Intervention de Amiral Philippe Dutrieux

Réunion du mercredi 19 février 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Philippe Dutrieux :

Monsieur de la Verpillière, notre façade maritime, particulièrement riche en ressources halieutiques, se caractérise également par un important développement de la pêche. Celle-ci est pour une grande part le fait de petits bateaux : 70 % font moins de douze mètres. Mais nous avons également une quarantaine d'unités qui pratiquent la pêche au large ou la grande pêche et qui seraient donc les premiers pénalisés si la zone économique exclusive britannique venait à se fermer – ce que, bien entendu, je ne souhaite pas.

Il y a, de mémoire, entre 2 500 et 3 000 pêcheurs sur notre façade, pour une activité économique qui, de mémoire encore, se monte à 240 millions d'euros environ pour la pêche sur la façade. Mais il faut également ajouter à cela toute la filière de traitement du poisson, notamment à Boulogne, premier port de pêche du pays, qui abrite un des plus importantes criées et des entreprises de retraitement, où sont débarquées environ 50 000 tonnes de poissons chaque année, dont une partie en provenance du Royaume-Uni. J'espère donc que, demain, tout continuera comme aujourd'hui, que les pêcheurs français iront toujours pêcher en zone économique exclusive britannique et que les Britanniques débarqueront toujours leurs produits dans les ports et les criées françaises. Tout cela doit se négocier dans le cadre des discussions menées à l'échelle européenne.

En ce qui concerne nos moyens de remorquage lourds, nous avons deux remorqueurs d'intervention, d'assistance et de sauvetage, l' Abeille Liberté à Cherbourg et l' Abeille Languedoc à Boulogne. Affrétés par la Marine nationale, ils sont en alerte permanente et peuvent appareiller en quarante minutes. Ce sont un des outils majeurs du préfet maritime en cas de risque avéré, puisque le préfet maritime a le pouvoir, face à un bateau qui représenterait un danger, de mettre en demeure d'agir l'armateur et de se substituer à lui s'il ne réagit pas dans les délais prescrits, pour remorquer le bateau et le mettre en sécurité.

Pour ce qui est des satellites, ce n'est pas un secret : nous y avons recours pour surveiller notre zone. Nous utilisons en particulier les satellites de l'EMSA – European Maritime Safety Agency – qui passent régulièrement et nous signalent les traces de pollution qu'ils détectent, à charge pour nous d'aller vérifier s'il s'agit ou non d'une fausse alerte. C'est à eux également que l'on doit les cartes établissant les routes du trafic commercial.

L'évolution du recrutement dans la marine, enfin, est un vrai sujet de préoccupation. Le métier de marin est atypique et n'attire pas nécessairement spontanément nos jeunes : appareiller pour des missions qui peuvent durer de trois à quatre mois, c'est nécessairement se couper de ses liens familiaux. C'est pourquoi nous faisons en sorte, de plus en plus, de maintenir ces liens grâce aux réseaux informatiques, aux réseaux sociaux, afin que les recrues n'aient plus le sentiment d'être des expatriés. À Cherbourg, nous avons également obtenu tout récemment l'autorisation du directeur du personnel de la marine de faire du recrutement local, c'est-à-dire que nous garantissons aux jeunes engagés que leur première affectation – et donc leurs trois premières années dans la marine – sera à Cherbourg, avant qu'ils puissent ensuite être mutés ailleurs.

Le renouvellement des contrats est également une réelle préoccupation. D'où le plan famille, destiné à montrer aux marins que l'on se soucie non seulement d'eux mais également de leurs familles, que nous avons à cœur d'accompagner autant que possible. Nous faisons donc de vrais efforts pour maintenir le volontariat dans l'engagement, le renouvellement et l'embarquement.

Madame Michel, en ce qui concerne les accords de pêche, nous vérifions si la pêche effectuée par les bateaux est conforme aux taux de capture autorisés par l'Union européenne, si les poissons ne sont pas sous taille et si les moyens utilisés sont légaux. Nous nous référons pour ce faire aux directives publiées chaque année, qui varient en fonction des différentes espèces. De son côté, l'Union européenne procède également à ses propres contrôles, grâce à son bateau, le Lundy Sentinel, que nous voyons régulièrement croiser en Manche.

Madame Bureau-Bonnard, le problème de la pollution dans la Manche a vraiment été pris à bras-le-corps depuis plusieurs années, grâce en particulier à l'organisation d'une réponse judiciaire. Il y a notamment au Havre une juridiction spécialisée qui traite des cas de pollution volontaire. Fort heureusement, depuis que j'ai pris mes fonctions il y a un an et demi, nous n'avons pas identifié de pollution volontaire – je veux parler d'un bateau qui dégazerait ou nettoierait ses soutes en laissant les déchets derrière lui.

