Tout d'abord, à titre liminaire, je voulais dire je m'honore d'être la première femme à être rapporteure pour avis du budget de l'armée de Terre. Ensuite, je souligne que grâce au vrai binôme que nous avons formé, Thomas Gassilloud et moi, au cours des trois premières années de la législature, nous avons tous deux acquis des compétences, qui se sont avérées précieuses pour la réalisation de mon premier rapport cette année.
Avec ce projet de loi de finances pour 2021, nous abordons le troisième exercice de notre loi de programmation militaire. Je suis particulièrement satisfaite de constater qu'une nouvelle fois, nos engagements sont pleinement tenus, en dépit du contexte social et sanitaire qui pèse lourdement sur nos dépenses publiques, des imprévus et des drames qui ont secoué notre nation ces derniers mois, voire ces derniers jours. Le Président de la République a fait de l'effort de défense, dont nous savons tous combien il est nécessaire, une priorité, et il s'y tient. Cela mérite d'être salué.
Le budget de l'armée de Terre, hors les dépenses de personnel, poursuivra sa hausse en 2021, avec 5 % de crédits supplémentaires. Le budget total pour l'armée de Terre, incluant les dépenses de personnel, approche les 10 milliards d'euros.
L'armée de Terre reste pleinement mobilisée par son effort de recrutement et de fidélisation afin de maintenir une force opérationnelle terrestre de 77 000 hommes et femmes. Plus de 16 000 recrues devront ainsi rejoindre les rangs de l'armée de Terre en 2021, pour compenser le déficit de recrutement hérité de 2020 – qui devrait être limité à 400 personnels – et, surtout, les départs, beaucoup trop nombreux. La fidélisation reste donc un point d'attention important. L'armée de Terre met actuellement en œuvre des mesures ambitieuses pour fidéliser son personnel ; il conviendra d'en mesurer les effets dans les prochaines années.
La régénération et la modernisation prévues par la LPM se poursuivent. Permettez-moi de citer quelques chiffres emblématiques : 942 millions d'euros seront consacrés en 2021 à l'entretien programmé du matériel ; 43 % de cette somme servent à financer les nouveaux contrats de maintenance aéronautique, qui sont performants et satisfont pleinement leurs utilisateurs, répondant en cela à l'injonction de la ministre : « Il faut que cela vole ! » ; 50 véhicules blindés légers (VBL) ont été régénérés en 2020 et 80 devraient l'être en 2021 ; plusieurs régénérations sont, en revanche, reportées à cause de la crise sanitaire : je pense notamment au Leclerc.
En dépit du contexte sanitaire qui a fait peser beaucoup de contraintes sur les chaînes de production et de maintenance industrielles, les livraisons du programme Scorpion se poursuivent. L'enjeu reste la projection d'un premier groupement tactique interarmées (GTIA) en 2021 et d'une première brigade interarmées (BIA) en 2023. La livraison des NH90-TTH, dits Caïman, devrait permettre de sortir du parc d'emploi des hélicoptères hors d'âge dont le maintien en condition opérationnelle (MCO) a atteint un coût astronomique. Les livraisons de petits équipements se poursuivent avec, à la clé, une véritable amélioration du quotidien du soldat en opération extérieure (OPEX), une plus grande efficacité et une plus grande sécurité.
Dans mon avis, j'appelle néanmoins l'attention sur quelques points de vigilance pour 2021.
L'un d'eux concerne le niveau de la préparation opérationnelle. En 2020, l'armée de Terre atteint péniblement 56 % de son objectif en termes d'entraînement sur matériels terrestres ; la prévision pour 2021 s'établit seulement à 57 %. Le nombre d'heures de vol des pilotes de l'aviation légère de l'armée de Terre (ALAT) – 142 pour les forces conventionnelles, 146 pour les forces spéciales – est bien loin de l'objectif fixé, qui est de 200 heures pour les premières et de 220 heures pour les secondes. Il ressort du projet annuel de performance, page 110, que les pilotes de la marine et de l'armée de l'air font beaucoup mieux. J'ai cherché à comprendre pourquoi. Trois facteurs expliquent cette sous-performance récente. Avant de les évoquer, je rappelle que les caractéristiques de l'armée de Terre – la variété des personnels qui composent un groupement tactique interarmes, leur dispersion géographique, la diversité des matériels… – rendent sa préparation opérationnelle plus compliquée : il faut réussir à réunir au même moment le temps, les hommes et les matériels.
