La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
La commission examine d'abord pour avis les articles 22 et 26 de la proposition de loi relative à la sécurité globale (n° 3452) (Mme Anissa Khedher, rapporteure pour avis.)
Mes chers collègues, bonsoir à tous, que vous soyez présents devant moi ou en visioconférence. Deux points sont à l'ordre du jour de notre réunion de ce soir. Nous examinerons d'abord pour avis les articles 22 et 26 de la proposition de loi relative à la sécurité globale qui a été déposée par nos collègues Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, puis la proposition de résolution européenne relative à la relance dans le secteur de la Défense.
Vous vous souvenez sans doute que nous avons désigné la semaine dernière notre collègue Anissa Khedher rapporteure pour avis sur les articles 22 et 26 de la proposition de loi (PPL) qui intéressent les armées au premier chef – c'est le cas de le dire. L'examen de cette proposition de loi prend une connotation particulière au regard des récents attentats perpétrés sur le sol français ces dernières semaines, dont le plus récent remonte à seulement quelques jours, le 29 octobre à Nice, dans la basilique Notre-Dame-de-l'Assomption.
Le Président de la République l'a rappelé : à travers ces attentats, c'est la nation tout entière qui est attaquée, c'est elle qui doit s'unir, se mobiliser, agir.
Trop souvent, les terroristes assimilent les démocraties à la faiblesse et à l'incapacité de réagir, engluées qu'elles seraient dans des débats et des discours célébrant la paix. Mais cette vision est fausse : un peuple conscient de ses valeurs, des libertés qu'il défend est le mieux armé à long terme pour lutter contre le terrorisme, davantage en tout cas qu'un peuple soumis.
Cette proposition de loi qui vient à point nommé n'est en rien une réaction émotive et circonstancielle à des événements tous plus horribles les uns que les autres. Nos collègues y travaillent depuis des mois et avaient même fait un rapport en 2018. Elle est, au contraire, une réaction rationnelle qui tend à assurer une meilleure coordination et, par conséquent, une meilleure efficacité entre les actions des différents acteurs intervenant dans le domaine de la sécurité. Elle démontre la capacité de la démocratie à s'organiser pour combattre le terrorisme.
Cette proposition a été renvoyée au fond à la commission des Lois, bien évidemment compétente sur les questions de sécurité intérieure. J'ai estimé toutefois nécessaire que la commission de la Défense puisse s'en saisir pour exprimer son point de vue, d'abord parce qu'il existe un continuum entre la sécurité intérieure et la défense nationale, ensuite parce que la gendarmerie entre explicitement dans le champ de notre compétence, enfin parce qu'un article de cette PPL propose une modification du code de la défense.
En conséquence, nous nous sommes saisis de deux articles : l'article 22 qui insère un nouveau chapitre dans le code de la sécurité intérieure dédié aux caméras aéroportées, et bien sûr l'article 26 relatif à l'article du code de la défense encadrant notamment les conditions d'usage des armes des militaires déployés sur réquisition en mission intérieure.
La rapporteure pour avis et moi-même aurions souhaité introduire dans cette proposition de loi un article additionnel concernant un sujet important qui nous tient à cœur et dont m'ont saisie plusieurs gendarmes : l'élargissement de la protection fonctionnelle aux cas d'atteintes involontaires à l'intégrité de leur personne. Cette exclusion peut conduire à des situations particulièrement choquantes comme celle de cette famille d'un gendarme décédé après avoir été heurté par un véhicule tiers alors qu'il intervenait ès qualités sur un accident de la circulation routière, et qui n'a pas pu bénéficier de la protection fonctionnelle.
Cet élargissement de la protection fonctionnelle entraînant par le fait une augmentation des charges publiques, l'article 40 de la Constitution interdit à un parlementaire de déposer un amendement dans ce sens, à moins que le ministre ait au préalable publiquement exprimé son accord. C'est ce que nous allons demander au Gouvernement, ce qui nous permettra, nous l'espérons, de le soumettre postérieurement à vos votes.
Une fois encore la France, ses libertés, ses citoyens ont été visés par différentes attaques terroristes : après l'assassinat de Samuel Paty auquel nous rendions hommage dans les établissements scolaires hier, puis l'attentat commis le 29 octobre dernier à Nice dans la basilique Notre-Dame de L'Assomption, la nation entière est endeuillée. Cette horreur absolue rappelle, s'il le fallait, que la France est visée par des extrémistes et exposée à la barbarie terroriste pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle représente. Je tiens à saluer la mémoire des victimes de ces attaques et adresser à leurs proches toutes mes condoléances que je sais être aussi les vôtres. J'ai également une pensée émue pour les personnes tuées ou grièvement blessées lors de l'attentat de Vienne, en Autriche. En France, en Europe, dans le monde, nous partageons la douleur des victimes du terrorisme et, dans ce contexte difficile, la France ne se laissera pas terroriser. Nous pouvons compter sur l'engagement sans faille de ces femmes et de ces hommes qui revêtent l'uniforme militaire et qui, en ce moment même, au Sahel, luttent contre les djihadistes ; nous pouvons compter sur la vigilance sans relâche des soldats engagés dans l'opération Sentinelle qui, aux côtés des forces de l'ordre auxquels je tiens également à rendre hommage, nous protègent et veillent sur nous.
Cette situation n'est pas sans lien avec la proposition de loi déposée par nos collègues Fauvergue et Thourot, dont le contexte prouve la pertinence. Parce qu'ils concernent les militaires, la commission de la Défense s'est saisie pour avis des articles 22 et 26. J'observe en effet qu'il a été mis fin à l'attentat de Nice par l'action résolue de la police municipale de la ville dont il faut saluer les agents qui ont fait preuve de remarquables qualités professionnelles, aussitôt appuyés par la police nationale. Cet attentat a aussi conduit à ce que le plan Vigipirate soit porté au niveau maximal « urgence attentat » ainsi qu'au déploiement supplémentaire de 4 000 militaires des armées dans l'opération Sentinelle.
Le texte de nos collègues vise à renforcer l'intégration de tous les acteurs de la sécurité dans un projet de sécurité globale associant les forces de sécurité intérieure, les polices municipales, mais aussi les agents privés de la sécurité. La proposition de loi concerne également les militaires des armés puisqu'elle modifie l'article L. 2338-3 du code de la défense pour clarifier le régime d'usage de leurs armes dans le cadre de l'opération Sentinelle.
Globalement, la proposition de loi renforce le rôle des polices municipales au travers de la définition d'un cadre permettant, d'un côté l'élargissement de leur domaine d'intervention, de l'autre la création d'une police municipale à Paris. Elle prévoit ensuite de nombreuses mesures visant à mieux structurer et mieux contrôler le secteur de la sécurité privée, notamment dans la perspective du nécessaire continuum de sécurité à organiser avant la coupe du monde de rugby de 2023 et les Jeux olympiques de 2024. Elle vise également à améliorer le cadre juridique de l'utilisation d'outils technologiques, comme les caméras individuelles et les caméras aéroportées. Elle clarifie aussi le cadre juridique de certaines missions de sécurité intérieure. Enfin, elle améliore la sécurité dans les transports ferroviaires ainsi que sur la route, et prévoit la délictualisation de l'achat et de la vente d'articles pyrotechniques en méconnaissance des exigences prévues par la réglementation spécialisée.
L'équilibre général de ce texte m'apparaît très satisfaisant pour améliorer la sécurité des Français, renforcer l'articulation de la sécurité globale tout en précisant l'encadrement légal de certaines activités, dont le respect des libertés publiques.
Au-delà des enjeux qui relèvent de notre commission, je sais que certaines de ses dispositions sont attendues par nos concitoyens et les élus locaux, et tout particulièrement dans ma circonscription du Rhône, où ces derniers jours, ces dernières semaines, nous avons connu une multiplication des incivilités, des faits de délinquance, pour lesquels il nous faut apporter des réponses précises et concrètes. L'interdiction de la vente des articles pyrotechniques aux personnes n'ayant pas les compétences pour les manipuler est en ce sens une avancée importante. Dans de nombreux territoires, comme ce fut le cas à Champigny, ou comme c'est le cas régulièrement à Bron, dans le quartier du Terraillon, les mortiers d'artifice sont régulièrement utilisés en pleine nuit de façon incontrôlée, provoquant des nuisances qui deviennent très vite insupportables pour les riverains. Donner les moyens aux forces de l'ordre et à la justice de poursuivre les auteurs de ces actes permettra, je l'espère, de garantir à nos concitoyens un peu plus de sérénité.
Par ailleurs, l'élargissement des pouvoirs des polices municipales permettra aux maires dont les communes font partie de l'expérimentation de mieux répondre aux enjeux de sécurité sur leur territoire. La ville de Rillieux-la-Pape, commune de ma circonscription, en bénéficiera. J'espère que son application permettra d'apporter davantage de tranquillité publique aux Rilliards.
La tranquillité publique a été également mise à mal, en particulier depuis le début de la fin du premier confinement, par la recrudescence des rodéos motorisés. L'utilisation des drones à cet effet permettra aux forces de l'ordre d'utiliser la technologie pour suivre les auteurs des rodéos et les identifier plus rapidement.
Par ailleurs, s'agissant de la petite délinquance dans les quartiers prioritaires, je suis convaincue que ces dispositions ne peuvent fonctionner que si elles s'accompagnent d'un travail approfondi sur la prévention, sur l'éducation, sur l'urbanisme et surtout sur l'animation d'un tissu associatif local permettant de créer un lien entre les citoyens, entre les générations, de favoriser le dialogue entre la jeunesse et les forces de l'ordre.
J'en viens plus précisément aux articles 22 et 26, dont notre commission s'est saisie pour avis.
L'article 22 crée un régime juridique de captation d'images par des moyens aéroportés. Ce nouveau cadre légal est nécessaire car il comble un vide juridique. Depuis de nombreuses années déjà, les forces de sécurité intérieure utilisent les aéronefs pour prendre des images, les enregistrer et les transmettre pour appuyer les agents dans leur mission ; les armées sont aussi concernées dans la mesure où il arrive régulièrement qu'elles soient sollicitées, sur réquisition, dans le cadre de la sécurisation d'événements majeurs dont l'organisation est confiée au ministère de l'Intérieur, par exemple à l'occasion des sommets du G7 ou du 75e anniversaire du débarquement en Normandie, et comme ce sera sans doute de nouveau le cas lors de la coupe du monde de rugby en 2023 ou des Jeux olympiques de 2024.
Une récente décision du Conseil d'État a interdit aux services de l'État de poursuivre l'utilisation des caméras aéroportées en l'absence de cadre juridique assurant un équilibre entre le maintien de l'ordre public et le respect des libertés publiques. Cette décision est intervenue alors que des drones vidéo étaient utilisés pour contrôler le respect du confinement dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire lié à l'épidémie de la covid-19 par la préfecture de police de Paris et par quelques polices municipales. L'article 22 remédie à cette lacune en créant un nouveau chapitre dans le code de la sécurité intérieure consacré aux caméras aéroportées, composé de sept articles.
Le nouvel article L. 242-1 prévoit que ce nouveau chapitre détermine les conditions dans lesquelles les services de l'État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale, mais aussi les services d'incendie et de secours et les formations militaires de la sécurité civile, peuvent procéder au traitement d'images au moyen de caméras aéroportées.
Le nouvel article L. 242-2 précise qu'en cas de mise en œuvre sur la voie publique, les opérations mentionnées sont réalisées de telle sorte qu'elles ne visualisent pas les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées.
Le nouvel article L. 242-3 impose que le public soit informé par tout moyen approprié de la mise en œuvre de dispositifs aéroportés de captation d'images et de l'autorité responsable.
Le nouvel article L. 242-4 prévoit que les traitements d'images au moyen de caméras aéroportées ne peuvent être mis en œuvre de manière permanente. En outre, l'autorité responsable doit tenir un registre des traitements mis en œuvre précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés ainsi que les personnes ayant accès aux images, y compris le cas échéant au moyen d'un dispositif de renvoi en temps réel.
Le nouvel article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure permettra aux services de l'État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale de procéder à la captation, l'enregistrement et la transmission d'images pour des finalités précisément définies, comme la sécurité des rassemblements faisant craindre des troubles graves à l'ordre public, la prévention d'actes de terrorisme, le constat d'infractions, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation des flux de transport, la surveillance des littoraux et des zones frontalières, ou encore la formation des agents.
