La séance est ouverte à neuf-heures quarante.
Mes chers collègues, avant de démarrer nos travaux, je vous informe que nous accueillons un nouveau collègue, Nicolas Meizonnet, député de la deuxième circonscription du Gard, en remplacement de Gilbert Collard, dont l'élection au Parlement européen a revêtu un caractère définitif. M. Meizonnet siégera parmi nous au titre des députés non-inscrits.
Nous avons appris hier que notre collègue François André nous avait quitté. Le président de l'Assemblée nationale vient de lui rendre un hommage très émouvant.
Je connaissais François André de longue date ; nous siégions dans le même groupe durant le précédent mandat. Il a été longtemps membre de la commission de la défense avant de demander, quand il a senti que ses jours étaient comptés, au président de notre groupe politique, Gilles Legendre, de lui permettre d'aller siéger au sein de la commission des finances afin de pouvoir y traiter d'un certain nombre de sujets tout aussi importants que les nôtres, mais qui lui tenaient particulièrement à cœur.
François André n'est plus là. Il aura été magnifique jusqu'au bout. Nous l'aimions beaucoup. Je vous invite à observer une minute de silence.
(Mmes et MM. les membres de la commission se lèvent et observent une minute de silence.)
Nous avons reçu la semaine dernière M. Denis Robin, secrétaire général de la mer, et M. le vice-amiral d'escadre Jean-Louis Lozier, préfet maritime de l'Atlantique qui, outre les modalités de l'action en mer, nous ont expliqué les enjeux de sûreté et de sécurité dans la zone maritime atlantique.
Nous nous concentrons aujourd'hui sur notre façade maritime méridionale en recevant M. le vice-amiral d'escadre Laurent Isnard, préfet maritime de la Méditerranée.
Amiral, je vous remercie d'être parmi nous. Fernand Braudel décrivait la Méditerranée comme « mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d'innombrables paysages, non pas une mer mais une succession de mers, non pas une civilisation mais des civilisations entassées les unes sur les autres ». J'ajouterai l'extraordinaire biodiversité de cette région, puisqu'environ 17 000 espèces marines y ont été recensées.
Mais cette zone n'est pas seulement riche d'un point de vue naturel et culturel : elle est également riche d'enjeux. La Méditerranée est massivement empruntée par les réfugiés et les migrants venus d'Afrique et du Moyen-Orient, en particulier depuis ce qu'il est convenu d'appeler la crise migratoire de 2014. Le trafic dont ils sont victimes n'est, hélas ! pas le seul qui sévit dans la zone : de grandes quantités de stupéfiants et d'armes y transitent également par voie maritime.
De plus, la Méditerranée constitue un point de passage essentiel des routes maritimes mondiales en donnant accès au canal de Suez : si elle ne représente que 1 % de la surface maritime mondiale, elle voit passer 25 % du transport maritime, dont 30 % du transport pétrolier.
Outre son importante économique et stratégique, cette densité des échanges revêt d'importants enjeux environnementaux et de sécurité maritime, comme nous l'ont rappelé la collision, en octobre 2018, de deux navires, un chypriote et un tunisien, au large du Cap Corse et l'échouement du cargo Rhodanus, en octobre dernier, près de Bonifacio.
Le risque industriel est également présent sur nos côtes, notamment en raison de la présence du dépôt pétrolier de Marseille-Fos.
N'oublions pas non plus l'importance de la régulation des pêches, dont témoignent notamment les discussions sur les quotas de thon rouge.
Cette zone est également le lieu de nombreuses manœuvres d'affirmation de puissance de la part de certains pays, en particulier la Russie et la Chine, et devient ainsi le théâtre de rivalités de plus en plus intenses. La Turquie a également tendance à s'affirmer de façon parfois brutale ou du moins dans une posture de rivalité. Les manœuvres d'intimidation entreprises par la marine turque contre des navires de prospection gazière étrangère au large de Chypre, y compris dans les zones concédées par le gouvernement chypriote à Total, en sont une première illustration.
Cependant l'exemple le plus significatif des revendications excessives de la Turquie en Méditerranée est l'accord sur la zone économique exclusive libyenne conclu le 27 novembre 2019 entre le gouvernement turc et le gouvernement libyen de M. Fayez el-Sarraj. Ce texte entend établir une continuité entre les espaces maritimes turc et libyen, qui n'existent pas en droit international et viole ainsi la souveraineté de pas moins États tiers, à savoir Chypre, la Grèce et l'Égypte.
La France, grande puissance méditerranéenne, doit donc plus que jamais défendre ses intérêts dans cet espace maritime. Cela commence par la protection des sites de la marine nationale sur cette façade, en particulier la base navale de Toulon.
Enfin, n'oublions pas la menace majeure que constitue le terrorisme maritime dans cette zone.
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, merci de me fournir l'occasion de prendre la parole devant un auditoire particulièrement choisi.
Le Secrétaire général de la mer et mon homologue pour la façade atlantique, vous ont donc présenté les spécificités de cette autorité s'exerçant dans trois domaines bien différents : en tant que préfet maritime, un rôle interministériel de police générale en mer et le long de nos espaces littoraux ; un rôle interarmées en tant que commandant en chef d'un théâtre d'opérations, en l'occurrence celui de la Méditerranée ; un rôle enfin de commandant d'arrondissement, en charge des unités pré-positionnées le long de nos côtes et en zone Sud-Est. Je ne vous re-décrirai donc pas ces différents domaines ; je fais plutôt le choix de vous présenter tout d'abord deux exemples concrets, l'un lié à la protection de l'environnement, à la sauvegarde des biens et des personnes, l'autre à l'intervention en cas de crise ou d'action terroriste. Je consacrerai la troisième partie de mon propos à la protection de l'environnement, mais sous l'angle des relations internationales qu'elle implique pour mener une action efficace, pragmatique et mettant en commun des moyens comptés au niveau national comme européen.
Je vous présente tout d'abord mon théâtre d'opérations et sa spécificité dont vous avez déjà souligné, Madame la Présidente, certaines caractéristiques. La Méditerranée est un espace contraint – 1 % de la surface globale des mers, ce n'est pas beaucoup ; c'est donc un espace limité mais bordé par près de vingt-cinq pays : un jour de navigation suffit pour parcourir les quelques 700 kilomètres séparant le Nord du Sud, soit un peu plus d'une heure de vol en avion civil, et quatre jours pour ses 3 600 kilomètres d'Est en Ouest, soit de l'ordre de quatre heures trente par avion.
Cet espace restreint bien que nommé « mare nostrum » car bassin de notre civilisation, est cependant compartimenté en quatre espaces qui ont chacun leur logique locale. Vous parliez, Madame la Présidente, d'un monde multipolaire, nous y trouvons en effet quatre zones bien différentes présentant des cultures et des enjeux différents :
- la mer Noire avec notamment une frontière maritime avec la Russie, l'Ukraine et la Turquie ;
- la Méditerranée orientale, autour de Chypre et ses problématiques liées à la crise syrienne, aux migrants, au conflit palestinien et à la rivalité Gréco-turque ;
- la Méditerranée centrale, théâtre des problèmes d'émigration et des relations entre la Libye, Malte et l'Italie, la Libye, elle-même trait d'union entre l'Europe et la bande sahélo-saharienne ;
- et la Méditerranée occidentale que nous pratiquons tous et connaissons bien, entre le Détroit de Gibraltar, la France, l'Espagne, l'Italie, le Maroc et l'Algérie, espace entre l'Europe du Sud et le Maghreb, zone du dialogue 5+5.
La Méditerranée est une mer quasiment fermée : il n'existe qu'une seule ouverture naturelle, Gibraltar, et une ouverture artificielle, celle du canal de Suez, qui a été agrandie et doublée récemment. Pourtant 25 % du trafic mondial et un tiers de nos approvisionnements maritimes passent par la Méditerranée. C'est donc un espace stratégique pour l'Europe et pour la France, en particulier.
C'est aussi un espace de frictions, les usagers y sont nombreux et de toute nature, du particulier à l'Etat. À commencer par le tracé des zones économiques exclusives (ZEE): vous avez évoqué l'accord, assez surprenant, entre la Turquie et la Libye. Nous retrouvons ces disputes en Méditerranée orientale, autour de Chypre, mais aussi à nos frontières. Entre l'Espagne et la France, le tracé de nos ZEE respectives est disputé par les deux pays riverains. Nous avons appris à vivre avec, cela se passe en bonne intelligence mais elle n'en est pas moins contestée. En fait, la Méditerranée a été privatisée en quelque sorte par chacun des États, soit au travers des responsabilités de secours en mer, soit au titre de l'exploitation de ses ressources. Nous n'y trouvons quasiment plus d'espace avec un statut de « haute mer » comme il peut exister dans l'océan Atlantique, l'océan Indien ou l'océan Pacifique.