Premier facteur : le rythme des opérations et leur caractère imprévisible. On peut rappeler, à cet égard, le déclenchement des opérations Amitié, lancée après les explosions survenues à Beyrouth, ou Morphée, dans le cadre de la crise sanitaire. Or le rythme ne faiblit pas. Les facteurs pénalisant la préparation opérationnelle que nous avions relevés, Thomas Gassilloud et moi-même, en 2018, n'ont pas disparu.
Le deuxième facteur est nouveau : il a trait à l'adoption des nouveaux contrats de maintenance aéronautique. Dans l'armée de Terre, la conclusion de ces gros contrats forfaitaires rigidifie considérablement la dépense, obligeant à renoncer à une multitude d'autres opérations de maintenance, plus petites par comparaison, qui font donc office de variable d'ajustement. In fine, si les matériels ne sont pas réparés, ils ne peuvent évidemment pas servir à l'entraînement.
Le dernier facteur, qui ne sera que conjoncturel, je l'espère, est celui des surcoûts OPEX. En dépit de l'augmentation de la provision, qui rejoint progressivement le niveau des coûts finalement constatés, le reliquat à financer est resté assez élevé en 2019 et le ministère a dû s'autofinancer.
La situation est pour le moins paradoxale : alors que les budgets n'ont jamais été aussi élevés, que la LPM est respectée à la lettre et que l'armée de Terre est dotée de contrats de maintenance performants, elle peine à intensifier sa préparation opérationnelle, conformément à la vision stratégique que nous a livrée le chef d'état-major de l'armée de Terre (CEMAT). À court terme, plusieurs solutions simples permettraient de sortir de ce paradoxe : poursuivre l'évolution engagée de l'opération Sentinelle, conformément aux orientations données par le chef d'état-major des armées, et sanctuariser les crédits de l'action 2 du programme 178 en gestion, notamment.
Mais j'évalue à 300 millions d'euros les besoins de financement complémentaires au titre du MCO des matériels terrestres. C'est l'objet de la partie thématique de mon rapport, dont je vous donne un aperçu sous la forme des quatre alertes suivantes.
Premièrement, la mutualisation des parcs de matériels et l'externalisation de certaines prestations de maintenance décidées en 2010 devaient générer des économies, mais elles sont une source de rigidités incroyable.
Deuxièmement, comme l'ont mis en évidence plusieurs rapporteurs de notre commission, nous approchons d'un pic de coûts – le « mur du MCO » – lié à la coexistence de matériels de dernière génération avec les équipements plus anciens. Les dépenses au titre du MCO risquent d'exploser dans les deux prochaines années.
Troisièmement, la crise sanitaire a mis en lumière des faiblesses dans l'approvisionnement en pièces de rechange et en munitions. Cela n'a pas porté atteinte à nos opérations cette fois, mais la reconstitution des stocks représente une dépense non négligeable à laquelle il paraît prudent de ne pas surseoir.
Enfin, mon rapport appelle votre attention sur le fait que le MCO des matériels Scorpion n'est qu'en partie prévu aujourd'hui. Seul le soutien initial est inclus dans les contrats. Concrètement, cela veut dire que si un Griffon projeté dans la bande sahélo-saharienne (BSS) est endommagé par un engin explosif improvisé (IED) en 2021, il faudra demander à l'industriel un devis ad hoc pour le réparer… Un marché devrait prochainement être négocié par la direction générale de l'armement (DGA) pour le MCO des matériels Scorpion, pour un coût encore inconnu à ce jour, mais par force imparfaitement pris en compte dans la LPM. Il convient de relever qu'il est prévu une externalisation totale du soutien de ces matériels, une orientation sur laquelle il faudrait peut-être s'interroger à la lumière des leçons de la crise sanitaire. Or, le service de maintenance industriel de l'État n'a aujourd'hui ni la formation, ni les infrastructures pour réparer ces matériels.
Ces remarques étant faites, je donne un avis très favorable à l'adoption des crédits du projet de loi de finances pour 2021 alloués à l'emploi et à la préparation des forces terrestres.