Le nouvel article L. 242-6 autorise les services d'incendie et de secours, les formations militaires de la sécurité civile, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon des marins-pompiers de Marseille à procéder en tous lieux, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, l'enregistrement et la transmission d'images aux fins d'assurer la prévention des risques naturels ou technologiques, le secours aux personnes et la défense contre l'incendie, et la formation et la pédagogie des agents. Une fois encore, la proposition de loi permet de donner un cadre légal à ce qui se fait déjà – il n'est qu'à penser aux images prises lors de l'incendie de la cathédrale Notre-Dame – et ainsi de mieux garantir les libertés publiques sans priver les services concernés d'un moyen utile à leurs missions.
Enfin, le nouvel article L. 242-7 renvoie les modalités d'application à un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
La création d'un cadre juridique particulier pour ces activités offre une clarification bienvenue. L'équilibre que ces nouvelles dispositions organisent entre les besoins opérationnels et les garanties apportées à l'exercice des libertés publiques offre toute satisfaction ; il convient donc de soutenir cette avancée.
Il faudra porter une attention particulière à l'adaptation aux besoins opérationnels des mesures d'application prises par décret. Ainsi, la déclinaison de l'article L. 242-2 ne doit pas aboutir à interdire aux forces de sécurité intérieure l'usage d'images pour matérialiser un délit d'attroupement aux entrées d'immeubles. Les modalités d'établissement du futur registre de traitement prévu à l'article L. 242-4 ne devront pas conduire à d'excessives lourdeurs administratives, pas plus que les modalités de transmission en temps réel des images à d'autres destinataires que le poste de commandement si le besoin opérationnel est avéré.
L'article 26 prévoit une nouvelle rédaction de l'article L. 2338-3 du code de la défense, qui régit notamment les conditions d'usage des armes par les militaires déployés en mission intérieure. La rédaction actuelle, issue de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, a été source de difficultés d'interprétation : en voulant conférer au ministre de la Défense la compétence pour définir les normes techniques applicables au matériel utilisé par les militaires pour l'immobilisation des véhicules à la place du ministre de l'Intérieur, elle a introduit une ambiguïté sur les conditions d'usage des armes par les militaires sur le territoire national.
Le deuxième alinéa de l'article L. 2338-3 prévoit en effet que « les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions peuvent faire usage de leurs armes et de moyens techniques appropriés, conformes à des normes techniques définies par arrêté du ministre de la Défense, pour immobiliser les moyens de transport dans les mêmes conditions ». Les termes : « pour immobiliser les moyens de transport » peuvent être compris comme se rapportant soit au seul usage des moyens techniques appropriés à cette fin, soit également à l'usage de l'arme. L'article 26 de la proposition de loi corrige cette ambiguïté, ce dont il faut se féliciter.
En revanche, il prévoit qu'un arrêté conjoint du ministre de l'Intérieur et de la ministre des Armées précisera les normes techniques des matériels utilisés pour immobiliser un véhicule dans les conditions de l'article L. 214-2 du code de sécurité intérieure, lorsque ces militaires sont engagés sur réquisition sur le territoire national. Ce projet d'arrêté conjoint introduit une complexité juridique qui n'apparaît pas justifiée : les armées sont déjà autorisées à utiliser des moyens techniques appropriés pour immobiliser des moyens de transport dans les conditions prévues à l'article L. 214-2 du code de la sécurité intérieure lorsqu'ils protègent les installations militaires, lesdits moyens étant définis par un arrêté du ministre des Armées. Prévoir deux arrêtés, dont un arrêté conjoint avec le ministre de l'Intérieur, pour définir des normes techniques afin qu'une même unité puisse remplir la même mission, avec les mêmes moyens, dans deux contextes qui ne sont que légèrement différents ne me paraît pas de bonne organisation.
Plus largement, le principe de libre disposition de la force armée plaide pour que les choix capacitaires faits pour équiper les armées, même lorsqu'ils sont très modestes, restent à la main du ministre des Armées, chargé notamment de la préparation et des conditions d'emploi des forces armées, selon l'article L. 1142-1 du code de la défense.
Je propose donc un amendement permettant de revenir à un seul arrêté de la ministre des Armées, comme cela est prévu, du reste, pour la protection des installations militaires, et conformément aux dispositions que vous avez votées dans l'article 41 de la loi de programmation militaire 2019-2025.
Voici chers collègues, ce que je souhaitais vous exposer dans le cadre de la saisine dont vous m'avez confié la responsabilité d'être la rapporteure.
Une remarque pour terminer. J'aurais aimé saisir l'opportunité offerte par ce vecteur législatif pour étendre la protection fonctionnelle des agents des forces de sécurité intérieure aux cas d'atteinte involontaire à leur intégrité physique. L'article 40 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires de créer une charge publique, nous empêche de déposer un amendement en ce sens. Comme la présidente, je pense que nous devrions insister auprès du Gouvernement tant cette situation suscite une incompréhension légitime des personnels et de leurs familles.
Cette proposition de loi, fruit d'un travail de qualité conduit de longue date par nos collègues Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, apporte des réponses concrètes aux attentes des acteurs de terrain. Elle permet d'affermir le continuum de sécurité dont nous constatons toujours plus l'absolue nécessité. Elle propose également de protéger ceux qui nous protègent en durcissant les sanctions contre les personnes portant atteinte aux forces de sécurité intérieure et au personnel de la protection civile.
Notre commission s'est saisie pour avis de l'article 22, relatif aux caméras aéroportées, et de l'article 26, qui précise les conditions d'emploi de leurs armes par les militaires sur le territoire national. Alors que notre pays doit lutter contre le terrorisme, rappelons que les effectifs de l'opération Sentinelle ont été portés à 7 000 hommes.
L'article 26 clarifie les conditions dans lesquelles les militaires déployés sur le territoire national, dans le cadre strict de leur réquisition effectuée par l'autorité civile, peuvent faire usage de leurs armes dans les conditions définies à l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Ces conditions ont évolué pour la police et la gendarmerie après les attentats du 13 novembre 2015, mais pas pour les militaires. Cette évolution doctrinale est rendue nécessaire par la permanence et l'intensité exceptionnelle de la menace, soulignée dès 2016 par un rapport parlementaire de MM. Audibert Troin et Léonard. Il s'agit donc de permettre aux militaires de remplir pleinement la mission de protection qui leur est confiée.
Quant à l'article 22, il permet l'utilisation de moyens supplémentaires, du type caméras aéroportées ou drones. Ils permettront aux militaires d'assurer la protection des installations sensibles dans de meilleures conditions, et aux sapeurs-pompiers de Paris et aux marins-pompiers de Marseille de mieux lutter contre les incendies.
Ce texte contient des apports et des clarifications utiles et nécessaires ; c'est pourquoi le groupe La République en Marche le votera et soutiendra l'amendement de la rapporteure.
Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés soutient la proposition de loi qui nous est soumise.
L'article 22 met en question l'équilibre entre la nécessaire protection des données personnelles et les nécessités opérationnelles pour assurer le continuum de sécurité auquel notre groupe aspire. Lors de l'examen au fond de ce texte par la commission des lois, notre groupe défendra des amendements pour rétablir cet équilibre qui nous paraît quelque peu malmené. Il nous semble également essentiel que l'information soit diffusée suffisamment en amont, et de façon claire : c'est seulement à ce prix que la captation d'images aéroportées s'inscrira dans un cadre parfaitement légal et accepté par nos concitoyens.
L'article 26 contient des mesures de bon sens pour la sécurisation juridique de nos militaires. Le premier dispositif permettra à nos forces armées de réagir de manière identique à nos forces de sécurité intérieure lorsqu'elles font face aux mêmes situations. L'extension des règles d'engagement n'est pas anodine ; si la notion de périple meurtrier a déjà été entérinée, ce dispositif permettra aux forces armées d'intervenir dans un plus grand nombre de situations, dans un objectif de réactivité et d'efficacité en termes de sécurité, tant pour les citoyens que pour nos forces armées. Ces nouvelles règles d'engagement permettront par exemple de sécuriser juridiquement les militaires qui arrêtent un véhicule bélier ou, pire, un véhicule explosif improvisé échappant à leur contrôle.
L'alinéa 3 de l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure permet aux policiers et aux gendarmes de neutraliser des individus en fuite susceptibles de perpétrer des atteintes à l'intégrité physique d'autrui. Que peut faire un militaire face à de tels individus sans risquer d'en être tenu pénalement responsable ? Pas grand-chose… Il ne lui est pas non plus possible de prendre en chasse un groupe qu'il sait dangereux et tenter de le neutraliser avant qu'il n'atteigne sa cible. Est-ce tolérable pour nos concitoyens ? Pas davantage.
Le second dispositif de l'article 26 vient compléter les moyens de lutte contre les véhicules hostiles en permettant l'emploi de dispositifs d'immobilisation des véhicules sans recourir à une arme.
Les forces armées qui opèrent sur le territoire national sont formées pour intervenir ; les cas d'emploi de la force montrent la réelle maîtrise des militaires, parfois bien plus conservatrice dans son emploi de la force que d'autres, car elles ont pleinement intégré les limites des réquisitions qui justifient leur action sur le territoire national.
Qu'il nous soit néanmoins permis d'exprimer quelques réserves générales. Notre commission n'est saisie que de deux articles ; on peut regretter qu'une proposition de loi consacrée à la sécurité globale fasse si peu de places aux forces armées, dont le rôle dans le continuum de sécurité est aujourd'hui plus évident que jamais. Ce n'est pas parce que nous devons nous satisfaire de peu que nous devons nous satisfaire pour autant… Cela dit, la synergie et le continuum de sécurité que nous appelons de nos vœux ne peuvent se faire sans respecter les particularités de chacune des forces. Aussi voterons-nous la modification proposée pour l'article 26 qui prévoit un arrêté spécifique du ministère des armées, conformément à ce qu'avait prévu l'article 21 de la loi de programmation militaire pour la mise en œuvre du dispositif d'immobilisation des véhicules.
La palette des tactiques du maintien de l'ordre est complétée pour concilier deux objectifs prioritaires : permettre à chacun de s'exprimer librement dans les formes prévues par le droit, et empêcher tout acte violent contre les personnes et les biens lors des manifestations.
Il était nécessaire de moderniser le cadre régissant les manifestations sur la voie publique afin de l'adapter aux nouvelles formes d'expressions, plus violentes, plus mobiles et plus spontanées, et prendre en compte la médiatisation systématique des opérations de police.
En septembre, le ministère de l'Intérieur a fait évoluer sa doctrine de maintien de l'ordre. La maîtrise de la troisième dimension est devenue essentielle dans le maintien de l'ordre moderne : « Ces moyens aériens sont utiles, tant dans la conduite des opérations que dans la capacité d'identification des fauteurs de troubles ». L'article 22, relatif à la captation d'images par drones, transcrit cette doctrine dans la loi. Le groupe Agir ensemble soutient ce dispositif de bon sens. Encore sera-t-il nécessaire, pour joindre la parole aux actes, d'investir davantage pour équiper nos forces de l'ordre.
Face à des situations plus dégradées, nous devons aller plus loin dans l'exploitation des réseaux sociaux. À titre personnel, il me semble judicieux d'examiner, sous le contrôle des autorités judiciaires et administratives, les possibilités de brouillage et d'interception des textos. Ce sujet a-t-il été évoqué lors de vos auditions ?
Au-delà des traditionnelles missions de protection, le recours aux forces armées dans le cadre d'une réquisition par les autorités civiles était envisagé à titre subsidiaire, mais force est de constater qu'il devient plus fréquent. Il faut clarifier les conditions dans lesquelles les militaires peuvent faire usage de leurs armes, et écarter toute insécurité juridique. La légitime défense a été réformée par la loi du 3 juin 2016 pour prévenir la réitération d'une attaque meurtrière de masse, et l'ordre de feu ne peut être donné que par une autorité civile.
Le groupe Agir ensemble votera ce texte et soutiendra l'amendement de la rapporteure.
Notre commission s'est saisie pour avis des articles 22 et 26 de la proposition de loi relative à la sécurité globale défendue par nos collègues Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot.
L'article 22 a pour objectif de créer un régime juridique de captation d'images par des moyens aéroportés tels que les drones, aujourd'hui pratiquée sans cadre clair.
L'article 26 vise quant à lui à clarifier le régime d'usage des armes par les militaires déployés sur le territoire national, dans le cadre de réquisitions effectuées par l'autorité civile.
Si le groupe UDI et indépendants entend faire des propositions pour étoffer ce texte, nous soutiendrons ces deux articles qui vont dans le bon sens.