À côté des États, nous trouvons les usagers quotidiens de la mer, le long de nos côtes, dont les besoins ou exigences sont parfois difficilement conciliables : pêcheurs, exploitants de fermes d'éoliennes, plaisanciers, marines marchandes, marines de guerre, ONG, associations de sauvegarde de l'environnement… Ainsi la nécessité de protéger notre patrimoine peut parfois s'opposer à l'exploitation des ressources qu'il recèle. Ce milieu fragile fait partie de notre patrimoine commun, mais il est aussi un poumon économique qu'il nous faut faire vivre et fructifier en veillant à respecter un certain nombre de règles d'usage. Cette orientation politique est aujourd'hui à peu près convenue par tous.
Les priorités opérationnelles se traduisent aujourd'hui de la façon suivante. Au large de Chypre, est déployé pour quelques semaines le groupe aéronaval du porte-avions Charles de Gaulle. Ses avions participent à des patrouilles armées au-dessus de l'Irak et de la Syrie, au sein de l'opération Inherent Resolve (OIR) en charge de la lutte contre Daech, et dans le cadre d'une coalition internationale conduite par les États-Unis. Une frégate est dédiée à la surveillance de la situation en Syrie, notamment dans la poche d'Idlib où se déroulent des combats qui peuvent avoir, en raison de la présence de Daech, des conséquences évidentes pour nous tous en matière de sécurité intérieure et des engagements pris par le Président de la République. Des sous-marins, des avions de patrouille maritime et des frégates sont déployés régulièrement devant la Libye. En plus de la situation liée aux accords passés sur la ZEE, que vous évoquiez, entre le Premier ministre libyen el-Sarraj et le président de la Turquie, M. Erdoğan, nous cherchons également à caractériser toute violation de l'embargo sur les armes imposé par l'ONU pour la Libye.
C'est aussi notre participation à la surveillance de l'immigration. En Méditerranée occidentale, nous avons positionné un patrouilleur au large de Gibraltar et du Maroc pour surveiller les trafics et porter secours en mer aux gens qui cherchent à franchir la frontière maritime entre le Maghreb et l'Espagne pour atteindre le continent européen. C'est ce que faisait précédemment une vedette des douanes en juillet et août, et qui a permis de porter assistance à pratiquement 800 personnes, qui ont ensuite été remises aux autorités espagnoles en vue d'être raccompagnées au Maghreb. La Marine nationale participe également à l'opération européenne « Sophia » au large de la Libye.
L'une de nos priorités opérationnelles est également la surveillance de nos frontières. Nous avons 2 000 kilomètres de frontière maritime en Méditerranée, dont 1 000 sur le continent et 1 000 autour de la Corse. Pour ce faire, nous utilisons un réseau de dix-neuf sémaphores de surveillance, dont sept en Corse, et des patrouilles avec les moyens nautiques et aériens des différentes administrations françaises. Toute seule, la Marine nationale ne pourrait pas surveiller ces 2 000 kilomètres de côtes : nous partageons cette mission avec l'administration des Douanes, la Gendarmerie nationale et l'Administration des affaires maritimes. Depuis le central opérations, que je commande, je coordonne l'activité des patrouilles afin d'assurer la surveillance renforcée de nos frontières maritimes.
« Mare nostrum » signifie que la France est voisine de l'Espagne et de l'Italie, mais également de la Turquie, la Russie, l'Ukraine, la Syrie, l'Égypte, Israël et la Palestine puisqu'il n'y a pas d'État entre eux et nous. Nous sommes donc directement accessibles et nos destins sont liés par cette passerelle que constitue la mer.
Avant de répondre à vos questions sur nos enjeux en Méditerranée, je prendrai deux exemples illustrant l'intérêt de placer mes trois domaines de responsabilité sous l'autorité d'un même officier général de la Marine nationale.
Premier exemple relatif à la sauvegarde des biens et des personnes et le secours en mer : l'échouement du cargo Rhodanus dans une aire protégée des Bouches de Bonifacio . C'est une bonne illustration de la très grande variété des moyens et de la complexité de l'instruction d'une telle crise qu'il faut savoir mettre en œuvre à la survenue d'un tel événement.
Dans la nuit d'un samedi à dimanche – cela se produit toujours au meilleur moment ! –, à deux heures du matin, notre sémaphore du Sud de la Corse observe un navire suivant une route qui n'est pas conforme à celle annoncée: venant du Sud de la Méditerranée et transitant vers Marseille, il ne vire pas à l'Ouest pour franchir les bouches de Bonifacio. Le Marin de quart du sémaphore tente alors d'appeler la passerelle du cargo par VHF, puis par téléphone. En l'absence de réponse, le CROSSMED en relation avec le Centre des opérations de la préfecture maritime fait décoller un hélicoptère de l'Armée de l'air de la base de Solenzara, qui arrivera trop tard. Le sémaphore italien positionné en Sardaigne, en miroir de son homologue français, va tenter en vain lui aussi de le contacter ; cinquante minutes plus tard, malgré tous nos efforts, le bâtiment s'échoue sur une plage du Sud de la Corse.
Nous envoyons alors une équipe d'experts de la Marine nationale pour évaluer les dégâts. Elle est mise en place par un hélicoptère décollant de la base aéronavale de Hyères. Nous nous appuyons localement sur la base navale d'Aspretto en Corse, qui accueille vingt-cinq organismes différents de l'État, le travail interministériel est une pratique assez naturelle chez nous. Il s'agit d'évaluer les risques de pollution et nous mettons en place un dispositif antipollution depuis la terre et à l'aide d'un remorqueur affrété par la Marine nationale depuis la mer. Par arrêté préfectoral, j'interdis la navigation alentour afin de prévenir un « sur-accident » avec la venue de spectateurs. Nous faisons venir également le Service des phares et balises pour mettre en place un balisage afin que nos remorqueurs puissent travailler en sécurité au milieu des hauts fonds. Nous mettons en demeure l'armateur de récupérer son bateau et de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser la menace d'une pollution. Ainsi un « salvage master » désigné par l'assurance, vient évaluer les conséquences sur la structure du navire de ce « plageage » involontaire et étudier les modalités possibles de déséchouage du cargo.
Après la sécurisation du site de l'accident, nous contactons les autorités politiques, les élus locaux, le directeur du parc, puisque c'est une zone protégée, pour leur fournir les informations indispensables à la bonne compréhension de la situation. En parallèle nous faisons venir des plongeurs pour expertiser la coque. Nous appelons aussi des médecins : l'équipage était traumatisé, particulièrement le chef de quart. Sans oublier le lancement et l'accompagnement de la procédure judiciaire : le chef de quart et le commandant ont été entendus par le tribunal la semaine dernière.
Avec le « salvage master », nous avons examiné les conditions nécessaires pour déséchouer ce bateau chargé de 2 600 tonnes de rouleaux d'acier. Ce qui montre l'intérêt d'être un spécialiste de la mer et de bien connaître les bateaux pour apprécier et autoriser la proposition de sauvetage des armateurs et des assureurs.
Pour ce qui concerne l'échange d'informations, le préfet maritime est le lien naturel vers les autorités de l'échelon central, la Ministre du MTES et le Secrétaire général de la mer, les médias et les élus locaux, tout en instruisant et conduisant la manœuvre technique de résolution du sinistre.
Une fois la crise résolue, nous l'abordons ensuite sous l'angle mesures de prévention et organisation normative. Comment réduire la probabilité d'un tel accident et à tout du moins se doter des bons outils pour pouvoir agir en prévention comme dans le domaine curatif. Nous souhaitons ainsi faire reconnaître au niveau international le détroit de Bonifacio comme une zone réglementée, où le pilotage deviendrait obligatoire ; les services de la préfecture maritime ont réalisé une étude technique pour savoir ce qui est économiquement viable et quels moyens devraient être déployés. Cette solution devra être présentée et négociée à la fois à l'échelon central et au niveau des élus locaux.
