Intervention de Pierre-Jean Luizard

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) :

Je vais abonder dans le sens de M. Razoux en ce qui concerne la position de la France vis-à-vis de l'opposition iranienne, et notamment des Moudjahiddines du peuple, et de Myriam Radjavi. Je suis personnellement choqué à chaque fois que je vois des Moudjahiddines du peuple distribuer leurs tracts et avoir pignon sur rue en France. Il faut bien réaliser que c'est une forme de déclaration de guerre au peuple iranien. Depuis les partisans du Chah jusqu'aux partisans de la République islamique, tout le monde en Iran considère les Moudjahiddines du peuple comme des traîtres qui ont aidé Saddam Hussein au moment de l'agression irakienne contre l'Iran en 1980. Contrairement aux États-Unis qui ont exprimé des regrets pour avoir soutenu le régime de Saddam Hussein financièrement, militairement et politiquement, la France n'a pas exprimé de regret. Cette guerre a coûté un million de morts et nous nous sommes investis dans un conflit qui a eu pour effet de réunifier l'Iran, un peu à l'image de la guerre de 14-18 pour la France. Toutes les régions d'Iran, au-delà des confessions, des langues et des régions, se sont unifiées. Les Moudjahiddines du peuple ne sont pas l'avenir de l'Iran. Ils sont rejetés unanimement par tous les Iraniens, quelles que soient leurs positions politiques, en faveur ou pas du régime.

En ce qui concerne la position de la France dans les conflits au Liban, en Syrie et en Irak, et l'éventuelle solution politique, je dois dire que je suis assez pessimiste, parce qu'il me semble que les institutions en place, notamment les États, sont les principales responsables du chaos actuel, et qu'il n'y a aujourd'hui aucune volonté de privilégier les principes aux intérêts à court terme. C'est le cas de toutes les puissances impliquées dans le conflit. Nous sommes dans une période très délétère où les intérêts à court terme priment les principes, partout, ce qui ne favorise pas la stabilisation du Moyen-Orient. Quelle puissance peut affirmer aujourd'hui qu'elle a intérêt à la stabilité ? Chacun essaie d'avancer ses pions. Le problème est que les sociétés qui se sont exprimées depuis 2011 à travers les printemps arabes n'ont pas la possibilité, seules, d'aboutir à des solutions politiques, parce que l'État ne répond pas. Il répond soit par la répression, soit par la dégénérescence confessionnelle. C'est donc une remise en cause du système étatique, pas forcément des frontières, mais une consultation des sociétés qui paraît nécessaire. « Dans quel État voulez-vous vivre et quel État voulez-vous reconnaître de façon légitime ? » La Société des nations avait procédé à cette consultation, mais nous n'en avons pas tenu compte en 1918-2019 pour ce qui concerne l'Irak. Il faut cette fois-ci tenir compte des vœux des sociétés et ne pas les trahir systématiquement, comme cela a été fait. Le problème n'est pas tant celui du régime politique que celui de l'institution, qui implique que chacun se replie sur sa communauté, puisque c'est l'ultime recours quand on est face à un État prédateur dont on a peur.

En ce qui concerne la position de la France, nous n'avons pas suffisamment conscience de l'importance des campagnes militaires et de l'effet de la destruction de deux villes qui sont des métropoles arabes sunnites, Mossoul et Alep, avec la coopération, politique et militairement limitée, de la France. Cela a créé un traumatisme qui va perdurer sur plusieurs générations au sein des communautés arabes sunnites, qui sont aujourd'hui en Irak abandonnées, interdites de retour à Mossoul et cantonnées dans des camps en lisière des déserts, à la merci des exactions des milices chiites et dont personne ne se préoccupe. Cela offre un boulevard à l'État islamique, dans la mesure où aucune solution politique ne peut être envisagée dans le contexte des institutions actuelles.

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