Intervention de Amiral Philippe Dutrieux

Réunion du mercredi 19 février 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Philippe Dutrieux :

Monsieur Marilossian, lors de notre rencontre à Cherbourg l'été dernier, je vous avais parlé des câbles sous-marins. L'activité russe dans la zone est relativement modérée depuis deux ans, après un pic dans les années 2016 et 2017. Actuellement, ce sont une trentaine ou une quarantaine de bateaux qui passent et que nous surveillons, y compris lorsqu'ils mouillent. Après qu'ils ont appareillé, nous organisons régulièrement des contrôles des sites sur lesquels ils ont mouillé sans avoir jusqu'à présent identifié de traces inquiétantes. Je n'ai donc jusqu'à présent jamais eu à tirer de signal d'alerte.

Monsieur Chassaigne, en termes de coordination des moyens et de réaction face à une situation de crise, nous disposons de dispositifs ORSEC standardisés, conçus pour se coordonner avec ceux des préfets de département, de manière à ce que nous puissions discuter et à ce que la montée en puissance d'un dispositif ORSEC maritime n'entraîne pas systématiquement la montée en puissance d'un dispositif ORSEC terrestre ; si ce dernier doit monter en puissance, il doit pouvoir le faire de manière coordonnée.

Pour les cas d'accident sur un navire nécessitant une assistance en mer, il faut savoir que nous sommes en permanence au niveau ORSEC 1, ce qui signifie que les alertes sont tenues ; nous pouvons ensuite passer en ORSEC 2 et en ORSEC 3, pour lequel nous mobilisons une équipe de gestion de crise, qui sera localisée à la préfecture maritime. En parallèle, une équipe de gestion de l'intervention sera positionnée au sein du centre opérationnel concerné par l'opération (CROSS ou COM). Ainsi, dans une intervention standard, la coordination tactique des moyens sera menée par l'équipe de gestion de l'intervention, avec un commandant tactique sur zone, qui est la plupart du temps un commandant de bateau, tandis que l'équipe de gestion de crise, en préfecture maritime, a pour mission de dégager l'équipe de gestion d'intervention de tout ce qui relève de la pression médiatique, de la coordination avec les organismes centraux parisiens ou de la sollicitation des renforts, en fonction des demandes de l'équipe de gestion de l'intervention.

Cette structure monte en puissance en fonction de l'événement, et nous déroulons régulièrement des exercices, notamment deux exercices de grande ampleur que nous devons effectuer chaque année pour activer l'ensemble de la chaîne. Pour ma part, j'assume les fonctions de directeur des opérations de secours (DOS).

Monsieur Baudu, le continuum entre sécurité intérieure et sécurité maritime correspond au continuum terre-mer sur lequel nous travaillons en permanence, à l'occasion de tous nos exercices mais également dans le cadre des relations que j'ai souhaité renforcer avec toutes les forces de sécurité intérieure. C'est souvent sous la pression de l'événement qu'on renforce ces coopérations ; et cet événement, au cours de ces derniers mois, s'est surtout matérialisé dans la question migratoire et tous ces migrants qui veulent quitter le territoire français. J'ai été personnellement à maintes reprises, parfois la nuit, en relation avec le préfet du Pas-de-Calais pour échanger sur ce qui ce qui se passait de son côté, à terre, et du mien, sur mer.

Ce continuum entre terre et mer, entre les opérations maritimes et les opérations intérieures, je le vis donc au quotidien et il ne me pose guère de difficulté. J'imagine que les retours d'expérience qui en découlent doivent innerver les réflexions actuelles menées dans le cadre de l'élaboration du livre blanc sur la sécurité intérieure.

Quoi qu'il en soit, sur le terrain, la pression de l'événement nous oblige à nous mettre en ordre de bataille, ce à quoi nous parvenons, même si les débuts sont toujours marqués par des tâtonnements. Mais, lorsqu'on partage un intérêt commun, il n'y a pas de place pour les états d'âme, c'est toujours l'intérêt collectif qui prévaut.

Madame Bono-Vandorme, l'exercice TERRAPIN s'est bien déroulé, et je suis très heureux que vous l'ayez suivi. Il a été riche en retours d'expérience, parce que nous avons activé des cellules de gestion de crise et de gestion de l'événement à tous les niveaux. Rien que le fait d'identifier les correspondants est une chose qui n'est pas forcément évidente, mais nous y sommes parvenus.