Second exemple : la lutte contre le terrorisme. Chaque année, quelque cinq millions de passagers circulent en Méditerranée dans nos eaux territoriales, soit pour leurs vacances, soit pour se rendre d'une destination à une autre par voie maritime. Nous sommes très engagés dans la lutte contre le terrorisme sur tous les théâtres d'opérations, en Afrique ou au Levant: la France est donc une cible potentielle et nos bateaux sont des espaces fragiles. Une fois qu'un terroriste est à bord, il est plus difficile d'intervenir et nous pouvons craindre des actions redoutables à l'encontre des passagers ; les bateaux peuvent également être utilisés comme les brûlots du temps de la marine à voile, c'est-à-dire comme des bombes que des terroristes peuvent conduire quelque part et faire exploser. De manière aléatoire, nous embarquons des gendarmes et des fusiliers marins à bord de bâtiments de certaines compagnies, notamment celles assurant la traversée entre la Corse et le continent ou entre le Maghreb et nos ports méditerranéens, pour faire du lever de doute à l'égard de certains passagers et de la dissuasion. Nous effectuons aussi le criblage de listes de passagers afin de s'assurer qu'elles ne comportent pas des gens à risque déjà identifiés par nos services de renseignement.
Tel est le cas en septembre, lorsque de nuit, un membre d'équipage du ferry Pascal Paoli, qui avait appareillé de Corse, nous a appelés au secours : il avait des doutes sur un groupe d'une demi-douzaine de passagers au comportement étrange. Il fallait donc « lever le doute » sur cette menace potentielle avant de chercher à prévenir un éventuel acte terroriste, autrement dit avant d'avoir potentiellement à mettre en œuvre le plan de lutte contre des actions terroristes en mer, le plan Pirate-mer. Ce plan ne peut être décidé que par le Premier ministre. Après avoir reçu cet appel, le CROSS Med a transmis cette alerte au centre opérationnel de la marine (COM) de Toulon. Immédiatement une cellule de crise est activée, les moyens militaires sont mis en alerte (hélicoptères, gendarmerie maritime, fusiliers marins,…) et les spécialistes juridiques commencent à rassembler les éléments en vue d'une possible judiciarisation de cet évènement.
Nous avons dans un premier temps réorienté des frégates en patrouille au large de Toulon pour les pré-positionner à proximité du ferry, mis en alerte des hélicoptères et un avion de patrouille maritime, et fait appareiller des patrouilleurs de la gendarmerie maritime. Parallèlement, nous avons prévenu les autorités à terre, à Marseille, ville de destination afin qu'elles pré-alertent les services de secours, notamment le Bataillon des Marins-Pompiers de Marseille et les forces de sécurité intérieure pour qu'elles soient présentes à la réception du ferry si la menace venait à être confirmée. Nous avons pu ainsi faire embarquer à la mer discrètement durant le transit du ferry des gendarmes maritimes et des fusiliers marins tout en plaçant en alerte les commandos marine et le groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) dans l'éventualité où la menace aurait été confirmée. Il s'est trouvé que ce n'étaient pas des terroristes, mais seulement des personnes de nationalités étrangères au comportement inhabituel… Des contrôles d'identité ont été effectués par le détachement de la gendarmerie maritime et les choses en sont restées là. C'est un type d'action qu'il nous arrive de mener de temps à autre.
J'en viens à ma troisième partie : le développement durable, la protection du patrimoine et les relations internationales.
Quelques 85 % des eaux territoriales françaises en Méditerranée sont des espaces marins protégés. Il en existe dix-sept sortes : du parc marin à la réserve naturelle, en passant par les sanctuaires d'espèces particulières. Les statuts sont variés mais le besoin est le même, il s'agit de disposer d'une capacité à protéger la faune et la flore maritime de toute pollution. Compte tenu de nos moyens, nécessairement comptés, la France a négocié toute une série d'accords avec d'autres états afin de pouvoir agir ensemble et se renforcer mutuellement. La Méditerranée étant une mer quasiment fermée, les pays riverains sont donc co-responsables du destin de ce patrimoine. Nous avons ainsi conclu avec l'Espagne l'accord Lion Plan visant à mettre en commun nos moyens de secours en cas de pollution. Il en est de même avec l'accord Ramoge Pol qui nous lie avec l'Italie et la Principauté de Monaco. Nous organisons des exercices annuels pour tester les procédures de mise en œuvre de ces moyens. En 2019, nous l'avons fait à Port-La Nouvelle et cette année, nous le ferons devant Monaco ou au large de la Corse.
Dans cette même logique internationale, nous avons également conclu des accords de protection, a priori, de la faune et de la flore. C'est le cas par exemple de l'accord « ACCOBAMS » signé par les vingt-cinq pays riverains de la Méditerranée pour la protection des cétacés. Il existe en effet plusieurs milliers de ces animaux en Méditerranée. De même un sanctuaire dénommé « Pelagos » pour la protection des mammifères marins, a été négocié entre l'Italie, la principauté de Monaco et la France. Il comprend un espace maritime allant des îles d'Hyères au golfe de Gêne en y incluant la Corse. C'est une zone immense, avec des règles et des usages réglementés.
Ces accords d'État à État sont négociés au niveau central par le Secrétaire général de la mer et le Gouvernement. Ils sont ensuite déclinés selon un principe de grande subsidiarité au niveau local par le Préfet maritime. Cette année, la France a pris la présidence de la fonction garde-côtes de l'Union européenne, en la personne du Secrétaire général de la mer. À Toulon, nous allons pour ce faire organiser au mois de juin un exercice international d'action de l'État en mer lié à cette présidence avec les pays européens, avec le concours de l'agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA), pour la partie sauvetage, et de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX), pour tout ce qui est lié au contrôle des frontières et la lutte contre les trafics.
En conclusion, comme ces exemples ont pu vous l'illustrer, le métier est passionnant par la diversité et la complémentarité des domaines abordés. L'organisation française, pragmatique et nourrie de subsidiarité, est gage d'efficacité ; elle évite la dilution des responsabilités et la redondance des moyens. Pour ce qui concerne plus particulièrement le rôle du Préfet maritime, la mer demeure une zone de frictions compréhensibles entre usagers de toute nature et d'enjeux économiques, sociétaux et stratégiques. Nous nous devons de promouvoir le dialogue et la concertation afin d'imaginer la solution par le consensus et parfois la décision arbitraire par nécessité.
Amiral, vous aviez déclaré l'année dernière que le risque d'attentat perdurait en Méditerranée et qu'on ne pouvait exclure que la violence terroriste se manifeste par l'attaque de navires. Pouvez-vous faire un état de lieux précis des menaces de ce type en Méditerranée ? Quelles solutions préconisez-vous ?
Nous savons aussi que la menace est étatique. Nous avons des câbles sous-marins stratégiques en Méditerranée qui nécessitent une surveillance permanente. Quel est le bilan de cette surveillance pour l'année 2019 ?
En Méditerranée orientale, compte tenu des nouveaux enjeux liés aux réserves de gaz et d'hydrocarbures impliquant la Turquie, Chypre, l'Égypte, le Liban et Israël, la situation est de plus en plus complexe et, si j'ose dire, explosive. Dans cette zone, quels sont vos priorités et surtout vos besoins en moyens ?
Amiral, vos tâches sont multiples : lutte contre les trafics illicites, surveillance du transit des marchandises, protection des richesses environnementales dans un espace qui abrite 10 % de la biodiversité mondiale, lutte contre la pollution, recherche de la Minerve, etc. Pour les accomplir, vous vous appuyez sur plusieurs administrations. Cela requiert une coordination particulièrement complexe, du fait de la multiplicité des liens qui doivent être établis non seulement entre les différentes administrations françaises, mais avec les autres États ? Comment peut-on progresser dans ce domaine ?
Alors que la rénovation de la grande jetée à Toulon a débuté en 2019, les relations avec les diverses collectivités — métropole Toulon-Provence-Méditerranée, conseil départemental du Var et région PACA — se passent-elles correctement pour ces travaux d'investissement répondant à un intérêt commun ?
La Méditerranée n'est pas à l'abri du risque de tsunamis, liés à des glissements de terrain et des explosions volcaniques, à l'image de ce qui s'est produit en 2018, avec l'effondrement du Krakatoa : les éruptions du Stromboli notamment sont fréquentes. Comment les autorités et les populations sont-elles alertées ? Ces alertes sont-elles satisfaisantes ou existe-t-il des marges de progrès ?
Le caractère international de la mer Méditerranée et l'éloignement des côtes favorisent le déroulement d'activités illicites en haute mer, comme le trafic de stupéfiants, l'immigration clandestine ou des manœuvres terroristes. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le développement du plan Vigipirate par vos services ?
Dimanche, j'ai assisté aux cérémonies à la mémoire du quartier-maître Christian Nicolas, disparu à bord de la Minerve, il y a cinquante et un ans. L'épave de ce sous-marin a été retrouvée en 2019, ce qui a donné lieu à de nombreuses cérémonies. Quel est votre avis sur l'origine de sa disparition ? Je saisis l'occasion pour remercier le commandant Vibert qui m'a beaucoup aidé dans mes recherches.
