Cher Jean Lassalle, vous avez évoqué la dissuasion nucléaire et vous interrogez sur l'avenir de la dissuasion dans un monde où on aurait déshumanisé le champ de bataille. Je retiens de votre intervention la dimension éthique. Vous vous demandez à quoi ressembleront les conflits futurs sans expérience sensible de la guerre. C'est en effet une question fondamentale. Le président Chassaigne l'a évoqué avec le film Good Kill : on y voit un opérateur qui prend plus de risques en rentrant chez lui en voiture le soir qu'en faisant la guerre dans la journée. Les théoriciens de la guerre, parmi lesquels des penseurs antiques, chinois ou plus proche de nous, Clausewitz, disaient qu'un conflit était un affrontement des volontés et que dès lors que la peur était installée chez l'adversaire, vous aviez gagné la guerre. Face à une armée composée en grande partie de robots, un nouveau paradigme semble survenir. Cette question est aussi traitée dans notre rapport.
Thomas Gassilloud a fait part de deux craintes.
Sur le risque que les robots autonomes abaissent le seuil de déclenchement des conflits, il me paraîtrait constitué à partir du moment où le conflit n'opposerait que des machines. Cette crainte n'a pas forcément lieu d'être dans le cadre de conflits asymétriques ou même dans le cadre de conflits symétriques, dès lors que les SALA pourraient infliger des pertes humaines sur le champ de bataille. Les drones armés ont d'ailleurs suscité le même questionnement. Pour ma part, je perçois plutôt un risque d'extension du champ territorial de la conflictualité. Les services secrets américains sont intervenus plus facilement au-dessus du Yémen, du Pakistan – des États qui ne sont pas officiellement en guerre avec les États-Unis – du fait de la facilité d'usage des drones. L'envoi de F16 dotés de pilotes n'aurait pas été envisagé aussi facilement.
Vos craintes concernant les ESSD sont déjà concevables aujourd'hui, indépendamment de la question des SALA. Des sociétés comme l'entreprise russe Kalachnikov développent déjà des armes susceptibles d'être employées par des ESSD. La particularité des SALA tient à l'importance de l'intelligence artificielle et, ce faisant, des données. Pour qu'un drone autonome aille frapper une cible, il faut lui avoir appris à reconnaître la cible, ce qui nécessite des données en très grande quantité. Or, qui détient un tel volume de données si ce n'est des entreprises civiles telles que les GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ?