Madame Dubois, pendant fort longtemps nous avons été leaders, comme l'a rappelé M. Lassalle, puis nous nous sommes un peu reposés sur nos lauriers. Nous sommes à un moment charnière : malgré les sommes considérables engagées par nos rivaux et alliés, nous disposons encore de grandes ressources, en particulier de techniciens et d'ingénieurs de qualité. Cela m'a été confirmé par le CNES, par l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et par l'ensemble de mes interlocuteurs. Nous avons de grands talents et une capacité importante. L'ambition du Gouvernement, qui a décidé d'allouer des crédits à l'espace, arrive à point nommé, mais il ne faudra pas que cette courbe ascendante connaisse d'inflexion, car nous prendrions très vite du retard. Nous n'avons plus le droit de stagner et encore moins de faire machine arrière : dans ce cas, effectivement, nous ne serions plus à la hauteur des enjeux.
Concernant nos partenaires européens, je ne crois pas qu'il y ait de grandes rivalités : chacun a ses spécificités, dans ses domaines de compétence respectifs. Certains sont plus forts dans les radars ; nous, ce sont les images. La plupart du temps, cela se passe en bonne intelligence, de manière harmonieuse. Je ne vois pas de difficulté insurmontable avec nos alliés européens : il y a une volonté commune de rester présents dans le domaine spatial.
Monsieur Thiériot, nous nous réjouissons tous de la commande grecque : c'est la première fois qu'un pays européen commande des Rafale. Ce n'est donc pas anodin. Cela dit, cette commande aura effectivement des conséquences sur le format de notre aviation de chasse. La ministre nous a rassurés : douze appareils neufs seront commandés d'ici à la fin de l'année. Mais, entre-temps, l'armée de l'air connaîtra une réduction temporaire de sa capacité. Le recomplètement doit donc se faire le plus rapidement possible. Il ressort de mes échanges avec l'état-major de l'armée de l'air qu'il faut aussi faire monter en gamme les appareils restants par l'acquisition d'équipements qui font actuellement défaut, comme les pods ou les radars à antenne active. Dans tous les cas, il est impératif de tenir l'objectif de 129 Rafale au sein du parc à l'horizon 2025. Cet objectif a été rappelé par la ministre.
Il faut également avoir présent à l'esprit le fait que d'autres commandes pourraient intervenir à la suite de celle de la Grèce, en particulier de la part des autorités croates, a priori pour des appareils d'occasion. Les Suisses, quant à eux, se sont prononcés lors d'une votation pour l'acquisition d'appareils neufs. S'ils n'ont pas encore tranché en faveur du Rafale, il semblerait que nous soyons bien placés. J'appelle évidemment ces commandes de mes vœux, mais si d'autres appareils devaient être prélevés dans l'armée de l'air, la situation pourrait se tendre. Il est indispensable, dans un contexte où notre supériorité aérienne fait l'objet d'une contestation croissante, d'intensifier la modernisation de l'aviation de combat en rehaussant les capacités actuelles, en poursuivant les travaux sur les standards F4 puis F5 du Rafale et en continuant d'avancer sur le SCAF – j'y reviendrai.
Monsieur Favennec Becot, vous soulignez un problème que tous ceux qui s'intéressent au domaine spatial ont présent à l'esprit : celui des débris. Il est notamment traité dans le cadre du programme de surveillance spatiale, mais je ne saurais vous indiquer le détail des financements. Je vous ferai parvenir les renseignements lorsque je les aurai. Sachez que le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS), à Lyon-Mont Verdun, participe à la mission d'anticipation de la trajectoire de retombée d'objets sur la Terre.
Monsieur Chassaigne, concernant la verticalisation, les résultats commencent à se faire sentir, mais cela prend du temps, et les choses ne vont jamais assez vite. Nous avons des gens très compétents dans nos armées, notamment parmi les mécaniciens et tout le monde, y compris les industriels, veut aller vite et faire mieux. Je ne perçois aucun frein. Je salue également la volonté de la ministre, qui ne lâche rien dans cette affaire. Je suis donc plutôt optimiste, mais il est vrai qu'il faut faire vite. Cela dit, nous sommes face à une problématique particulière : il y a d'un côté une flotte vieillissante et de l'autre de nouvelles flottes qui ne sont pas encore matures. En outre, l'arrivée de nouvelles flottes entraînera certes une amélioration du service, mais aussi, forcément, une explosion des coûts. Cela fait partie des enjeux à venir. C'est compliqué, mais nous ferons tout pour que cela fonctionne – les gens sont motivés pour que ce soit le cas.