En février 2019, la France avait annoncé la fourniture de six bateaux au profit des garde-côtes libyens. Plusieurs associations avaient alors dénoncé cette décision et engagé une action en justice. À la suite du recours engagé devant la cour administrative d'appel de Paris, la ministre des armées a annoncé, début décembre, renoncer à cette livraison, ce dont notre groupe Libertés et territoires s'est réjoui. Tout au long de l'année 2019, nous avions, à plusieurs reprises, pointé du doigt le cas de la Libye que la France soutient d'un point de vue opérationnel, alors que ses garde-côtes font preuve de violence, allant jusqu'à tuer des migrants et que l'inhumanité de ses centres de rétention est connue de tous.
Plus globalement, notre groupe s'inquiète des conséquences de la coopération existant entre les pays de l'Union européenne et la Libye, en totale contradiction avec les injonctions de l'ONU de cesser tout soutien. J'aimerais connaître votre point de vue sur la pratique des garde-côtes libyens en Méditerranée à l'égard des migrants et sur la mise en place de conditions strictes à toute coopération bilatérale européenne avec la Libye, afin que les droits et la sécurité des personnes migrantes et réfugiées qui traversent la Méditerranée soient garantis et respectés.
La mer Méditerranée détiendrait le triste record du bassin le plus pollué au monde. Je souhaiterais donc vous interroger sur la prévention et la coordination des moyens français et européens pour la protection du bassin méditerranéen. Estimez-vous les moyens et la coordination mis en œuvre suffisants compte tenu de l'amplification des trafics mondiaux et de la présence de plus en plus prégnante de divers pays, dont la Chine ? A-t-on réellement les moyens de préserver ce bassin qui nous tient tant à cœur ?
Deux missions de lutte contre les trafics d'êtres humains, d'armes ou de stupéfiants sont actuellement engagées en Méditerranée. La première, placée sous l'égide de l'OTAN, est l'opération Sea Guardian, lancée en 2016, qui vise à assurer la sécurité maritime dans cette région par un dispositif antiterroriste et à soutenir la gestion de la crise des réfugiés et des migrants en mer Égée. Elle a en outre contribué au suivi et à la surveillance des traversées clandestines en mer Égée, et au partage des informations entre les garde-côtes grecs et turcs et l'agence européenne FRONTEX. La seconde est l'EUNAVFOR MED, dite opération Sophia, sur laquelle j'avais fait un rapport il y a trois ans. Placée sous l'égide de l'Union européenne, elle devait se renforcer progressivement. Mais depuis mars 2019, cette opération ne comporte plus qu'un volet aérien, alors qu'auparavant des bateaux venaient surveiller, mais également aider les réfugiés.
Où en est-on ? La France participe-t-elle toujours à ces deux missions, qui devraient jouer un rôle important pour la stabilité et la lutte contre tous les trafics, mais aussi pour aider les réfugiés en détresse ?
Monsieur Marilossian, la France est fortement engagée dans la lutte contre le terrorisme, au Levant comme dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Pour cela, les intérêts français et plus particulièrement nos ressortissants sont la cible potentielle d'une menace terroriste à la fois sur notre territoire comme à l'étranger. Les navires ne font pas exception.
La géographie physique et géopolitique du bassin méditerranéen commande. Les rives de la mer Méditerranée comptent de nombreux pays en crise, dont l'instabilité a favorisé le développement de groupes terroristes ou criminels.
Notre attention se porte en premier lieu sur les navires battant pavillon français, mais nous pouvons également être concernés par tout navire sur lequel se trouve un citoyen français, ou lorsqu'un pays partenaire nous demande du soutien. Sur des navires qui peuvent accueillir plusieurs milliers de passagers en incluant l'équipage, la probabilité de trouver un Français est grande, surtout en Méditerranée. Aujourd'hui, les lieux où les navires de croisière ou les plaisanciers peuvent faire escale en sécurité ne sont pas si nombreux, compte tenu de la multiplication des crises à travers le monde. Dans la partie nord de la Méditerranée, le nombre de navires de croisière augmente régulièrement, tout comme leur capacité d'emport, ce qui complexifie encore les problèmes de sécurité.
Pour en revenir au terrorisme, nous n'avons jamais connu un tel niveau de menace. Le risque de surprise stratégique existe toujours, mais nous faisons tout pour nous préparer à y faire face. La coopération entre les différents services de l'État est bonne et nos services de renseignement restent très vigilants. L'échange d'information est permanent. Nous tenons des réunions régulières avec les représentants des services des différents ministères qui participent à la surveillance des trafics en mer pour évaluer la situation et coordonner nos actions. Les sources d'information et les moyens pour agir sont complémentaires. Nos différentes cultures ministérielles nous permettent d'apporter des regards et une analyse différents sur une même situation afin de faire émerger du bruit de fond un élément significatif qui déclenchera une action : cela peut être un appel d'un commandant d'un bateau civil, mais aussi la manifestation d'un trafic secondaire ou des flux financiers suspects, à l'image de ce qui se passe dans la rue, dans nos quartiers. Entre administrations, nous partageons ce que nous avons besoin de partager, en respectant les missions et spécificités de chacune. C'est l'intérêt d'avoir un chef unique pour l'action de l'État en mer, capable de coordonner l'action de chaque administration en bonne intelligence et en complémentarité. Nous nous renforçons mutuellement avec le même objectif de servir au mieux l'État et donc nos concitoyens.
Vous m'avez également interrogé sur les câbles sous-marins. En effet, Marseille est un point nodal de ces réseaux, un des hubs les plus importants en Méditerranée. Mais quel État a les moyens d'aller espionner discrètement un câble par plus de deux mille mètres de fond en Méditerranée ? Le besoin de surveillance porte donc avant tout sur les atterrages, et non sur les câbles immergés.
Les réserves gazières découvertes autour de Chypre intéressent tout à la fois l'Égypte, Israël, le Liban, Chypre, la Grèce et la Turquie. D'un volume estimé à peu près équivalent à celles dont disposent les États-Unis, ces réserves colossales sont donc très disputées, en l'absence de règles faisant l'unanimité sur le partage de la ressource. La démarche entreprise par la Turquie est inquiétante à double titre : d'abord par le fait que l'accord bilatéral sur la définition de la ZEE qu'elle a signé avec la Libye fait abstraction des États voisins concernés, ensuite par sa volonté d'exploiter un gisement dans une ZEE contestée et soumise à un arbitrage international en cours d'instruction. Cette attitude pose un problème de jurisprudence dont les conséquences dépassent largement le cadre de la Méditerranée. A terme, la jurisprudence peut devenir la coutume. Et en mer, la coutume fait partie du corpus juridique qui réglemente la vie des usagers. Si nous laissons la loi du plus fort s'appliquer en mer, c'est l'ensemble du dispositif bâti avec la rédaction de la Convention de Montego Bay qui devient caduque. Pour l'heure, nous n'en sommes pas encore là. La priorité est, d'une part, de garantir la liberté de navigation dans les eaux internationales et, d'autre part, d'assurer l'application des accords internationaux et du droit coutumier. L'Union européenne a adopté des résolutions et pris une série de mesures pour régler ce différend au niveau politique.
M. Chassaigne m'a demandé si je n'avais pas trop de sujets à coordonner compte tenu de la diversité de mes domaines de responsabilité. L'organisation française de la fonction garde-côte est particulièrement efficace, même si elle peut paraître complexe au premier regard. Vous citez les liens multiples qui doivent être établis et les actions à ordonner. C'est une réalité. Mon état-major travaille en permanence à entretenir et développer ces liens et notre connaissance mutuelle entre administrations et avec nos partenaires des pays partenaires. Des officiers de liaison sont échangés soit de manière permanente soit en cas d'événement ponctuel pour armer les cellules de crise lorsqu'un incident nautique se produit. Ces cellules accueillent également des représentants des armateurs, des assurances, ainsi que le procureur pour préparer le volet judiciaire qui suivra. J'entretiens aussi des contacts avec les élus du littoral, car les crises en mer ont souvent des conséquences à terre. Nous avons bien sûr tous en mémoire les grandes marées noires. Avoir un coordonnateur unique nous permet d'aller vite, tout en bénéficiant de toutes les expertises requises. C'est un véritable gage d'efficience.
