Intervenant en quatrième position, je rencontrerai des difficultés à éviter les répétitions, car nous avons dans l'ensemble des approches identiques, bien qu'elles soient légèrement nuancées.
La présence des aumôniers auprès du ministère constitue une réalité ancienne. Depuis des siècles, des religieux ont accompagné des soldats au combat, bien avant que l'existence des aumôneries soit formalisée par des textes. Dans une société sécularisée, la présence des aumôneries ne constitue pas une évidence pour tous. Comme le rappelait un collègue aumônier, « l'exercice de la laïcité dans l'armée française constitue un aspect particulier des relations entre d'une part, les religions et leurs représentants – en l'occurrence, les aumôniers - et d'autre part, l'État dont l'armée est la représentante en tant que détentrice de la vigilance légitime d'un État démocratique ».
Il convient néanmoins de ne pas raisonner en termes d'opposition, mais d'adopter une approche concrète, coopérative et dépassionnée, mais non sans conviction, sachant que l'honneur constitue la raison d'être des aumôneries, qu'elles soient catholique, protestante, israélite ou musulmane. Il leur appartient d'accompagner les hommes et les femmes là où ils sont, de les aider – dans la mesure où ils le souhaitent – dans une quête de sens qui touche naturellement le domaine spirituel.
Il serait intéressant de développer certains aspects historiques qui figurent dans le livret précédemment mentionné. Je souhaite simplement préciser deux aspects particuliers du rôle des aumôniers, bien qu'ils aient déjà été évoqués, et les inscrire dans le cadre d'une expérience plus personnelle. Je repense souvent à mes premières années comme aumônier militaire. En parallèle de ma fonction de pasteur d'une paroisse, j'avais signé un engagement d'aumônier réserviste à Castres, auprès des parachutistes. Nous disposions de temps de présentation des aumôneries que nous réalisions si possible à plusieurs voix. À l'issue de la communication de l'information de base destinée aux jeunes recrues et aux nouveaux arrivants, nous organisions un temps d'échange. J'ai toujours été surpris par le nombre et la diversité des questions posées par ces jeunes, qui exprimaient tout à la fois de la crainte vis-à-vis des religions, souvent par méconnaissance, et un grand intérêt pour la dimension spirituelle.
Je souligne que les aumôniers, hommes et femmes, entretiennent un dialogue permanent avec les personnels qu'ils rencontrent dans les régiments et les unités, dans les lieux de formation, sur le terrain en exercice, et bien entendu, également lors des missions qui se déroulent sur terre ou sur les mers, en opérations extérieures ou auprès des militaires de la gendarmerie nationale. Cette réalité de terrain nous permet de préciser le cadre défini par les textes officiels pour la mission d'aumônier, à savoir non seulement un soutien religieux aux personnels civils et militaires du ministère de la Défense qui le souhaitent, et à leur famille, mais également un rôle de soutien au commandement. Le soutien est accordé à tous et pour tout ce qui traverse la vie. L'aumônier des armées écoute celles et ceux qui viennent à lui ou qu'il rencontre. Son action s'articule avec celle d'autres aidants, à savoir les assistantes sociales, les psychologues, les psychiatres, les soignants du service de santé ou encore les différents référents qui interviennent dans le cadre des armées.
La spécificité de l'absence de grade de l'aumônier a été évoquée. Elle le situe en dehors de la hiérarchie militaire, ce qui garantit un accès facile pour tous et, de fait, une proximité qui autorise un échange en confiance et en toute confidentialité.
Vivre au quotidien avec les soldats, les accompagner, partager la condition militaire, parfois même la rudesse de leur engagement ou la douleur de l'effort, permet à l'aumônier d'établir des rapports personnels forts. Ce vécu commun est propice à des échanges sur des sujets touchant aux domaines personnel, familial ou professionnel. Je tiens à souligner que l'aumônier militaire représente un instrument de résilience en accompagnant chacun dans son questionnement, non pas au détriment de la mission, mais au contraire pour lui permettre d'être pleinement investi et de faire face à son engagement pour la Nation.
Le second aspect majeur de la mission de l'aumônier réside dans le soutien religieux et spirituel. Contrairement à l'idée souvent exprimée qui consiste, dans la laïcité, à reléguer la pratique religieuse à la seule sphère privée, voire à l'exclure des espaces collectifs ou des conversations, nous affirmons que ce qui se vit au sein des armées est bien différent, selon des règles puissantes de fraternité et de cohésion. En effet, nous observons très clairement un retour du religieux, un attrait pour la spiritualité et une quête de sens face à des situations personnelles parfois critiques qui nous imposent d'être présents et d'assurer un accompagnement excluant toute forme de prosélytisme. Cette dimension intérieure de l'être humain stimule la réflexion et porte à une approche sensible des questions éthiques parmi lesquelles, bien sûr, les questions relatives à la guerre, à la paix, mais également à la mort qui demeure, de fait, étroitement liée à la condition du militaire qui peut la donner ou la recevoir et dans tous les cas, la côtoyer de près. Dès lors, en tout temps et en tout lieu, les aumôniers constituent un complément précieux, une aide, un conseil.
Je ne souhaite néanmoins pas donner l'impression de vouloir gommer ce qui représente notre spécificité, nos différences et, paradoxalement, nos richesses. Quel que soit son culte, chaque aumônier doit être un homme ou une femme d'ouverture et de conviction, avec des valeurs solides, porteur d'un message d'espérance et de fraternité ; un point de rencontre et de contact. Cela se lit dans la relation que nous entretenons ensemble, aumôniers des différents cultes, dans des actions que nous menons conjointement. Le commandement y est très sensible, car cela participe non seulement à l'apaisement de la relation entre les différents cultes, mais également à la cohésion.
Je terminerai par une image donnée par un collègue, ancien attaché parlementaire et aujourd'hui aumônier, qui disait à propos de cette fonction : « Les rameaux d'olivier qu'il porte sur son uniforme sont le symbole de la paix et de la concorde, toujours souhaitable, mais aussi de l'huile qui apporte de l'harmonie dans les rouages, les transmissions et les rapports humains. Un bon aumônier serait donc une huile de grande qualité qui répand sur tout ce qu'elle touche de la saveur et du liant ». Il convient bien évidemment de savoir rester modestes, avec l'espoir d'être perçus, malgré nos particularités, nos limites, nos forces et nos faiblesses, comme des hommes ou des femmes aptes à apporter quelque chose d'utile, dans une dimension spirituelle, propre à leur fonction.