La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
Mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui la dernière séance de notre cycle géopolitique dont l'ordre du jour est consacré au Proche-Orient, à la Méditerranée et à son pourtour.
Pour nous en parler, nous avons le plaisir de recevoir le colonel Jérôme, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), qui brossera un tableau de l'ensemble des pays de la zone, du Maroc jusqu'au Liban. Le capitaine de vaisseau Bruno, de l'état-major de la marine, se concentrera sur la problématique maritime autour de Chypre et le colonel Guillaume, du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), détaillera les actions de la Russie et de la Turquie dans cette zone.
Vous le savez, mes chers collègues, la zone du Proche-Orient et de la Méditerranée est cruciale pour notre sécurité et celle de l'Europe.
Nous suivons actuellement avec inquiétude l'évolution de la situation en Syrie, où l'offensive du régime de Bachar el-Assad et de ses alliés dans la région fait courir le risque d'une catastrophe humanitaire majeure susceptible de créer trois millions de nouveaux réfugiés.
En Libye, les affrontements entre les troupes de Fayez el-Sarraj et celles du maréchal Khalifa Haftar déstabilisent encore davantage le pays et incitent encore plus les migrants qui y sont bloqués à entreprendre au péril de leur vie la traversée de la Méditerranée.
De plus, la richesse de la Méditerranée orientale (MEDOR) en gaz a conduit à une forte compétition entre les pays de la région qui s'approprient ces ressources, en particulier la Turquie, la République de Chypre, l'Égypte et Israël.
Comme nous l'avons vu lors de l'audition du vice-amiral d'escadre Laurent Isnard, préfet maritime de Méditerranée, il y a deux semaines, la Turquie entreprend de nombreuses actions propres à accroître dangereusement les tensions. Ont été évoqués les exemples du harcèlement par la marine turque des navires de forage dans la zone économique exclusive (ZEE) chypriote et de l'accord conclu par la Turquie, contrairement au droit international, avec le gouvernement libyen sur la délimitation du plateau continental turc et libyen.
Nous avons déployé à plusieurs reprises des moyens de réassurance auprès de nos partenaires chypriotes, comme en atteste l'escale de notre groupe aéronaval à Limassol, au début de ce mois. Ces actions turques ne sont que les dernières en date dans une longue histoire de tensions entre Chypre et la Turquie. Cette dernière occupe en effet militairement la partie nord de Chypre depuis 1974.
La Turquie n'est cependant pas la seule grande puissance à s'intéresser de près à cette zone. La Russie, y est également très présente, en particulier depuis son intervention en Syrie en 2015. Elle soutient bien sûr le régime de Bachar el-Assad et profite des installations militaires du pays, comme la base navale de Tartous, pour projeter sa puissance dans le reste de la région, mais elle est également très active auprès du maréchal Haftar en Libye et du maréchal al-Sissi en Égypte, sans compter ses initiatives diplomatiques auprès de l'Algérie.
Nous avons également suivi avec attention la proposition de plan de paix faite par le président américain Donald Trump aux parties prenantes du conflit israélo-palestinien. Cet accord prévoit de reconnaître Jérusalem comme capitale de l'État d'Israël, mais aussi de rendre officielle et définitive la colonie d'Israël en Cisjordanie et de laisser à Israël le contrôle de la vallée du Jourdain.
Ce plan a suscité des réserves de la France, pour qui il importe de proposer aux parties prenantes de ce conflit des solutions mutuellement acceptables. La Jordanie demeure, pour sa part, menacée par le terrorisme islamiste. Le roi Abdallah II a exprimé le mois dernier son inquiétude quant à la résurgence de l'État islamiste en Irak et en Syrie.
Enfin, le Liban et l'Algérie sont le théâtre de manifestations contre leurs gouvernements respectifs. Si ces contestations trouvent leur origine dans des situations différentes, elles ont en commun de faire planer l'incertitude sur la direction politique que prendront ces pays à l'avenir.
Nos invités vont donc nous éclairer par leurs propos, après quoi, mes chers collègues, vous pourrez bien entendu leur poser des questions.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, merci de me fournir l'occasion de partager avec vous notre appréciation de la situation politico-militaire en Afrique du Nord et au Proche-Orient.
La Méditerranée, parce que nous en sommes riverains, parce qu'elle est la matrice de notre civilisation, parce que nous y avons de nombreux ressortissants, touche directement nos intérêts stratégiques et de sécurité. Elle concentre les défis de notre époque, tels que la poursuite des printemps arabes, l'affirmation du jeu des puissances, grandes ou émergentes, la solidité et la détermination des alliances. Elle met en exergue de nombreux enjeux liés à la résolution des conflits qui parsèment son pourtour, enjeux liés à la gouvernance des États, enjeux énergétiques ou migratoires.
Mon propos se limitera aux pays de la rive sud, soit du Maghreb au Levant, m'obligeant parfois à balayer rapidement certains aspects.
Commençons par l'Algérie, qui est à un tournant de son histoire. Après un an de Hirak, les manifestations populaires en Algérie, qui ont eu raison du système Bouteflika, la transition s'est opérée du point de vue sécuritaire dans de bonnes conditions. Les nouvelles autorités montrent des signes d'ouverture aux revendications de la rue en promettant une révision de la Constitution ou le recours au référendum populaire, en affirmant une volonté de moralisation de la vie politique et de diversification économique. Comme gage plus immédiat, les nouvelles autorités ont procédé à la libération des manifestants et ont montré une position plus rassembleuse vis-à-vis de la Kabylie.
Le système FLN contrôle néanmoins les principaux leviers du pouvoir et ne peut disparaître brutalement sans faire basculer le pays dans le chaos. De fait, la place de l'armée reste prépondérante, mais les nouvelles autorités militaires, après le décès du chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, se montrent moins directement présentes dans l'appareil du pouvoir.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que l'Algérie cherche à recouvrer un rôle diplomatique régional plus affirmé, en particulier sur le dossier libyen, ce qui a justifié sa participation à la conférence de Berlin.
Je passe rapidement, mais nous pourrons y revenir, sur le Maroc et la Tunisie.
Le Maroc reste un pôle de stabilité et entretient avec la France une relation de défense riche. L'évolution de la situation en Algérie y est bien évidemment observée avec la plus grande attention, tant par les autorités que par la population, que le Hirak algérien pourrait inspirer à nouveau.
La réapparition du fait terroriste, par l'assassinat de deux campeuses suédoises au sud de Marrakech, est une réalité que les autorités marocaines s'attachent à juguler au plus tôt en procédant au démantèlement de cellules clandestines liées à l'État islamique.
Dans ce contexte, la coopération est étroite avec les pays européens. Nous retrouvons cette étroite coopération dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine.
Enfin, le Maroc constitue un relais appréciable dans l'appui aux pays du Sahel en formant de nombreux cadres militaires subsahariens : environ mille par an.
Dans ce paysage maghrébin, la Tunisie flotte dans l'incertitude politique depuis le décès du président Essebsi en juillet dernier et la séquence électorale qui a suivi. Cette année 2020 sera décisive. Le nouveau gouvernement qui devrait être confirmé ce matin par l' Assemblée tunisienne devra s'attacher sans tarder à de nombreuses réformes économiques qui pourront susciter un nouveau tour de manifestations sociales parfois violentes. Si la menace du terrorisme intérieur semble maîtrisée, la Tunisie réussit juste à éviter l'importation de la situation délétère en Libye.
Cela me conduit à évoquer la Libye. La Libye est progressivement devenue un terrain d'influence et d'affrontement pour les puissances étrangères qui cherchent à s'imposer sur les plans politique, militaire et économique.
On y trouve l'antagonisme des Émirats arabes unis qui cherchent à lutter, aux côtés de l'Égypte, de l'Arabie Saoudite et au profit du maréchal Haftar, contre l'influence de l'islam politique portée par la Turquie et, dans une moindre mesure par le Qatar, au profit du gouvernement d'entente nationale de Tripoli.
On y retrouve une Russie opportuniste œuvrant aux côtés du camp Haftar, espérant récupérer à terme un accès aux ressources en hydrocarbures.
C'est également un tremplin - nous le verrons dans les prochaines interventions - pour la projection des ambitions russes et turques en Méditerranée, en Afrique du Nord ou subsaharienne.
Sur le terrain, la situation militaire est globalement figée depuis avril dernier, c'est-à-dire quelques jours après le début de l'offensive en tripolitaine. L'appui logistique turc au gouvernement d'entente nationale a été initialement conçu pour rétablir un équilibre militaire afin de forcer le dialogue politique entre les deux camps. Il a permis l'établissement, le 12 janvier, d'un cessez-le-feu, qui était un préalable à la conférence de Berlin du 19 janvier. Il est depuis régulièrement transgressé, même si l'ampleur des combats autour de Tripoli reste limitée du fait de la perte de la supériorité aérienne par le camp Haftar, ce qui l'a contraint à reporter son effort sur d'autres zones pour prendre de nouveaux gages territoriaux, en particulier à Syrte, et en avançant vers Misrata. La perspective d'une conquête de Tripoli par Haftar n'est cependant pas à écarter, éventuellement sans combat.
La conférence de Berlin, plus qu'une réussite, est une étape importante qui a permis à la communauté internationale de poser à nouveau des jalons d'action politique, économique et sécuritaire pour une résolution du conflit.