Je salue la décision du Président de la République d'augmenter les effectifs de l'opération Sentinelle de 4 000 soldats, afin de surveiller et sécuriser au mieux les lieux de culte et les établissements scolaires. C'est la première fois depuis 2017 que cette opération est renforcée dans de telles proportions.
Rappelons toutefois que nos armées ne peuvent pas tout, a fortiori dans un pays qui compte plus de 60 000 établissements scolaires et 40 000 églises catholiques, sans compter les autres édifices religieux.
Prenons également garde de ne pas céder à la tentation d'employer nos armées et nos soldats comme remède à toutes les difficultés et à tous les maux de notre société : la présence de nos soldats sur le territoire national ne fera malheureusement jamais disparaître le risque que nos compatriotes soient frappés une nouvelle fois par la folie terroriste.
Si nos armées ont évidemment un rôle à jouer au sein du dispositif de lutte contre le terrorisme sur notre territoire, nous sommes convaincus que cette lutte globale passe avant tout par des moyens supplémentaires alloués à l'éducation, par une réponse judiciaire plus rapide et plus ferme, par un accroissement significatif des effectifs de nos forces de l'ordre, par un renforcement majeur du renseignement intérieur, ainsi que par une coopération internationale plus efficace.
Enfin, si nos soldats s'engagent pour défendre leur pays et leurs compatriotes, prenons garde à ce que ces opérations sur le territoire national, qui ont un coût humain et financier et diminuent d'autant le temps d'entraînement, ne viennent pas affaiblir leur moral et in fine la capacité de fidélisation et de recrutement nécessaire à une armée de guerre.
Cette proposition de loi est emblématique de la dérive, non pas sécuritaire, mais tout bonnement autoritaire du Gouvernement.
La philosophie n'est pas nouvelle : pour garantir la sécurité il faut sacrifier les libertés. On nous a déjà fait passer vingt lois au moins au nom de ce raisonnement fallacieux, et chaque fois l'exécutif y revient en bêlant que ce n'est pas assez… Aujourd'hui, il s'agit notamment d'interdire de filmer des policiers. Quel recul inouï ! Savez-vous que même en Chine, c'est autorisé depuis 2016 !
Quelle sorte de république requiert que les gardiens de la paix agissent dans l'ombre ? Quelle turpitude le Gouvernement a-t-il résolu de faire disparaître des écrans ? Nous ne le savons que trop : il s'agit des violences commises contre les gilets jaunes, les grévistes, les étudiants, les journalistes. Le Gouvernement se drape des beaux principes du républicanisme, mais les bafoue allègrement. Il profite d'une proposition de loi de la majorité pour introduire une multitude d'amendements et s'affranchir de l'obligation de remettre une étude d'impact à leur sujet.
Le problème est tel qu'au sein même de l'exécutif, le pouvoir s'est réduit à une tête d'épingle : Emmanuel Macron a court-circuité le conseil des ministres et profite du secret du conseil de défense pour tout décider seul. Ce conseil de défense utilisé pour gérer une crise sanitaire dit bien la confusion intellectuelle et même l'autoritarisme qui s'installent au sommet de l'État : quand on ne sait plus quoi faire, on prend des poses de chef de guerre et on appelle l'armée à la rescousse.
C'est le cas lorsque le président porte les effectifs de l'opération Sentinelle à 7 000 soldats alors que les inconvénients d'une telle mobilisation excèdent largement les avantages.
C'est le cas de cette loi dite de « sécurité globale », qui organise toujours davantage la confusion entre police et armée. Nous ne sommes pas d'accord : les missions, les formations, les prérogatives, les astreintes, les statuts diffèrent : il n'est pas possible d'acter que militaires et policiers soient interchangeables ; il n'est pas possible d'acter que des moyens militaires servent à accomplir des tâches de police. Ce flou est dangereux pour les libertés et pour la sécurité. Non, les armées ne doivent pas pouvoir utiliser des drones pour surveiller des manifestants ; non, des policiers ne devraient pas pouvoir faire de même pour sécuriser des bases militaires.
Cette politique d'après laquelle tout est dans tout est un complet dévoiement et l'aboutissement d'années d'austérité budgétaire pendant lesquels on a coupé les moyens des services les plus régaliens de l'État. Mais au lieu d'en tirer la leçon, d'avoir une stratégie de sécurité dont la spécialisation des effectifs est la clé, le Gouvernement s'entête dans l'absurde surveillance généralisée. Qu'est-ce donc que cette république sans liberté que vous nous préparez ?
Qui tient les hauts tient les bas, dit un adage militaire. Ces caméras aéroportées permettront beaucoup de choses, notamment d'appréhender la complexité de situations ou d'apporter des preuves. Madame la rapporteure pour avis l'a d'ailleurs évoqué dans son rapport, à propos des rodéos urbains.
Ces mêmes caméras pourront-elles surveiller des opérateurs d'importance vitale, comme des centrales nucléaires, ou contribuer à arrêter les auteurs des mutilations de chevaux qui se produisent dans ma circonscription, et un peu partout en France, dans ces grands espaces où il est difficile de mettre un gendarme partout pour voir qui commet de telles exactions sur ces pauvres bêtes ? Tout prête à penser qu'on y gagnerait en efficacité. Cela étant, si l'utilisation de ces caméras est rendue possible, encore faudra-t-il que le Gouvernement flèche des moyens financiers pour que chaque service et chaque unité puissent en disposer.
L'article 22 évoque un « registre des traitements », tenu par l'autorité responsable. Ce registre m'apparaît essentiel pour garantir à nos concitoyens que les images prises par ces caméras aéroportées sont utilisées à bon escient. Pourriez-vous apporter des précisions sur la manière dont il sera tenu ? Par ailleurs, comment et par qui sera-t-il consultable ?
Cette proposition de loi, remastérisée à l'aune des récents événements, est certes plus étoffée que la première version, qui nous avait été présentée il y a deux ans, mais elle manque clairement d'ambition. Mais dans la mesure où elle va dans le bon sens, le groupe Les Républicains émettra un vote favorable sur les deux articles dont nous avons été saisis.
Jean-Charles Larsonneur a évoqué le brouillage pour se prémunir des drones employés des fins malveillantes. Je partage son avis et je crois savoir que le Gouvernement déposera des amendements à ce sujet.
Je vous rappelle, cher collègue Lachaud, que nous sommes saisis des articles 22 et 26… Et nulle part dans cette proposition de loi je n'ai vu que les Armées pouvaient être appelées à utiliser des drones pour surveiller les manifestations. Je vous laisse l'entière responsabilité de cette interprétation, vous êtes tout à fait libre de le penser ; pour ma part, je me borne à analyser ce qui est dit dans le texte, sans procès d'intention, et je constate qu'il offre de nombreuses garanties pour éviter ce que vous dénoncez. Si vous jugez que l'équilibre entre la protection des libertés publiques et la sécurité des Français n'est pas satisfaisant, libre à vous de déposer des amendements. Plutôt que de vous indigner, pourquoi ne nous dites-vous pas quelles dispositions de ce texte vous paraissent trop restrictives ou, au contraire, insuffisantes ?
Nous avons bien entendu les remarques de Jean-Michel Jacques : il nous a aussi semblé qu'il serait judicieux d'ajouter la protection des opérateurs aux missions susceptibles d'être assurées par les caméras aéroportées. Mais le Gouvernement a d'ores et déjà déposé un amendement en ce sens devant la commission des Lois ; nous espérons qu'il sera voté demain.
Monsieur Jean-Marie Fiévet, le registre des traitements mis en œuvre est tenu par l'autorité responsable de la captation d'images ; comme pour tout document administratif, les citoyens pourront demander à accéder aux données qui les concernent ainsi qu'aux informations relatives aux campagnes de prises de vue. Tous les détails seront précisés par un décret en Conseil d'État, mais le recours important que font déjà les polices municipales aux caméras de vidéosurveillance donne une idée de ce à quoi ce registre pourrait ressembler.
Je voudrais évoquer, rapidement et avec un peu d'expérience, la difficulté que pose la mise en œuvre des nouveaux moyens technologiques : ils sont toujours tentants, et on a tendance à vouloir les étendre à l'envi, pour tout et n'importe quoi. J'entendais ainsi que cette surveillance pourrait s'appliquer à des domaines qui n'ont rien à voir avec la sécurité nationale.
S'il semble légitime à notre groupe, comme l'a expliqué Grégory Labille, que l'armée puisse participer à la défense dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, celle-ci ne saurait devenir un instrument de lutte contre des formes de délinquance, quelles qu'elles soient. Les mêmes moyens peuvent être alloués à la police ou à la gendarmerie nationale – qui fait partie de l'armée mais qui n'a pas les mêmes missions. Ne commençons pas à imaginer étendre les missions ou les possibilités à l'envi, en dehors du conflit qui nous oppose à des barbares terroristes, et ne laissons pas d'autres se mettre à fantasmer et laisser croire que l'armée se mettra à surveiller la population. Ce n'est pas l'objet.
Enfin, Madame la présidente, pour ce qui concerne l'amendement de notre rapporteure pour avis, et que vous avez cosigné, j'avoue être dubitatif. Encore une fois, nous sommes dans le cadre d'un continuum de sécurité auquel l'armée participe, avec des moyens et des capacités d'emplois qui lui sont propres. Dans ces conditions, le principe d'une concertation rendue obligatoire par la loi entre le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Défense pour définir les moyens d'arrêter un véhicule ne me paraît pas abscons. Je ne crois pas que cela soit source d'une grande complexité. Qu'il n'y ait pas besoin de passer par la loi pour ce faire, on peut le souhaiter, mais cela aurait le mérite de garantir que les ministres se concertent. Il me semble que nous pourrions y réfléchir.
Je suis désolé, Madame la rapporteure pour avis, mais que je lis, à l'article 22, que « les services de l'État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale peuvent procéder, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, l'enregistrement et la transmission d'images aux fins d'assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public », moi, je lis « manifestations », et pas seulement rassemblements sportifs ! Ce n'est pas ce que vous lisez, dites-vous, mais pour moi, cela semble assez évident…
Par ailleurs, il est beaucoup question de drones, mais le terme d'« aéronefs » est beaucoup plus large. Un hélicoptère de l'armée française, équipé de caméras, pourrait-il être utilisé à ces fins de surveillance et cette sécurisation ?
Notre collègue Bastien Lachaud s'appuie beaucoup sur l'article 22 ; mais si on en lit bien les neuf points dûment listés, on arrive à déterminer ce qui incombe aux forces de sécurité et aux forces armées, respectivement. Ainsi, aux 5°, la « sauvegarde des installations utiles à la défense nationale » est parfaitement ciblée. Vous faites à l'évidence une « fixette » sur un sujet qui n'a pas grand-chose à voir avec cet article. Je sais que ce qui vous intéresse, ce sont les rassemblements, les grèves, les manifestations, mais il faut s'ouvrir un peu l'esprit…
Les armées n'interviennent sur le territoire national que sur réquisition des préfets, et en respectant la « règle des quatre i » – lorsque les moyens civils sont indisponibles, insuffisants, inadaptés, inexistants.
Stéphane Trompille a répondu à Monsieur Lachaud : il est bien question de manifestations, mais cela ne concerne pas les armées.
La commission en vient à l'examen des articles 22 et 26 de la proposition de loi.
Article 22 : régime juridique de la captation d'images par des moyens aéroportés
La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 22 sans modification.
Article 26 : régime d'usage de leurs armes par les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre de réquisitions effectuées par l'autorité civile
La commission examine l'amendement DN2 de la rapporteure.
L'article 26 prévoit que les moyens utilisés pour arrêter les véhicules soient désormais listés par un arrêté conjoint entre le ministère de l'Intérieur et le ministère des Armées. Dans la loi de programmation militaire (LPM), nous avions prévu que le ministère de l'Intérieur fixait les normes pour les matériels utilisés par les forces de sécurité intérieure et le ministère des Armées les normes applicables aux matériels utilisés par les militaires. Je propose de revenir sur ce sujet à la rédaction de la LPM : il y va de la cohérence capacitaire de nos forces armées.