Nous prévoyons à l'automne un exercice Antifer, au large de la Seine-Maritime, et nous comptons y associer les Britanniques, de manière à pouvoir voir jusqu'à quel point ils sont prêts à participer. L'une de nos préoccupations majeures est de pouvoir, en cas de crise terroriste en Manche, agir de concert avec nos partenaires britanniques, dans la mesure où nos intérêts sont mêlés, qu'il s'agisse d'un navire britannique ou français, dans les eaux britanniques ou françaises, transportant des passagers de l'une ou l'autre nationalité. Compte tenu de cette imbrication, il est indispensable que nous puissions nous préparer et être prêts à décider qui prendra le lead d'une éventuelle opération.

Monsieur Thiériot, je ne saurais vous dire si l'on démine plus aujourd'hui qu'il y a vingt-cinq ans, mais je peux vous dire qu'on démine beaucoup – on démine probablement davantage parce que, même si le stock diminue heureusement, année après année, au fil des neutralisations, nos moyens actuels de détection sont assez performants pour nous donner une meilleure cartographie des fonds, d'autant que les travaux auxquels vous avez participé il y a vingt-cinq ans ont contribué à améliorer notre connaissance de ces fonds. Quoi qu'il en soit, ce sont entre vingt et trente tonnes d'équivalent TNT qui sont neutralisées, chaque année.

Quant au risque terroriste, jamais je ne prétendrai qu'il n'existe pas dans un détroit comme celui du pas de Calais. C'est un détroit évidemment extrêmement surveillé, et y mouiller des mines implique d'avoir un comportement qui ne manquerait pas d'attirer notre attention ; j'espère donc que nous le détecterions. Mais la mine, c'est l'arme du pauvre : on peut même prétendre qu'on a miné un lieu sans l'avoir fait, ce qui déclenchera quand même de longues opérations de recherche qui peuvent paralyser le trafic maritime pour un moment.

Monsieur Lassalle. Je vous remercie pour les mots que vous avez eus à mon endroit. Le pas de Calais est en effet une véritable autoroute de la mer ; c'est même un croisement d'autoroutes, mais sans carrefour aménagé… D'où la difficulté. Aucune autre organisation que celle qui existe n'est envisagée, le principe, en mer, étant celui de la liberté de navigation.

J'ai beaucoup d'admiration pour les commandants de ferries qui traversent la Manche et organisent eux-mêmes leur anticollision. Ce sont de grands professionnels, puisqu'il n'y a pas eu d'accidents impliquant des ferries ces dernières années. Or, à mes yeux, lorsqu'il y a du vent, chaque opération d'appareillage ou d'accostage d'un ferry est une opération qui vaut largement un appontage ou un décollage depuis un porte-avions.

Pour ce qui concerne le Brexit, je sors un peu de mon périmètre de responsabilités, mais je sais que des simulations ont été faites à terre dans l'hypothèse d'un Brexit nécessitant des contrôles. C'est le préfet du Nord, préfet de la région Hauts-de-France qui a été mandaté pour évaluer la situation dans les grands ports ; mais, à ma connaissance, les dispositions ont été prises pour que le trafic soit le plus fluide possible, quand bien même il faudrait mettre en place des contrôles douaniers et, surtout, des contrôles sanitaires.

Monsieur Jacques, oui, il nous faut des drones et même, comme l'a dit le chef d'état-major de la Marine, un drone par bateau. Cela donne une allonge considérable aux bateaux en termes de surveillance et permet des économies par ailleurs : actuellement, pour un migrant signalé en difficulté, il faut parfois faire voler un hélicoptère. Ce dernier reste indispensable pour treuiller s'il n'y a pas de moyens nautiques sur zone mais, dans le cas contraire, un drone pourrait suffire, ce qui éviterait de faire voler nos hélicoptères. Si les cinq patrouilleurs de la Marine nationale ou de la gendarmerie maritime positionnés dans la Manche disposaient chacun d'un drone, ils seraient autrement plus performants en termes de couverture de zone. Les drones sont donc bien les outils dont il faut désormais doter nos capacités navales et même nos sémaphores, pour leur donner une allonge supplémentaire.

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