Madame Dubois, un tsunami est toujours envisageable en Méditerranée. Nous sommes particulièrement vigilants à Toulon car nous abritons dans la base navale cinq sites classés Seveso et jusqu'à huit centrales nucléaires. Les risques sismiques et de subversion sont pris en compte dans la conception de nos infrastructures par les ingénieurs des établissements du service d'infrastructure de la défense (ESID) du ministère des armées. Les systèmes d'alerte à la population sont bien en place et des communications régulières en lien avec les mairies et la préfecture départementale sont effectuées.
M. Cubertafon, concernant le plan Vigipirate, des équipes de gendarmes maritimes et de fusiliers marins, embarquent à bord des navires des compagnies nationales, à titre préventif et en fonction d'une analyse de risques réalisée en amont. Les listes de passagers au départ et à destination de la France font l'objet d'un criblage par les services de gendarmerie, de la police de l'air et des frontières et des douanes. Je tiens à souligner sur ce point l'importance que les compagnies maritimes nous fournissent les listes les plus précises possibles, afin d'approcher du niveau de sécurité du transport aérien. Enfin nous mettons en place une cinquantaine de dispositifs de protection par an sur la zone littorale, à terre et en mer, surtout au printemps et en été lors de grands rassemblements, en utilisant des embarcations rapides ou des patrouilleurs le long des côtes afin de prévenir une attaque venue de la mer.
La France possède deux mille kilomètres de côtes en Méditerranée, soit deux mille kilomètres de frontière extérieure de l'Union européenne. Une personne qui souhaite prendre l'avion fait l'objet de plusieurs contrôles avant son embarquement. Ceci n'est pas vrai dans le transport maritime. C'est donc un axe d'effort que nous partageons avec les compagnies maritimes. Pour cette raison et avant tout pour protéger l'environnement et en particulier les herbiers de posidonies, nous mettons en place une politique de contrôle des mouillages, qui nous permettra également de mieux savoir qui fait escale le long de notre littoral.
M. Favennec Becot, l'action des garde-côtes libyens est un sujet plus politique que militaire. Tous ceux qui agissent dans le cadre de cette crise des migrants, garde-côtes libyens, ONG, … interviennent selon leur propre logique. Les appréciations sur l'efficacité et les méthodes des uns et des autres ne sont pas unanimes. Cependant pour l'heure, un consensus a été établi, et un accord lie l'Union européenne à M. El-Sarraj, Premier ministre d'un gouvernement internationalement reconnu. Ses garde-côtes sont subventionnés, soutenus et formés en partie par l'Italie et l'Union européenne, qui consentent un effort important. La France y contribue également. Pour ce qui est de l'efficacité et du respect des bonnes pratiques par les garde-côtes libyens, il ne m'appartient pas de porter un jugement de valeur sur ce point.
Monsieur Lejeune, la coordination avec nos partenaires étrangers est bonne. Je voudrais citer en exemple le forum 5 + 5, qui réunit cinq États de la rive Nord : l'Espagne, la France, l'Italie, Malte et le Portugal, et cinq États de la rive Sud : l'Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Nous avons accueilli à Toulon en 2019 le sommet annuel des Chefs d'état-major des marines du 5+5. Dans le domaine maritime, son objectif est de renforcer la coopération et d'améliorer la coordination entre les marines, et d'offrir à chaque marine des opportunités de « monter en gamme » par des exercices réguliers afin de renforcer nos capacités à faire face individuellement et collectivement aux menaces, dont les trafics illicites. Cela fait partie des petites briques qui sont assemblées afin de contribuer à la sécurisation de la Méditerranée.
Vous avez cité la Chine, qui montre en effet un intérêt croissant pour la Méditerranée. Le déploiement d'un groupe naval chinois en Méditerranée est désormais régulier. Mais c'est sa présence économique qui est la plus sensible, notamment par le biais d'acquisition ou de location d'infrastructures dans un grand nombre de ports méditerranéens. Pour l'instant, l'expansion chinoise se cantonne à l'établissement de la « route de la soie » maritime et menace déjà nos intérêts économiques et à terme notre autonomie stratégique.
M. Pueyo, la France participe en effet toujours à l'opération Sea Guardian de l'OTAN. Mais c'est l'ensemble des moyens aéromaritimes déployés dans la zone qui contribuent à la mission de surveillance. Ponctuellement des moyens dédiés spécifiquement sont placés sous commandement de l'OTAN pour cette opération. La mission européenne Sophia prévoyait en effet plusieurs étapes, allant jusqu'à ouvrir la possibilité d'actions dans les eaux littorales. Le volet maritime de cette mission a été suspendu en mars 2019, en raison du refus de l'Italie d'accueillir dans ses ports les bâtiments ayant recueilli des migrants. Sur le plan opérationnel, la mission Sophia est donc réduite pour l'essentiel aujourd'hui à son volet aérien, auquel la France participe toujours par des vols réguliers d'avions de patrouille maritime. Cette surveillance permet d'informer les centres de coordination et de sauvetage en mer (MRCC), italien et libyen, de la position des embarcations de migrants que nous repérons au large de la Libye ou de la Tunisie.
Ma première question s'adresse au commandant en chef pour la Méditerranée. Vous venez de l'évoquer, la Méditerranée orientale fait l'objet de tensions croissantes. Force est de reconnaître l'agressivité croissante de la Turquie, dont des actions liées aux forages pétroliers ou gaziers dans les eaux chypriotes sont considérées comme illégales par l'Union européenne et Washington. Parallèlement, la question libyenne a fait l'objet de flops diplomatiques dans les différentes conférences, à Moscou, Berlin ou Alger, et a été un des points essentiels du sommet de l'Union africaine. La Turquie, qui a signé un accord de délimitation maritime avec le gouvernement libyen d'union nationale (GNA), est accusée, en contravention aux engagements pris à la conférence ce Berlin, de violer l‘embargo sur les armes, d'acheminer des combattants ou des mercenaires étrangers, dont syriens, et des instructeurs pour soutenir le gouvernement El-Sarraj. À l'inverse, la France est accusée d'aider le général Haftar. D'autres nations, comme les Émirats arabes unis et la Russie sont également présentes. On assiste à un retour plus marqué de la Grèce dans le jeu des nations après l'annonce d'un partenariat stratégique avec la France, mais également avec Israël, et le développement d'une coopération avec l'Arabie saoudite. Chypre semble quant à elle amorcer un réarmement.
Quelle est votre appréciation de la situation dans cette zone ? Quelles sont les conséquences pour la France et pour l'Europe du point de vue sécuritaire et énergétique ? Je pense au gazoduc EastMed dont l'objectif semble être de faire de Chypre, d'Israël vers la Grèce, un maillon dans la chaîne d'approvisionnement énergétique de l'Europe.
Enfin, le développement de la grande plaisance a un impact non seulement environnemental mais aussi sécuritaire. Vous avez évoqué les risques d'actes terroristes sur les navires à passagers, mais j'ai entendu dire que certains grands bateaux de plaisance, qui ont à leur bord des personnalités, possèdent et utilisent des technologies embarquées pour effectuer du brouillage, avec toutes les conséquences que l'on peut craindre pour notre sécurité.
Monsieur le vice-amiral, les opérations de sauvetage en mer dans le cadre de la mission Sophia ont été suspendues depuis le 29 mars 2019 face à l'opposition du ministre de l'intérieur italien Matteo Salvini. Le départ de ce dernier et de la Ligue du Nord du gouvernement, l'été dernier, permet-il d'envisager une évolution de la politique de sécurité italienne ? À défaut, la France dispose-t-elle des moyens logistiques pour reprendre le flambeau ?
Je souhaite revenir sur les attaques terroristes de navires. Vous avez évoqué les 10 millions de passagers annuels et vous avez présenté les équipes de protection mises en place pour les ferries et les dispositifs en zone littorale pour éviter les attaques de la mer vers les plages. Je m'interroge sur la protection des grands paquebots de croisière, qui embarquent 5 000 à 8 000 personnes. Ce n'est pas en pleine mer ni même à quai qu'ils sont le plus vulnérables. En effet dans les ports, on n'accède aux navires qu'à travers des zones de contrôle. C'est quand ils mouillent en baie, comme dans la baie de Cannes, à un ou deux milles de la côte, à la fois isolés et visibles. En effet on peut, non loin de là, à Mandelieu, louer un bateau sur simple présentation du permis. Arrivé à proximité du paquebot qui, portes ouvertes, a débarqué une partie de ses passagers, il suffit de prétexter une panne moteur et de demander à s'accrocher à lui, conformément au code maritime, pour y faire monter des hommes armés.
