En premier lieu, sachant que Mme Patricia Mirallès avait contracté le coronavirus, je lui souhaite une guérison totale et un plein rétablissement. J'ai moi-même passé quelques moments difficiles et bien que je n'aie pas été hospitalisé, je connais les effets désagréables de ce virus. Nous avons coutume de dire « Béni soit celui qui guérit les malades ».
Je reviens à notre sujet et aux questions de grande qualité qui nous ont été posées. L'intervention de Mme Mirallès rejoint celle de M. Chassaigne et elles touchent au sens de notre engagement en tant que militaires. Est-ce qu'il n'y aurait pas une opposition antinomique entre le devoir militaire et le devoir religieux ?
Au risque de vous surprendre, alors que j'ai eu la chance de côtoyer un grand nombre de chefs d'états-majors, j'ai été profondément frappé, et surtout admiratif, de l'humanité de ces généraux, de ces hommes. On dit souvent « recevoir la mort ». Le Talmud raconte que lorsque Jacob a appris qu'Ésaü allait à sa rencontre, dans le désir de se venger, il a fait une double prière à Dieu : « J'ai peur d'être tué, mais j'ai également peur de le tuer ». Lorsque j'écoutais le général Bentégeat ou le général de Villiers, j'entendais des hommes profondément humains, attachés au respect de la vie et pour lesquels donner la mort se révélait plus difficile que de la recevoir. Lorsqu'on est amené à faire usage de la force, c'est avec une réflexion et au nom de ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Le juif que je suis estime que ces valeurs émanent directement des dix commandements qui sont l'insigne de l'aumônerie israélite des armées qui a toujours accordé la liberté à chacun. L'égalité entre les hommes et les femmes est inscrite dans les dix commandements qui leur confèrent les mêmes droits. Enfin, aider son prochain constitue un des piliers du judaïsme : « N'oublie pas le pauvre », « aide l'étranger », « ne dédaigne pas ». Dès lors, à mon sens, il n'existe aucune contradiction entre un engagement religieux et un engagement militaire.
Nous vivons à l'époque de la professionnalisation des armées qui, sur certains points, a créé une distance entre les armées et la nation. Les autorités tentent d'y remédier grâce à la création du service national universel dont l'objectif consiste à recréer de la cohésion sociale. Dans le même temps, la professionnalisation des armées a conduit à des engagements de conviction. Les hommes et les femmes qui s'engagent dans nos armées sont convaincus de leur mission, de l'intérêt de leur métier. Comme leurs anciens, ce sont de vrais passionnés, quel que soit leur échelon, du militaire du rang au chef d'état-major, en passant par les officiers généraux, les officiers supérieurs, les simples officiers et les sous-officiers. Tous vivent passionnément cet engagement.
Nous sommes également attentifs aux familles pour lesquelles un soutien est souvent nécessaire.
Par ailleurs, je rappelle qu'il y a quelques années, mon prédécesseur, le grand rabbin Korsia, Monseigneur Luc Ravel, un grand aumônier, prédécesseur d'Antoine de Romanet et actuel évêque de Strasbourg, et le pasteur Stéphane Rémi, ont rédigé une charte des aumôniers par laquelle les aumôniers s'engagent à n'opérer aucun prosélytisme et à ne pas empiéter sur le domaine de l'autre. Lorsqu'un militaire qui n'est pas de notre confession s'adresse à nous, dans la mesure du possible, nous l'orientons vers l'aumônier de son culte. Ces règles de bonne entente garantissent qu'il n'y ait aucun problème à écouter et aider un militaire d'un autre culte, dans le respect de sa confession.
La référence de M. Lassalle à Camus et Saint-Augustin constitue un grand honneur pour nous tous. Quoi qu'il en soit, la question du tiraillement du soldat entre sa mission et sa religion a été prégnante, notamment au cours de la Première Guerre mondiale qui, à l'inverse de bien des guerres de l'histoire, n'était pas une guerre du bien contre le mal, mais une guerre de patries. Il est arrivé que des juifs français tirent sur des juifs allemands, chacun étant habité de la conviction qu'il servait sa patrie.
Les autorités religieuses peuvent-elles intervenir dans un processus de paix ? Je pense que cela relève malheureusement encore aujourd'hui de l'utopie, mais gardons espoir. Nous entretenons d'excellentes relations avec des aumôniers d'autres pays. Il serait fabuleux qu'un jour le pape, le grand rabbin d'Israël, le grand mufti de Jérusalem et le grand représentant des protestants se réunissent et règlent tous les conflits.