Intervention de Pierre Razoux

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Pierre Razoux, directeur de recherche à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) :

Sur l'Iran et l'évolution du régime, je comprends très bien pourquoi à un moment donné de l'histoire, Maryam Radjavi a pu être populaire en France. Mais les Moudjahiddines du Peuple sont quand même perçus dans la région et en Iran comme un mouvement réellement terroriste, qui est responsable de la mort de plusieurs centaines de responsables et de plusieurs milliers d'Iraniens. Je peux vous assurer que si vous allez en Iran, y compris dans les milieux bobos, intellos et réformistes, ils honnissent ce mouvement et cette personne. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de la soutenir du tout, en tout cas, pas si nous voulons essayer d'avoir un dialogue constructif avec Téhéran.

Concernant l'évolution du régime, le paradoxe réside dans le fait que la jeunesse iranienne et les classes moyennes jusqu'aux quadragénaires et quinquagénaires, en ont assez du rôle du clergé mais qu'ils n'en ont pas assez de la République islamique. D'abord, pour la plupart d'entre eux, ils n'ont connu que cela. Ils en ont assez du rôle intrusif du clergé dans leur vie quotidienne : la police religieuse, les interdits, etc. Par contre, sur le plan politique, ils font avec. Ces mêmes personnes, y compris les jeunes et les réformistes qui critiquent le rôle du clergé, sont derrière les Pasdarans, les « gardiens de la révolution », heureux de les avoir pour garantir la sécurité du pays : « regardez ce qui se passe avec les États-Unis et tous les gens qui nous veulent du mal. Si nous n'avions pas les gardiens de la Révolution, nous serions déjà à terre, et sous la domination des Chinois, des Russes ou des Américains ». Je vois donc plutôt une évolution se profiler qu'un changement de régime. Des élections très importantes vont avoir lieu au Parlement dans environ un mois, pour le premier tour des législatives, et l'année prochaine, en 2021, il y aura l'élection d'un nouveau président.

Concernant la solution de paix au Moyen-Orient, de mon point de vue, l'Organisation des Nations unies n'est pas caduque. Elle a encore son utilité sur place, mais comme pendant la Guerre froide, à partir du moment où vous avez une rivalité de puissances, elle doit s'en accommoder. Les organisations influentes aujourd'hui sont l'organisation islamique et une série d'organisations régionales qui essaient d'exister et de pousser leurs solutions. De mon point de vue, si la France et l'Union européenne pouvaient avoir un rôle positif à jouer, ce serait en soutenant l'idée d'une organisation de sécurité et de coopération dans le Golfe. Nous sommes un certain nombre à soutenir l'idée, en France et en Europe, vis-à-vis des deux rives du Golfe, Nord, Sud et Ouest. Il s'agit de réunir tous les pays riverains pour créer un cadre où ils peuvent discuter entre eux. Ainsi, les choses pourraient peut-être aller mieux. La France et la Chine ont un intérêt objectif à apaiser la situation et à favoriser le dialogue. Nous pouvons jouer un rôle extrêmement positif. Évidemment, les Américains et les Russes ne seront peut-être pas très favorables à cette option, parce que cela les marginalise un peu, mais je crois vraiment que c'est ce que nous pourrions faire.

Pour répondre à votre question sur les plaques tectoniques : est-ce que cela coulisse, diverge ou converge ? Je vous ai un peu répondu indirectement. L'intérêt pour tout le monde serait que cela coulisse. Certains voudraient que cela diverge mais la réalité sur place fait que cela converge. Les « régionaux de l'étape » qui ont leur propre agenda intérieur préféreraient que cela diverge fortement, ou alors que cela converge pour aller à l'affrontement. Les régionaux qui espèrent au contraire s'en sortir vivants se disent qu'il faudrait que cela s'apaise, et les grandes puissances, les Russes et les Américains, ont plutôt intérêt à ce que cela coulisse et à ce que cela reste comme cela.

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