mai 2019 ; elle inscrit notre relation bilatérale de défense dans la durée dans les domaines stratégiques, industriels et militaires. Nous sommes évidemment attentifs, vu l'existence d'une base militaire importante à Erbil, à nos relations avec les Kurdes d'Irak.
S'agissant des déplacements de population dans la zone sahélienne, ils sont d'une importance indéniable. Le Burkina Faso a subi des attaques sur différents fronts : par le nord, mais aussi par l'est, et la question humanitaire y est particulièrement aiguë.
Monsieur Kervran, j'avais indiqué qu'il y avait beaucoup à faire pour la sécurisation de nos emprises, quelque peu sacrifiée au cours des années passées. Je n'ai pas d'indications particulières sur la situation qui prévaut au Mali ; si vous voulez me donner quelques précisions, elles me seront utiles.
Monsieur Folliot, vous avez raison de rappeler que le traité constitutif de l'OTAN prévoit des droits et des devoirs, parmi lesquels figure celui d'informer les alliés au préalable de ses intentions et de ses actions, afin de ne pas placer les autres membres de l'alliance dans une situation difficile ; or c'est précisément ce que la Turquie n'a pas fait lorsqu'elle a franchi la frontière syrienne il y a quelques mois. Le Président de la République a invité l'ensemble des alliés à revisiter nos droits et devoirs, ce sera l'objet d'une mission de réflexion dont le principe a été décidé lors du sommet de Londres et dont les travaux devraient commencer bientôt.
Enfin, notre doctrine n'a pas changé à l'égard des combattants terroristes et djihadistes qui se trouvent au Levant, en prison ou dans des camps : nous maintenons que leur présence sur le territoire français n'est pas souhaitable. Pour autant la France a rapatrié des orphelins au cas par cas..
La séance est levée à vingt heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Jean-Jacques Bridey, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Philippe Folliot, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, M. Jean-François Parigi, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Louis Thiériot, M. Stéphane Travert, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière.
Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Sylvain Brial, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Pascale Fontenel‑Personne, M. Laurent Furst, Mme Séverine Gipson, M. Benjamin Griveaux, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, Mme Anissa Khedher, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, Mme Monica Michel, Mme Sabine Thillaye.