J'entends la réponse de madame la rapporteure pour avis. Quand on connaît les rapports entre les ministères, on sait que le ministère de l'Intérieur n'aura pas les moyens d'imposer quoi que ce soit au ministère des Armées ; reste que le dialogue entre les deux n'est pas inutile. Nous avons déjà eu l'occasion d'y réfléchir : n'oublions pas qu'à la différence du ministère de l'Intérieur, les armées peuvent compter sur l'expertise de la direction générale de l'armement (DGA). Lorsqu'il doit s'équiper, le ministère de l'Intérieur est pauvre, non pas en argent, mais en technicité, en connaissances. Le dialogue entre les deux ministères est donc nécessaire, et il est bon pour le moins de leur rappeler.
Souvent, l'armée est, et c'est heureux, mieux équipée que le ministère de l'Intérieur, qui ne sait pas toujours comment faire. Ce dialogue lui donnerait des idées, des possibilités ou des connaissances qu'il n'a pas pour ses propres forces, alors qu'il est le premier, par ordre d'importance, chargé de la sécurité intérieure des Français – l'armée ne venant qu'en renfort dans cette affaire.
Cet amendement va dans le bon sens. Comme nous l'avons souligné, il y a de nombreux objectifs communs, en termes matériels ou techniques. Les synergies entre l'intérieur et l'extérieur sont importantes à concrétiser et à consolider, tout en respectant la règle dite des « quatre i », autrement dit en s'en tenant aux situations exceptionnelles, où il n'y a pas d'autre solution : l'armée doit rester l'armée et les forces de sécurité intérieure, les forces de sécurité intérieure… C'est d'ailleurs ce qui se passe dans le cyber, où l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et la cyberdéfense des armées sont étroitement liées : c'est l'avenir de nos sociétés modernes, avec ces guerres hybrides qui s'annoncent.
Nous aurons l'occasion d'y revenir en séance. L'argument de la similitude des règles pour des situations comparables, et celui de la cohérence de l'équipement de nos armées, plaident pour un arrêté qui relèverait plutôt du ministère des Armées. J'entends vos remarques ; à nous de faire en sorte qu'elles soient bien bornées par le texte et que nous puissions en discuter en séance.
Nos armées ont ce savoir-faire ; sur le terrain, ces éléments sont d'ores et déjà partagés et le seront de plus en plus face à la prolifération de formes hybrides d'intervention et d'un terrorisme endogène. Avec Sentinelle, nos militaires participent à cette culture commune, qui se fabrique sur le terrain, en fonction de ce risque multiforme auquel nous devons nous adapter. Nos personnels et nos armées, avec les forces de sécurité intérieure, ont beaucoup progressé dans ce domaine depuis 2015.
En tant que membre de la commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, à l'issue des événements du Bataclan, je peux témoigner que des progrès considérables ont été réalisés dans tous les domaines et dans tous les services, en termes de rapprochement entre la sécurité intérieure et nos armées.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle émet un avis favorable à l'adoption de l'article 26 modifié.
Enfin, elle émet un avis favorable à l'adoption de l'ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.
La commission en vient à l'examen de la proposition de résolution européenne sur la relance dans le secteur de la défense.
Cette proposition de résolution a été adoptée par la commission des affaires européennes au cours de sa réunion du mercredi 28 octobre, sur la base d'un rapport d'information que j'ai présenté avec Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes et membre éminent de notre commission.
Une proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes est renvoyée à une commission permanente, saisie au fond, qui a un mois pour l'examiner, faute de quoi elle est tacitement considérée comme adoptée. En général, les commissions permanentes se saisissent rarement d'une proposition de résolution européenne, préférant l'adoption tacite. Mais il m'a semblé important d'aborder, sous son angle européen, le sujet de l'industrie de défense, auquel nous avons consacré de nombreux travaux, et de vous permettre ainsi d'enrichir cette proposition par vos amendements. Je me réjouis de constater que sept amendements ont été déposés.
Je rappelle que cette proposition de résolution s'inscrit dans un cycle de travaux sur la défense européenne, que nous menons en commun avec la commission des affaires européennes. Nous avons choisi de nous intéresser, d'ici à 2022, à la coopération structurée permanente, qui fait l'objet d'une mission flash confiée à Mmes Natalia Pouzyreff et Michèle Tabarot, aux opérations extérieures des États membres de l'Union européenne et aux marchés publics de défense européens.
J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Sabine Thillaye. S'ouvrir à d'autres commissions et réfléchir avec elles est à chaque fois l'occasion de progresser, par la mise en commun de nos richesses respectives, dans l'appréhension des sujets de défense, qui, à bien y regarder, concernent chaque membre de cette assemblée.
Madame la présidente, chère Françoise, chers collègues, je vous remercie d'avoir accepté d'entamer ce travail commun pour l'année à venir. Il est important de bien prendre la mesure du champ de compétences de l'Union européenne, de déterminer là où l'on peut faire plus, et en informant mieux. La commission des affaires européennes a parfois un peu de mal à se positionner au sein de notre assemblée ; je suis d'autant plus heureuse, et ses membres avec moi, de me livrer à cet exercice avec vous. J'espère que nous pourrons faire de même sur d'autres sujets, avec d'autres commissions permanentes, et je me réjouis que nous présentions cette proposition de résolution à deux voix. Les récents événements démontrent que l'on ne peut plus ignorer l'échelon européen ; il faut impérativement tenir compte de ce qui se passe à ce niveau.
Quelques chiffres pour commencer : l'industrie européenne de défense réalise un chiffre d'affaires annuel d'environ 100 milliards d'euros et représente environ 1,4 million d'emplois directs et indirects. Si une petite dizaine de très grandes entreprises, notamment Airbus, Thales, MBDA, Rheinmetall, Leonardo et Naval Group, concentrent l'attention, elles ne sont que la partie visible d'un écosystème constitué de plusieurs dizaines de milliers de sous-traitants, souvent des PME très spécialisées, réparties sur l'ensemble du territoire européen. Ces grandes entreprises – prime contractors – et leurs sous-traitants constituent un segment essentiel de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITD). Quant à l'industrie spatiale européenne, qui recoupe en partie l'industrie de défense, par exemple au sein d'entreprises emblématiques comme Airbus, elle est de plus petite taille : elle représente un chiffre d'affaires d'environ 8,5 milliards d'euros par an, pour environ 50 000 emplois directs.
Par-delà les chiffres d'affaires et le nombre d'emplois, si élevés soient-ils, il faut rappeler le caractère stratégique de l'industrie de défense et de l'industrie spatiale, qui ne sont pas des industries comme les autres. C'est parce qu'elle en dispose, par l'intermédiaire de ses États membres, et en particulier la France, que l'Union européenne peut poursuivre l'objectif d'autonomie stratégique qu'elle s'est fixé.
Industrie stratégique, le secteur de la défense a été durement frappé par la crise économique déclenchée par la pandémie de coronavirus. Le constat dressé dans un rapport d'information récemment publié par nos collègues Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot, membres de notre commission, est sans équivoque. La crise touche aussi bien les pure players que les entreprises duales, qui sont très nombreuses, notamment dans les domaines de l'aéronautique, de l'espace et des technologies de l'information.
En réalité, la crise est double. En premier lieu, il s'agit d'une crise de l'offre. L'arrêt brutal de la production au mois de mars a considérablement dégradé la trésorerie des entreprises de ces secteurs, notamment celle des plus petites qui ont plus de difficulté que les grandes à recourir aux dispositifs nationaux d'aide. D'après l'évaluation réalisée par les trois groupements industriels de défense français, en liaison avec la direction générale de l'armement (DGA), plusieurs centaines d'entreprises sont exposées à des vulnérabilités. Le ministère des armées en a aidé 120 sur les 1 200 que la DGA a été amenée à suivre de très près. Le même constat vaut très probablement pour les autres États membres. En outre, même si l'activité a repris à un rythme quasi normal, c'est au prix d'une baisse de la productivité, en raison notamment de l'application du protocole sanitaire, dont résultent des surcoûts allant globalement de 10 % à 20 %, qui réduisent les marges et sont susceptibles d'affecter la compétitivité des entreprises, donc leur capacité à remporter des marchés à l'export.
En second lieu, le secteur de la défense est confronté à une crise de la demande. C'est particulièrement le cas des entreprises de la filière aéronautique et spatiale, notamment Airbus et Dassault Aviation, et de leurs sous-traitants, qui subissent les conséquences de la fragilisation de leurs principaux clients civils : les compagnies aériennes. Plus profondément, la crise de la demande est aussi alimentée par les incertitudes qui pèsent sur l'export, et par la difficulté de certaines entreprises à poursuivre leur prospection, en raison de l'annulation en série des salons internationaux et de la difficulté à se déplacer. Si les effets de ces commandes manquées se feront sentir à retardement, ils n'en seront pas moins réels. Enfin, il ne faut pas négliger les effets que pourrait avoir la crise sur les budgets des États européens, notamment le risque que le rétablissement des finances publiques pourrait faire courir à l'investissement public de défense, comme on l'avait vu après la crise de 2008.
Le risque d'un sous-investissement dans la défense est d'autant plus majeur que ce secteur, comme le secteur spatial, ne figure pas parmi les priorités du plan de relance adopté par le Conseil européen le 21 juillet dernier : 737,5 milliards d'euros abonderont les plans de relance nationaux ; 6,9 milliards d'euros seront ciblés sur le renforcement des systèmes de santé et de protection civile, ainsi que sur l'aide humanitaire et la recherche ; 5,6 milliards d'euros seront investis en soutien des entreprises et de l'investissement. Pour bénéficier de ces crédits, les États préparent des plans de relance décrivant les investissements envisagés pour la période 2021-2023. La Commission les approuvera en se fondant sur des critères valorisant la croissance, la création d'emplois et la résilience sociale. Les priorités affichées sont la transition énergétique, la lutte contre le changement climatique et le développement du secteur numérique. En revanche, rien n'est spécifiquement prévu pour les entreprises du secteur de la défense, ni d'ailleurs pour celles du secteur spatial. Auditionné le 9 juillet 2020 par la commission des affaires européennes et par la commission de la défense nationale et des forces armées, Thierry Breton n'a pas exclu qu'elles bénéficient d'une aide, notamment au titre du soutien à l'investissement, mais sans fournir plus de précisions ; en tout état de cause, c'est aux États membres qu'il incombera de le proposer dans leurs plans de relance respectifs. Il n'y a donc pas grand-chose à attendre du plan de relance européen, et moins que prévu malheureusement du prochain cadre financier pluriannuel (CFP).
À l'heure actuelle, l'Union européenne consacre 500 millions d'euros à la défense, inscrits dans le programme européen de développement de l'industrie de défense (PEDID) pour les années 2019-2020. Ce montant passera à 7 milliards d'euros constants avec la mise en œuvre pour sept ans, à compter du 1er janvier 2021, du fonds européen de la défense (FEDEF), soit 1 milliard d'euros par an. L'accroissement est significatif, mais il est bien moindre que celui annoncé en 2018 par la Commission européenne, qui prévoyait alors un FEDEF de 11,3 milliards d'euros. Malgré tout, pour le dire avec les mots de Florence Parly, nous passons de zéro à 7 milliards d'euros : c'est tout de même une avancée.
En matière spatiale, les ambitions ont également été rabotées, s'agissant notamment des activités civiles. Au sein du CFP 2021-2027, les crédits s'élèveront au plus à 13,2 milliards d'euros, loin des 16 milliards d'euros initialement proposés par la Commission européenne, et à peine au-dessus, en euros constants, des 11,1 milliards d'euros du CFP 2014-2020.
La modestie de la place accordée à la défense dans le plan de relance européen trouve sa justification dans l'annonce préalable d'un plan de soutien à la filière aéronautique et dans le projet de loi de finances pour 2021, qui reste conforme aux ambitions de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025.
Si ces arguments sont recevables, il n'est pas inutile de faire observer que peu de secteurs économiques présentent autant d'avantages que celui de la défense du point de vue de l'efficacité de la relance. D'abord, les entreprises du secteur de la défense sont immédiatement disponibles ; certes, le soutien aux filières industrielles d'avenir est pertinent à long terme, mais l'industrie de défense a sur elles l'avantage d'exister. Si on lui passe des commandes, elle pourra les honorer immédiatement, et créera ce faisant des emplois et de l'activité, donc de la valeur ajoutée, dans des délais compatibles avec les nécessités de la politique contracyclique. Ensuite, l'effet multiplicateur keynésien est bien plus élevé dans l'industrie de défense que dans les autres secteurs, car elle repose sur des investissements bénéficiant à des entreprises dont la production et les chaînes d'approvisionnement sont presque exclusivement européennes et fortement exportatrices. Enfin, l'industrie de défense, notamment en France, irrigue et innerve les territoires, jusque dans des zones délaissées par les autres industries à la faveur des délocalisations des dernières décennies. L'industrie de défense est une industrie tant de main-d'œuvre que de haute technologie, qui alimente l'emploi et la croissance potentielle. À ce titre, elle constitue aussi une industrie d'avenir, car les avancées qu'elle permet grâce à son effort de recherche ont des retombées significatives dans le domaine civil.