Quels dispositifs de sécurité sont actuellement prévus pour ces paquebots de croisière qui peuvent arriver à trois, quatre ou cinq en saison estivale, soit potentiellement plus de 30 000 personnes ? Existe-t-il des mesures de dissuasion visibles ? Sinon, quelles devraient être les mesures adaptées ? Pour l'embarquement à quai, la sécurité est financée par les exploitants, mais si une sécurité visible et dissuasive devait être organisée au mouillage, par qui devrait-elle être financée ?
Monsieur le vice-amiral, vous avez contextualisé en quelques mots un espace très complexe et vous nous avez informés des multiples responsabilités qui sont les vôtres et, à travers vous, les nôtres. Comme toujours lorsqu'on parle de la Méditerranée, j'ai été impressionné.
Pour des raisons de temps et de bienséance, j'éviterai toute question de nature politique. Quel est le nombre d'hommes dont vous disposez ou qui sont placés sous votre autorité dans cette redoutable mission ? Vous avez parlé d'intervention ponctuelle de l'Italie. Avez-vous le sentiment de voir perdurer une politique d'intervention au coup par coup des différents pays européens ou bien, au contraire, observez-vous la mise en œuvre d'une véritable politique d'intervention en Méditerranée ? Enfin, avez-vous le sentiment que nous sommes au rendez-vous d'une des grandes énergies renouvelables dont il est beaucoup question, celle de la mer, sous ses différentes formes ?
Amiral, vous avez évoqué, ainsi que mon collègue Jean-Jacques Ferrara, la situation liée au comportement de la Turquie, autour de Chypre ou en Libye. La Turquie est aussi un de nos alliés dans l'OTAN. Quelle est aujourd'hui la nature de notre coopération opérationnelle avec la marine turque et quelle peut être son évolution ?
Les débats ont permis de faire le tour de tous nos voisins méditerranéens, ce qui permet de réaliser que lorsqu'on habite les côtes varoises, comme ma collègue Sereine Mauborgne, ici présente, ou moi, on se trouve à équidistance de l'Algérie et de Lille, ce qui change notre vision des choses. Toutefois, la Méditerranée nous offre l'opportunité d'être aussi voisins des Russes, grands absents de notre échange, jusqu'à présent. En surface ou sous la mer, notre relation est-elle aussi tendue qu'en matière de cyber sécurité ou sur d'autres théâtres où nous avons l'occasion de nous croiser ?
Merci, cher collègue, de rappeler des faits évidents mais fondamentaux. C'est pourquoi, amiral, nous souhaitions profiter de votre regard si précieux sur ces zones que l'on a tendance à ne pas contextualiser.
Nous avons en effet peu parlé de la Russie, ni d'un certain nombre d'autres acteurs étatiques extérieurs qui jouent aussi un rôle important en Méditerranée.
Je commencerai par les États-Unis, qui manifestent aujourd'hui un intérêt moins visible pour la Méditerranée qu'il y a quelques années, quand des groupes aéronavals américains et leurs porte-avions y étaient présents en permanence. Aujourd'hui, ces groupes ne sont souvent que de passage, sur le trajet qui les mène du détroit de Gibraltar au canal de Suez puis vers le détroit d'Ormuz. La marine américaine reste néanmoins un de nos partenaires majeurs en Méditerranée, avec entre autre ses frégates et ses avions de patrouille maritime. Ainsi le porte-avions Charles de Gaulle, qui opère actuellement au large de Chypre, compte dans son escorte une frégate américaine. Nos relations demeurent excellentes, mais il faut admettre que depuis l'ère « Obama », leur présence diminue.
Nous assistons également à l'importation en Méditerranée de conflits extérieurs à notre zone. Ainsi les dissensions entre les États membres du Conseil de Coopération du Golfe ou les tensions entre les Émirats et l'Iran se prolongent en Méditerranée. L'intervention des forces britanniques sur un pétrolier iranien à Gibraltar en est aussi un autre exemple. L'Iran, par ailleurs a obtenu un accès à la Méditerranée, par le biais du Hezbollah libanais ou plus directement par sa présence en Syrie. Enfin dans le conflit interne libyen sont engagés de part et d'autre et à différents niveaux de nombreux pays extérieurs à la Méditerranée.
Pour ce qui est de la Russie, nous envoyons régulièrement des bateaux de la Marine nationale en mer Noire. Nous avons bien sûr des contacts avec la marine turque, et avec la Bulgarie, la Roumanie et la Géorgie, où nous faisons des escales. Nous voulons rappeler que c'est une zone internationale. La convention de Montreux fixe les règles de passage dans les détroits et nous les mettons en œuvre afin de bien montrer que nous allons quand nous le voulons en mer Noire : ce n'est pas une mer fermée. L'OTAN aussi fait avec ses bateaux des escales régulières en groupe dans cette zone. Il n'y a pas d'agressivité particulière avec la Russie en mer Noire ; de même, lorsque nous sommes au large de la Syrie, la marine et l'aviation russes sont présentes. Des avions viennent à la rencontre des nôtres, il y a parfois des marquages de bateaux, mais cela reste conforme aux règles d'usage. Mais nous sommes face à un acteur assez opportuniste : partout où l'Occident se désengage, la Russie est présente. Nous l'avons constaté sur le théâtre syrien, nous le constatons sur le théâtre libyen. Partout où nous cesserons d'aller, les Russes seront là. Par tradition, la Russie était déjà intéressée par la Méditerranée ; c'était déjà le cas du temps de la guerre froide : sa flotte était présente au mouillage devant la Libye, mais elle entretenait également des coopérations avec l'Égypte, l'Algérie ou la Syrie, dont les équipements sont d'origine soviétiques. D'autres acteurs comme la Chine seront dans la même logique pour des raisons économiques pour l'instant.
Monsieur Ferrara, vous m'avez interrogé sur la ZEE chypriote, notamment au sujet des oléoducs et des gazoducs. Dans cette compétition, tout le problème est de faire reconnaître ses droits, mais la finalité est clairement financière : comment redistribuer ou se partager, cette manne ? Ce gaz doit-il se rendre via la Turquie et vers la Russie ou bien directement vers l'Union européenne. L'accord en cours de négociation entre l'Égypte, Israël, la Grèce et Chypre, privilégie une option directe par gazoduc vers l'union européenne. C'est une question stratégique très vaste. Ma préoccupation d'aujourd'hui est de savoir comment ne pas surenchérir militairement, tout en refusant le fait accompli, pour laisser le temps à la négociation politique et économique.
Madame Mirallès, vous m'avez interrogé sur la mission Sophia, le sauvetage des migrants et l'évolution de la position italienne sur l'accueil des migrants. Avons-nous les moyens d'agir seuls ? Non, nous n'en sommes pas capables. Bien que les chiffres aient diminué, les différents moyens, étatiques ou d'ONG, ont recueilli plus de 11 000 migrants en Méditerranée centrale en 2019. Mais plus que le manque de moyens maritimes, c'est le devenir des migrants une fois ramenés en sécurité à terre, et donc leur répartition entre États européens, qui pose problème. C'est une affaire de sauvetage en mer qui se transforme en problème de migrants… Il s'agit d'une question politique et non pas militaire.
Monsieur Blanchet, vous m'avez questionné sur les risques d'attaques terroristes sur les gros paquebots au mouillage. Vous avez décrit le mode opératoire ; heureusement que vous n'êtes pas terroriste !
Une menace terroriste pèse bel et bien sur ces navires, menace que vous avez parfaitement illustrée. Cette menace doit être traitée par une approche large. On dit toujours que la défense de nos concitoyens commence au large et se termine en protection le long de nos côtes. Elle passe aussi par les forces de sécurité intérieure. C'est grâce à nos forces de sécurité intérieure – police, gendarmerie, polices municipales ou direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) – que nous avons une bonne connaissance de ce qui se passe sur notre territoire. Nos zones portuaires en particulier sont très surveillées : nous savons que ce sont des zones de transit et de rencontre, donc éminemment sensibles. La protection des bateaux au mouillage, même à un ou deux nautiques de la côte, passe avant tout par le dispositif de sécurité en place à terre. Il faut ensuite surveiller ce qui vient d'un peu plus loin : c'est tout l'intérêt de l'échange d'informations à travers la chaîne sémaphorique. Grâce à nos dix-neuf sémaphores en Méditerranée, dont sept en Corse et douze couvrant à peu près toute la côte continentale, nous avons une assez bonne vision des bateaux qui transitent dans cet espace.