En revanche, nous connaissons une centaine d'épisodes de pollution malencontreuse chaque année, essentiellement en bordure de côte, pendant la saison de la plaisance. Ils sont liés principalement à des nourrices mal connectées ou à des fonds de cale qui se déversent à la mer lorsqu'on reprend son bateau, mais ce sont des pollutions dues à des hydrocarbures légers, qui s'évaporent lorsqu'ils sont brassés.

Les moyens que nous déployons en Manche et en mer du Nord, hormis les remorqueurs d'intervention, d'assistance et de sauvetage et le bâtiment de soutien, d'assistance et de dépollution l' Argonaute, sont globalement légers par rapport à ceux de la Marine nationale : un patrouilleur de service public, c'est entre 300 et 350 tonnes, donc très en deçà d'une frégate. Et les deux patrouilleurs de la gendarmerie maritime, l' Athos et l' Arami s, jadis affectés à la surveillance du centre d'essais des Landes sont en bois et ont 40 ans d'âge : autant dire qu'ils ne sont pas au mieux de leur forme ! Cela est à mettre au rang des points négatifs, mais nous ne boudons cependant pas ces renforts, d'autant qu'ils devraient être remplacés à l'horizon 2022 – j'ai insisté sur cette nécessité, qui a parfaitement été entendue par l'état-major de la Marine et par le ministère des Armées.

Numériquement, je n'ai donc pas à me plaindre des moyens en Manche, dont nous avons su optimiser l'efficacité. Outre les deux patrouilleurs dont je viens de parler et dont le remplacement est prévu dans l'actuelle loi de programmation militaire, les trois patrouilleurs de service public de 22 ou 23 ans d'âge basés à Cherbourg seront remplacés dans le cadre de la prochaine loi de programmation – l'actuelle LPM ayant permis le remplacement des patrouilleurs outre-mer, ce sera au tour des patrouilleurs métropolitains ensuite. Ils seront également dotés de capacités supplémentaires – drones, systèmes de vision nocturne infrarouge – adaptées aux technologies de notre temps.

Je n'ai aucune inquiétude enfin sur notre coopération avec les pays voisins, la Grande-Bretagne ou la Belgique. Nous partons du principe que celui qui nous aide aujourd'hui sera peut-être celui que nous aiderons demain. C'est notre intérêt commun.

Monsieur Pueyo, de nombreux migrants tentent certes la traversée de la Manche dans des petites embarcations, mais la pression migratoire s'exerce surtout au niveau des terminaux des ferries. J'ai dit qu'ils étaient mieux protégés, mais ça n'empêche pas les migrants de tenter encore et toujours de s'embarquer sur les camions qui traversent. Je ne dispose pas directement des chiffres, mais le préfet du Pas-de-Calais parle de dix à onze mille personnes par an, là où nous parlons, nous, de deux mille cinq cents personnes : on n'est pas dans le trait de plume, mais très loin toutefois de la pression que subissent les moyens routiers.

Des migrants sont en effet arrivés à Ouistreham, mais, à ma connaissance, aucun encore n'a tenté la traversée par des moyens légers. Je pense que cela s'explique par le facteur d'opportunité : les falaises de Douvres sont visibles en journée depuis le département du Pas-de-Calais, alors qu'on ne voit rien depuis Ouistreham. Une traversée exigerait des moyens beaucoup plus lourds et impliquerait de la part des passeurs une grosse organisation. Dans le pas de Calais, le passeur ne prend aucun risque : il se garde bien de monter dans l'embarcation et se contente de confier la barre à celui des migrants qui lui semble le mieux qualifié, en lui disant de viser le mat avec les feux rouges situés devant Douvres. S'il partait de Ouistreham, il faudrait monter à bord et courir le risque d'une interception : ce serait autre chose…

Quant au nombre de migrants qui parviennent à passer, je ne peux évidemment pas vous le donner, mais je suis persuadé que certains réussissent la traversée et qu'on ne les voit pas passer, parce qu'il y a des dizaines de kilomètres de côtes à surveiller. Ce sont souvent des pêcheurs, des plaisanciers ou des ferries qui nous signalent des embarcations, quand ce ne sont pas les occupants eux-mêmes des embarcations en détresse. Je ne peux vous garantir que notre dispositif est étanche, car nous n'en avons pas les moyens.

Quant à moi, je ne peux malheureusement faire que du sauvetage. Je n'empêche pas les migrants de partir, c'est sur la côte qu'on doit les en empêcher. Je continuerai donc à faire du sauvetage.

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