La justification d'une relance du secteur de la défense n'est pas uniquement économique : elle découle aussi de son caractère stratégique, de sa contribution à la nécessaire souveraineté européenne et des risques que fait peser l'affirmation désinhibée de logiques de puissance sur les pourtours mêmes de l'Europe, devenus beaucoup moins amis.
La crise déclenchée par la pandémie de covid-19 a durement frappé les entreprises de ce secteur, en particulier les PME et les ETI ; en dépit des mesures d'urgence adoptées par certains États membres, notamment la France, elles demeurent très fragiles, d'autant que l'épidémie, loin de disparaître, connaît une seconde vague. Le plan de relance européen doit donc être une opportunité pour conforter ces entreprises essentielles à l'autonomie stratégique de l'Europe, à l'heure où les menaces se renforcent.
Il s'agit de conjurer trois risques principaux. Le premier est celui d'une crise aiguë de trésorerie de certaines entreprises, susceptible de provoquer leur faillite pure et simple, ce qui désorganiserait durablement les filières de production de la BITD européenne, dans un contexte où les compétences nécessaires sont souvent rares et doivent être entretenues dans la durée, sous peine de les perdre définitivement. Il convient aussi d'éviter que la fragilisation de certaines entreprises de défense ne les rende plus vulnérables encore à des prises de participation étrangères inamicales. Au demeurant, la politique européenne de la concurrence, arc-boutée sur un marché pertinent réduit au seul marché européen alors qu'il est désormais mondial, facilite de telles prises de contrôle en empêchant la création de géants européens de la défense. Il va de soi qu'une telle évolution ne pourrait qu'affaiblir l'autonomie stratégique de l'Europe, en transférant hors de l'Union européenne les technologies critiques et le pouvoir de décision. Enfin, il s'agit de faire en sorte que les difficultés engendrées par la crise sanitaire ne pèsent pas sur la capacité d'innovation des entreprises de défense européennes, ni sur l'investissement dans les technologies de rupture, qui sont toutes deux les garanties de l'adaptation de la BITD européenne aux enjeux de souveraineté de l'Europe, ainsi qu'aux enjeux des menaces futures, de plus en plus nombreuses et aux portes de nos frontières.
Ces risques et leurs conséquences, dans un environnement de sécurité toujours plus dégradé, ce dont nous avons malheureusement eu plusieurs exemples récemment, justifient qu'un effort particulier soit consenti dans le cadre des plans de relance nationaux, mais également à l'échelon de l'Union européenne, pour soutenir l'industrie de défense et l'industrie spatiale. De telles mesures pourraient prendre trois formes : un soutien aux entreprises, notamment les PME et les ETI, dans le cadre des plans de relance nationaux, par exemple par le biais de commandes supplémentaires d'équipements militaires ou spatiaux, ou d'aides à la recherche et à l'investissement en vue de préserver leurs capacités productives ; une application stricte des mécanismes de filtrage des investissements directs étrangers, à l'échelon des États membres qui en ont, comme la France, et à l'échelon de l'Union européenne, afin de préserver les entreprises stratégiques européennes d'un rachat hostile par leurs concurrents étrangers ; une réforme du contrôle européen des concentrations dans un sens plus favorable aux regroupements d'entreprises de défense, ce qui leur permettrait de lutter à armes égales sur un marché mondial où opèrent leurs concurrents étrangers, eux-mêmes fortement concentrés.
Enfin, au-delà l'impératif de relance, il nous semble nécessaire de faire en sorte que les financements du fonds européen de la défense, qui sont modestes, soient concentrés sur quelques projets structurants afin d'éviter un effet de saupoudrage qui nuirait à son efficacité. Dans le contexte international que nous connaissons, notre proposition de résolution, même si elle est plus spécifiquement consacrée à l'industrie de défense, prend tout son sens. Ceux d'entre vous qui ont écouté le discours sur l'état de l'Union de la présidente von der Leyen ont observé que le mot « défense » et l'expression « politique de sécurité » n'y figurent malheureusement pas. Nous devons veiller avec vigilance au message que nous émettons en la matière, tant à l'échelon national qu'à l'attention de nos partenaires européens et de la Commission européenne.
Cela ne vous surprendra pas : le groupe La République en marche soutiendra sans ambiguïté la proposition de résolution, car elle définit sans langue de bois ce que nous attendons de notre pays et de l'Union européenne pour soutenir le secteur de l'industrie de défense.
Nous faisons face au retour de puissances étatiques agressives aux frontières de l'Ukraine, en mer de Chine, dans l'Océan indien, dans l'Arctique, en Syrie ou encore, tout récemment, dans le sud du Caucase, avec le conflit armé au Haut-Karabakh. La lutte contre le terrorisme s'intensifie aussi dans la région sahélo-saharienne, comme le montre l'intervention de l'armée française le week-end dernier, qui a permis de neutraliser une katiba dans la région des trois frontières. Mais le terrorisme continue également de frapper notre territoire national.
À cela s'ajoute la pandémie de covid-19 : le virus perturbe fortement le fonctionnement de notre propre base industrielle et technologique de défense alors même que celle-ci doit relever le défi du renouvellement capacitaire de nos armées.
Le plan de relance de la Commission européenne, dotée de 750 milliards d'euros, annoncé à la suite du premier confinement a un peu raté la marche de l'histoire faute d'intégrer les secteurs de la défense et de l'espace, et l'on peut regretter que l'enveloppe du fonds européen de défense ait été revue à la baisse, tout en restant conscients que l'existence même de ce fonds représente en soi une avancée, comme l'a dit Mme Thillaye.
Mais notre industrie de défense fait aussi face à un nouvel obstacle : il s'agit, étonnamment, du secteur bancaire. De nombreux acteurs du monde de la défense, start-up comme groupements d'entreprises, nous ont ainsi fait part des difficultés qu'ils ont rencontrées pour financer l'innovation de défense et le soutien à l'export – car notre industrie de défense ne vit pas seulement de commandes publiques, mais aussi de ses ventes à l'étranger. Les banques craignent de plus en plus de financer des projets industriels dans le secteur de la défense, par peur des sanctions américaines ou d'être pointées du doigt par des organisations non gouvernementales. Ce faisant, elles oublient qu'elles ont toujours été soutenues par les gouvernements en cas de crise financière majeure. Comment peuvent-elles refuser de financer les entreprises de défense, force innovante pour notre économie, garantes du fait que nos armées disposent des moyens d'assurer leurs missions de souveraineté et tenues par une réglementation très stricte ?
Ne nous laissons pas leurrer par la croyance que les États-Unis pourraient, par l'intermédiaire de l'OTAN, garantir notre sécurité en permanence et qu'il ne nous servirait donc à rien de bâtir une autonomie stratégique nationale et européenne. Nous devons relever les défis géopolitiques, sanitaires, économiques et financiers que j'ai cités pour que notre industrie de défense survive et fasse naître une industrie européenne forte, innovante et efficiente. C'est ce que permet cette proposition de résolution.
Merci, mesdames les rapporteures, de votre analyse très fouillée du plan de relance européen. Son adoption a marqué une étape notable, mais s'est faite au détriment de plusieurs programmes communautaires, dont celui consacré à la défense, ainsi qu'en témoignent les conclusions du Conseil européen : c'est à juste titre, madame la présidente, que vous avez qualifié ce volet de modeste.
Le fonds européen de défense, qui doit permettre de faire cofinancer par l'Union européenne des projets industriels communs, ne sera ainsi doté que de 7 milliards d'euros, au lieu des 13 initialement annoncés. Or, toujours selon les conclusions du Conseil, le FEDEF vise à « renforcer la compétitivité, l'efficacité et la capacité d'innovation de la base industrielle et technologique de défense européenne en soutenant des actions collaboratives et la coopération transfrontière dans toute l'Union, à chaque étape du cycle industriel de produits et de technologies de défense ».
Si nous reconnaissons un compromis historique, l'idée d'une autonomie stratégique européenne est mort-née ; nous le déplorons, ainsi que, plus généralement, le quasi-abandon des ambitions de l'Europe en matière de sécurité et de défense. Ainsi, la ligne « mobilité militaire » dégringole de 6 milliards d'euros à 1,5 milliard : au point 116, les conclusions évoquent « une contribution financière de 1 500 millions d'euros […] apportée au mécanisme pour l'interconnexion en Europe en vue d'adapter les réseaux RTE-T aux besoins en matière de mobilité militaire ». Quant au plafond financier de la facilité européenne pour la paix, il passe de 11 à 5 milliards d'euros. Comment nourrir des ambitions en matière de défense et de sécurité dans la situation actuelle, qui, malheureusement, perdure, si le plan de relance européen est conçu au détriment de ce secteur essentiel ?
Pour ces raisons, le groupe Les Républicains s'abstiendra lors du vote de la proposition de résolution.
Le groupe MODEM et Démocrates apparentés vous remercie de votre initiative, mesdames les rapporteures : votre proposition de résolution montre la pertinence de travaux communs à différentes commissions s'agissant d'un sujet transversal. Nous voterons naturellement votre texte, qui vise à une meilleure prise en considération du secteur de la défense dans le plan de relance européen et, à plus long terme, dans le budget de l'Union européenne.
La résilience des BITD de chaque État membre exige une coopération européenne et un effort collectif, seuls capables de rassurer les acteurs du secteur et de les encourager à résister aux tentatives de prise de participation étrangère que vous avez évoquées. En outre, les États devront gérer au cours des prochains mois des comptes publics gravement affectés par la crise sanitaire et seule l'Europe peut les inviter à redynamiser, malgré leurs difficultés nationales, leurs investissements dans le domaine de la défense, qui en aura bien besoin.
Notre groupe s'interroge toutefois sur l'intégration du Royaume-Uni aux efforts européens. Car si le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union européenne, il n'en demeure pas moins notre allié, associé à des projets d'équipement communs qui n'ont de sens que si des quantités suffisantes sont commandées. La résistance de l'industrie britannique de défense nous importe donc tout autant que celle de la nôtre. En d'autres termes, comment envisager le sauvetage de l'industrie européenne sans celui des entreprises de notre allié britannique ?
Il est difficile de ne pas souscrire à la proposition de résolution tant elle est consensuelle – peut-être trop !
Comme vous, je regrette que le fonds européen de défense soit réduit de 40 % ; mais surtout, je m'inquiète des modalités permettant d'y prétendre. Les conditions d'éligibilité initiales, censées favoriser les entreprises situées sur le sol européen ou dans un État associé, réservaient l'accès au fonds à au moins trois entités juridiques établies dans au moins trois États membres et/ou pays associés et ne devant pas être contrôlées par une entité située hors de l'Union. Mais ce point fait encore l'objet d'intenses tractations, dans lesquelles l'Allemagne joue une nouvelle fois un rôle pour le moins équivoque. Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre allemande de la défense, a ainsi laissé entendre qu'elle essaierait de mettre en œuvre la proposition permettant de faire participer des pays tiers aux projets relevant de la coopération structurée permanente (CSP). Mes inquiétudes sont d'autant plus grandes que la même ministre écrivait hier – à la veille de l'élection américaine, donc – sur le site Politico que « les illusions d'une autonomie stratégique européenne doivent prendre fin ».
Pour être clair, je ne m'oppose pas à la participation des entreprises étrangères lorsqu'elle est dans l'intérêt de l'Union ; mais il s'agissait à l'origine de celles d'États associés, c'est-à-dire membres de l'Association européenne de libre-échange et de l'Espace économique européen – en d'autres termes, du franco-britannique MBDA, du norvégien Kongsberg, etc.
En éludant cette question, la proposition de résolution passe à côté d'une partie du problème. Étant donné que nous en avons eu connaissance assez tardivement, le groupe Agir ensemble devrait toutefois la voter, en attendant de déposer des amendements en vue de la séance.
Le texte ne sera pas obligatoirement discuté en séance. Il est possible de demander à la conférence des présidents d'en inscrire l'examen à l'ordre du jour de la séance publique, mais celui-ci est si chargé que ce ne sera probablement pas possible.