À cela s'ajoutent les patrouilles nautiques. Lors de réunions hebdomadaires, nous organisons les patrouilles des différentes administrations le long de nos côtes, divisées en secteurs : tel jour les gendarmes, le lendemain les douanes, puis les affaires maritimes, puis la marine nationale, en fonction du plan de charge de chacun, afin d'assurer un quadrillage systématique de nos eaux territoriales. Nous partageons le fardeau entre administrations.
Comment faire plus ? Nous pourrions obliger les compagnies à mettre en place des dispositifs de sécurité permanents à bord, à leurs frais, à l'exemple de ce qui se fait à la SNCF, où des équipes de sécurité patrouillent en armes. Il faut l'imposer, et cela ne pourra se faire que par la loi ; les compagnies répercuteront le coût sur les billets, comme les compagnies aériennes ou la SNCF.
Monsieur Lassalle, j'ai actuellement sous ma responsabilité territoriale environ 15 000 militaires, sans tenir compte du personnel civil du Ministère des armées. Ainsi que les trois quarts des frégates de premier rang, tout le corps expéditionnaire de la marine, c'est-à-dire les bâtiments amphibies, le porte-avions, les hélicoptères embarqués, les sous-marins nucléaires d'attaque ou les marins-pompiers au titre de la protection civile. Cela fait beaucoup de monde. Il y a aussi les moyens d'instruction : 8 000 stagiaires qui passent chaque année par le groupe des écoles de Saint-Mandrier, à Toulon. En effet une grande partie de la formation de la Marine nationale se fait en Méditerranée. Nous participons aussi à la formation de nos jeunes : trente-cinq préparations militaires marine (PMM), les cadets de la défense… Il est difficile de tout lister, mais c'est une œuvre collective. Je ne suis pas seul, je m'appuie sur un état-major compétent et efficace qui organise et instruit l'ensemble des sujets concernés. C'est bien une œuvre collective ou chacun a sa place. Nous avons besoin de chaque marin et de chaque personnel civil de la Défense.
J'organise également très régulièrement des réunions avec les services des différentes administrations agissant en mer. Nous partageons beaucoup, nous travaillons vraiment dans un esprit d'équipe. Nous savons quel est le bien commun à protéger. Il n'y a pas de problème particulier entre les administrations sur la côte méditerranéenne. Lorsque les douanes font naviguer leur patrouilleur Jean-François Deniau pendant deux mois devant le Maroc pour surveiller l'émigration, ce bateau travaille au profit de l'agence Frontex, de l'Union européenne, et je le pilote depuis le COM de Toulon avec son autorité de tutelle, les douanes de Marseille. Nous échangeons le renseignement, les bonnes pratiques et nous décidons ensemble des modalités d'action pour remplir la mission. Mais il faut à la fin un responsable pour signer et décider, c'est mon rôle. Mais comme je viens de vous l'illustrer, c'est avant tout un travail collectif et collégial qui se fait en bonne intelligence.
Monsieur Thiériot, la Turquie, effectivement, est membre de l'OTAN et c'est à ce titre que nous coopérons avec ce pays. Cela se passe bien. Nous n'avons pas de difficultés de coordination. Nous échangeons de l'information à la mer. Les bateaux de l'OTAN en navigation communiquent leur situation et l'information dont ils disposent. Il y a quelques semaines, je suis allé rencontrer sur place mon homologue, ou plus précisément le responsable des opérations maritimes pour expliquer ce que nous venions faire, connaître leurs intentions et nous coordonner en tant que membres de l'OTAN. Nous avons des réunions régulières entre les marines de l'OTAN qui se passent en bonne intelligence. Lorsque nous rencontrons un navire turc, il nous arrive même d'organiser des exercices en commun.
Quels sont nos liens opérationnels avec les garde-côtes libyens quand un de nos bâtiments croise à proximité des côtes libyennes ? Avez-vous constaté des évolutions du point de vue statistique depuis l'arrêt de la composante maritime de Sophia ? Quel est votre avis, en tant que militaire, sur l'utilité d'une mission navale sans bateau ?
La pollution de la Méditerranée par les matières plastiques a fait beaucoup parler d'elle ces derniers temps. Environ 10 % de la pollution provient du transport maritime, des déchets de la pêche ou autres, et 70 % des activités côtières, notamment des décharges en plein air autour de Marseille, Nice et la Corse. En tant que préfet maritime, quels sont vos moyens d'action sur cette pollution et ses conséquences ?
Monsieur le vice-amiral d'escadre, merci pour vos propos liminaires. Nous sommes un certain nombre à vous partager comme préfet maritime avec beaucoup de fierté.
À la suite du dernier plan POLMAR déclenché au mois d'octobre par votre prédécesseur, un redéploiement de moyens avait été évoqué, notamment au nord du Cap Corse. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'avancée de ces travaux, sachant que, dans l'intervalle, le ministre en charge de ce plan pour la Méditerranée a changé, ce qu'à titre personnel je regrette infiniment ?
Je reviendrai sur le contre-terrorisme maritime, déjà évoqué par plusieurs de mes collègues. C'est un sujet que vous connaissez bien pour l'avoir étudié en tant que nageur de combat et sur lequel j'ai eu l'occasion de travailler avec vous dans une autre vie. Le contre-terrorisme maritime s'est développé en 1985, lorsque l' Achille Lauro a été pris en otage sur les côtes italiennes. Dans les années 1995, autour de Marignane, les risques s'aggravant pour les ferries entre Alger et Marseille, la marine nationale a pris les choses en main et développé des groupes de contre-terrorisme maritime dont vous étiez acteur. Depuis est apparue une nouvelle menace terroriste, contre laquelle a été développé le très complet dispositif Vigipirate mer.
Ma question concerne la coopération opérationnelle. Peut-on envisager la création, à l'image de la force Takuba en cours de déploiement dans le Sahel, la création dans l'espace méditerranéen, d'un dispositif de forces spéciales de contre-terrorisme pour faire face à cette menace ?
Nous avons été quelques députés à être sollicités pour un nouveau navire. Pensez-vous qu'un patrouilleur d'interception rapide léger vous serait utile et vous permettrait d'être plus efficaces dans vos missions ?
La mer Méditerranée est un lieu touristique très fréquenté depuis les vacances de Pâques jusqu'au moins d'octobre. De nombreux bateaux de plaisance, des bateaux de croisière et des ferries venant de tous horizons y passent, certains en provenance de pays lointains comme la Syrie et la Turquie, entraînant une augmentation des flux de personnes mais aussi des flux financiers. Comment vous observez-vous et intervenez-vous concernant les migrants qui essaient chaque jour de rejoindre la France en toute clandestinité, en montant dans les camions qui se trouvent dans les ferries, ou encore dans des bateaux de plaisance de passeurs ? Quels moyens sont à votre disposition pour la gestion de ces situations, sachant que la majorité des bateaux dans cette zone sont étrangers ?
Vous l'avez souligné, la problématique environnementale liée à la qualité de l'air fait partie des enjeux en Méditerranée. Notre ministre de la transition écologique indiquait récemment : « Pour la première fois, l'ensemble des États méditerranéens affirme l'ambition commune de saisir l'organisation maritime internationale en 2022 pour limiter à 0,1 % la teneur en soufre autorisée dans les carburants des navires en Méditerranée. La mise en œuvre de cette décision fait l'objet d'une feuille de route, agréée également par toutes les parties. Elle prévoit la réalisation d'études complémentaires et l'identification des mesures d'accompagnement afin de faciliter l'atteinte de l'objectif visé. La France apportera tout son soutien aux travaux préparatoires et à la mise en place de ce nouveau régime international ». Dans votre mission de sauvegarde et de protection de l'environnement, serez-vous impliqué dans ces études et travaux préparatoires ? Des restitutions sont-elles prévues ?
À compter de janvier 2021, la mer du Nord et la mer Baltique sont désignées comme des zones à émissions contrôlées, non plus seulement pour les dioxydes de soufre, mais aussi pour les oxydes d'azote. De telles mesures pourraient-elles être proposées, voire décidées pour la Méditerranée, notamment dans le cadre des travaux que je viens de mentionner ?
Enfin, conformément aux exigences de l'organisation maritime internationale (OMI), en application depuis janvier 2019, relative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre des navires d'une jauge brute de 5 000 tonnes et plus, qui représentent d'ailleurs 85 % des émissions totales de CO2 générées par le transport maritime international, ceux-ci sont astreints à collecter leurs données sur leur consommation de fioul, de les déclarer annuellement de façon obligatoire auprès de l'État du pavillon qui, à son tour, doit délivrer une déclaration de conformité et le communiquer à l'OMI. Est-il dans vos prérogatives de contrôler l'existence de ces déclarations de conformité ?
