Intervention de le vice-amiral Laurent Isnard

Réunion du mercredi 12 février 2020 à 9h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

le vice-amiral Laurent Isnard :

Nous avons en effet peu parlé de la Russie, ni d'un certain nombre d'autres acteurs étatiques extérieurs qui jouent aussi un rôle important en Méditerranée.

Je commencerai par les États-Unis, qui manifestent aujourd'hui un intérêt moins visible pour la Méditerranée qu'il y a quelques années, quand des groupes aéronavals américains et leurs porte-avions y étaient présents en permanence. Aujourd'hui, ces groupes ne sont souvent que de passage, sur le trajet qui les mène du détroit de Gibraltar au canal de Suez puis vers le détroit d'Ormuz. La marine américaine reste néanmoins un de nos partenaires majeurs en Méditerranée, avec entre autre ses frégates et ses avions de patrouille maritime. Ainsi le porte-avions Charles de Gaulle, qui opère actuellement au large de Chypre, compte dans son escorte une frégate américaine. Nos relations demeurent excellentes, mais il faut admettre que depuis l'ère « Obama », leur présence diminue.

Nous assistons également à l'importation en Méditerranée de conflits extérieurs à notre zone. Ainsi les dissensions entre les États membres du Conseil de Coopération du Golfe ou les tensions entre les Émirats et l'Iran se prolongent en Méditerranée. L'intervention des forces britanniques sur un pétrolier iranien à Gibraltar en est aussi un autre exemple. L'Iran, par ailleurs a obtenu un accès à la Méditerranée, par le biais du Hezbollah libanais ou plus directement par sa présence en Syrie. Enfin dans le conflit interne libyen sont engagés de part et d'autre et à différents niveaux de nombreux pays extérieurs à la Méditerranée.

Pour ce qui est de la Russie, nous envoyons régulièrement des bateaux de la Marine nationale en mer Noire. Nous avons bien sûr des contacts avec la marine turque, et avec la Bulgarie, la Roumanie et la Géorgie, où nous faisons des escales. Nous voulons rappeler que c'est une zone internationale. La convention de Montreux fixe les règles de passage dans les détroits et nous les mettons en œuvre afin de bien montrer que nous allons quand nous le voulons en mer Noire : ce n'est pas une mer fermée. L'OTAN aussi fait avec ses bateaux des escales régulières en groupe dans cette zone. Il n'y a pas d'agressivité particulière avec la Russie en mer Noire ; de même, lorsque nous sommes au large de la Syrie, la marine et l'aviation russes sont présentes. Des avions viennent à la rencontre des nôtres, il y a parfois des marquages de bateaux, mais cela reste conforme aux règles d'usage. Mais nous sommes face à un acteur assez opportuniste : partout où l'Occident se désengage, la Russie est présente. Nous l'avons constaté sur le théâtre syrien, nous le constatons sur le théâtre libyen. Partout où nous cesserons d'aller, les Russes seront là. Par tradition, la Russie était déjà intéressée par la Méditerranée ; c'était déjà le cas du temps de la guerre froide : sa flotte était présente au mouillage devant la Libye, mais elle entretenait également des coopérations avec l'Égypte, l'Algérie ou la Syrie, dont les équipements sont d'origine soviétiques. D'autres acteurs comme la Chine seront dans la même logique pour des raisons économiques pour l'instant.

Monsieur Ferrara, vous m'avez interrogé sur la ZEE chypriote, notamment au sujet des oléoducs et des gazoducs. Dans cette compétition, tout le problème est de faire reconnaître ses droits, mais la finalité est clairement financière : comment redistribuer ou se partager, cette manne ? Ce gaz doit-il se rendre via la Turquie et vers la Russie ou bien directement vers l'Union européenne. L'accord en cours de négociation entre l'Égypte, Israël, la Grèce et Chypre, privilégie une option directe par gazoduc vers l'union européenne. C'est une question stratégique très vaste. Ma préoccupation d'aujourd'hui est de savoir comment ne pas surenchérir militairement, tout en refusant le fait accompli, pour laisser le temps à la négociation politique et économique.

Madame Mirallès, vous m'avez interrogé sur la mission Sophia, le sauvetage des migrants et l'évolution de la position italienne sur l'accueil des migrants. Avons-nous les moyens d'agir seuls ? Non, nous n'en sommes pas capables. Bien que les chiffres aient diminué, les différents moyens, étatiques ou d'ONG, ont recueilli plus de 11 000 migrants en Méditerranée centrale en 2019. Mais plus que le manque de moyens maritimes, c'est le devenir des migrants une fois ramenés en sécurité à terre, et donc leur répartition entre États européens, qui pose problème. C'est une affaire de sauvetage en mer qui se transforme en problème de migrants… Il s'agit d'une question politique et non pas militaire.

Monsieur Blanchet, vous m'avez questionné sur les risques d'attaques terroristes sur les gros paquebots au mouillage. Vous avez décrit le mode opératoire ; heureusement que vous n'êtes pas terroriste !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.