Le texte va dans le bon sens et est porteur de messages forts, mais le groupe UDI et indépendants aurait préféré des actes concrets dans le cadre du plan de relance français. De nombreux parlementaires, siégeant sur tous les bancs, ont ainsi alerté l'exécutif sur la nécessité d'intégrer à ce dernier un volet spécifique à l'industrie de la défense – Je pense à l'excellent travail de nos collègues Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot, aux déclarations des différents groupes politiques à la tribune vendredi dernier ou encore aux travaux de nos collègues sénateurs.
Face au sort réservé à l'amendement de mon groupe visant à allouer 1,7 milliard d'euros à la relance de l'industrie de défense, nous ne pouvons que nous interroger. Pourtant, la présence au sein du plan de relance d'un volet spécifique à cette filière d'excellence aurait permis de sécuriser notre BITD, garante de notre autonomie stratégique et fragilisée par la crise, d'accélérer la modernisation et le renforcement des armées françaises dans un contexte géopolitique qui ne cesse de se dégrader et de créer un effet levier grâce à l'extraordinaire multiplicateur keynésien que constitue ce secteur. Si cette proposition risque de ne pas trouver d'écho à l'échelle française, elle représenterait un message fort aux institutions européennes.
Après l'échec, dans les années cinquante, de la Communauté européenne de défense, la question de la défense est longtemps restée à l'écart du débat européen, les dirigeants préférant se reposer sur l'OTAN. Et quand on voit l'intérêt que suscite partout en Europe l'élection qui aura lieu cette nuit outre-Atlantique, on comprend que nombre d'Européens, notamment à l'Est, se sentent encore dépendants des Américains pour leur défense. Il est pourtant vital que les Européens se réveillent et se rendent compte que l'autonomie stratégique n'est pas un gros mot.
La politique étrangère et de sécurité commune fut évidemment une première étape nécessaire, mais, comme bien souvent avec l'Union européenne, c'est toujours dans le cadre du marché qu'il faut agir. De ce point de vue, le fonds européen de défense constitue une avancée notable, bien que l'on puisse regretter qu'il ait été significativement réduit lors des négociations de juillet dernier. La France possède une industrie de défense déjà bien ancrée, mais c'est sur tout le territoire européen qu'il faut en développer une, pour impliquer chaque État et créer ainsi une solidarité tant stratégique qu'économique.
Notre groupe défendra des amendements destinés à clarifier et à compléter certains points. Il se tiendra à vos côtés, mesdames les rapporteures, pour envoyer aux institutions européennes le message fort que comporte votre proposition de résolution.
« Il faut en finir avec les illusions de l'autonomie stratégique européenne. […] Nous devons reconnaître que nous continuerons à dépendre des États-Unis. » Ce sont les mots de la ministre allemande de la défense Annegret Kramp-Karrenbauer dans une tribune publiée aujourd'hui même sur le site Politico. Dans ces conditions, je ne sais même pas comment nous pouvons examiner sérieusement la proposition de résolution européenne qui nous est soumise ! On nous a assez répété que le « couple franco-allemand » – une expression que personne n'emploie d'ailleurs outre-Rhin – est le cœur du projet européen. À partir de cette bluette, on a considéré que des programmes d'armement franco-allemands constitueraient le couronnement de la coopération de défense et permettraient de concrétiser ce fumeux concept d'autonomie stratégique européenne. Apparemment, il y a eu tromperie ou malentendu…
Depuis longtemps, nous autres du groupe La France insoumise alertons sur la naïveté coupable qui fait primer, en France, un chimérique intérêt européen quand nos partenaires ne se soucient que de leurs intérêts nationaux. J'alerte aujourd'hui sur la duplicité du gouvernement allemand, qui cherche à compléter sa suprématie économique d'une hégémonie politico-militaire. Nous sommes embarqués ensemble dans trois programmes dotés de plusieurs milliards : l'avion du futur, le char du futur et un programme d'avions patrouilleurs maritimes. Or ils ne sont pas menés entre égaux : ils siphonnent des capacités industrielles françaises. En matière de diplomatie de défense, mais aussi d'économie, l'Allemagne ne suit que son propre agenda et ne recherche – c'est son droit – que son propre intérêt.
J'évoque régulièrement l'exemple de la déloyauté des accords de Schwerin. Rappelez-vous comment l'Allemagne et la France s'étaient entendues pour se répartir la charge du développement de satellites optiques et magnétiques. Après avoir paralysé l'effort de recherche français, l'Allemagne avait finalement choisi de développer ses compétences dans les deux domaines, nous laissant le bec dans l'eau…
Du point de vue financier, la proposition de résolution salue une relance européenne à 750 milliards d'euros. Il suffit de rappeler que le commissaire européen Thierry Breton réclamait, lui, un plan de 2 000 milliards pour voir combien ce satisfecit est enfantin. Le gouvernement allemand a donné un os à ronger, et il faudrait applaudir !
Pourtant, lorsqu'il s'agit de faire sauter le tabou de l'équilibre budgétaire, le gouvernement allemand ne rechigne pas et investit plus de 11 points de PIB dans la relance. Le décalage avec les 2,3 points consentis par le gouvernement français nous promet des catastrophes.
Du point de vue des relations internationales, l'écart ne cesse de se creuser entre France et Allemagne. La complaisance que la chancelière montre envers la Turquie est aux antipodes des gestes de fermeté que la France attend d'un allié privilégié au moment même où M. Erdoğan provoque des tensions en Méditerranée, viole l'embargo en Libye, envoie des mercenaires au Haut-Karabakh, après avoir fait tirer sur des Français en Syrie en 2019, et injurie le Président de la République.
Il faut dire que ces atermoiements s'inscrivent bien dans la stratégie, décrite par Mme Kramp-Karrenbauer, de soumission aux États-Unis. Les programmes capacitaires franco-allemands ne sont nullement des moyens d'échapper à la vassalisation, comme on nous le fait miroiter ici ; ils ne sont qu'un aspect de la mutualisation des moyens militaires promue par l'OTAN elle-même et une habile méthode pour circonvenir les ambitions de la BITD française.
La proposition de résolution qui nous est soumise est le dernier en date des vœux pieux que la France forme au sujet de la défense européenne. Elle nous rapproche encore un peu plus d'une déconvenue dangereuse. Il est encore temps de mettre un terme à cette mascarade et de placer avant toute autre considération la défense de l'indépendance de la France ; c'est d'abord une affaire de volonté.
À la lumière des travaux que j'ai conduits avec Olivier Becht sur le domaine spatial, je regrette moi aussi que le plan de relance européen soit aussi léger dans ce dernier secteur – qu'il s'agisse du civil ou du militaire, de la recherche ou de la production – que concernant la défense.
Il y a quelques jours, on a beaucoup parlé de l'astéroïde Psyché 16 qui orbite entre Mars et Jupiter. Les ressources qu'il contient sont estimées à quelques trillions de dollars – dont nous aurions bien besoin en ce moment. On nous a beaucoup dit lors de nos auditions que rien ne s'y ferait avant des centaines d'années ; or la NASA est déjà prête à envoyer des sondes et à voir comment miner. La France seule ne peut se permettre d'investir suffisamment dans la recherche pour pratiquer du minage spatial, mais l'Europe devrait le faire. Sinon, nous allons encore rater la marche, au contraire de nos alliés américains. Tout comme vous, je déplore de voir l'espace ainsi sous-doté dans le plan de relance européen ; j'espère que vous pourrez faire entendre notre voix à ce sujet auprès de nos partenaires.
J'ai trouvé beaucoup de similitudes avec notre pays, ne serait-ce qu'au niveau du plan de relance, que nous avons initié dès 2017 et confirmé dans la loi de programmation militaire de 2018. Nos généraux, nos chefs d'état-major nous l'ont dit clairement : il fallait reconstruire nos armées. C'est ce que nous avons collectivement décidé de faire et nous le faisons massivement – le projet de budget pour 2021 en témoigne. Une fois de plus, nous montrons que la France est un acteur majeur en Europe dans la trajectoire que nous voulons impulser. Les axes et les pistes sont bien définis, le soutien à notre BITD a été rappelé. En tant que rapporteur pour avis du programme 146, j'ai auditionné de nombreuses entreprises de ce secteur, en particulier des sous-traitants : elles ont à l'évidence besoin d'être soutenues financièrement et accompagnées. Le volet européen ne fera que confirmer ce que nous avons déjà engagé.
Rappelons que la France compte 4 000 entreprises dans la BITD, ce qui représente plus de 200 000 emplois. Ces entreprises ont atteint un niveau d'excellence tellement spécifique pour certaines qu'elles pourraient être qualifiées d'orphelines. C'est maintenant qu'on doit les accompagner et que l'Europe doit être au rendez-vous. Les décisions prises le prouvent. Au-delà de l'accompagnement financier par l'Europe, M. Jacques Marilossian a insisté à juste titre sur la capacité de ces entreprises à se financer auprès des banques : l'approche industrielle européenne et l'approche financière européenne sont deux clés à faire jouer.
Monsieur Jean-Charles Larsonneur, vous avez évoqué l'interview donnée hier par la ministre allemande de la défense dans Politico. Or, de mémoire, vous n'avez relevé qu'une petite partie de cet entretien ; en réalité, elle contextualise les choses et considère comme une priorité l'approfondissement de la coopération européenne dans le domaine de la défense et le renforcement des capacités européennes. On peut avoir une lecture très restrictive ou pessimiste de ses propos, mais tout aussi bien y voir une volonté politique, et au plus haut niveau, d'aller dans le bon sens. Évidemment, cela posé, tout reste à faire mais notre diplomatie parlementaire, les efforts que nous sommes prêts à consentir, mais aussi l'évolution de la situation internationale nous aideront sans doute à retrouver un nouveau souffle pour continuer dans la voie de la coordination et de la collaboration. Pour ma part en tout cas, je considère que nous n'avons pas d'autre choix que d'avancer vers une construction européenne de la défense.
M. Jean-Charles Larsonneur s'inquiète des modalités d'accès au fonds européen de la défense, en particulier au niveau de la CSP, la coopération structurée permanente. La commission des affaires européennes vient tout juste de recevoir un document qui sera présenté au comité des représentants permanents de l'Union européenne (COREPER) en fin de semaine pour décider sous quelles conditions des entreprises pourront être retenues par la CSP, en particulier des entreprises appartenant à des pays extérieurs à la CSP. Nous devons quand même faire attention à nos amis du Royaume-Uni – M. Stéphane Baudu s'est également posé la question. Certes, les accords de Lancaster House restent en vigueur, mais nous devons tout de même savoir dans quelle mesure leurs entreprises peuvent continuer à bénéficier des fonds européens. Le conseil des affaires étrangères de l'Union européenne se saisira de cette question le 20 novembre. La commission des affaires européennes discutera de la position à adopter en la matière. On nous demande de lever la réserve, mais nous entendons bien regarder tout cela d'un peu plus près…
Monsieur Lachaud, c'est vrai, l'autonomie stratégique de l'Europe reste un objectif compliqué à atteindre mais c'est une notion toute nouvelle : quand nous sommes arrivés en 2017, personne n'en parlait… On a fait du chemin depuis. Vous avez raison, l'Allemagne défend ardemment son industrie de la défense. D'ailleurs, on le dit souvent, lorsqu'on parle d'industrie de la défense, l'Allemagne entend surtout le mot industrie et nous d'abord celui de défense – y compris de nos intérêts. Mais ce n'est pas incompatible : si l'on veut mener des opérations extérieures pour défendre nos valeurs, on a aussi besoin de capacitaire et l'Allemagne vient de loin ! Bien sûr, nous devons tout de même rester vigilants car les Allemands ont débloqué 10 milliards d'euros pour leur industrie de la défense. Du reste, c'est tout l'objectif de notre proposition de résolution européenne : rappeler qu'il ne faut surtout pas oublier le volet défense dans les priorités du plan de relance, tant au niveau européen que national : on en a besoin, que cela plaise ou non. Rien ne nous empêche de rester attentifs car c'est toujours la même grande question philosophique qui se pose au niveau européen : avons-nous un destin commun ou sommes-nous des concurrents ? Je crois que nous nous engageons dans un chemin qui s'éloigne un peu de celui que nous avons suivi pendant des dizaines d'années.