La raison première de l'intervention d'Haftar - la question du démantèlement des milices en Tripolitaine - continue de faire débat, y compris au sein du gouvernement d'entente nationale qui est, d'une certaine manière, l'otage de ces mêmes milices. Cette question bloque pour l'instant les progrès de la commission militaire mixte, dont les deux premières sessions à Genève ont seulement permis un accord sur la création de quelques groupes de travail sur la démobilisation ou l'identification de certains groupes armés terroristes. De son côté, la commission civile interlibyenne, c'est-à-dire le volet politique, qui regroupe une quarantaine de parlementaires et de membres de la société civile, peine à identifier tous ses participants.
Quelques points positifs cependant sont à noter. Le dialogue économique libyen se déroule correctement. Il s'est réuni dernièrement pour la deuxième fois au Caire. Par ailleurs, le comité de suivi international, qui regroupe tous les pays participants à la conférence de Berlin, permettra de mieux mesurer et de mettre en valeur les progrès du règlement de la question libyenne. Enfin, le vote récent des deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, qui ont renouvelé le régime de sanctions et l'embargo pétrolier, la résolution 2509 et la résolution 2510 endossant les résultats de la conférence de Berlin, ont également constitué un progrès dans la mesure où la Russie n'y a pas fait obstruction.
Nous avons peu parlé de l'Égypte, qui est concernée directement par la menace que fait peser à sa frontière l'instabilité libyenne.
L'Égypte s'emploie à juguler tout risque de débordement pouvant atteindre sa stabilité retrouvée et sa croissance forte - + 6 %, l'année dernière -, même si de nombreuses fragilités, notamment démographiques et économiques, hypothèquent le moyen terme.
C'est pourquoi l'Égypte s'investit tant dans le règlement de la crise en Libye, d'abord, en s'attachant à sécuriser sa frontière occidentale pour empêcher l'infiltration de jihadistes et la contrebande d'armements à destination du Sinaï. Elle s'oppose aussi à l'installation en Libye d'un pouvoir lié aux Frères musulmans en soutenant le camp Haftar sur lequel elle a cependant beaucoup perdu de ses leviers d'influence. En conséquence, elle se fait beaucoup plus active dans les négociations politiques de sortie du conflit et elle s'associe de très près aux démarches engagées par la France.
Sa médiation sur la réunification de l'armée nationale libyenne avait pourtant été un succès en 2018. Elle a poursuivi en organisant des rencontres de représentants civils des deux camps. Elle a également réussi à réintroduire l'Union africaine dans le processus de règlement.
L'Égypte est bien sûr active sur la question palestinienne. L'instabilité à Gaza alimente et est alimentée par celle au Sinaï, du fait des trafics et des interactions entre mouvements jihadistes. L'Égypte assure une médiation cruciale à plusieurs niveaux entre les autorités palestiniennes, les autorités israéliennes et le Hamas.
L'Égypte ne se veut plus seulement comme la grande puissance arabe, mais aussi comme une puissance qui compte en Méditerranée. La découverte de gisements de gaz l'a conduite à rejoindre l' Eastern Mediterranean Gas Forum ; elle opère pour cela un net rapprochement stratégique avec la Grèce et Chypre, notamment au moyen de ses nouvelles capacités navales.
Enfin, l'Égypte veut à nouveau peser en Afrique, après une année de présidence de l'Union africaine orientée vers le développement des infrastructures et le commerce.
J'en viens à Israël et au plan de paix.
Le plan de paix, qui a été présenté le 28 janvier dernier après trois années de gestation, voit son ambition réduite à une « vision » proposant les bases d'une négociation. Il ne constitue en aucun cas un état final. Après une période de sidération, les parties prenantes se mettent en ordre de bataille. Le Conseil de sécurité a été unanime, y compris du côté américain qui s'est montré plutôt conciliant, pour réaffirmer le soutien à la solution de deux États. De leur côté, les Palestiniens restent sur le qui-vive au regard des risques d'accélération de la colonisation et des annexions. Mais la partie palestinienne est trop divisée. En outre, elle bénéficie d'un soutien trop faible des États arabes qui sont trop dépendants des Américains, voire, pour certains, qui commencent à normaliser leurs relations avec Israël. Seule la Jordanie a pu réaffirmer avec force son opposition à l'annexion de Jérusalem et de la rive occidentale du Jourdain. Elle a seulement été dépassée dans son opposition par des propos plus radicaux de la Turquie ou de l'Iran. Ce plan acte indéniablement des gains politiques pour Israël, mais les autorités ne crient pas victoire trop tôt, malgré le contexte électoral propice à la surenchère sur le sujet, ou dans l'évaluation de la menace extérieure. Israël a en effet vécu une année d'incertitude politique que la prochaine élection, le 2 mars, ne devrait pas lever de manière franche.
Dans ce contexte d'intérim budgétaire et décisionnel, les armées israéliennes commencent à éprouver des difficultés dans la préparation de leur avenir, car la menace extérieure s'est accentuée ces dernières années depuis l'amélioration des capacités de ciblage de précision des missiles balistiques, des missiles de croisière et des drones mis en œuvre l'Iran. Les frappes du 14 septembre contre les installations pétrolières saoudiennes et du 7 janvier dernier contre deux bases américaines en Irak l'ont amplement démontré. Israël est conscient de sa nouvelle vulnérabilité et s'attache à traiter cette menace dès les premiers signes d'émergence. C'est le sens des frappes opérées régulièrement par l'armée de l'air israélienne en Syrie à l'encontre de la présence iranienne.
Dans ce concert de frappes, le Liban apparaît relativement épargné. Le Hezbollah, parmi les destinataires de ses capacités de précision iranienne, préfère s'en tenir à la rhétorique de la résistance et à valoriser sa présence au sein des institutions politiques. Il ne recherche pas le conflit ouvert avec Israël. La composition du nouveau gouvernement libanais souligne le sentiment de déclassement de la communauté sunnite que les manifestations populaires avaient, elles aussi, mis en évidence. Les risques de radicalisation de la rue sunnite et de polarisation autour des clivages confessionnels ne peuvent être exclus, car les réformes nécessaires à la résolution de la crise économique que connaît le Liban seront porteuses de risques pour la stabilité du gouvernement et du pays.
De ce point de vue, les forces armées libanaises ont joué un rôle crucial dans la bonne tenue des protestations. Pourtant l'aide américaine de 105 millions de dollars par an qui est nécessaire à leur action pourrait être remise en question par la Maison Blanche qui considère, au titre de sa lutte contre l'Iran, que les forces armées libanaises sont trop soumises au Hezbollah.
Je terminerai par la Syrie, où nous retrouvons l'affrontement des volontés des puissances impliquées, de façon assez similaire à la situation en Libye.
En 2015 la Russie s'était fixée pour objectif de mettre en échec la stratégie américaine et européenne de soutien à l'opposition au régime de Damas. L'objectif russe ayant été atteint, la Russie cherche maintenant à en recueillir les fruits politiques par le maintien à Damas d'un régime qui lui soit favorable et elle souhaite être également reconnue comme le faiseur d'une paix que l'Occident n'a pas su faire aboutir. Elle cherche à en recueillir les fruits économiques au travers de concessions portuaires ou dans l'exploitation du gaz, y compris en mer. Enfin, elle a acquis un bénéfice stratégique en obtenant une implantation durable de ses forces en Méditerranée orientale. Elle doit cependant composer avec les deux puissances régionales qui entendent faire valoir leurs intérêts, la Turquie et, dans une bien moindre mesure, l'Iran.
La Turquie, elle, a également atteint une partie de ses objectifs en réussissant à mettre en place une zone tampon le long de sa frontière afin d'éloigner la menace kurde. Elle cherche maintenant à éviter de voir la population d'Idlib - il y a déjà un million de personnes déplacées et deux millions en attente de subir le même sort - franchir sa frontière sous la poussée du régime syrien. Le modus vivendi qu'elle avait trouvé avec la Russie depuis 2015 est en grande difficulté, sans qu'une perspective de nouvel accord similaire à celui de Sotchi signé pour la création de zones de désescalade en Syrie, se dégage. L'appui qu'elle procure dorénavant seule aux mouvements insurgés la propulse comme le défenseur le plus engagé de la cause sunnite, au grand dam de l'Arabie saoudite.
Nous sommes donc à l'aube d'une nouvelle bascule stratégique où le recentrage progressif des Américains vers l'Asie laisse le terrain libre à une Russie dont le redressement militaire offre le rôle inespéré d'une alternative crédible à l'Occident aux yeux de nombreux pays de la région. D'autres puissances émergentes peuvent contester localement nos intérêts stratégiques et de sécurité et mettre à l'épreuve la solidarité européenne et au sein de l'OTAN. Nous devrons donc continuer à faire preuve de constance et de cohérence avec nos partenaires au nord et au sud de la Méditerranée.
Monsieur le président, je vous invite à donner la parole à mes deux camarades pour approfondir certains aspects relatifs aux conflits en Méditerranée.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de vous remercier pour l'honneur que vous nous faites de nous inviter à nous exprimer devant votre commission et pour l'intérêt que vous portez à nos travaux. Au centre de planification et de conduite des opérations, mon rôle consiste à proposer des options militaires pour le chef d'état-major des armées au profit du chef des armées, c'est-à-dire le Président de la République, en réponse à toute situation conflictuelle et pour la défense de nos intérêts.
