Intervention de Anissa Khedher

Réunion du mardi 3 novembre 2020 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnissa Khedher, rapporteure pour avis :

Une fois encore la France, ses libertés, ses citoyens ont été visés par différentes attaques terroristes : après l'assassinat de Samuel Paty auquel nous rendions hommage dans les établissements scolaires hier, puis l'attentat commis le 29 octobre dernier à Nice dans la basilique Notre-Dame de L'Assomption, la nation entière est endeuillée. Cette horreur absolue rappelle, s'il le fallait, que la France est visée par des extrémistes et exposée à la barbarie terroriste pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle représente. Je tiens à saluer la mémoire des victimes de ces attaques et adresser à leurs proches toutes mes condoléances que je sais être aussi les vôtres. J'ai également une pensée émue pour les personnes tuées ou grièvement blessées lors de l'attentat de Vienne, en Autriche. En France, en Europe, dans le monde, nous partageons la douleur des victimes du terrorisme et, dans ce contexte difficile, la France ne se laissera pas terroriser. Nous pouvons compter sur l'engagement sans faille de ces femmes et de ces hommes qui revêtent l'uniforme militaire et qui, en ce moment même, au Sahel, luttent contre les djihadistes ; nous pouvons compter sur la vigilance sans relâche des soldats engagés dans l'opération Sentinelle qui, aux côtés des forces de l'ordre auxquels je tiens également à rendre hommage, nous protègent et veillent sur nous.

Cette situation n'est pas sans lien avec la proposition de loi déposée par nos collègues Fauvergue et Thourot, dont le contexte prouve la pertinence. Parce qu'ils concernent les militaires, la commission de la Défense s'est saisie pour avis des articles 22 et 26. J'observe en effet qu'il a été mis fin à l'attentat de Nice par l'action résolue de la police municipale de la ville dont il faut saluer les agents qui ont fait preuve de remarquables qualités professionnelles, aussitôt appuyés par la police nationale. Cet attentat a aussi conduit à ce que le plan Vigipirate soit porté au niveau maximal « urgence attentat » ainsi qu'au déploiement supplémentaire de 4 000 militaires des armées dans l'opération Sentinelle.

Le texte de nos collègues vise à renforcer l'intégration de tous les acteurs de la sécurité dans un projet de sécurité globale associant les forces de sécurité intérieure, les polices municipales, mais aussi les agents privés de la sécurité. La proposition de loi concerne également les militaires des armés puisqu'elle modifie l'article L. 2338-3 du code de la défense pour clarifier le régime d'usage de leurs armes dans le cadre de l'opération Sentinelle.

Globalement, la proposition de loi renforce le rôle des polices municipales au travers de la définition d'un cadre permettant, d'un côté l'élargissement de leur domaine d'intervention, de l'autre la création d'une police municipale à Paris. Elle prévoit ensuite de nombreuses mesures visant à mieux structurer et mieux contrôler le secteur de la sécurité privée, notamment dans la perspective du nécessaire continuum de sécurité à organiser avant la coupe du monde de rugby de 2023 et les Jeux olympiques de 2024. Elle vise également à améliorer le cadre juridique de l'utilisation d'outils technologiques, comme les caméras individuelles et les caméras aéroportées. Elle clarifie aussi le cadre juridique de certaines missions de sécurité intérieure. Enfin, elle améliore la sécurité dans les transports ferroviaires ainsi que sur la route, et prévoit la délictualisation de l'achat et de la vente d'articles pyrotechniques en méconnaissance des exigences prévues par la réglementation spécialisée.

L'équilibre général de ce texte m'apparaît très satisfaisant pour améliorer la sécurité des Français, renforcer l'articulation de la sécurité globale tout en précisant l'encadrement légal de certaines activités, dont le respect des libertés publiques.

Au-delà des enjeux qui relèvent de notre commission, je sais que certaines de ses dispositions sont attendues par nos concitoyens et les élus locaux, et tout particulièrement dans ma circonscription du Rhône, où ces derniers jours, ces dernières semaines, nous avons connu une multiplication des incivilités, des faits de délinquance, pour lesquels il nous faut apporter des réponses précises et concrètes. L'interdiction de la vente des articles pyrotechniques aux personnes n'ayant pas les compétences pour les manipuler est en ce sens une avancée importante. Dans de nombreux territoires, comme ce fut le cas à Champigny, ou comme c'est le cas régulièrement à Bron, dans le quartier du Terraillon, les mortiers d'artifice sont régulièrement utilisés en pleine nuit de façon incontrôlée, provoquant des nuisances qui deviennent très vite insupportables pour les riverains. Donner les moyens aux forces de l'ordre et à la justice de poursuivre les auteurs de ces actes permettra, je l'espère, de garantir à nos concitoyens un peu plus de sérénité.