Avant de nous demander quels sont nos intérêts et notre capacité à travailler ensemble ou à mener en commun des projets industriels, je crois que nous devons avancer la construction de la défense européenne en nous posant quelques questions : que voulons-nous défendre ensemble ? De quoi devons-nous nous protéger ? Comment rendre ces engagements compatibles avec d'autres participations parallèles, notamment dans le cadre de l'OTAN ? Quels intérêts avons-nous à construire ensemble ? Quelles pourraient être nos stratégies ? Des réponses à ces interrogations découleront les moyens, qu'ils soient matériels, humains ou militaires, que nous déciderons d'investir. L'effort que nous devons consentir est avant tout politique. Une fois cette volonté politique construite, il nous appartiendra de la décliner au fil du temps en termes opérationnels et capacitaires.
M. Stéphane Trompille nous appelle à rester extrêmement vigilants quant au secteur spatial, mais remarquons tout de même que les vingt-deux pays de l'Agence spatiale européenne ont voté un budget de 14,4 milliards d'euros, en dehors de tout plan de relance ; et cette décision a été particulièrement soutenue par la France et l'Allemagne. Nous ne sommes pas non plus sans support financier.
Même si les ambitions européennes ont été revues à la baisse dans le domaine spatial, nous avons encore des programmes de premier ordre, comme Copernicus ou Galileo. Rappelez-vous d'ailleurs que Thierry Breton, lorsque nous l'avons rencontré cet été, nous a fait part de son souhait de voir l'Europe se doter de sa mégaconstellation de satellites. Nous devons poursuivre sur notre lancée et engager toutes les démarches, au niveau national comme de celui de la commission des affaires européennes, pour faire avancer cette volonté politique au plus haut niveau.
D'ailleurs, je vous invite à ne plus parler bientôt de GPS mais de Galileo : ce serait une bonne campagne de communication.
Il est parfois difficile de s'y retrouver, dans le secteur de la défense, car les volets intergouvernementaux jouxtent des volets intégrés européens.
M. Stéphane Baudu nous a posé la question de l'avenir des relations avec la BITD britannique avec laquelle nous entretenons des liens historiques, structurels, politiques. Nous avons l'habitude de travailler avec eux depuis très longtemps et nous partageons une même culture stratégique ou d'intervention.
Nous fêtons aujourd'hui même les dix ans de l'accord de Lancaster House mais nous devrons l'actualiser, le renforcer, l'adapter. En tout cas, il a toujours vocation à poursuivre cette nécessaire collaboration. Nous trouverons le chemin de la troisième voie pour progresser. Cela étant, il ne vous aura pas échappé que le Royaume-Uni se place parfois, de lui-même, en dehors des programmes européens, comme en témoigne le programme Tempest. De notre côté, nous avons choisi de travailler dans le cadre d'un nouveau partenariat, plutôt bilatéral ; mais nous ne pouvons pas ne pas poursuivre dans cette voie. D'ailleurs, nous avons mené il y a deux jours, avec le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, M. Christian Cambon, une audition conjointe par visioconférence avec nos homologues britanniques. La volonté de poursuivre cette collaboration est réelle, en tenant compte en toute objectivité de la réalité de la situation, de la nécessité d'être capables de répondre à des modes de combats hybrides, tout en poursuivant notre réflexion autour de ce que devrait être notre armée : plus résiliente, plus robuste, plus rustique mais aussi dotée de capacités beaucoup plus sophistiquées. Nous devons également conforter des programmes structurants – les futurs missiles de croisière, les futurs missiles antinavires ou le système de lutte antimines, autant de domaines majeurs dans lesquels nous devons poursuivre notre coopération. Nous le ferons différemment, mais nous ne pouvons pas y renoncer.
Bravo, Mesdames les rapporteures, pour ce travail très riche qui honore l'Assemblée nationale. Cette proposition de résolution me tient à cœur, mais je voudrais profiter de ce que nos homologues allemands nous écoutent peut-être – ou se feront rapporter nos échanges – pour regretter que l'Allemagne ne soit pas au rendez-vous. Elle devrait être plus présente à nos côtés, et surtout différemment. C'est vrai, l'industrie allemande est utile à la défense européenne, mais l'Allemagne en tire aussi les bénéfices alors que la France paie le prix du sang. Il faut aussi qu'elle nous aide un peu plus dans ses mots : j'entends la ministre de la défense allemande, je la lis aussi.
Les parlementaires français ne devraient-ils pas tisser un lien plus étroit avec les parlementaires allemands pour faire changer cette posture allemande, liée à son histoire ? Je suis Mosellan : mon arrière-grand-père était un soldat prussien et mon grand-père français fut arrêté par les Allemands, c'est vous dire si je connais bien ce pays et son histoire. Il est temps de provoquer un électrochoc pour que l'Allemagne soit plus proche de nous.
C'est un peu la raison d'être de l'assemblée parlementaire franco-allemande : faire connaître nos histoires, nos cultures, développer l'interculturalité en travaillant ensemble. Je reconnais que nous avons eu beaucoup de mal à constituer un groupe de travail « Politique étrangère et de défense » mais nous y sommes finalement parvenus. Je crains cependant que le chantier des sujets à aborder ne soit très vaste et que nous n'arrivions pas à cerner le plus prioritaire ; peut-être appartient-il à chacun de ses membres d'y veiller.
Je voudrais vous proposer à ce sujet, madame la présidente, chère Françoise, que la commission de la défense et la commission des affaires européennes auditionnent conjointement le nouvel ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne en France, Hans-Dieter Lucas, qui est un spécialiste des sujets de la défense. Il a notamment travaillé auprès de l'OTAN et nous pourrions lui poser directement toutes ces questions.
J'ai tout de même l'impression que l'Allemagne est en train d'évoluer. J'y suis intervenue à plusieurs reprises depuis 2017 devant différents mouvements politiques. Il était alors pratiquement impossible de parler de défense, sous peine de provoquer un brouhaha presque hostile de la part des adhérents des Verts. Cela a changé : c'est désormais possible, d'autant que les Verts s'apprêteraient à rejoindre une coalition. Nous allons donc pouvoir avancer ensemble. C'est à nous aussi de ne pas lâcher et de défendre nos intérêts : la France ressent comme une injustice de devoir payer le prix du sang alors que de l'autre côté, on se contente d'arriver avec des moyens financiers. Mais je crois que l'idée fait son chemin.
Je suis naturellement d'accord pour auditionner ensemble l'ambassadeur d'Allemagne. J'envisage même d'inviter le chef d'état-major de l'armée allemande car il serait très utile de l'entendre sur toutes ces questions. Nous devons poursuivre le dialogue, confronter nos points de vue et préciser les contours de ce que nous voulons faire ensemble en matière de défense.
Je remercie nos deux co-rapporteures d'avoir accepté que l'on débatte de ce sujet. On peut toujours espérer faire bouger les lignes, au niveau européen comme au niveau français. La difficulté tient à ce que ni le plan de relance français ni le plan de relance européen ne prennent en compte notre base industrielle de défense. En 2009, le plan de relance consacrait 1,6 milliard à l'industrie de défense ; ce n'est pas le cas cette fois-ci, et c'est regrettable.
Mais il y a des raisons à cela, qui tiennent à notre ambiguïté permanente. Face aux stratégies de puissance chinoise, américaine et, plus marginalement, russe, l'Europe se fait déborder ; nous sommes dépendants. L'indépendance et l'autonomie stratégique sont un concept qu'il faut marteler, et c'est ce que fait le Président de la République, mais pour l'heure, il n'existe pas. Nous le constatons au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN : la partie orientale de l'Europe, traumatisée par l'occupation soviétique, ne conçoit sa sécurité qu'à travers les États-Unis, tandis qu'une autre partie de l'Europe, finalement peu nombreuse et dont la France est le fer de lance, voit également notre sécurité au Sud. Il n'y aura pas d'autonomie stratégique à l'Est avant longtemps car nous aurons toujours besoin des Américains ; sinon le parapluie nucléaire français devrait s'étendre jusqu'aux frontières de la Roumanie et de la Pologne.
Nous devons en revanche progresser en direction du Sud. Les récents événements en Autriche – même si le terroriste abattu était, semble-t-il, d'origine albanaise – et dans d'autres pays montrent que nous avons des intérêts sécuritaires communs au Sud. Encore faut-il être capable de se projeter à l'extérieur : or c'est impossible aujourd'hui sans les Américains, sans leurs moyens d'observation, de transport et de franchissement. C'est de cela dont nous devons convaincre les Européens.
Les États-Unis se servent de leur base industrielle militaire pour développer des capacités civiles qui nous submergent et dont nous devenons dépendants. Nous avons raté beaucoup de virages technologiques parce que nous n'avons pas cette stratégie au niveau européen. Votre proposition de résolution vise donc juste, mais gagnerait à réaffirmer que nous devons développer une stratégie de puissance pour espérer en tirer des bénéfices civils. J'espère que les Européens progresseront dans ce chemin car la France est un peu trop seule à tenir ce discours. On ne peut pas prétendre défendre les mêmes valeurs tout en refusant de développer une stratégie de puissance.
Certes, il y a des barbares islamistes, mais il y a aussi des gens qui veulent nous asservir avec leurs technologies, qu'elles soient chinoises ou américaines, et qui nous considèrent davantage comme une colonie que comme une puissance européenne indépendante, avec sa culture et ses différentes nations. C'est cela, la question principale de nos temps modernes : nos enfants connaîtront-ils la même indépendance et la même liberté que celles qui nous ont été données lorsque nous sommes nés ? Je n'en suis pas sûr. C'est à cela que l'Europe devrait principalement servir.
La situation actuelle nous obligera sans doute à repenser ces concepts et à nous demander ce que nous voulons défendre. La crise sanitaire, qui dépasse les frontières, nous contraint à réfléchir aux risques auxquels nous faisons face et à la manière dont nous devons y répondre en Europe. Les nouvelles formes de conflictualité et les nouveaux risques sanitaires exigent une réorganisation des réponses ; et cela passe par la réduction de cette dépendance que nous avons laissée prospérer depuis des années.
L'élection qui aura lieu cette nuit aux États-Unis risque de modifier considérablement la perception qu'ont les Allemands de nos relations outre-Atlantique. Si Joe Biden est élu, l'Allemagne aura tendance à considérer que le contexte est beaucoup plus rassurant et sera moins encline encore à travailler à une défense européenne. À nous de nous plonger dans cette transformation politique et à nous poser les bonnes questions face aux nouveaux enjeux, aux nouveaux risques et à l'évolution de la conflictualité, que ce soit en interne, au niveau européen ou au niveau mondial. C'est le moment de nous poser les bonnes questions : le projet de résolution européenne a justement pour objet de rappeler que nous devons continuer à avancer sur ce chemin, même s'il est étroit.
Les Allemands, comme les autres, auraient totalement tort – à moins que cela ne soit un prétexte – de penser que l'élection d'un démocrate aux États-Unis changerait quelque chose. Démocrates et républicains sont parfaitement d'accord sur le fait qu'ils en ont marre de supporter la défense de l'Europe. C'est une réalité : celle-ci coûte quatre dollars par Américain mais seulement un dollar par Européen. Si la situation devait être inverse, ce serait compliqué à expliquer aux Français, aux Allemands et aux Italiens ! Vous avez parfaitement raison : les démocrates seront peut-être plus polis, mais ils mèneront la même politique que Donald Trump.
Le mot de « puissance » que vous venez d'utiliser, monsieur Lagarde, ne figurait pas jusqu'à présent dans le vocabulaire de l'Union européenne : il était plutôt question de soft power, fondé sur l'économie. Toutefois, un changement de logiciel est en cours : on commence à parler de level playing field, ou règles du jeu équitables. Même si tout cela prend du temps.
Donald Trump nous a d'une certaine façon rendue service car plusieurs pays de l'Est ont accepté de faire partie de la coopération structurée permanente (CSP), ce qu'ils n'auraient pas fait s'ils avaient eu une totale confiance dans les États-Unis et dans la présidence Trump. Cela aussi contribue à nous faire avancer. Maintenant, que la future présidence soit dirigée par Trump ou par Biden, il ne faut pas se faire d'illusions. Et il faut aussi faire attention : quand les États-Unis nous demandent d'augmenter nos budgets de défense, cela signifie acheter américain…
La commission en vient à l'examen des amendements.
Article unique
La commission examine, en discussion commune, les amendements DN1 et DN2 de M. Jean-Christophe Lagarde.