Par conséquent, nous nous intéressons beaucoup à la conflictualité, ce choc de volontés antagonistes parfois si irréconciliables qu'il faut en arriver aux mains. Vous le savez, les raisons de la conflictualité sont aujourd'hui très nombreuses, une des causes résidant dans le tracé des frontières. Si une frontière terrestre peut être marquée physiquement – on peut y ériger des murs ou en interdire le passage -, pour une frontière maritime, c'est un peu plus compliqué. À partir d'un trait de côte bien délimité, un pays dispose, jusqu'à une distance de 12 miles nautiques, soit environ 22 kilomètres, de l'exclusivité des eaux territoriales. Au-delà, il existe une zone de frontières communes, les eaux internationales, que l'on peut librement franchir, où un pays peut revendiquer l'exclusivité des ressources naturelles. Dans cette partie, la conflictualité est assez singulière.
En 1902, Alfred Mahan, historien et stratège naval, disait : « La Méditerranée appartiendra à un seul maître, tombera sous l'hégémonie d'une puissance dominante qui poussera ses avantages dans toutes les directions ou sera le théâtre d'un conflit permanent ». Voyons si tel est devenu le cas.
La Méditerranée est actuellement secouée par deux crises majeures dans lesquelles on ne peut que constater que la Russie et la Turquie jouent un rôle important, complexe et ambigu. Si les raisons de l'implication de la Turquie et de la Russie ne sont pas surprenantes au regard de leurs intérêts sécuritaires, de leurs enjeux de politique intérieure et extérieure dans le bassin méditerranéen et de leur volonté respective de peser sur la scène internationale, la forme de leur implication doit nous interroger quant à la pertinence de notre approche de la résolution de ces crises internationales. Ces acteurs agissent en demeurant sous le seuil du conflit armé, agissent par proxies interposés c'est-à-dire par le biais d'intermédiaires, afin d'avancer masqués et de s'assurer de la non-attribution de leurs actions. Ils pratiquent la politique du fait accompli et demeurent dans une « zone grise ».
Pour faire obstacle à ces compétiteurs stratégiques dans ces fameuses zones grises, nous devons demeurer dans le strict respect des principes du droit international, privilégier la diplomatie et la retenue. Nous n'avançons donc pas avec les mêmes armes ni les mêmes règles du jeu.
Mon propos sera divisé en deux parties. Après avoir évoqué le retour de la diplomatie de la canonnière en Méditerranée, je m'intéresserai aux actions dans les zones grises.
Durant les trois décennies de la guerre froide, de 1955 à 1985, la Méditerranée était l'un des théâtres privilégiés de la compétition Est-Ouest. Puis, à l'issue de la Guerre Froide, on a vu un désengagement unilatéral de la Russie ; dans les faits, pendant les années 1990, la politique russe a été marquée par un sous-investissement diplomatique et militaire, autant en Méditerranée qu'au Moyen-Orient. Toutefois, en 1999, Vladimir Poutine, alors premier ministre de Boris Eltsine, a administré une piqûre de rappel pour signifier que la Russie avait bien vocation à entretenir une présence navale permanente dans les eaux méditerranéennes, ce qui n'a pas tardé à se concrétiser. De leur côté, les pays de la rive sud et est du bassin méditerranéen, traditionnellement tournés vers l'intérieur, n'exprimaient guère d'intérêt militaire pour le bassin méditerranéen. Durant deux décennies, la Méditerranée est donc restée un espace maritime stable non contesté aux nations occidentales. Mais en 2013, comme cela a été dit précédemment, le conflit syrien a catalysé, voire précipité, le réinvestissement russe en Méditerranée. Le groupe naval russe est sorti de la mer Noire en faisant venir une dizaine d'unités de sa flotte en Méditerranée orientale.
Cette présence navale peut être considérée comme légitime compte tenu des intérêts sécuritaires russes, puisque la Méditerranée ouvre accès à la Russie non seulement aux mers chaudes mais aussi au Moyen-Orient, région qu'elle considère comme stratégique dans la mesure où elle estime son flanc méridional comme le plus instable, craignant de voir un islamisme radical se diffuser à travers cette zone par le Caucase. Le problème réside donc principalement dans la façon dont la Russie utilise cet outil de puissance retrouvée en Méditerranée. Face à ce qu'elle a perçu comme un interventionnisme occidental grandissant dans la zone, qu'il s'agisse du Kosovo en 1999, de l'Irak en 2003, de la Libye en 2011 ou des révolutions de couleur, la Russie s'est sentie frustrée de ne disposer que de son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies. Le Kremlin rejette l'ingérence occidentale dans ses affaires et considère que les interventions des Occidentaux dans cette région, loin de contribuer au règlement de la crise, ont plutôt été des facteurs d'instabilité. C'est pourquoi la Russie entend aujourd'hui faire contrepoids à l'influence occidentale dans la région.
Dans cette logique, Moscou a utilisé son outil militaire pour maintenir son soutien à Damas et surtout pour dissuader les puissances occidentales, au premier chef la Turquie, d'imposer un changement de régime en Syrie. Cela s'apparente bien à une diplomatie de la canonnière. Pour nous, cela s'est traduit sur le terrain par la mise en place de bulles de déni d'accès, dites A2AD ( Anti Access Area denial ), et par diverses manœuvres d'intimidation de la part des bâtiments et des aéronefs russes à l'encontre des moyens militaires occidentaux qui s'approcheraient d'un peu trop près de la frontière syrienne.
Du côté de la Turquie, on voit se dessiner une tendance comparable pour des raisons différentes. Chronologiquement, la tentative de coup d'État de 2016 a cristallisé le changement de politique d'Erdogan et accéléré le phénomène de désalignement avec la politique et la stratégie du bloc occidental. Paradoxalement, à l'époque, aucun pays de l'OTAN n'a marqué son soutien à Erdogan suite au coup d'État. Seule la Russie a fait un pas en avant. Ce désalignement turc s'est traduit par un interventionnisme plus marqué dans son environnement régional. La Turquie est un pays riverain membre de l'OTAN et elle est surtout la première puissance maritime de la Méditerranée orientale. Elle a toujours exercé une présence navale légitime dans cette zone, mais le problème réside dans la façon dont Ankara compte utiliser cet outil de puissance. Comme cela a aussi été dit précédemment, la découverte en 2009 d'importants gisements gaziers au large d'Israël a fait de la Méditerranée orientale un enjeu énergétique et stratégique majeur pour les pays riverains, alors qu'auparavant, elle était essentiellement une zone de transit ou un espace de manœuvre militaire. Cet enjeu énergétique a conduit les pays riverains à cadastrer la Méditerranée orientale dans un contexte de revendications de zones économiques exclusives ou de revendications de plateau continental.
Ce cadastrage ne nous pose pas de problème, dans la mesure où, conformément au droit de la mer, les zones économiques exclusives n'apportent aucun changement et ne peuvent contraindre l'activité militaire. Toutefois l'interprétation extensive par la Turquie de la convention de Montego Bay, dont je rappelle qu'elle n'est pas signataire, ainsi que sa position extrême vis-à-vis de pays comme Chypre ou la Grèce, la conduisent à soutenir des revendications de plateau continental totalement déraisonnables et en confrontation directe avec ses voisins. Dès lors, la Turquie, s'appuyant sur sa supériorité navale incontestable dans la région, s'est résolue à appuyer militairement ses revendications. Cela se traduit, depuis plusieurs années, par l'occupation permanente par la marine turque des eaux autour de Chypre, ce qui contraint notre action militaire dans la zone, puisque la Turquie se montre intransigeante et refuse à l'occasion de libérer l'espace concerné par les opérations de prospection gazière au profit de ses alliés pour des activités militaires, y compris pour l'opération Inherent Resolve, au large de la Syrie, à laquelle la Turquie est partie prenante. Cela se traduit également par un accompagnement naval direct des activités d'exploration pétrolière conduites par la Turquie depuis 2018 dans la zone et par des manœuvres d'intimidation, voire d'entrave, à l'encontre de tout autre navire d'exploration ou de forage opérant légitimement. Il n'existe pas réellement de cadre légal pour réprimer ce genre de comportement parfois dangereux, dans la mesure où des navires turcs peuvent être en route de collision vers des navires civils, ce qui est contraire à tous les préceptes occidentaux de respect du droit de la mer et à la charte de l'Alliance atlantique.
En l'absence d'opposition sur le terrain, la Turquie pousse toujours plus loin son avantage et utilise sa présence navale comme cautionnement tacite de droits qu'elle considère légitimes sur les eaux et qu'elle revendique indûment. Elle a même déployé, fin 2019, en République turque de Chypre du Nord, des drones qui peuvent être armés.
Par conséquent, tant la Russie que la Turquie s'inscrivent dans une posture de remise en cause du droit tel qu'il a été établi après la Seconde Guerre mondiale. Elles sont prêtes à employer leur puissance militaire pour appuyer cette posture en faisant fi des fondamentaux du droit de la mer, notamment le principe de libre activité en haute mer.
