Madame la présidente, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, ma présentation se concentrera sur ce que j'ai pu vivre à bord de mon unité, en commençant par la phase de préparation et de configuration du bâtiment. Le 25 mars, le bâtiment était en Méditerranée orientale. Un court préavis m'a permis de préparer l'équipage à l'annonce imminente par le Président de la République de son déploiement aux Antilles. Dès le lendemain, les modalités de la manœuvre logistique au retour étaient arrêtées, même si les contours de la mission étaient encore imprécis. Il m'a été demandé de me préparer à acheminer du fret depuis la Métropole vers la zone Antilles-Guyane, de mettre mes capacités à la disposition des autorités locales afin de répondre aux besoins de la population et de disposer d'une capacité d'évacuation de ressortissants, conformément au socle des missions des porte-hélicoptères amphibies.
Au déclenchement d'une telle opération, la configuration du bâtiment fait naître de nombreuses questions. Il faut généralement deux à trois jours pour trouver les réponses adaptées, le temps de procéder aux arbitrages sur les moyens, le personnel et le fret à embarquer et d'anticiper les besoins auquel il faudra faire face une fois arrivé sur zone.
Partir d'une zone en crise pour intervenir dans une zone en crise impose d'intégrer dès le début l'environnement dégradé dans lequel on va opérer. Une approche de bout en bout et en autonomie a été privilégiée, conduisant au renforcement du bâtiment en moyens de manutention et de mobilité.
De cette phase préparatoire, je retiens la grande fluidité des échanges entre les différents interlocuteurs, notamment la cellule interministérielle de crise et le centre de planification et de conduite des opérations de l'état-major des armées ; cela a permis d'aboutir, par itérations successives, aux arbitrages nécessaires et d'assurer l'acheminement du matériel dans des circonstances très particulières. Plusieurs centaines de tonnes de fret, dont quatre hélicoptères, ont ainsi été embarquées à destination de la zone Antilles-Guyane.
La mission du bâtiment s'est déroulée en trois temps : la traversée transatlantique aller et la manœuvre logistique d'entrée de théâtre, du 3 au 20 avril ; une patrouille dynamique dans l'arc antillais, du 21 avril au 4 mai ; enfin, la préparation du désengagement concomitant au déconfinement, du 5 au 13 mai.
Le porte-hélicoptères amphibie est un intégrateur de capacités interarmées et, en la circonstance, interministérielles. Le transit a été mis à profit pour s'approprier la zone d'opération et procéder aux différents entraînements nécessaires avant l'arrivée sur zone. La durée a été fixée à quatorze jours, permettant d'arriver aux Antilles au terme d'une quatorzaine garantissant à la population locale l'état sanitaire de l'équipage.
Dès le franchissement du détroit de Gibraltar, le bâtiment a pris part aux briefings des forces armées aux Antilles afin de se préparer au panel des missions que le bâtiment serait susceptible d'effectuer et de s'insérer avec fluidité dans le dispositif en place depuis le début de la crise. À l'arrivée, la population est confinée, les services de réanimation ne sont pas saturés, environ 50 % des lits dédiés au covid-19 sont occupés. J'ai été marqué par la synergie des différentes administrations autour des préfets afin de répondre au mieux aux situations rencontrées dans les îles du Nord, la Guadeloupe et la Martinique.
La séquence logistique de déchargement a démontré la complémentarité de l'action des différents services de l'État, ainsi que le passage de témoin réussi entre le bâtiment et les unités militaires des forces armées aux Antilles, principalement le 33e RIMa et les régiments du service militaire adapté de Martinique et de Guadeloupe.
Afin de limiter tout risque de transmission entre le bâtiment et les territoires occupés, toutes les manœuvres logistiques ont été réalisées sans contact, ce qui a demandé une adaptabilité certaine de la part de l'équipage, de nos interlocuteurs civils et des organismes de soutien, notamment la base navale de Fort-de-France.
Du 17 au 19 avril, le Dixmude a successivement mis à terre un poste médical d'évacuation, au plus près de l'hôpital Fleming, à Saint-Martin, livré des masques et du gel hydro alcoolique au profit de l'agence régionale de santé (ARS) et des administrations, à Pointe-à-Pitre, transféré le matériel au profit de la Guyane au bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer Dumont d'Urville, qui venait juste d'être admis au service actif, ainsi qu'à un Casa des forces armées en Guyane, et enfin livré le matériel au profit de la Martinique, en particulier deux hélicoptères, l'un de la sécurité civile, l'autre de la gendarmerie.
Le porte-hélicoptères amphibie est un bâtiment polyvalent dont la mobilité fut un atout pour intervenir dans l'arc antillais. Du 21 avril au 4 mai, nous avons mené une patrouille dynamique, exploitant notre mobilité et notre polyvalence, autour des îles du Nord avant de rejoindre la Guadeloupe, puis la Martinique. Nous avons pu assurer une alerte d'évacuation médicale à trente minutes de jour et une heure quinze de nuit et effectué des patrouilles dans les zones de mouillage, afin d'informer les nombreux plaisanciers bloqués sur place de l'évolution de la situation, conformément aux directives des autorités.
