Intervention de Florence Parly

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des Armées :

Monsieur Jacques, l'aéromobilité est en effet un facteur décisif. Nous avons d'ores et déjà reçu le renfort de trois hélicoptères britanniques Chinook et de deux hélicoptères de manœuvre danois ; ils sont à Gao, certains depuis plusieurs mois. Ce renfort va s'accroître dans le cadre de l'opération Takuba : plusieurs autres pays européens étudient la possibilité d'envoyer des hélicoptères avec leurs forces spéciales, en particulier la Suède et la Norvège. Je serai dans quelques semaines au Sahel avec mon homologue suédois, afin de concrétiser son intention de contribuer.

S'agissant du rôle de la Russie dans la manipulation de l'information, chaque fois qu'apparaissent des espaces pour exercer une influence, un certain nombre de pays s'y engouffrent. Je vous renvoie sur ce sujet à l'excellent rapport conjoint du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire du ministère des Armées : sa lecture vous instruira sur l'ensemble de ces questions.

Monsieur Corbière, la question que vous posez me paraît totalement légitime : c'est bien parce que le volet politique faisait défaut que nous avons éprouvé le besoin de poser à nouveau un certain nombre de questions, sans lesquelles les Français ne peuvent pas comprendre pourquoi la France est présente militairement au Sahel, dans une région grande comme l'Europe où 4 500 soldats ne peuvent pas, à eux seuls, rétablir les conditions de souveraineté des États et la sécurité des populations.

Comme vous, je pense que la réponse militaire n'est pas la solution, c'est une des conditions nécessaires pour amorcer un processus qui comprend beaucoup d'autres éléments. C'est pourquoi nous avons éprouvé le besoin de clarifier la volonté des pays du Sahel ; nous ne sommes pas là-bas en tant qu'ancienne puissance coloniale, contrairement à ce qu'affirment parfois certains, mais parce que nous y avons été appelés par des pays souverains. Après le passage de l'opération Serval à l'opération Barkhane, il était essentiel que le mandat politique soit rappelé : nous sommes présents parce que les pays du G5 Sahel l'ont souhaité.

Il faut ensuite qu'un certain nombre d'actions soient mises en œuvre. Les forces armées nationales doivent se doter d'abord d'équipements de protection, de fusils, de munitions pour armes légères, dont elles sont parfois bien démunies, mais aussi d'équipements plus lourds, dont des véhicules, car la mobilité est déterminante. C'est le deuxième pilier de notre stratégie : renforcer les capacités des forces armées nationales.

Le troisième pilier a pour objet de faciliter le retour de l'État dans des zones où il n'est plus présent depuis des mois, voire des années. C'est à ce niveau que joue le lien entre l'action militaire et les États : pour permettre aux préfets, aux maires, aux policiers, aux gendarmes, aux magistrats et aux instituteurs de revenir, il faut préalablement sécuriser les zones. Encore faut-il que le relais soit immédiatement pris, faute de quoi nos actions ne sont que des gouttes d'eau versées dans le sable. C'est l'articulation entre la sécurisation permise par la présence militaire et ce qui relève de l'action des États que nous avons voulu sceller.

Le quatrième pilier, c'est le développement économique. Nous devons faciliter le retour des opérateurs du développement : c'est la raison pour laquelle un conseiller pour le développement a été placé auprès du commandant de la force Barkhane. Nous devons articuler notre présence sur le terrain avec les projets des opérateurs du développement. S'il faut attendre des mois entre la sécurisation et le lancement des projets de développement, nous aurons perdu. Les actions doivent être concomitantes.

Cette coalition pour le Sahel est donc constituée autour de ces quatre piliers : le pilier militaire que vous connaissez très bien ; l'amélioration des capacités des armées des États du Sahel pour qu'elles combattent de façon efficace ; le retour de l'État dans les zones où il n'est plus présent depuis longtemps ; l'aide au développement enfin. Ces quatre piliers doivent s'articuler à la perfection. Nous verrons alors quels seront les premiers résultats. Le Président de la République a été clair vis-à-vis de ses homologues : il faut que les choses aillent vite parce que les terroristes gagnent du terrain très rapidement en ce moment et les armées du Sahel en subissent très directement les conséquences dramatiques et douloureuses. Même si rétablir la sécurité sur l'ensemble du territoire et lutter contre la pauvreté des populations est une action au long cours, il faut obtenir des résultats dans les mois qui viennent.

J'ai également été interrogée sur les probabilités que la coalition se maintienne en Irak. Elles sont loin d'être nulles, qu'il s'agisse de la coalition sous sa forme actuelle ou d'une partie des forces internationales qui y contribuaient jusqu'à présent. Pour la stabilité et la souveraineté de l'Irak, il est nécessaire que ces forces continuent de contribuer à la lutte contre le terrorisme. Daech a changé ses modes d'intervention en entrant en clandestinité, mais toutes les cellules dormantes en Irak ne demandent qu'à agir le plus rapidement possible.

S'agissant du sort des Kurdes, il est vrai que l'entrée des Turcs et leur installation sur la bande frontalière au nord-est syrien ont bouleversé la situation. Les Kurdes ont été affaiblis par cette offensive, ce qui a créé de nouvelles opportunités pour Daech. Depuis cette offensive, la situation s'est stabilisée, la coalition a pu reprendre les opérations de lutte contre Daech en partenariat avec les forces démocratiques syriennes, mais avec un dispositif américain considérablement réduit.

En Irak, les tensions nées de la crise entre Erbil et Bagdad depuis le référendum pour l'indépendance se sont apaisées, les rapports entre le Kurdistan irakien et l'État central irakien se sont normalisés. Par ailleurs, une feuille d'orientation stratégique franco-irakienne a été signée au mois de mai 2019 ; elle inscrit notre relation bilatérale de défense dans la durée dans les domaines stratégiques, industriels et militaires. Nous sommes évidemment attentifs, vu l'existence d'une base militaire importante à Erbil, à nos relations avec les Kurdes d'Irak.

S'agissant des déplacements de population dans la zone sahélienne, ils sont d'une importance indéniable. Le Burkina Faso a subi des attaques sur différents fronts : par le nord, mais aussi par l'est, et la question humanitaire y est particulièrement aiguë.

Monsieur Kervran, j'avais indiqué qu'il y avait beaucoup à faire pour la sécurisation de nos emprises, quelque peu sacrifiée au cours des années passées. Je n'ai pas d'indications particulières sur la situation qui prévaut au Mali ; si vous voulez me donner quelques précisions, elles me seront utiles.

Monsieur Folliot, vous avez raison de rappeler que le traité constitutif de l'OTAN prévoit des droits et des devoirs, parmi lesquels figure celui d'informer les alliés au préalable de ses intentions et de ses actions, afin de ne pas placer les autres membres de l'alliance dans une situation difficile ; or c'est précisément ce que la Turquie n'a pas fait lorsqu'elle a franchi la frontière syrienne il y a quelques mois. Le Président de la République a invité l'ensemble des alliés à revisiter nos droits et devoirs, ce sera l'objet d'une mission de réflexion dont le principe a été décidé lors du sommet de Londres et dont les travaux devraient commencer bientôt.

Enfin, notre doctrine n'a pas changé à l'égard des combattants terroristes et djihadistes qui se trouvent au Levant, en prison ou dans des camps : nous maintenons que leur présence sur le territoire français n'est pas souhaitable. Pour autant la France a rapatrié des orphelins au cas par cas..

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