Monsieur Larsonneur, je l'ai dit dans mon propos introductif : au Levant, on est obligé d'engager des Rafale compte tenu compte tenu des équipements au sol et de la densification de l'espace aérien. On est ainsi déjà passé des Mirage aux Rafale sur le théâtre de l'opération Chammal. Les Mirage 2000-D sont plutôt destinés au théâtre sahélien, car ils sont dépourvus de capacités air-air. Les Mirage 2000-5, chers à mon ami Christophe Lejeune, sont plutôt affectés à la défense aérienne, y compris dans les missions de réassurance au profit des pays baltes. Les Rafale sont évidemment destinés aux missions de haute intensité. Il n'y a pas de doute sur cette répartition des rôles dans l'aviation de chasse.
Selon les informations dont je dispose, l'Eurodrone est en bonne voie. Le programme suit son cours, sans difficulté particulière.
Monsieur Lassalle, la dissuasion repose largement sur le spatial, en effet. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de visiter les chaînes d'assemblage aux Mureaux, mais cela permet de percevoir la dualité de l'industrie aérospatiale : il y a d'un côté la chaîne d'assemblage d'Ariane, et de l'autre celle des M51. Pour dire les choses simplement, c'est juste une différence de diamètre.
Concernant le suivi des terroristes libérés, vous n'avez pas tort, mais on dispose de moyens de surveillance de très haut niveau, qui sont mis au service des opérations extérieures en cours.
Madame Thillaye, je ne suis pas inquiet à propos du SCAF, mais il faut être vigilant. Un accord sur les aspects opérationnels a été conclu, au moins pour les grandes lignes, entre l'Allemagne, l'Espagne et la France. Ce qui freine, ce sont les aspects d'ordre financier. J'ai lu récemment des articles dans la presse à ce propos, tout comme vous certainement : la volonté y est, le tout est de savoir qui met combien. C'est une question complexe. La rencontre bilatérale, il y a quelques semaines, entre Mme Parly et son homologue allemande est plutôt encourageante. Les discussions vont se poursuivre. J'espère qu'elles iront dans le bon sens.
Vous m'avez interrogée, comme Mme Mirallès, sur les ressources humaines et le recrutement. La crise sanitaire a eu un faible impact sur l'armée de l'air. L'implication de ses forces, dès le début, a donné d'elle une image dynamique. Le 31 janvier, le premier rapatriement de ressortissants français et européens en provenance de Chine a été réalisé par l'escadron Estérel, qui les a ramenés en Provence. L'engagement de l'armée de l'air s'est poursuivi avec le transport de malades et de soignants par A400M et MRTT médicalisés, équipés du module de réanimation pour patients à haute élongation d'évacuation (MORPHÉE). La crise a ainsi constitué une belle phase de communication, ce qui est toujours bénéfique en termes de recrutement.
Par ailleurs, du fait de la crise du secteur aéronautique, l'armée de l'air a enregistré moins de départs : l'attractivité du privé ne joue plus du tout. Cela ne va pas durer, car le secteur aéronautique civil reprendra bien un jour – en tout cas, c'est ce que nous souhaitons tous. Quoi qu'il en soit, le recrutement reste un défi : il faut y être vigilant. De nouveaux besoins apparaissent, notamment dans le domaine spatial, mais aussi pour la mise en œuvre des drones. Les marges de manœuvre les plus importantes sont prévues entre 2024 et 2025, avec la création de 900 postes. En outre, certaines catégories d'emploi de l'armée de l'air sont fragiles : les mécaniciens, par exemple, ou encore, même si l'on en parle moins souvent, les fusiliers commandos de l'air. Si la crise sanitaire n'a donc pas eu, contre toute attente, d'effet catastrophique, il faut rester vigilant, car elle se terminera un jour ou l'autre.