Cela doit nous interpeller sérieusement, parce qu'il n'y a qu'un pas entre la remise en cause de la liberté en haute mer et la mise en œuvre d'une stratégie de déni d'accès, à l'instar de ce qui est fait par la Chine en mer de Chine. Les moyens militaires d'une telle stratégie sont déjà à la portée de la Russie et ils le seront vraisemblablement assez rapidement pour la Turquie, au regard de la politique de développement militaire accéléré qui est menée par le pouvoir turc. Il y a donc fort à parier que la bascule vers une stratégie de déni d'accès en Méditerranée ne manquera pas de survenir tôt ou tard si rien n'est fait pour s'opposer fermement aux actions militaires malignes de ces compétiteurs stratégiques que sont la Russie et la Turquie en Méditerranée.
J'en arrive à la seconde partie de mon propos, pour m'attarder sur la Libye où l'hybridité, donc l'action en « zone grise », se met au service d'une stratégie d'influence assez décomplexée.
Au-delà du retour de la diplomatie de la canonnière en Méditerranée, la volonté russe de réinvestir la Méditerranée mais également l'Afrique trouvent leur matérialisation dans le conflit libyen.
La crise de Crimée en 2014 a montré sans ambiguïté au reste du monde la volonté et l'absence de scrupules de la Russie de s'appuyer sur des forces paramilitaires et d'utiliser des forces militaires déguisées en vue d'exploiter une situation de fragilité pour obtenir des gains territoriaux. Cela ne doit pas nous surprendre puisque la Libye de Kadhafi a été un des proches alliés de la Russie pendant la guerre froide, et la Russie a su capitaliser sur les liens tissés avec l'appareil militaire libyen pour exploiter l'occasion créée par un détournement occidental d'Haftar. Pour apporter l'appui militaire nécessaire au camp Haftar et contourner l'embargo sur les armes en Libye, la Russie s'appuie sur la société Wagner, une société militaire privée qui défend les intérêts de défense russe tout en jouissant d'une indépendance financière grâce la captation des ressources du pays hôte. Cela permet à la Russie d'agir militairement en toute discrétion, sans contrainte et en n'assumant pas les implications de son action militaire. En Libye, la Turquie a adopté une approche jusqu'à présent inédite pour elle puisque, dans la polarisation des forces en œuvre en Libye, la Turquie soutient, elle, le camp anti-Haftar dont font partie les milices de Misrata. L'entretien des liens historiques avec cette ville, mais surtout l'action turque, ont pris la forme d'un soutien politique puis militaire en violation, dès 2019, de l'embargo sur les armes en Libye. Le président Erdogan assumait politiquement ce soutien militaire, il l'a justifié par un accord de défense signé entre la Libye et la Turquie et a envoyé ses conseillers militaires, puis des combattants. Bien qu'assez engagée, elle a préféré utiliser des combattants syriens moyennant finances. On assiste donc, là encore, à une démarcation de l'action militaire au sens de l'emploi des forces sans leur conférer le statut et à une privatisation de l'emploi de la force armée qui est normalement une prérogative régalienne des États.
La Turquie et la Russie contournent ou mettent à défaut tout cadre normatif international qui a été patiemment construit pour réguler l'emploi de la force armée. Elles se revendiquent d'une action stabilisatrice et cherchent, a contrario, à mettre en défaut l'action de nos propres forces en s'appuyant sur des campagnes de désinformation facilitées par le contrôle total de l'appareil d'État en Russie et en Turquie, ainsi que sur la mainmise sur les organes de presse. Il en résulte pour nous une grande complexité, voire l'impossibilité pour nos forces à agir sur le terrain, quand la diplomatie seule peine à imposer une solution négociée, résolutions du Conseil de sécurité comprises. Le succès de ce type d'action s'est révélé assez probant en Ukraine, aujourd'hui en Syrie, peut-être demain en Libye. Il nous faut, sans attendre, avec nos alliés, nos partenaires et les pays qui partagent la volonté de résoudre ces crises en conformité avec le droit international, réfléchir aux moyens de contrer les stratégies en zone grise et développer des cadres et des mécanismes pour ce faire. Sinon nous assisterons impuissants à l'installation durable à nos portes de ses compétiteurs stratégiques qui menaceront directement nos intérêts.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, merci de nous accueillir. Je suis affecté à l'état-major des opérations de la marine et travaille avec le sous-chef d'état-major des opérations de la marine. Ce dernier a pour mission d'assister le chef du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) dans la conduite de sa mission, d'assister le chef d'état-major de la marine dans l'exercice de ses responsabilités de conseil au chef d'état-major des armées sur l'emploi des forces de la marine, comme de ses responsabilités de préparation des forces de la marine à leur engagement opérationnel. Quelle qu'en soit la forme, celui-ci l'est nécessairement sur ordre du chef des armées et sous le commandement opérationnel du chef d'état-major des armées. responsabilité portée par le CPCO, aujourd'hui incarné par mon camarade le colonel Guillaume.
Dans le prolongement des deux exposés précédents, mon intervention s'inscrira dans une perspective plus maritime : que se passe-t-il en mer ? Je ne reprendrai pas certains éléments que vous avez déjà entendus. Vous l'avez compris, la mer Méditerranée est le théâtre d'intenses problématiques principalement concentrées en Méditerranée orientale. Après une brève analyse du théâtre, j'évoquerai la présence militaire de la Russie en Syrie, celle de la Turquie autour de Chypre, puis de ces deux acteurs en Libye, ce que nous observons, ce que nous en comprenons, avant de tirer quelques conclusions pour la marine.
Du point de vue de la marine, la Méditerranée est une zone de flux et une zone de stocks. Une carte que j'ai préparée vous est projetée dès le début afin d'étayer notre discours.
Il existe deux flux principaux. Le premier est le flux est-ouest d'approvisionnement de l'espace européen à partir de l'espace asiatique ou de renforcement des théâtres du nord de l'océan Indien, à partir de l'Ouest. Dès la première guerre du Golfe, dans les années 1990, un dispositif très lourd d'approvisionnement venait des États-Unis, accompagné par un dispositif de surveillance du flanc sud de la Méditerranée. Le second flux est le flux migratoire résultant de la pression entre le continent africain et l'espace de prospérité européen.
Les stocks sont principalement les stocks de gaz en Méditerranée orientale qui vous ont été signalés par mes camarades.
Parallèlement, il existe des facteurs d'incertitude et d'instabilité relatifs à l'Algérie, à la Libye et la Syrie. Ils ont été décrits par le colonel Jérôme et je n'y reviens pas.
Dans ce théâtre, les missions de la Marine sont d'abord de tenir la mer – nous y reviendrons peut-être dans nos échanges. Tenir la mer demande un effort considérable, parce que ce n'est pas toujours naturel et parce que cela demande des moyens. Cela pour trois grandes missions.
La première est la protection du territoire, moins en Méditerranée orientale que dans le bassin occidental au sud de la France. Il s'agit d'assurer la liberté de manœuvre de nos forces militaires pour assurer la surveillance des côtes, près des côtes, mais aussi loin des côtes, c'est-à-dire jusqu'à Gibraltar et jusqu'au canal de Sicile. Il s'agit aussi de protéger nos intérêts et de défendre notre souveraineté.
La deuxième grande mission est la connaissance et l'anticipation des zones de crise, principalement le canal de Syrie, la Libye, la mer Noire. Dans le canal de Syrie, nous essayons de maintenir en permanence un moyen, ce qui n'est pas toujours facile, soit parce que les moyens sont comptés, soit parce que la zone est contestée. Dans de telles conditions, pour continuer à surveiller, il ne reste plus que les satellites et les sous-marins. Nous avons maintenu la permanence de cette surveillance grâce aux sous-marins.
Le dernier grand volet est l'intervention. De temps en temps, il faut faire un effort particulier pour obtenir un effet décisif dans le déroulé de l'opération, soit avec des frégates ou des sous-marins, soit plus sérieusement avec le groupe aéronaval (GAN). C'est le cas aujourd'hui pour l'opération Chammal et l'opération Inherent Resolve. Engager le GAN et son GAé (groupe aérien embarqué) sur ce théâtre permet soit un surcroît d'effort, soit de partager le fardeau dans une opération de longue haleine. Nous y reviendrons si vous le souhaitez. Le GAN peut aussi contribuer à consolider le flanc nord de l'OTAN, comme le prévoit son déploiement cette année. Certes il ne s'agit plus de la Méditerranée, mais compte tenu de ce qu'on observe sur la Russie, le mentionner est utile. Enfin, le GAN a la capacité d'intégration et d'agrégation des compétences européennes.
J'en viens à la question russe en Syrie, vue sous l'angle maritime.
La crise en Syrie démarre alors que les Russes commencent à peine à tirer les bénéfices de la politique de modernisation de leur outil de défense. Je passerai rapidement sur ces éléments déjà évoqués. L'incapacité de l'Occident à contrôler la situation laisse le champ libre à Moscou qui soutient le régime syrien. Pour nous, marins, les frappes russes par des missiles de croisière depuis la mer Caspienne, en 2015, ont été un élément important. À cela s'ajoutent le renforcement de la base de Tartous, point d'appui russe en Méditerranée, le déploiement de la force navale russe en Méditerranée orientale, le contrôle de zones et le déploiement des forces russes sur le territoire syrien. Après l'opération Hamilton que vous connaissez, Moscou montre à l'Occident sa capacité à contrôler la Méditerranée orientale jusqu'à la Crête, en déployant des sous-marins lanceurs de missiles de croisière, en conduisant un grand exercice baptisé Bouclier Naval en 2018, en brouillant la réception GPS. Le message subliminal adressé par les forces russes au travers de ces manœuvres est : si vous voulez revenir, nous sommes capables de vous en empêcher.