Monsieur Lachaud, peut-on faire une mission navale sans bateaux ? Je pourrais vous répondre que l'opération Sophia n'est pas une mission navale mais une mission aéronavale. En effet au lancement de cette opération, la force comprenait des bâtiments et des aéronefs. Depuis les règles de désignation du port de refuge initialement établies entre les nations participant à la mission, c'est-à-dire du port de débarquement des personnes à qui les navires ont porté assistance à la mer, ont été dénoncées par certains États. De ce fait certaines nations dont la France ont retiré leurs navires tout en maintenant leurs avions de patrouille maritime. L'opération Sophia se termine au 31 mars et la nouvelle opération est en cours de définition et devrait être davantage orientée sur la lutte contre les trafics à destination de la Libye et le respect de l'embargo sur les armes imposé par l'ONU.
En effet Monsieur Lachaud, presque 80 % de la pollution maritime vient de la terre ; ce sont essentiellement les plastiques mais d'autres éléments comme aussi les engrais par exemple. Je pourrais vous répondre que les activités à terre ne sont pas de ma zone de responsabilité réglementaire mais ce ne serait pas totalement vrai. À l'issue d'une très large consultation à la fois des ministères, des représentations d'usagers, d'associations, de chercheurs universitaires ou de personnes intéressées tout simplement par le sort de la mer, nous avons établi et cosigné avec le préfet de région au mois de novembre un document conjoint qui établit une stratégie maritime de façade pour la Méditerranée. La dimension protection de l'environnement et du développement durable y occupe une place toute particulière.
Madame Sereine Mauborgne, dans le Nord du Cap Corse, après la collision de l' Ulysse et du Virginia, des recommandations ont été faites pour améliorer le dispositif de prévention et de lutte contre la pollution. Nous avons renforcé les moyens d'intervention en pré-positionnant un remorqueur en Corse à chaque fois qu'une période de très mauvais temps était annoncée. En parallèle et à la suite de l'échouage du cargo Rhodanus, nos services ont conduit l'étude de faisabilité technique et économique de doter l'un des ports civils corse d'un remorqueur de grande puissance de traction subventionné par la collectivité locale ou la CCI, ainsi que la création d'une station de pilotage à Bonifacio si la France obtient l'accord de l'OMI pour rendre le pilotage obligatoire dans les Bouches de Bonifacio. Nos études vont être présentées et partagées avec les responsables locaux.
Monsieur Jean-Michel Jacques, vous vous interrogez sur la pertinence d'un projet de création d'un groupe international de forces spéciales pour agir dans le domaine du contre-terrorisme en méditerranée. Vous prenez l'exemple des forces spéciales de la bande sahélo-saharienne, dont je me suis beaucoup occupé durant ma précédente affectation en tant que commandant des opérations spéciales. Cela suppose de définir au préalable un cadre d'emploi politique et tactique très précis afin de pouvoir déterminer les moyens nécessaires et en fixer les règles de fonctionnement et d'emploi. La difficulté portera notamment sur les différences constitutionnelles d'usage de la force armée entre les Nations. Cependant ce projet permettrait effectivement de partager le fardeau car la ressource en forces spécialisées est comptée comme vous le savez. La première condition est bien de définir un cadre politique pour pouvoir agir ensemble.
Madame Trastour-Isnart, vous m'interrogez sur l'utilité d'un patrouilleur rapide léger. Je suis toujours preneur de moyens supplémentaires. Cependant, aujourd'hui c'est plutôt les hélicoptères lourds qui me font défaut. Un programme de patrouilleurs est développé par la marine, dont les premiers seront livrés en 2025 et rejoindront l'Atlantique ; la seconde vague n'arrivera en Méditerranée qu'à partir de 2027 et 2028. Le plan d'équipement en cours donne satisfaction. Mais nous sommes toujours preneurs de plus de bateaux, pour la marine comme pour les autres administrations.
Mme Séverine Gipson, vous m'avez demandé si les migrants peuvent utiliser les navires de plaisance et les ferries. Du côté de la marine marchande, les ferries comme les cargos sont soumis à des contrôles de sécurité assez efficaces. Certains clandestins arrivent à passer, mais leur nombre reste très limité. Ils pourraient effectivement chercher à entrer en France en utilisant des navires de plaisance, mais cette pratique n'est pas coutumière de la zone Méditerranée contrairement à ce qui se passe en mer du Nord et dans la Manche. Si c'est un fait avéré au large de Calais, ce n'est pas le cas à Menton ou Perpignan. Mais cela viendra… C'est pourquoi nous mettons en place un dispositif de contrôle de nos ports et de nos zones de mouillage, afin qu'avec l'aide de nos dix-neuf sémaphores nous puissions surveiller au mieux nos deux mille kilomètres de frontière maritime.
Madame Michel, depuis le 1er janvier, la réglementation a changé concernant les émissions de fumée pour la marine marchande. La limite du taux de soufre admissible est passée à 0,5 % au 1er janvier 2020. Mais dans de nombreux ports, notamment français, les navires sont déjà passés à 0,1 %. En zone PACA par exemple, des accords sont passés entre les compagnies maritimes et les mairies, les autorités portuaires et les chambres de commerce et d'industrie. Le coût de l'adaptation technique des navires est partagé entre les compagnies et les collectivités locales avec des réductions sur les frais d'escale et la location des quais. De fait, une partie de la Méditerranée est déjà en train de passer en zone d'émissions contrôlées (ECA). À terme, la Méditerranée sera une zone ECA. Tout porte à penser que la dynamique venue des pays du Nord de l'Europe se déclinera naturellement en Méditerranée. À cet égard, la France est plutôt bonne élève. Les projets d'électrification des quais sont en cours de réalisation dans les ports français importants de la Méditerranée.
Je n'ai pas répondu à la question sur la grande jetée à Toulon et la concertation sur les financements des infrastructures. Le financement est partagé pour moitié par le ministère des Armées, et pour les deux autres quarts entre la région et la métropole de Toulon. Nous construisons ensemble dans un souci de développement durable et de développement partagé. Quelques 25 000 personnes transitent dans cette base navale et ses grands sites périphériques que sont les écoles, deux régiments de l'Armée de terre et la base aéronavale. Sur cet ensemble, 8 000 personnes n'appartiennent pas au ministère des Armées mais relèvent de sociétés sous-traitantes indispensables à notre fonctionnement. C'est tout un écosystème qui fonctionne au quotidien autour de la Marine pour l'essentiel. Les relations avec la métropole toulonnaise et la région PACA sont excellentes, comme elles le sont aussi avec l'Occitanie ou la Corse. Nous participons au développement économique de la région PACA : le ministère des Armées est le premier employeur du Var, nous avons, à ce titre, des responsabilités. Nous vivons avec nos familles dans cette très belle région : c'est l'intérêt pour nos conjoints d'avoir des emplois, et nos enfants des écoles et des facultés dignes de ce nom. Nous sommes des citoyens à part entière et nous prenons toute notre place dans la vie et les activités des communes où nous résidons.
Sur les causes de l'accident de la Minerve enfin, un compte rendu d'enquête avait été rédigé, à l'époque, à la suite de l'accident. Une nouvelle étude de la marine est en cours au vu des photos qui ont été récupérées cet été et complétées à l'occasion de la dépose de la plaque. Je crois comprendre qu'elle confirme les conclusions de l'époque, mais c'est plutôt au chef d'état-major de la Marine nationale de s'exprimer sur ce sujet. Chacun est libre de penser ce qu'il veut, mais il existe des faits et des conclusions techniques : les photos de qualité que nous avons pu obtenir confirment ce que nos prédécesseurs avaient pressenti grâce à leur expérience et à une enquête exhaustive.
Amiral, vous avez su nous faire partager l'importance et la particularité de vos missions que vous coordonnez avec beaucoup de tact et d'efficacité. Merci pour la qualité de vos propos.
La séance est levée à onze heures vingt-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Didier Baichère, M. Stéphane Baudu, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Falorni, M. Olivier Faure, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Claude de Ganay, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Stanislas Guerini, M. Jean‑Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean Lassalle, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Nicolas Meizonnet, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Thierry Solère, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour‑Isnart, M. Stéphane Trompille, M. Charles de la Verpillière
Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Sylvain Brial, M. Richard Ferrand, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Laurent Furst, M. Thomas Gassilloud, M. Benjamin Griveaux, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, M. Jean-François Parigi, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joachim Son-Forget, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Patrice Verchère
Assistaient également à la réunion. - M. Yannick Favennec Becot, Mme Caroline Janvier