Je vais tout de suite répondre à la question de M. Lejeune sur le financement du terrorisme et les transferts d'argent. Au Moyen-Orient, on transfère l'argent non pas par des virements bancaires, mais par le système de la hawala. Vous déposez 10 000 euros chez un vendeur de kebabs à Vesoul en Haute-Saône. Il va prendre son téléphone et appeler son copain qui habite à Damas et il va lui dire que quelqu'un lui a donné 10 000 euros, que son père va venir les chercher en équivalent livre syrienne. Il lui dit qu'il peut lui faire confiance et lui donner, c'est comme cela que cela se passe. Cela échappe complètement au système de traçage bancaire et c'est comme cela, vous avez des milliards et des milliards qui sont transférés d'Europe, des États-Unis vers ces pays-là.
Concernant le financement du terrorisme par ce biais, j'ai une amie qui travaille à Médecins sans frontières (MSF), au camp de Al-Hol en Syrie, là où vous avez les familles de djihadistes qui sont enfermées. Beaucoup arrivent à s'échapper, à récupérer 5 000 ou 10 000 dollars pour payer un passeur, payer les gardiens du camp, et puis ensuite gagner la Turquie et l'Europe par des réseaux de passeurs. Elles ont récupéré ces 10 000 dollars par ce système de la hawala. Les familles envoient l'argent à un commerçant, une connaissance dans la région, et ensuite, il suffit de le transférer aux personnes. C'est très difficile à tracer. Les services de renseignement sont démunis par rapport à tous ces systèmes informels du Moyen-Orient, où les économies sont largement informelles. Même les sanctions officielles toucheront les grandes entreprises mais seront complètement inopérantes pour l'essentiel du secteur privé.
Comment pouvons-nous nous en sortir ? Je pense que si nous voulons que la région soit stable, il faut soutenir les États, les institutions, mais ne pas les soutenir aveuglément, parce qu'il y a souvent de la gabegie et de la corruption. Il faut introduire une espèce de rapport de force avec ces États. J'ai travaillé plusieurs années avec la coopération allemande, la Gesellschaft für technische Zusammenarbeit (GTZ). Nous travaillions avec le ministère de l'Environnement en Syrie. Lorsque nous avons vu au bout d'un an qu'il n'y avait rien à attendre du ministère de l'Environnement, nous avons établi un plan de coopération avec des entreprises privées pour développer des stations d'épuration, développer la protection des terres agricoles, etc., à travers le secteur privé que nous nous sommes mis à soutenir. Ainsi, le ministère de l'Environnement, voyant que nous passions vers le secteur privé, est devenu plus réceptif à nos demandes, l'objectif étant d'encourager la Syrie à se doter d'une législation sur la protection de l'environnement. J'ai vu les Allemands beaucoup plus pragmatiques que l'Agence française de développement (AFD) sur la question. Il faut toujours garder quand même ce souci de la stabilité des institutions, parce que sans stabilité, nous n'avons pas de développement, et sans développement, nous n'aurons pas de progrès dans l'éducation et nous n'aurons pas la création de classes moyennes. Nous n'aurons pas ce support de la démocratie. Si vous avez des pays où vit une élite extrêmement riche et une majorité de la population très pauvre, c'est-à-dire dépendante de ses patrons qui tiennent l'État, nous aurons du mal à voir émerger de véritables mouvements démocratiques. C'est malheureusement le cas. La seule « success story » concerne la Tunisie, parce que nous avions justement cette stabilité et cette classe moyenne, qui peut être le socle d'un mouvement démocratique.
Pour revenir à la première question, je ne connais pas tellement la politique iranienne, mais il faut être méfiant à l'égard des diasporas, des mouvements politiques en exil à l'étranger. Bien souvent, cela fait vingt à trente ans qu'ils sont ici, ils ont perdu pied avec la réalité, ils sont complètement déconnectés du terrain. Ils induisent nos politiques en erreur. C'est ce qu'on a appelé la « chalabisation » de l'opposition, qui a fait commettre toutes ces erreurs aux Américains en 2003, en Irak. L'opposition syrienne a aussi joué ce jeu pervers à l'égard de nos politiques en France.