Intervention de Pierre Razoux

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Pierre Razoux, directeur de recherche à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) :

Comme d'habitude, la Jordanie est dans l'œil du cyclone. Elle est plus affaiblie que jamais. Le roi et les élites se posent des questions existentielles, à la fois du fait de la « menace » djihadiste émanant du Nord et de l'Est, et du fait de l'absence de résolution du dossier palestinien à l'ouest. Tout le monde sait, à commencer par le pouvoir jordanien, qu'il y a des structures et des cellules d'Al-Qaïda et de Daech présentes en Jordanie. Cette dernière est potentiellement très fragile, et le roi se pose des questions existentielles sur la garantie américaine. Les Occidentaux et les États-Unis sont pour le moment très présents en Jordanie, mais qu'en sera-t-il demain ? Le Roi se tourne donc clairement vers la Russie et vers la Chine, en se disant qu'ils ne veulent pas être les dindons de la farce, si un grand plan de paix israélo-palestinien mettait en cause les intérêts de la Jordanie. La situation est inquiétante, d'autant que la population jordanienne est de plus en plus opposée aux traités de paix israéliens – n'y voyant plus aucun intérêt – et devient de plus en plus anti-américaine.

Ensuite, la grille de lecture sur les communautés est-elle toujours pertinente ? Quand vous êtes au Liban, on vous dit que si vous voulez essayer de tenter de comprendre la question libanaise et les rapports de force au Liban, il ne faut pas raisonner en termes de communautés, il faut raisonner en termes d'argent. On m'a toujours dit de suivre l'argent. C'est ce qui permet de comprendre ce qui se passe à propos de l'énergie au Moyen-Orient.

Le Moyen-Orient est-il toujours un enjeu pour nous ? De mon point de vue, plus du tout. Nous continuons à acheter du gaz et du pétrole aux pays du Moyen-Orient uniquement pour équilibrer la balance commerciale. Si vous voulez que ces pays-là vous achètent des jolis avions, des beaux métros, du luxe et tout ce qui va avec, il faut en échange acheter ce qu'ils produisent et globalement, comme ils ne produisent que du gaz et du pétrole, c'est ce que nous leur achetons. Si vous allez voir les macro-comptes de Bercy, vous verrez que ce qu'on exporte dans ces pays-là correspond à peu près à ce qu'on importe en termes d'énergie. L'avenir de l'énergie au Moyen-Orient est un véritable enjeu, parce qu'évidemment, les pays producteurs comprennent que le monde est en train de s'adapter à d'autres sources d'énergie que le pétrole. Le pétrole restera pour les armées, pour faire fonctionner tout ce qui est militaire, pour l'aviation militaire et civile, pour le pétrochimique et pour faire fonctionner les gros bateaux super tankers, etc. C'est à peu près tout. À l'avenir, l'enjeu énergétique sera certes un peu pétrolier, mais le véritable enjeu énergétique au Moyen-Orient sera le gaz naturel liquéfié (GNL) et ce sera le nucléaire. J'en suis convaincu.

Ensuite, que peut-on penser de la Turquie, de M. Erdogan ? M. Erdogan a compris que dans le contexte que j'ai décrit en première partie, vous gagnez des points quand vous êtes un perturbateur intelligent, et non pas le bon élève de la classe. Il joue donc les perturbateurs intelligents et il marque des points. Comme il est intelligent, il a compris quelles étaient les lignes rouges qui lui avaient été fixées par les États-Unis, par la Russie et par la Chine, et que comme les pays européens n'ont pas osé lui exprimer quelles étaient les leurs, il en use, en abuse et il pousse le pion le plus loin possible.

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