Nous en avons également profité pour mettre à jour l'ensemble des sites d'intérêt, en perspective de la saison cyclonique. Enfin, nous avons procédé à la relève du dispositif terrestre mis en place sur les îles dans l'hypothèse d'une aggravation de la situation sanitaire.
J'ai souhaité que cette patrouille soit visible par nos compatriotes de chacune des îles françaises. Une communication adaptée envers les autorités locales et la population a permis de livrer les clés de compréhension de nos activités et mis en valeur les actions concrètes au profit de la population.
Enfin, sous l'égide d'une cellule de coordination multinationale (MI2C) implantée à Fort-de-France, des interactions avec les bâtiments amphibies britanniques Argus et néerlandais Karel Doorman ont été menées, démontrant sur zone la capacité des Européens à unir leurs efforts dans cette crise, comme cela avait déjà été le cas lors de la saison cyclonique de 2017.
La présence de deux hélicoptères Puma du 3e régiment d'hélicoptères de combat (RHC) et d'un détachement du 2e régiment de dragons a permis de s'approprier le retour d'expérience des transferts de patients atteints du covid-19 effectués en métropole en répétant l'ensemble de la séquence, de la réception des premiers éléments jusqu'à la désinfection de l'appareil et du personnel impliqué. Grâce à deux équipes du service de santé des armées, cette alerte a été intégrée au dispositif en place en complément des autres moyens, sous la coordination de la préfecture de zone de défense. Douze patients, dont trois atteints du covid-19, ont ainsi été pris en charge.
J'ai en mémoire le transfert d'un Guadeloupéen d'une quarantaine d'années faisant l'objet d'une lourde prise en charge à l'aide d'un dispositif d'oxygénation par membrane extracorporelle, transporté le 24 avril entre le CHU de Guadeloupe et celui de La Meynard en Martinique grâce à l'espace offert par le Puma. À la veille du retour à Toulon, j'ai appris qu'il était rentré chez lui, en Guadeloupe, ce qui est une excellente nouvelle.
La troisième phase a lieu du 5 au 13 mai, à l'approche du déconfinement. La situation s'étant améliorée dans les îles, seuls 11 % des lits de réanimation dédiés covid-19 sont alors occupés. Le bâtiment a livré des masques grand public à Saint-Martin, afin de permettre la reprise des écoles et de procéder à de nouvelles évacuations médicales entre les différentes structures hospitalières de Saint-Martin, Marie-Galante et les CHU de Guadeloupe et de Martinique. Je tiens à souligner que les échanges avec les SAMU et les hôpitaux ont toujours été particulièrement fluides.
Le désengagement du bâtiment a été validé le 7 mai, permettant la mise à terre des Puma du 3e RHC et de conserver une capacité d'évacuation médicale inter-îles, particulièrement précieuse. La culture de projection des armées et l'autonomie associée ont été des atouts de premier ordre pour maintenir la disponibilité des hélicoptères à un excellent niveau dans ce contexte dégradé.
S'agissant du défi sanitaire, au lancement de l'opération, le bâtiment appareille au moment du pic de l'épidémie en métropole. Rentrant d'une mission débutée avant le confinement, qui a suscité un peu d'inquiétude au sein de l'équipage, lors du passage à Toulon, fin mars, j'ai souhaité mettre le personnel en confinement à domicile afin qu'il intègre les contraintes induites par cette situation d'exception, ce qui a facilité le dialogue avec la base arrière pendant la mission.
Le principal défi a été l'intégration au sein de l'équipage de plus de 130 personnes venues d'horizon divers et n'ayant pu effectuer de quatorzaine avant leur embarquement. Pendant la phase à quai, tous les membres d'équipage ont fait l'objet d'un suivi médical particularisé ; sept personnes ont ainsi été écartées pour préserver l'état sanitaire du reste de l'équipage. Un contrôle sanitaire a été effectué au niveau de chaque détachement et compagnie afin de détecter au plus tôt l'apparition de symptômes, fussent-ils mineurs. Au moment de l'appareillage, un stock de masques suffisant pour permettre un port permanent a été embarqué et des mesures exceptionnelles prises. Toutes les zones de vie ont été fermées, les modalités de restauration ont été adaptées. L'activité a été aménagée sans porter préjudice à l'aptitude opérationnelle et à la préparation de la mission.
Au terme de cinquante-cinq jours sans presque toucher terre ou presque, la mission a été accomplie avec succès, en prenant en compte les contraintes de cette crise hors normes, ainsi que les dispositions exceptionnelles qui ont permis de rentrer à Toulon avec tout le personnel en bonne santé. Dans cette crise sanitaire hors normes, le déploiement d'un porte-hélicoptères amphibie, outil de gestion de crise militaire et humanitaire, en renforcement des forces de souveraineté s'est révélé pertinent afin d'élargir le panel des missions au profit de la population et de maintenir l'effort sur les autres missions des forces armées, comme la lutte contre le narcotrafic dans la zone antillaise.
L'équipage est rentré avec la fierté du devoir accompli et d'avoir contribué à l'élan de solidarité de la métropole envers nos compatriotes ultramarins, ce qui a donné du sens à leur engagement au quotidien.