Je vais m'efforcer de ne pas répéter ce qu'ont dit mes collègues ; propos auxquels, d'ailleurs, j'adhère totalement. J'emploie sciemment le terme « collègues », car il convient de ne pas occulter la dimension professionnelle.
Comme nos aumôniers sur le terrain, nos activités s'exercent au-delà du simple dialogue interreligieux et nous conduisent à travailler tous ensemble au service de notre entité. Cependant, ces collaborations vertueuses ne sauraient être confondues avec une quelconque forme de syncrétisme, ce mélange de spiritualités qui ne nous correspond guère. Mais elles constituent la marque de la laïcité militaire que je définirais par le leitmotiv « s'engager ensemble ». La laïcité est souvent perçue comme une façon de vivre ensemble ; dans les armées, il s'agit bien de s'engager ensemble.
S'engager ensemble, pour un aumônier, consiste à soutenir, tant sur le plan moral que spirituel, les militaires, en métropole ou projetés, afin de défendre nos intérêts et de maintenir la paix.
S'engager ensemble consiste à porter un uniforme d'officier, dont nous assumons les devoirs, car l'aumônier a toujours le grade de celui auquel il s'adresse. Il importe de s'en montrer digne et d'agir au quotidien pour la cohésion de nos forces.
S'engager ensemble consiste à aller au-delà des mots, à contribuer à faire vivre l'humanité de nos soldats dans la gravité des actions militaires.
S'engager ensemble consiste également à partager un moment de détente à la « popote » ; à visiter les militaires engagés dans la mission « Sentinelle » après une dure journée de mission ; à partir en convoi dans le désert sahélien ; à transpirer avec nos artilleurs en manœuvre à Lomo, en Côte d'Ivoire ; à fêter la fin du mois de ramadan avec des soldats ; et à bien d'autres actions encore.
C'est à cela que consiste l'engagement de nos aumôniers, déployés en mission à l'étranger ou à l'intérieur de notre pays.
L'aumônerie musulmane est la sœur cadette de cette famille. En effet, elle a été créée en 2005 et le conseil du culte musulman a proposé ma nomination comme aumônier en chef au ministre de la Défense de l'époque. Notre aumônerie a donc 15 ans ; elle est encore jeune, mais fière du travail déjà accompli. Elle prend à cœur les missions qui lui sont confiées par l'institution militaire et compte trente-six aumôniers militaires (vingt-huit hommes et huit femmes). Elle s'emploie à soutenir moralement les militaires et leurs familles, à apporter une assistance cultuelle si elle est souhaitée, et à conseiller le commandement sur les questions relatives à la gestion du culte musulman dans les armées.
Nous disposons d'une trentaine de cercles de prière qui permettent aux soldats de confession musulmane de prier sur leur temps libre, dans les régions et sur les bases aériennes, mais également en opérations extérieures. Nous disposons également de salles polycultuelles, comme c'est le cas par exemple, sur le site de Balard. En opérations extérieures, la pratique du culte peut revêtir un caractère fondamental pour un soldat envoyé loin de chez lui, de sa famille, de ses proches, de ses repères et qui fait face à ses doutes, à une quête de sens, accrus par l'éloignement et la dangerosité de la mission. Dans ces circonstances, les aumôniers musulmans assurent la pratique du culte collectif du vendredi et organisent des temps réguliers de prière et de partage avec ceux qui le souhaitent.
Le conseil au commandement s'exerce à deux niveaux. En métropole, les aumôniers conseillent le commandement de proximité et l'aumônier en chef conseille le haut commandement afin de promouvoir une juste compréhension de faits religieux musulmans. Par exemple, à l'occasion du mois de ramadan passé, le commandement a diffusé comme chaque année une lettre d'information, éditée par l'aumônerie musulmane, expliquant les rites particuliers afférents à cette période. Cette lettre contenant des consignes claires de l'état-major des armées (EMA) a été diffusée aux commandants de formations afin de permettre la prise de repas en horaires décalés, ou de reporter le jeûne à une autre période, si les impératifs de l'accomplissement de la mission l'exigeaient. Dans le contexte inédit de la crise sanitaire qui a sévi au printemps dernier, les chefs et les aumôniers ont pu de concert organiser cette prise de repas, en respectant les consignes sanitaires en vigueur.
En tant que service multicultuel, parfaitement intégré au sein d'un des grands ministères régaliens de notre République, nous avons à relever le défi de la promotion d'une culture de l'excellence. Il s'agit non seulement de remplir ses missions, mais également de se remettre constamment en question afin de s'intégrer. Dans cette poursuite du progrès dans l'ADN de nos armées, les retours d'expérience (familièrement dénommés « RETEX ») nous permettent de prendre des décisions éclairées, de parfaire notre fonctionnement et notre déploiement dans un objectif de qualité et de service rendu aux armées. Il s'agit là d'un des défis de notre jeune service d'aumônerie musulmane, créé il y a seulement quinze ans, pour concourir à la réussite des armées et de la France ainsi que de la promotion de ses valeurs.