Intervention de le vice-amiral Laurent Isnard

Réunion du mercredi 12 février 2020 à 9h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

le vice-amiral Laurent Isnard :

Monsieur Marilossian, la France est fortement engagée dans la lutte contre le terrorisme, au Levant comme dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Pour cela, les intérêts français et plus particulièrement nos ressortissants sont la cible potentielle d'une menace terroriste à la fois sur notre territoire comme à l'étranger. Les navires ne font pas exception.

La géographie physique et géopolitique du bassin méditerranéen commande. Les rives de la mer Méditerranée comptent de nombreux pays en crise, dont l'instabilité a favorisé le développement de groupes terroristes ou criminels.

Notre attention se porte en premier lieu sur les navires battant pavillon français, mais nous pouvons également être concernés par tout navire sur lequel se trouve un citoyen français, ou lorsqu'un pays partenaire nous demande du soutien. Sur des navires qui peuvent accueillir plusieurs milliers de passagers en incluant l'équipage, la probabilité de trouver un Français est grande, surtout en Méditerranée. Aujourd'hui, les lieux où les navires de croisière ou les plaisanciers peuvent faire escale en sécurité ne sont pas si nombreux, compte tenu de la multiplication des crises à travers le monde. Dans la partie nord de la Méditerranée, le nombre de navires de croisière augmente régulièrement, tout comme leur capacité d'emport, ce qui complexifie encore les problèmes de sécurité.

Pour en revenir au terrorisme, nous n'avons jamais connu un tel niveau de menace. Le risque de surprise stratégique existe toujours, mais nous faisons tout pour nous préparer à y faire face. La coopération entre les différents services de l'État est bonne et nos services de renseignement restent très vigilants. L'échange d'information est permanent. Nous tenons des réunions régulières avec les représentants des services des différents ministères qui participent à la surveillance des trafics en mer pour évaluer la situation et coordonner nos actions. Les sources d'information et les moyens pour agir sont complémentaires. Nos différentes cultures ministérielles nous permettent d'apporter des regards et une analyse différents sur une même situation afin de faire émerger du bruit de fond un élément significatif qui déclenchera une action : cela peut être un appel d'un commandant d'un bateau civil, mais aussi la manifestation d'un trafic secondaire ou des flux financiers suspects, à l'image de ce qui se passe dans la rue, dans nos quartiers. Entre administrations, nous partageons ce que nous avons besoin de partager, en respectant les missions et spécificités de chacune. C'est l'intérêt d'avoir un chef unique pour l'action de l'État en mer, capable de coordonner l'action de chaque administration en bonne intelligence et en complémentarité. Nous nous renforçons mutuellement avec le même objectif de servir au mieux l'État et donc nos concitoyens.

Vous m'avez également interrogé sur les câbles sous-marins. En effet, Marseille est un point nodal de ces réseaux, un des hubs les plus importants en Méditerranée. Mais quel État a les moyens d'aller espionner discrètement un câble par plus de deux mille mètres de fond en Méditerranée ? Le besoin de surveillance porte donc avant tout sur les atterrages, et non sur les câbles immergés.

Les réserves gazières découvertes autour de Chypre intéressent tout à la fois l'Égypte, Israël, le Liban, Chypre, la Grèce et la Turquie. D'un volume estimé à peu près équivalent à celles dont disposent les États-Unis, ces réserves colossales sont donc très disputées, en l'absence de règles faisant l'unanimité sur le partage de la ressource. La démarche entreprise par la Turquie est inquiétante à double titre : d'abord par le fait que l'accord bilatéral sur la définition de la ZEE qu'elle a signé avec la Libye fait abstraction des États voisins concernés, ensuite par sa volonté d'exploiter un gisement dans une ZEE contestée et soumise à un arbitrage international en cours d'instruction. Cette attitude pose un problème de jurisprudence dont les conséquences dépassent largement le cadre de la Méditerranée. A terme, la jurisprudence peut devenir la coutume. Et en mer, la coutume fait partie du corpus juridique qui réglemente la vie des usagers. Si nous laissons la loi du plus fort s'appliquer en mer, c'est l'ensemble du dispositif bâti avec la rédaction de la Convention de Montego Bay qui devient caduque. Pour l'heure, nous n'en sommes pas encore là. La priorité est, d'une part, de garantir la liberté de navigation dans les eaux internationales et, d'autre part, d'assurer l'application des accords internationaux et du droit coutumier. L'Union européenne a adopté des résolutions et pris une série de mesures pour régler ce différend au niveau politique.

M. Chassaigne m'a demandé si je n'avais pas trop de sujets à coordonner compte tenu de la diversité de mes domaines de responsabilité. L'organisation française de la fonction garde-côte est particulièrement efficace, même si elle peut paraître complexe au premier regard. Vous citez les liens multiples qui doivent être établis et les actions à ordonner. C'est une réalité. Mon état-major travaille en permanence à entretenir et développer ces liens et notre connaissance mutuelle entre administrations et avec nos partenaires des pays partenaires. Des officiers de liaison sont échangés soit de manière permanente soit en cas d'événement ponctuel pour armer les cellules de crise lorsqu'un incident nautique se produit. Ces cellules accueillent également des représentants des armateurs, des assurances, ainsi que le procureur pour préparer le volet judiciaire qui suivra. J'entretiens aussi des contacts avec les élus du littoral, car les crises en mer ont souvent des conséquences à terre. Nous avons bien sûr tous en mémoire les grandes marées noires. Avoir un coordonnateur unique nous permet d'aller vite, tout en bénéficiant de toutes les expertises requises. C'est un véritable gage d'efficience.

Madame Dubois, un tsunami est toujours envisageable en Méditerranée. Nous sommes particulièrement vigilants à Toulon car nous abritons dans la base navale cinq sites classés Seveso et jusqu'à huit centrales nucléaires. Les risques sismiques et de subversion sont pris en compte dans la conception de nos infrastructures par les ingénieurs des établissements du service d'infrastructure de la défense (ESID) du ministère des armées. Les systèmes d'alerte à la population sont bien en place et des communications régulières en lien avec les mairies et la préfecture départementale sont effectuées.

M. Cubertafon, concernant le plan Vigipirate, des équipes de gendarmes maritimes et de fusiliers marins, embarquent à bord des navires des compagnies nationales, à titre préventif et en fonction d'une analyse de risques réalisée en amont. Les listes de passagers au départ et à destination de la France font l'objet d'un criblage par les services de gendarmerie, de la police de l'air et des frontières et des douanes. Je tiens à souligner sur ce point l'importance que les compagnies maritimes nous fournissent les listes les plus précises possibles, afin d'approcher du niveau de sécurité du transport aérien. Enfin nous mettons en place une cinquantaine de dispositifs de protection par an sur la zone littorale, à terre et en mer, surtout au printemps et en été lors de grands rassemblements, en utilisant des embarcations rapides ou des patrouilleurs le long des côtes afin de prévenir une attaque venue de la mer.

La France possède deux mille kilomètres de côtes en Méditerranée, soit deux mille kilomètres de frontière extérieure de l'Union européenne. Une personne qui souhaite prendre l'avion fait l'objet de plusieurs contrôles avant son embarquement. Ceci n'est pas vrai dans le transport maritime. C'est donc un axe d'effort que nous partageons avec les compagnies maritimes. Pour cette raison et avant tout pour protéger l'environnement et en particulier les herbiers de posidonies, nous mettons en place une politique de contrôle des mouillages, qui nous permettra également de mieux savoir qui fait escale le long de notre littoral.

M. Favennec Becot, l'action des garde-côtes libyens est un sujet plus politique que militaire. Tous ceux qui agissent dans le cadre de cette crise des migrants, garde-côtes libyens, ONG, … interviennent selon leur propre logique. Les appréciations sur l'efficacité et les méthodes des uns et des autres ne sont pas unanimes. Cependant pour l'heure, un consensus a été établi, et un accord lie l'Union européenne à M. El-Sarraj, Premier ministre d'un gouvernement internationalement reconnu. Ses garde-côtes sont subventionnés, soutenus et formés en partie par l'Italie et l'Union européenne, qui consentent un effort important. La France y contribue également. Pour ce qui est de l'efficacité et du respect des bonnes pratiques par les garde-côtes libyens, il ne m'appartient pas de porter un jugement de valeur sur ce point.

Monsieur Lejeune, la coordination avec nos partenaires étrangers est bonne. Je voudrais citer en exemple le forum 5 + 5, qui réunit cinq États de la rive Nord : l'Espagne, la France, l'Italie, Malte et le Portugal, et cinq États de la rive Sud : l'Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Nous avons accueilli à Toulon en 2019 le sommet annuel des Chefs d'état-major des marines du 5+5. Dans le domaine maritime, son objectif est de renforcer la coopération et d'améliorer la coordination entre les marines, et d'offrir à chaque marine des opportunités de « monter en gamme » par des exercices réguliers afin de renforcer nos capacités à faire face individuellement et collectivement aux menaces, dont les trafics illicites. Cela fait partie des petites briques qui sont assemblées afin de contribuer à la sécurisation de la Méditerranée.

Vous avez cité la Chine, qui montre en effet un intérêt croissant pour la Méditerranée. Le déploiement d'un groupe naval chinois en Méditerranée est désormais régulier. Mais c'est sa présence économique qui est la plus sensible, notamment par le biais d'acquisition ou de location d'infrastructures dans un grand nombre de ports méditerranéens. Pour l'instant, l'expansion chinoise se cantonne à l'établissement de la « route de la soie » maritime et menace déjà nos intérêts économiques et à terme notre autonomie stratégique.

M. Pueyo, la France participe en effet toujours à l'opération Sea Guardian de l'OTAN. Mais c'est l'ensemble des moyens aéromaritimes déployés dans la zone qui contribuent à la mission de surveillance. Ponctuellement des moyens dédiés spécifiquement sont placés sous commandement de l'OTAN pour cette opération. La mission européenne Sophia prévoyait en effet plusieurs étapes, allant jusqu'à ouvrir la possibilité d'actions dans les eaux littorales. Le volet maritime de cette mission a été suspendu en mars 2019, en raison du refus de l'Italie d'accueillir dans ses ports les bâtiments ayant recueilli des migrants. Sur le plan opérationnel, la mission Sophia est donc réduite pour l'essentiel aujourd'hui à son volet aérien, auquel la France participe toujours par des vols réguliers d'avions de patrouille maritime. Cette surveillance permet d'informer les centres de coordination et de sauvetage en mer (MRCC), italien et libyen, de la position des embarcations de migrants que nous repérons au large de la Libye ou de la Tunisie.

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