Par ailleurs, l'élargissement des pouvoirs des polices municipales permettra aux maires dont les communes font partie de l'expérimentation de mieux répondre aux enjeux de sécurité sur leur territoire. La ville de Rillieux-la-Pape, commune de ma circonscription, en bénéficiera. J'espère que son application permettra d'apporter davantage de tranquillité publique aux Rilliards.

La tranquillité publique a été également mise à mal, en particulier depuis le début de la fin du premier confinement, par la recrudescence des rodéos motorisés. L'utilisation des drones à cet effet permettra aux forces de l'ordre d'utiliser la technologie pour suivre les auteurs des rodéos et les identifier plus rapidement.

Par ailleurs, s'agissant de la petite délinquance dans les quartiers prioritaires, je suis convaincue que ces dispositions ne peuvent fonctionner que si elles s'accompagnent d'un travail approfondi sur la prévention, sur l'éducation, sur l'urbanisme et surtout sur l'animation d'un tissu associatif local permettant de créer un lien entre les citoyens, entre les générations, de favoriser le dialogue entre la jeunesse et les forces de l'ordre.

J'en viens plus précisément aux articles 22 et 26, dont notre commission s'est saisie pour avis.

L'article 22 crée un régime juridique de captation d'images par des moyens aéroportés. Ce nouveau cadre légal est nécessaire car il comble un vide juridique. Depuis de nombreuses années déjà, les forces de sécurité intérieure utilisent les aéronefs pour prendre des images, les enregistrer et les transmettre pour appuyer les agents dans leur mission ; les armées sont aussi concernées dans la mesure où il arrive régulièrement qu'elles soient sollicitées, sur réquisition, dans le cadre de la sécurisation d'événements majeurs dont l'organisation est confiée au ministère de l'Intérieur, par exemple à l'occasion des sommets du G7 ou du 75e anniversaire du débarquement en Normandie, et comme ce sera sans doute de nouveau le cas lors de la coupe du monde de rugby en 2023 ou des Jeux olympiques de 2024.

Une récente décision du Conseil d'État a interdit aux services de l'État de poursuivre l'utilisation des caméras aéroportées en l'absence de cadre juridique assurant un équilibre entre le maintien de l'ordre public et le respect des libertés publiques. Cette décision est intervenue alors que des drones vidéo étaient utilisés pour contrôler le respect du confinement dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire lié à l'épidémie de la covid-19 par la préfecture de police de Paris et par quelques polices municipales. L'article 22 remédie à cette lacune en créant un nouveau chapitre dans le code de la sécurité intérieure consacré aux caméras aéroportées, composé de sept articles.

Le nouvel article L. 242-1 prévoit que ce nouveau chapitre détermine les conditions dans lesquelles les services de l'État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale, mais aussi les services d'incendie et de secours et les formations militaires de la sécurité civile, peuvent procéder au traitement d'images au moyen de caméras aéroportées.

Le nouvel article L. 242-2 précise qu'en cas de mise en œuvre sur la voie publique, les opérations mentionnées sont réalisées de telle sorte qu'elles ne visualisent pas les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées.

Le nouvel article L. 242-3 impose que le public soit informé par tout moyen approprié de la mise en œuvre de dispositifs aéroportés de captation d'images et de l'autorité responsable.

Le nouvel article L. 242-4 prévoit que les traitements d'images au moyen de caméras aéroportées ne peuvent être mis en œuvre de manière permanente. En outre, l'autorité responsable doit tenir un registre des traitements mis en œuvre précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés ainsi que les personnes ayant accès aux images, y compris le cas échéant au moyen d'un dispositif de renvoi en temps réel.

Le nouvel article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure permettra aux services de l'État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale de procéder à la captation, l'enregistrement et la transmission d'images pour des finalités précisément définies, comme la sécurité des rassemblements faisant craindre des troubles graves à l'ordre public, la prévention d'actes de terrorisme, le constat d'infractions, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation des flux de transport, la surveillance des littoraux et des zones frontalières, ou encore la formation des agents.

Le nouvel article L. 242-6 autorise les services d'incendie et de secours, les formations militaires de la sécurité civile, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon des marins-pompiers de Marseille à procéder en tous lieux, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, l'enregistrement et la transmission d'images aux fins d'assurer la prévention des risques naturels ou technologiques, le secours aux personnes et la défense contre l'incendie, et la formation et la pédagogie des agents. Une fois encore, la proposition de loi permet de donner un cadre légal à ce qui se fait déjà – il n'est qu'à penser aux images prises lors de l'incendie de la cathédrale Notre-Dame – et ainsi de mieux garantir les libertés publiques sans priver les services concernés d'un moyen utile à leurs missions.

