Intervention de le capitaine de vaisseau Bruno

Réunion du mercredi 26 février 2020 à 9h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

le capitaine de vaisseau Bruno :

Je ne suis pas un spécialiste de l'ordre de bataille de la marine turque, mais c'est quand même une belle marine. Je retiens que c'est la huitième mondiale et la quatrième européenne. Ils ont 51 000 hommes, soixante-quinze avions, dix-neuf frégates, sept corvettes, quatorze sous-marins et 108 vedettes rapides. La centaine de bâtiments que je mentionnais s'explique en grande partie par le nombre de vedettes rapides. C'est essentiellement une marine côtière mais une marine qui se modernise. Ils n'ont pas toutes les capacités, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de porte-avions, pas de sous-marins à propulsion nucléaire, mais ils construisent des bâtiments de débarquement. Ils ont un important projet de construction de bâtiment amphibie, un projet de destroyers de 7 000 tonnes. Il est question d'en construire six pour une mise en service après 2027. Ils ont un projet de deux frégates de 3 000 tonnes, de quatre frégates de type Istanbul pour une mise en service à partir de 2021.

Le pays s'arme, ce qui me paraît conforme à la nature du pouvoir. Si le président estime qu'il a une position à tenir ou s'il veut reconquérir une position d'influence, compte tenu du mode d'organisation du pouvoir en Turquie, il est facile de décider de mettre la priorité sur l'armement. Cela n'empêche pas la contestation en interne, mais cela ne me surprend pas.

Ils ont des projets de modernisation des sous-marins, ils envisagent de construire eux-mêmes des sous-marins. La dynamique est quand même assez intéressante. Ce n'est pas une marine qui fait de la figuration. Ils naviguent pas mal, connaissent bien la région et la maîtrisent. Leur posture politique est assez claire. Je l'expliquais à demi-mot s'agissant de l'utilisation des zones sous-marine et de l'appui à la prospection pétrolière, mais je vais entrer dans les détails.

En matière de prospection pétrolière, il y a d'abord la phase de prospection sismique destinée à évaluer la richesse du sous-sol : elle consiste à faire des rails de relevés sismiques. Ils ont aidé leurs bâtiments à le faire. Vient ensuite la phase d'exploration où il faut forer. Si le forage est fructueux, on peut passer à la phase d'exploitation. Pour ces phases, Ankara dépêche des frégates pour protéger en surface le bâtiment à positionner sur le point de forage d'exploration et réserve de l'eau pour faire patrouiller un sous-marin en dessous. Quand nous demandons de l'eau pour mettre à l'eau des engins ou faire naviguer des sous-marins, les Turcs répondent que ce n'est pas possible, nous obligeant à négocier, au sein de l'OTAN. Des procédures sont prévues à cet effet : il existe des mécanismes de prévention des interférences mutuelles qui ont pour objet d'organiser le partage du volume sous-marin et de garantir la sécurité de mise en œuvre des sous-marins de l'OTAN. Le principe est de déclarer votre intention d'occuper un volume sous-marin et de réserver de l'eau. En revanche, si vous n'y mettez personne et si je souhaite faire naviguer un sous-marin, il faut trouver un accord. Nous trouvons un accord qui maintient tout de même une zone d'activité sous-marine sous le bâtiment opérant le forage d'exploration, mais elle est insignifiante, si réduite que le sous-marin est contraint de naviguer en rond en permanence. Il met la barre à droite 20 degrés et n'en sort pas. De plus, il n'a pas d'eau pour y aller et il doit y aller en surface pour y plonger.

Quand on fait remarquer cette curiosité à nos camarades militaires turcs, ils répondent : « c'est vrai, cela n'a pas beaucoup de sens, mais c'est une directive politique ». Ils ne font pas de la figuration et ils sont guidés par une directive politique assez claire – défendre les intérêts turcs. Tout porte à croire qu'à défaut d'accord politique sur les sujets où nous sommes en désaccord ou en compétition, voire en confrontation, il pourrait y avoir un peu de tôle froissée. La volonté politique qui se traduit par la politique d'armement que j'ai brièvement décrite ajoutée à la volonté politique qui se traduit par une politique de comportement nous donnent à réfléchir, ici, à Paris.

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