On assiste aujourd'hui à un pistage souple des forces navales étrangères déployées en Méditerranée orientale, en particulier dans le canal de Syrie et à l'interception systématique des vols de surveillance et de reconnaissance effectuées au-dessus de ce canal. La Russie a réinvesti la Méditerranée orientale, le conflit syrien lui permet de faire progresser ses savoir-faire de combat, soit qu'elle mette à l'épreuve ses forces, soit qu'elle observe celles des autres. On l'observe dans le domaine naval comme dans les autres domaines. Si les confrontations y sont la plupart du temps moins sanglantes, elles ne sont pas moins enrichissantes en matière de lutte anti-sous-marine, de projection de puissance ou de défense anti-missile.
S'agissant de la Turquie autour de Chypre, je ne vous apprendrai pas que le conflit gréco-turque est ancien. Il porte sur un partage de richesses. La carte que vous avez sous les yeux montre le partage du plateau continental entre la Turquie et la Grèce. C'est une des questions qui pose problème à Ankara.
Les existences disputées de la République de Chypre et de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) constituent le point focal de ces tensions, lesquelles, évidemment, se sont aggravées après la découverte de vastes gisements sous-marins d'hydrocarbures. Leur partage est un enjeu stratégique pour chacun des riverains du bassin, non seulement pour la Turquie mais aussi pour Chypre, la Syrie, le Liban, Israël, l'Égypte et leurs partenaires.
La position turque telle qu'on la comprend, c'est qu'elle entend signifier aux autres pays que le partage ne se fera pas sans elle. La position d'Ankara est d'autant plus inconfortable que les pays occidentaux, qui avaient d'abord compté sur la Turquie pour ouvrir une voie alternative à l'approvisionnement de gaz russe, entendent aujourd'hui s'affranchir du contrôle turc, privant Ankara d'un précieux manque à gagner. Évidemment, la suspension du processus d'adhésion à l'Union européenne interdit désormais à Ankara d'espérer un soutien des États membres, à terme. Enfin, la Turquie n'est pas signataire de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, et pour cause : elle en conteste les effets sur le plateau qu'elle convoite ; ceci lui permet de circonscrire son voisin grec par des accords bilatéraux avec les autres riverains.
Au bilan, la Turquie prospecte sur les zones qui sont revendiquées par elle-même et par la RTCN. Elle appuie ses explorations par des manœuvres militaires en surface et sous la mer pour marquer sa détermination à revendiquer les richesses du sous-sol. Mais elle n'est pas la seule à le faire : l'Égypte a déployé une frégate et un sous-marin en soutien d'une opération de recherche pétrolière et s'est attachée à en faire la publicité. La Turquie entrave les explorations conduites par les opérateurs qui souhaitent travailler dans des concessions attribuées par Chypre et dont, de façon logique, elle conteste la légitimité. C'est l'incident subi par la société italienne ENI.
On note qu'Ankara évite soigneusement de porter ce différend devant la Cour internationale de justice, et pour cause. D'une part, elle n'a pas signé la convention sur le droit de la mer et, d'autre part, aller devant une instance internationale en vue de régler ce différend serait commencer par accepter de discuter avec Chypre, dont elle ne reconnaît pas l'existence. Si Ankara ne reconnaît pas l'existence de Nicosie et de la ZEE qui lui est accordée, elle ne voit pas pourquoi elle irait devant une cour internationale qui l'obligerait à reconnaître l'existence de cette situation. Les autorités turques préfèrent donc traiter cela en bilatéral avec tous les autres, sauf avec Nicosie. Le dernier accord bilatéral passé l'a été avec la Libye, qui empiète sérieusement sur la ZEE grecque dont Ankara conteste les contours.
Les manœuvres militaires turques sont gouvernées par cette politique : permanence d'unité de surface et de sous-marins en Méditerranée orientale, contribution active aux opérations de l'OTAN, opération Sea Guardian, participation aux forces navales de l'OTAN déployées en Méditerranée. Tout en veillant à servir les intérêts de la Turquie, il y a une espèce d'instrumentalisation qui se résume en ces termes : « Je suis un bon élève de l'OTAN, mais je ne le fais pas n'importe où et quand je propose de commander un dispositif, je ne le fais pas n'importe comment ».
L'appui aux opérations de prospection, dont j'ai déjà parlé, se double d'une réservation de zone de patrouille de sous-marins tout autour de la Turquie et autour de Chypre tout au long de l'année, comme le disait mon camarade, le colonel Guillaume, avec une certaine volonté de blocage qui peut se résumer en ces termes : « J'ai réservé du terrain, j'en ai besoin. Vous voulez venir, mais ça me gêne, je ne peux pas vous faire de place ». Nous l'avons encore observé au cours du déploiement du porte-avions qui termine bientôt un mois d'opérations au large du canal de Syrie pour engager son groupe aérien embarqué sur l'opération Chammal.
Au bilan, Ankara marque du terrain sur la ZEE chypriote. Les moyens turcs ne forent pas mais ils prospectent et empêchent la prospection des autres. La proximité de leur port base et leur nombre sont un atout précieux pour occuper le terrain et s'y regrouper en masse. Ceci représente un réel sujet de préoccupation.
J'évoquerai enfin le cas de la Russie et de la Turquie en Libye. Ces deux acteurs y jouent une partition assez étrange : apparemment alliés sur le théâtre Syrien, ils soutiennent des camps opposés en Libye. La Turquie a intensifié sa présence dans le Golfe de Syrte où elle maintient d'un groupe de combat depuis plusieurs mois, c'est-à-dire quatre frégates et un pétrolier-ravitailleur. Elle y transgresse bien des règles : ces frégates inscrites à une opération de l'OTAN participent à l'escorte de bâtiments civils armés par Ankara pour acheminer du matériel militaire en violation de l'embargo sur la livraison d'armes en Libye. Non contente de transgresser cet embargo, elle le fait sous couvert d'une opération de l'OTAN, en s'écartant pendant douze heures pour accompagner ces navires, en falsifiant les positions de ses unités, en simulant la poursuite de la mission en cours par des interrogations VHF de façade. Les autres nations de l'OTAN, en particulier la France, ne sont pas dupes de ce jeu.
La Russie est plus discrète. Elle procède aussi à la livraison de matériel militaire, mais elle a l'avantage de soutenir le camp oriental qui est soutenu par l'Égypte, vers lequel on peut acheminer du matériel militaire par la terre, ce qui est plus simple que pour la Turquie.
En résumé, je constate dans ce théâtre que la Libye fournit l'occasion d'une nouvelle prise de gage d'influence pour Ankara et Moscou. La Russie poursuit sa reprise du contrôle de la Méditerranée. Je vois presque résurrgir les mouillages russes de la guerre froide dans le Golfe de Syrte. La Turquie est sur la même dynamique de tentative de prise de contrôle sur les ressources d'hydrocarbures, sur fond de partage des richesses en Méditerranée orientale.
Enfin, pour les opérations navales, je vois trois théâtres : la Méditerranée occidentale, principalement orientée vers la protection du territoire au sens large et vers la liberté d'action de nos forces ; la Méditerranée centrale avec le problème libyen et la Méditerranée orientale avec le problème syrien. On note une intensification des présences russe et turque, un durcissement des confrontations. Par exemple, en Libye, on observe l'installation de systèmes de défense antiaérienne, donc de restrictions à nos capacités nationales d'appréciation de situation sur ce théâtre. On n'a pas encore de défense anti-navire, mais ça pourrait venir.
Face à l'intensification des présences et au durcissement des confrontations, quelles conclusions tirer ? Manifestement, la permanence de notre présence à la mer doit être renforcée. Rappelons que pour assurer la permanence à la mer d'une plateforme navale, il faut quatre plateformes si l'on se réfère à l'exemple de la composante océanique de la dissuasion. La permanence sur un théâtre peut en nécessiter un peu moins de quatre, mais c'est quand même assez lourd. de plus, il faut organiser la concentration des moyens. Les Turcs ont été capables d'organiser un exercice avec une centaine d'unités à la mer. Cela donne à réfléchir, pour qui envisage se frotter aux Turcs sur les questions d'hydrocarbures autour de Chypre. Il faut aussi préparer des engagements du haut du spectre : projection de puissance, défense anti-missiles balistiques ou défense anti-missiles tout court. C'est un axe sur lequel les Russes ont beaucoup progressé, et les Turcs suivront assez vite. Il faut prévoir des plateformes capables d'opérer dans des zones contestées, donc les sous-marins, puis les forces spéciales, car si on observait un autre bâtiment de commerce livrant du matériel militaire et si on souhaitait l'intercepter, il est très probable que le pays commanditaire s'y opposerait. On ne devrait pas se limiter à une interrogation par la VHF et à une demande à stopper. Il faudrait peut-être envoyer des forces pour prendre le contrôle de la passerelle et ce ne serait probablement pas simple.
Je vous remercie pour votre attention et je suis prêt à répondre à vos questions, ainsi que mes camarades.
Merci beaucoup, Messieurs, pour vos propos très riches, très denses, illustrés par une belle cartographie qui nous a bien aidés à comprendre la complexité de cette région.