Enfin, le nouvel article L. 242-7 renvoie les modalités d'application à un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

La création d'un cadre juridique particulier pour ces activités offre une clarification bienvenue. L'équilibre que ces nouvelles dispositions organisent entre les besoins opérationnels et les garanties apportées à l'exercice des libertés publiques offre toute satisfaction ; il convient donc de soutenir cette avancée.

Il faudra porter une attention particulière à l'adaptation aux besoins opérationnels des mesures d'application prises par décret. Ainsi, la déclinaison de l'article L. 242-2 ne doit pas aboutir à interdire aux forces de sécurité intérieure l'usage d'images pour matérialiser un délit d'attroupement aux entrées d'immeubles. Les modalités d'établissement du futur registre de traitement prévu à l'article L. 242-4 ne devront pas conduire à d'excessives lourdeurs administratives, pas plus que les modalités de transmission en temps réel des images à d'autres destinataires que le poste de commandement si le besoin opérationnel est avéré.

L'article 26 prévoit une nouvelle rédaction de l'article L. 2338-3 du code de la défense, qui régit notamment les conditions d'usage des armes par les militaires déployés en mission intérieure. La rédaction actuelle, issue de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, a été source de difficultés d'interprétation : en voulant conférer au ministre de la Défense la compétence pour définir les normes techniques applicables au matériel utilisé par les militaires pour l'immobilisation des véhicules à la place du ministre de l'Intérieur, elle a introduit une ambiguïté sur les conditions d'usage des armes par les militaires sur le territoire national.

Le deuxième alinéa de l'article L. 2338-3 prévoit en effet que « les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions peuvent faire usage de leurs armes et de moyens techniques appropriés, conformes à des normes techniques définies par arrêté du ministre de la Défense, pour immobiliser les moyens de transport dans les mêmes conditions ». Les termes : « pour immobiliser les moyens de transport » peuvent être compris comme se rapportant soit au seul usage des moyens techniques appropriés à cette fin, soit également à l'usage de l'arme. L'article 26 de la proposition de loi corrige cette ambiguïté, ce dont il faut se féliciter.

En revanche, il prévoit qu'un arrêté conjoint du ministre de l'Intérieur et de la ministre des Armées précisera les normes techniques des matériels utilisés pour immobiliser un véhicule dans les conditions de l'article L. 214-2 du code de sécurité intérieure, lorsque ces militaires sont engagés sur réquisition sur le territoire national. Ce projet d'arrêté conjoint introduit une complexité juridique qui n'apparaît pas justifiée : les armées sont déjà autorisées à utiliser des moyens techniques appropriés pour immobiliser des moyens de transport dans les conditions prévues à l'article L. 214-2 du code de la sécurité intérieure lorsqu'ils protègent les installations militaires, lesdits moyens étant définis par un arrêté du ministre des Armées. Prévoir deux arrêtés, dont un arrêté conjoint avec le ministre de l'Intérieur, pour définir des normes techniques afin qu'une même unité puisse remplir la même mission, avec les mêmes moyens, dans deux contextes qui ne sont que légèrement différents ne me paraît pas de bonne organisation.

Plus largement, le principe de libre disposition de la force armée plaide pour que les choix capacitaires faits pour équiper les armées, même lorsqu'ils sont très modestes, restent à la main du ministre des Armées, chargé notamment de la préparation et des conditions d'emploi des forces armées, selon l'article L. 1142-1 du code de la défense.

Je propose donc un amendement permettant de revenir à un seul arrêté de la ministre des Armées, comme cela est prévu, du reste, pour la protection des installations militaires, et conformément aux dispositions que vous avez votées dans l'article 41 de la loi de programmation militaire 2019-2025.

Voici chers collègues, ce que je souhaitais vous exposer dans le cadre de la saisine dont vous m'avez confié la responsabilité d'être la rapporteure.

Une remarque pour terminer. J'aurais aimé saisir l'opportunité offerte par ce vecteur législatif pour étendre la protection fonctionnelle des agents des forces de sécurité intérieure aux cas d'atteinte involontaire à leur intégrité physique. L'article 40 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires de créer une charge publique, nous empêche de déposer un amendement en ce sens. Comme la présidente, je pense que nous devrions insister auprès du Gouvernement tant cette situation suscite une incompréhension légitime des personnels et de leurs familles.

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