Je vais maintenant céder à la parole à mes collègues qui souhaitent vous interroger.
Merci, Messieurs les officiers, pour votre tour d'horizon du bassin méditerranéen.
Je vous interrogerai sur le rôle que peut jouer la Jordanie dans le processus de paix entre l'État hébreu et les territoires palestiniens. La création de l'État d'Israël en 1948 avait mis la Jordanie en première ligne face à l'État hébreu, considéré comme l'ennemi par ses voisins arabes. Après la défaite des pays arabes en 1949, la Jordanie est devenue une terre d'accueil pour des centaines de milliers de Palestiniens, de même en 1967. En 1994, la Jordanie, convaincue de pouvoir jouer un rôle dans la résolution du conflit israélo-palestinien, a scellé un accord de paix avec Israël en renonçant à toute prétention territoriale sur la Cisjordanie et sur Jérusalem-Est. Avec l'accord du siècle promis par le président Trump, on proposera une confédération jordano-palestinienne qui reviendrait à abandonner la solution à deux États. La Jordanie risquerait de devenir encore plus une base arrière de la Palestine. Quelle réaction pouvons-nous imaginer de la part du royaume jordanien à la suite de la présentation du plan Kushner pour la paix, le mois dernier ? L'implication de la Jordanie dans le processus de paix peut-elle être décisive ?
La Grèce s'engage depuis peu sur le terrain de la défense aux côtés de ses alliés français et américains en Méditerranée. Ainsi une frégate grecque participe depuis début février à la mission du Charles de Gaulle dans l'est de la Méditerranée, afin d'appuyer les opérations antijihadistes en Syrie et en Irak et d'assurer la stabilité dans la région, sans oublier la protection des intérêts des sociétés françaises qui sont impliquées dans les forages d'hydrocarbures au large de Chypre, forages contestés et empêchés par la Turquie. La Grèce prend des risques vis-à-vis de ses voisins, mais après une décennie de crise financière et de coupes très sévères dans son budget de la défense, la Grèce est-elle en capacité de tenir un rôle majeur dans la région ?
Je souhaiterais vous interroger sur la situation à Chypre où la découverte de gisements gaziers semble avoir enclenché une dynamique de montée en tension entre la Turquie et l'Union européenne, sur le plan diplomatique comme militaire. D'une part, la signature d'un accord maritime entre la Turquie et la Libye porte atteinte aux intérêts de Chypre et de la Grèce et, d'autre part, le déploiement de drones et la possibilité d'établissement d'une base aérienne turque sur la partie nord de l'île laissent planer le risque d'une confrontation armée. Depuis l'été dernier, le Conseil européen dénonce ces évolutions en mettant en place des sanctions économiques contre la Turquie et en affirmant sa solidarité avec Chypre en ce qui concerne le respect de sa souveraineté et de ses droits, conformément au droit international.
Alors que l'Union européenne fait bloc derrière ses membres, pourriez-vous nous éclairer sur la façon dont la France incarne dans le domaine militaire sa coopération avec son partenaire chypriote et notamment comment se concrétise l'accord de défense récemment renouvelé entre les deux pays ?
L'exploitation et l'exportation des ressources gazières en Méditerranée orientale représentent de nombreux enjeux sécuritaires, mais pourraient aussi être un stabilisateur régional par le Forum du gaz de la Méditerranée orientale. D'un côté, la localisation de certains champs exacerbe des conflits préexistants au sujet de la délimitation des frontières maritimes et des ZEE et pourrait aussi en ranimer d'autres. De l'autre côté, cela pourrait permettre à l'État hébreu de sortir de son isolement géopolitique régional en renforçant les liens commerciaux avec ses voisins, même si la solidarité avec la cause palestinienne et l'image des populations de l'État hébreu demeurent des obstacles majeurs à toute volonté des dirigeants d'approfondir leurs relations avec Israël. Pouvez-vous nous faire part de votre vision de la stratégie hydrocarbures d'Israël ?
Colonel, vous l'avez évoqué tout à l'heure, nous n'avons pas encore franchi le seuil du conflit armé entre Moscou et Ankara, mais on peut convenir qu'on n'en a jamais été aussi proche, en particulier dans le nord de la Syrie, à Idlib. À tel point que le président Erdogan a convenu de la nécessité d'une rencontre avec le Président de la République, Angela Merkel et le président Poutine, le 5 mars prochain. Dix-sept soldats turcs ont été abattus depuis quinze jours, dont un par un Soukhoï très certainement soviétique.
Tout cela dans un contexte de rivalité historique entre les deux empires et avec des antécédents en 2015 où l'aviation turque avait abattu un avion russe dans l'espace aérien turc.
Comment évaluez-vous ce risque ? Quelle serait la position de la France dans l'éventualité d'un conflit, compte tenu de la solidarité que nous impose notre appartenance à l'OTAN ?
Monsieur le député, la Jordanie est dans une position assez complexe, puisqu'elle est déjà partie prenante de la sécurité et des accords au titre du gardiennage des lieux saints à Jérusalem. Elle est aussi, d'une certaine manière, victime de ce projet annoncé le 28 janvier, prévoyant l'annexion de la rive occidentale du Jourdain qui rapprocherait d'une certaine manière les armées israéliennes de la frontière jordanienne.
Cela dit, il faut bien être conscient de la relation actuelle entre Israël et la Jordanie. En matière sécuritaire, Israël soutient la Jordanie. Il y a de nombreux échanges d'informations, de renseignements pour lutter contre le développement du djihadisme et de l'insécurité terroriste en Jordanie. Bien sûr, cela ne met pas la Jordanie en situation de véritable dépendance. Elle a d'autres alliés, dont la France, qui lui apporte un soutien, et les États-Unis qui lui en apportent également un important. En cas de négociations, la Jordanie sera présente. A-t-elle la capacité de les mener ? Difficile à dire. Ses capacités diplomatiques sont limitées, pour être au centre d'un règlement de la question. Elle ne peut, à elle seule, porter le sujet. Cela dépend essentiellement de l'implication des États-Unis et peut-être aussi de l'Égypte, qui a beaucoup plus de poids vis-à-vis de ses voisins.
Je vais tenter de faire une brève synthèse de l'antagonisme entre les Russes et les Turcs. Les liens entre les deux pays, car il y en a, sont un peu le mariage de la carpe et du lapin. Ils tiennent surtout à la rencontre de deux individus, Erdogan et Poutine, qui voient un intérêt commun à maintenir une instabilité et une tension internationale à l'extérieur de leur pays, afin de justifier un régime fort. De plus, ils s'accordent sur le besoin de réduire la puissance occidentale et de montrer une troisième voie. En regardant le dessous des cartes, on peut penser de l'ensemble des conflictualités en Syrie ou en Libye qu'elles ne devraient pas aller très loin. On doit d'autant moins s'attendre au déclenchement d'une troisième guerre mondiale entre la Turquie et la Russie que les Russes savent très bien que les Turcs appartiennent à l'OTAN et qu'agresser la Turquie reviendrait à déclencher l'article 5. On peut plutôt s'attendre à une entente russo-turc pour arranger les choses à leur façon sur ces théâtres afin que l'instabilité demeure. Ce pourrait être le cas en Libye, puisque la Russie et la Turquie ont intérêt à ce qu'elle demeure une zone où la sécurité n'existe pas afin de maintenir leur présence.
Je reviendrai sur la question des solidarités en Méditerranée orientale et en Méditerranée occidentale et sur le besoin de se rapprocher de la Grèce ou de Chypre. Que les choses soient claires, ces pays ne peuvent pas agir seuls et nous, puissance française, nous pouvons difficilement agir seuls dans ces zones pour des raisons de légitimité et de capacité. Il est donc indispensable de se rapprocher de ces pays. Un changement de paradigme a été opéré par les annonces présidentielles d'un rapprochement stratégique avec la Grèce, jusqu'alors repoussé, afin de ne pas s'aliéner l'ami turc. Aujourd'hui, on ne peut que constater un changement majeur de stratégie dans cette zone.
Je resterai dans mon domaine de responsabilité sans aller sur le terrain diplomatique que je ne maîtrise absolument pas. Militairement, il est indispensable que nous tissions des liens forts avec ces pays, puisqu'on ne pourra que s'appuyer sur eux. Vous parliez d'une base à Chypre, d'appuis en Grèce qui nous permettraient d'être un peu plus présents et de refuser cette permanence navale turque dans la zone, c'est aussi de cela qu'il s'agit.
J'ajouterai que cette demande d'intégration et d'interopérabilité dans tous les secteurs militaires - aérien, terrestre et naval - s'adresse à tous les pays de la région, à l'exception de la Syrie, de la Libye et de la Russie. C'est vrai de la Grèce comme de la Turquie. Dans le cadre du déploiement du Charles de Gaulle, nous travaillons avec les Grecs mais aussi avec les Turcs. Même si nous ne les avons pas intégrés au groupe Charles de Gaulle - il y a une petite nuance -, nous travaillons avec tout le monde. Le retour est généralement très positif. Tous les États membres, toutes les nations qui ont rejoint le groupe Charles de Gaulle en 2019 disent à quel point ils ont appris de cette intégration, parce que les armées françaises leur confient des responsabilités, en particulier des responsabilités de direction de domaine de lutte, qui les tirent vers le haut et les font progresser. Pour la marine française, il est capital de travailler ce sujet, en vue de créer de la masse sur les théâtres où l'on se déploie et de peser face aux problématiques que nous avons évoquées comme à d'autres. Or cette question de la « masse » se pose avec de plus en plus d'acuité à mesure que les pays qui souhaitent faire entendre leur voix s'équipent et se modernisent. Nous le faisons évidemment avec les Américains - c'est très instructif, utile et reconnu par les Américains eux-mêmes -, mais aussi avec les autres.
Madame Bono-Vandorme, je reviendrai sur le rôle intégrateur et stabilisateur de l'exploitation gazière en Méditerranée. Effectivement, c'est un objectif et un axe qu'il faudra essayer de cultiver au regard d'une plus grande intégration d'Israël. C'est déjà en marche, puisque l'Égypte, la Jordanie et Israël communiquent par gazoduc interposé. Israël, Chypre, la Grèce et l'Italie se sont mis d'accord pour le développement d'un gazoduc qui partirait des zones d'exploitation et remonterait dans le sud de l'Italie. Ce projet de gazoduc est d'ailleurs sévèrement gêné par la revendication turco-libyenne sur le plateau continental au sud de la Crête, qui coupe le trajet de ce gazoduc. Il y a un obstacle qui n'est sans doute pas majeur : dans le cadre du règlement de la question frontalière entre Israël et le Liban, une petite zone en biseau disputée au large de la frontière israélo-libanaise, fait débat. L'aboutissement du tracé terrestre modifie singulièrement le tracé de la délimitation en mer des eaux territoriales et des zones exclusives. Ce projet d'accord entre le Liban et Israël a été mis en veille du fait de l'instabilité politique au Liban. Il y avait des questions plus urgentes à résoudre. Ce sera une des tâches auxquelles le nouveau gouvernement libanais devra s'atteler, ainsi que les nouvelles autorités israéliennes, où le changement est proche également.
Rôle intégrateur, sans nul doute. Cela prendra du temps, on n'efface pas facilement soixante-dix ans de conflits dans la région, mais les échanges pourront avoir lieu. De ce point de vue, la République de Chypre est aussi en interaction forte avec le Liban. La France favorise un dialogue maritime entre Chypre et le Liban au travers de la mise en place de centres de situation maritime et pour la gestion du secours en mer. Nous favorisons ce dialogue et nous favorisons les équipements dont peut se doter chacun de ces deux pays pour assurer cette mission de sécurité dans le canal entre le Liban et Chypre. Là aussi, les capacités qui seront mises en œuvre en pleine zone d'exploitation gazière permettront un rapprochement et d'établir un dialogue opérationnel permanent entre tous ces pays. C'est une sorte de bottom-up qui pourrait favoriser, à terme, l'établissement de relations politiques suivies.
Messieurs les officiers, le tableau que vous brossez de l'action de la Turquie est pour le moins inquiétant, d'autant plus que la Turquie est membre de l'OTAN. Le 8 janvier, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré que l'OTAN devrait contribuer beaucoup plus fortement à la stabilité régionale, en particulier au Moyen-Orient, ce qui pose tout de même la question de la Turquie. À l'heure qu'il est, sait-on ce que le secrétaire général entend par « contribution » ? S'agit-il de missions de renseignement ou de missions de formation ? S'agit-il de l'intensification de missions déjà en cours ? Comment cela pourrait-il s'articuler avec ce qui se passe autour de la Turquie aujourd'hui ?
Un mot d'abord sur l'approfondissement de notre coopération de défense entre Paris et Athènes. De fait, on constate que l'Alliance est quelque peu neutralisée entre la Grèce et la Turquie. J'assistais la semaine dernière à une réunion de l'assemblée parlementaire de l'OTAN à Bruxelles au cours de laquelle la délégation grecque a purement et simplement quitté la salle, devant ce que vous appelez « la politique de la canonnière », ou du moins celle du fait accompli turc, dans la zone économique exclusive de Chypre. Pour rebondir sur la question de ma collègue Thillaye, l'Alliance est rendue peu ou prou inopérante. Dans ce contexte, il est nécessaire que nous renforcions nos liens bilatéraux avec la Grèce. Sur le plan naval, nous connaissons bien les programmes envisagés et en cours, sur le plan aérien aussi : exercice aérien Iniochos, prévu prochainement, rénovation des Mirage 2000 et de l'hélicoptère NH90, etc. Il semblerait que le gouvernement grec cherche à obtenir, dans le cadre de ce partenariat renforcé, une clause d'assistance mutuelle quasi bilatérale avec la France. L'idéal serait bien sûr une participation de plusieurs pays européens en soutien à la Grèce. Je ne sais pas si c'est possible, aujourd'hui. Le gouvernement grec semble demander cette clause d'assistance mutuelle. À ma connaissance, nous n'avons pas connu de clause d'assistance de ce type depuis des décennies, on a toujours agi dans un cadre multilatéral.
Vous avez parfaitement mentionné les menées turques, notamment les agissements de certaines frégates turques sous couvert de l'OTAN au large de la Libye, participant notamment à des trafics d'armes. La mission Sophia est désormais remplacée par une nouvelle mission de l'UE. Elle est nécessaire mais, à ma connaissance, elle se limite à des navires qui ne sont pas des navires étatiques. Est-il possible d'étendre ces dispositions ? Quels seront les moyens mis à notre disposition et utilisés par la France dans le cadre de UE ou hors du cadre de l'UE ?
Je poserai une question beaucoup plus courte, beaucoup plus simple aussi, peut-être. Monsieur le capitaine de vaisseau Bruno, qu'en est-il des exercices et des manœuvres que la marine nationale française opère avec la marine turque ? Vous avez répondu en partie en rappelant que lors du dernier passage du porte-avions Charles de Gaulle et du groupe aéronaval, la marine turque a participé avec vous à des exercices ou des manœuvres. Vous avez dit que la marine turque était capable de mobiliser cent unités. Pourriez-vous préciser ce point ? Parce que nous savons que c'est une des armées les plus puissantes du Moyen-Orient et du monde, pourriez-vous rappeler la composition de la flotte de la marine turque de cent unités. S'agit-il de bateaux renouvelés ? Quel est l'état des forces navales en Turquie ?
Colonels, commandant, merci pour vos exposés et vos premières réponses. La Turquie fait partie de l'OTAN depuis 1952. Elle devrait donc, en principe, compter parmi nos alliés en matière de défense. En décembre dernier, lors du sommet de Londres de l'OTAN, elle réitérait son engagement en signant la déclaration finale. Elle déclarait sa solidarité, son unité, sa cohésion avec les vingt-huit autres membres du traité. Force est de constater aujourd'hui qu'elle se trouve plutôt en porte-à-faux par rapport aux autres membres. Après l'accord de délimitation maritime signé avec Tripoli en 2020, qui empiète illégalement sur la zone exclusive de Chypre, pourtant également membre de l'OTAN et de l'Union européenne, compte tenu aussi de l'ambition d'établir une zone tampon en Syrie sur les territoires occupés aujourd'hui par les Kurdes qu'Ankara considère pourtant comme des terroristes, les points de contentieux entre l'OTAN et la Turquie semblent en faire un allié particulièrement épineux. Partageons-nous encore de réels intérêts stratégiques avec la Turquie ? Peut-être face à la Russie ? Les dissensions actuelles posent-elles un problème réel en matière militaire si nous voulons protéger Chypre, qui est aussi un membre de l'Union européenne depuis 2004, des ambitions turques ?
Je commencerai par évoquer le rôle de la Turquie au sein de l'OTAN. La Turquie est cet allié parfois encombrant, qui oppose des blocages administratifs au sein de l'OTAN pour la signature du Graduated Response Plan (GRP), la planification à long terme pour la protection à l'Est de l'Europe face à la Russie. Bref, c'est un allié assez particulier. Néanmoins, est-ce qu'on peut se l'aliéner ? Je crois avoir déjà partiellement répondu à la question. Se l'aliéner serait pousser la Turquie dans les bras de la Russie. La Turquie reste la Sublime Porte, un accès vers l'Orient et l'accès à la mer Noire. Aujourd'hui, il est inenvisageable d'abandonner la Turquie. Mais elle est isolée diplomatiquement. C'est le cas en Méditerranée orientale, mais pas uniquement. Je n'entrerai pas sur le terrain politique mais, dans le domaine militaire, se mettre à dos la Turquie serait déclarer la fin de l'OTAN. Il n'existe pas de procédure de sortie d'un pays de l'OTAN, ce n'est pas prévu dans les textes. Mettre à mal l'OTAN et utiliser un coin pour la percer fait bien partie de la stratégie russe.
Le président turc est bien le candidat favori de Poutine. Il y a un jeu de la Russie vis-à-vis de la Turquie. La Turquie a indéniablement besoin de rester dans l'OTAN, puisque la majorité de son matériel est quand même occidentale. Entrée dans l'OTAN face à une menace russe, elle connaît le poids du passé. Même si, par sa personnalité, Erdogan a su s'imposer dans son parti et donner sa nouvelle forme à la Turquie, il sait que la menace russe peut de nouveau peser sur le peuple turc à n'importe quel moment. De plus, je le répète, cette alliance avec la Russie est une alliance de circonstance liée à la tentative de coup d'État de 2016. Sur le fond, on lui reproche effectivement d'avoir acheté des systèmes de défense S-400. C'est donc un allié assez particulier que, je le répète, on ne peut s'aliéner.
Je reviendrai sur les clauses d'assistance mutuelle et le travail en bilatéral en rappelant les conditions historiques du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Des accords bilatéraux ont conduit à cette époque à l'embrasement d'une poudrière en Europe. Aujourd'hui, on a plutôt tendance à conclure des accords multilatéraux plus propres à calmer les velléités de conflits entre deux pays et à éviter l'instrumentalisation des traités.
J'évoquerai enfin la mission Sophia, nouvelle génération, qui représente le véritable espoir d'une réactivité européenne forte et d'une capacité de réponse commune. Ce n'est plus qu'une question de jours ou de semaines pour que les Européens se mettent d'accord sur une solution pour disposer en Méditerranée centrale d'une force capable de garantir le respect de l'embargo. On peut craindre de ne pas pouvoir aligner toutes les capitales européennes sur le besoin d'une réponse musclée. Au niveau militaire, on essaie bien d'aligner nos coopérations de manière à trouver des alliés qui soient able and willing, capables et volontaires, pour mettre des moyens militaires dans cette zone. On a donc de véritables espoirs dans ce domaine.
Je ne suis pas un spécialiste de l'ordre de bataille de la marine turque, mais c'est quand même une belle marine. Je retiens que c'est la huitième mondiale et la quatrième européenne. Ils ont 51 000 hommes, soixante-quinze avions, dix-neuf frégates, sept corvettes, quatorze sous-marins et 108 vedettes rapides. La centaine de bâtiments que je mentionnais s'explique en grande partie par le nombre de vedettes rapides. C'est essentiellement une marine côtière mais une marine qui se modernise. Ils n'ont pas toutes les capacités, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de porte-avions, pas de sous-marins à propulsion nucléaire, mais ils construisent des bâtiments de débarquement. Ils ont un important projet de construction de bâtiment amphibie, un projet de destroyers de 7 000 tonnes. Il est question d'en construire six pour une mise en service après 2027. Ils ont un projet de deux frégates de 3 000 tonnes, de quatre frégates de type Istanbul pour une mise en service à partir de 2021.
Le pays s'arme, ce qui me paraît conforme à la nature du pouvoir. Si le président estime qu'il a une position à tenir ou s'il veut reconquérir une position d'influence, compte tenu du mode d'organisation du pouvoir en Turquie, il est facile de décider de mettre la priorité sur l'armement. Cela n'empêche pas la contestation en interne, mais cela ne me surprend pas.
Ils ont des projets de modernisation des sous-marins, ils envisagent de construire eux-mêmes des sous-marins. La dynamique est quand même assez intéressante. Ce n'est pas une marine qui fait de la figuration. Ils naviguent pas mal, connaissent bien la région et la maîtrisent. Leur posture politique est assez claire. Je l'expliquais à demi-mot s'agissant de l'utilisation des zones sous-marine et de l'appui à la prospection pétrolière, mais je vais entrer dans les détails.
En matière de prospection pétrolière, il y a d'abord la phase de prospection sismique destinée à évaluer la richesse du sous-sol : elle consiste à faire des rails de relevés sismiques. Ils ont aidé leurs bâtiments à le faire. Vient ensuite la phase d'exploration où il faut forer. Si le forage est fructueux, on peut passer à la phase d'exploitation. Pour ces phases, Ankara dépêche des frégates pour protéger en surface le bâtiment à positionner sur le point de forage d'exploration et réserve de l'eau pour faire patrouiller un sous-marin en dessous. Quand nous demandons de l'eau pour mettre à l'eau des engins ou faire naviguer des sous-marins, les Turcs répondent que ce n'est pas possible, nous obligeant à négocier, au sein de l'OTAN. Des procédures sont prévues à cet effet : il existe des mécanismes de prévention des interférences mutuelles qui ont pour objet d'organiser le partage du volume sous-marin et de garantir la sécurité de mise en œuvre des sous-marins de l'OTAN. Le principe est de déclarer votre intention d'occuper un volume sous-marin et de réserver de l'eau. En revanche, si vous n'y mettez personne et si je souhaite faire naviguer un sous-marin, il faut trouver un accord. Nous trouvons un accord qui maintient tout de même une zone d'activité sous-marine sous le bâtiment opérant le forage d'exploration, mais elle est insignifiante, si réduite que le sous-marin est contraint de naviguer en rond en permanence. Il met la barre à droite 20 degrés et n'en sort pas. De plus, il n'a pas d'eau pour y aller et il doit y aller en surface pour y plonger.
Quand on fait remarquer cette curiosité à nos camarades militaires turcs, ils répondent : « c'est vrai, cela n'a pas beaucoup de sens, mais c'est une directive politique ». Ils ne font pas de la figuration et ils sont guidés par une directive politique assez claire – défendre les intérêts turcs. Tout porte à croire qu'à défaut d'accord politique sur les sujets où nous sommes en désaccord ou en compétition, voire en confrontation, il pourrait y avoir un peu de tôle froissée. La volonté politique qui se traduit par la politique d'armement que j'ai brièvement décrite ajoutée à la volonté politique qui se traduit par une politique de comportement nous donnent à réfléchir, ici, à Paris.
Historiquement, la mission de l'OTAN en Méditerranée avait pour mission de protéger le flanc sud de l'Europe grâce à une importante présence navale en Méditerranée. Depuis quelques années, l'OTAN, en particulier l'état-major à Naples, regarde beaucoup plus vers la rive sud et cherche à développer des partenariats. Il y a le dialogue méditerranéen et, au-delà, des partenariats bilatéraux avec certains pays en matière de formation et de capability building, comme la Tunisie, le Maroc, la Jordanie. L'OTAN est pleinement consciente de la nécessité d'être présente et de l'être plus encore. La dernière déclaration de Jens Stoltenberg ne fait que confirmer une tendance amorcée il y a près d'une dizaine d'années.
Je répondrai au sujet de l'évolution de la mission EUNAVFOR MED, de l'embargo sur les armes et de la question épineuse du navire d'État, opération en cours de discussion, comme l'a rappelé mon camarade Guillaume.
L'observation de livraisons d'armes donne un nouveau souffle à cette mission qui avait démarré sur une question migratoire et buté sur des points que vous connaissez bien : la phase 3 et la phase 4 d'intervention sur le sol libyen. Je ne m'y étendrai pas. Il y a une bascule de mission. On entend se concentrer sur la livraison d'armes et éviter de replonger dans les difficultés liées aux questions migratoires, celle du partage du fardeau, après récupération des gens à la mer, n'étant toujours pas résolue.
Elle va toutefois buter sur les points que vous avez soulevés. Pour le droit de la mer, c'est le droit du pavillon qui s'applique, sauf à livrer du matériel militaire avec un navire d'État, un navire militaire, un navire de guerre. Il est possible d'intervenir sur un navire civil avec l'accord de l'État du pavillon. Malheureusement, si on n'a pas l'accord de l'État du pavillon se pose l'autre question. Je pense que cela va se régler sur le plan politique.
Si c'est une mission de l'Union européenne, je ne suis pas sûr que la Turquie y participera, mais si les forces de l'OTAN y participent ou y contribuent, on aura un jeu d'échecs compliqué à détricoter. Le premier bénéfice, c'est que si la Turquie refuse, on pourra dire à la Turquie qu'il y a un problème. Ce ne sont pas les vingt camions et les dix chars qui auront débarqué qui changeront la donne stratégique sur le terrain libyen, sinon il n'y aurait eu qu'un bateau. Le premier bénéfice, c'est de faire tomber les masques des uns et des autres.
Si le navire n'est pas immatriculé ou n'a pas de pavillon, la voie est libre, mais les chances sont assez minces pour que ça se produise de cette façon-là. Quand il y a un intérêt national, on cherche à le protéger. Et puis, on va rapidement basculer d'un problème militaire à un problème politique. Nous dirons alors : on peut interroger par la VHF ; si le navire refuse de s'arrêter, on peut tirer devant, sur les côtés, dessus, c'est-à-dire effectuer les tirs d'avertissement, de semonce et les tirs au but. On peut monter à bord. Mais ce sont des options politiques. Il appartient au chef de l'État d'en décider. On sait faire ou on ne sait pas faire en fonction du rapport de force sur le terrain. S'il y a dix frégates turques et une frégate française, cela ne fonctionnera pas. Dans le cas contraire, ça aura plus de chances de fonctionner.
Voilà comment je vois les choses, mais pour l'instant c'est à l'étude, et ce n'est pas à moi de dire dans quel sens cela va évoluer.
Merci beaucoup, Messieurs, pour ces propos très riches et très précis. Merci, mes chers collègues, pour votre participation.
La séance est levée à onze heures vingt.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, M. Philippe Chalumeau, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Nicolas Meizonnet, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Florence Morlighem, M. Jean-François Parigi, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Bernard Reynès, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, M. Pierre Venteau, M. Charles de la Verpillière
Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, M. Sylvain Brial, M. André Chassaigne, Mme Jacqueline Dubois, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Laurent Furst, M. Benjamin Griveaux, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Fabien Lainé, M. Jean Lassalle, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, M. Gwendal Rouillard, M. Thierry Solère, M. Joachim Son-Forget, Mme Alexandra Valetta Ardisson