Un des États membres de l'OTAN, censé être notre allié, est en réalité notre adversaire : je veux parler de la Turquie. Le comportement du dirigeant turc – que je ne confonds pas avec la Turquie – représente une menace inédite : pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, en Méditerranée, un pays essaie de s'octroyer le territoire maritime d'un autre pays : ce n'est pas rien ! Et chacun a relevé l'exportation de djihadistes dans le Haut-Karabakh, après le massacre des Kurdes qui, eux, sont nos véritables alliés, sans oublier ce qui se passe en Libye. L'amendement DN1 vise à faire explicitement mention des agissements du régime turc.
L'amendement DN2 est un amendement de repli – il est même insipide car il se contente d'évoquer une montée des menaces au Sahel, en Libye et en Méditerranée orientale, sans en désigner le responsable. Pour ma part, je pense que nous devons être beaucoup plus clairs : nous sommes le Parlement, nous n'avons pas les mêmes obligations diplomatiques que le Gouvernement. Les menaces qui montent sont véritablement le fait du dirigeant turc M. Erdoğan. Nous le voyons fort parce qu'il parle fort, mais son économie est par terre et il a perdu les dernières élections municipales. Il fait donc diversion, et les gens qui font diversion finissent parfois par faire la guerre pour tenter de conforter leur pouvoir. Il l'a déjà fait en interne, contre les Kurdes. Nous devons prendre cette menace de considération. Mettez-vous à la place de la Grèce ou de Malte : certains pays se sentent menacés par ce qui est en train de se passer. Il n'y a pas que la Russie et les barbares de Daech : la Turquie est aussi un adversaire.
Je ne suis pas favorable à cet amendement, même si je vous donne raison quand vous pointez la responsabilité de la Turquie. J'ai moi-même dénoncé dans une récente question au Gouvernement les propos outranciers de M. Erdoğan. Mais ouvrir un débat sur la Turquie risque de nous faire dévier de l'objectif de la proposition de résolution : soutenir l'industrie européenne de la défense. Je pourrais à la rigueur soutenir l'amendement DN2, et encore, mais je trouverais dommage de mentionner la Turquie dans le cadre de cette résolution. Peut-être devrons-nous le faire dans le cadre d'une autre résolution sur les menaces pesant sur les pays européens, mais pas dans celle-là.
Je souscris à la proposition de Mme Thillaye de séparer les problématiques et de ne pas réagir à chaud à la situation actuelle. La proposition de résolution porte sur un projet global, à savoir l'avenir de la défense européenne, qui prend en compte l'ensemble des menaces pesant sur l'espace européen et doit par le fait s'affranchir du contexte actuel pour envisager le long terme.
Indépendamment de leur exposé sommaire, que je vous ai détaillé, le texte de ces amendements se borne à proposer une rédaction de l'alinéa 2 qui fait part, de façon très générale, des menaces croissant dans le monde. J'essaye simplement de les spécifier davantage, sans chercher à stigmatiser uniquement la Turquie – elle n'est pas responsable de ce qu'il se passe en Ukraine. Ce n'est pas une réaction à l'actualité, mais un rappel de la lente dégradation de notre environnement de sécurité depuis plusieurs années. En faire mention dans la proposition de résolution serait utile et ne présenterait pas de risque de dérive, puisque nous ne l'examinerons sans doute pas dans l'hémicycle.
J'ai écrit au Premier ministre, il y a un mois et demi, pour demander l'organisation d'un débat dans l'hémicycle sur le problème de la Turquie. L'état de tension navale militaire que nous avons connu récemment entre la France, l'Italie, la Grèce et la Turquie mériterait d'être évoqué. Je ne vous accuse pas de mettre le sujet sous le tapis, mais si ce n'est pas ici, il serait bon d'insister sur la nécessité d'un débat à l'Assemblée nationale, ne serait-ce que pour soutenir le Président de la République – ce n'est pas mon boulot de le faire, mais tout de même : il s'agit du chef de l'État… Et voyez comme la situation s'est dégradée depuis ! On renforcerait la dissuasion française dans les conflits fomentés par M. Erdoğan en exprimant clairement qu'il ne s'agit pas d'un conflit entre deux dirigeants : c'est un dirigeant contre une nation.
Je prends note de votre demande, mais je pense qu'elle est hors contexte. La proposition de résolution a vocation à faire avancer la construction d'une Europe de la défense dans le domaine de l'armement afin de répondre aux nouvelles formes de conflictualité. Cibler un pays d'une manière ou d'une autre, même si je peux à certains égards partager votre analyse, dénaturerait complètement notre texte. Je rendrai donc un avis défavorable au moins sur votre premier amendement. Le second est certes plus light, plus général sur les risques géographiques, dans la mesure où il évite de cibler un pays ou une personnalité : il n'irait donc pas à l'encontre du travail du Président de la République pour avancer dans un certain nombre de conflits actuels, notamment au Haut-Karabakh.
Je partage évidemment sur le fond les préoccupations du président Lagarde : l'attitude non pas de la Turquie mais de son dirigeant actuel, est effectivement très préoccupante. La Turquie reste évidemment une grande nation avec un grand peuple, une grande histoire qui mérite d'être respectée, mais cela oblige en retour les Turcs à respecter le droit international, ce que le gouvernement turc ne fait pas.
Comme vous, madame la présidente, je crois qu'il ne faut pas viser nominativement tel ou tel régime. L'amendement DN2 serait un compromis acceptable. Dès lors que l'alinéa 2 cite de manière explicite tout à la fois le Sahel, la Syrie et l'Ukraine comme étant aujourd'hui des lieux non seulement de crise, mais de dangers potentiels pour la stabilité de l'Europe, il me paraît raisonnable d'y ajouter également la Libye et la Méditerranée orientale, dans la mesure où les tensions qui s'y font jour, notamment du fait de l'attitude du régime turc, pourraient, compte tenu notamment des enjeux énergétiques de la zone, nous amener rapidement à une situation de conflit ouvert.
Je rappelle que les deux co-rapporteures sont défavorables à l'amendement DN1 et favorables à l'amendement DN2.
La commission rejette l'amendement DN1.
Puis elle adopte l'amendement DN2.
La commission en vient à l'amendement DN3 de M. Jean-Christophe Lagarde.
Il s'agit de rendre hommage aux travaux et à la lucidité des parlementaires de tous les bancs – je pense à la mission flash qu'ont réalisé nos collègues Griveaux et Thiériot, à l'amendement que le groupe UDI a déposé il y a un peu plus d'une semaine et aux prises de parole des différents orateurs vendredi dernier. Si le Gouvernement a décidé que le secteur de la défense ne figurait pas parmi les priorités de la relance, les parlementaires se sont, à l'inverse, battus pour qu'il le soit. Cet amendement vise à ne pas l'oublier.
Je vous remercie pour cet amendement qui met en valeur les travaux de nos collègues parlementaires.
Pour ma part, j'émettrai un avis favorable. Toutefois, l'utilisation de la tournure « malgré les travaux et les appels des parlementaires » a une connotation négative qui peut être source de malentendu : on pourrait presque comprendre l'inverse de ce que vous voulez dire, comme si les travaux et les appels des parlementaires n'avaient eu aucun effet. Il faudrait au contraire les rappeler de manière plus offensive et plus positive. C'est pourquoi je vous suggère d'utiliser l'expression : « telles qu'elles ont été identifiées par les travaux parlementaires ».
La commission adopte l'amendement DN3 tel qu'il vient d'être rectifié.
Puis elle examine l'amendement DN4 de M. Jean-Christophe Lagarde.
L'industrie de la défense constitue un des meilleurs investissements pour l'État, tant d'un point de vue économique, social que budgétaire. Comme l'expliquent nos collègues Griveaux et Thiériot, le secteur est un multiplicateur keynésien extraordinaire. Cet amendement rédactionnel vise donc à mettre l'accent sur la pertinence de ce vecteur.
Force est de considérer que votre amendement vient renforcer la proposition de résolution, et met encore plus en valeur l'avantage d'une relance de l'économie par l'intermédiaire du secteur de la défense, secteur effectivement majeur et dynamique.
La commission adopte l'amendement DN4.
Puis elle est saisie, en discussion commune, des amendements DN5 de M. Jean-Christophe Lagarde et DN6 de M. Christophe Naegelen.
L'amendement DN5 vise à ajouter un 9°, à savoir la préférence communautaire dans la politique d'achat des équipements de défense des États membres de l'Union européenne. Nombre de membres de l'Union européenne espèrent en se fournissant en matériel de défense auprès des États-Unis se placer sous le parapluie américain. Or nous sommes convaincus que les Américains ne souhaitent plus et ne peuvent plus assurer la sécurité des Européens. Dans ces conditions, les Européens doivent prendre leur destin en main et assurer leur sécurité de manière autonome. En juin 2019, Bruno Le Maire a appelé les pays membres de l'Union européenne à privilégier les entreprises européennes pour leurs contrats de défense plutôt que des pays tiers. Nous partageons totalement ce vœu qui permettrait de ne plus être dépendants des États-Unis, de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne et d'accroître l'interopérabilité entre nos armées.
L'amendement DN6 de Christophe Naegelen appelle à la création d'un Buy European Act appliqué notamment au secteur de la défense. Un Buy European Act permettrait aux États membres d'accorder un accès préférentiel aux industriels européens en matière de défense et de sécurité. Si nous souhaitons créer une véritable politique européenne de la défense, celle-ci passera par l'adoption d'un cadre juridique équivalent à la législation nord-américaine afin de susciter une préférence européenne. Un tel dispositif permettrait de favoriser une interopérabilité des armées au sein de l'Union – à ce jour, aucune préférence européenne n'existant en matière de défense, nous nous retrouvons à devoir gérer 178 systèmes d'armes… Il s'agit de promouvoir une vision stratégique et d'envoyer un signal fort en corrélation avec ce contexte de forte concurrence internationale.
Je suis défavorable à l'amendement DN6, dont je préconise le retrait au bénéfice de l'amendement DN5.
L'amendement DN6 va beaucoup trop loin : l'idée d'un Buy European Act est très controversée au niveau européen, elle n'a pas de soutien des États membres ni de la Commission européenne, notamment en raison du risque de représailles commerciales. Reste que c'est un sujet essentiel, et le programme de travail dont nous sommes convenus entre la commission de la défense et la commission des affaires européennes prévoit un rapport sur les marchés publics européens. Cette question doit être approfondie, il est prématuré de nous prononcer dans le cadre de cette résolution sans connaître le contexte global.
En revanche, je suis favorable à l'amendement DN5, sous réserve d'une légère modification rédactionnelle : le terme de « marché européen » est impropre, puisque les entreprises américaines y sont également présentes. Il vaut mieux viser les entreprises européennes.
Je suggère d'ajouter à cet alinéa : « dans le cadre notamment de la coopération structurée permanente ». Ce rappel est utile car cette expression est totalement absente de la résolution.
Je préfère la rédaction préconisée par la rapporteure. Il n'est pas utile de mentionner la CSP, régie par des règles de coopération qui imposent un nombre réglementaire de pays et des clauses préétablies. L'idée est plus générale : nous souhaitons qu'une préférence soit donnée aux acteurs européens. Cela peut inclure des entreprises dont le siège est hors d'Europe, mais qui y ont leurs activités et qui emploient des citoyens européens.
L'amendement DN6 est retiré.
La commission adopte l'amendement DN5, tel qu'il vient d'être rectifié par la Rapporteure.
La commission examine l'amendement DN7 de M. Jacques Marilossian.
Je propose d'insérer un nouvel alinéa par lequel l'Assemblée nationale invite le Gouvernement à créer un cadre de confiance et d'incitation au financement par le secteur bancaire des entreprises des secteurs de la défense et de l'espace et, le cas échéant, de saisir la Commission européenne dans cette démarche.
Le secteur bancaire est de plus en plus réticent pour financer les jeunes entreprises, souvent par crainte des menaces de sanctions ou des réactions d'organisations non gouvernementales. Cet amendement appelle le Gouvernement français à concevoir un cadre qui permette de rassurer et d'inciter les banques à financer des entreprises à l'export dans le secteur de défense et de l'espace.
Je vous remercie d'avoir déposé cet amendement, même si je suis amenée à lui donner un a vis défavorable. La question est d'une telle importance que le Bureau de notre commission a décidé, la semaine dernière, de confier une mission flash à Françoise Ballet-Blu et Jean-Louis Thiériot pour travailler au financement des bases industrielles et technologiques de défense (BITD) au regard des nouvelles considérations d'ordre politique et idéologique qui perturbent les modes de financement et mettent en difficulté toute la chaîne logistique. Nous attendons beaucoup de ces travaux qui nous offriront des éléments de réponse précis et objectivables. La proposition de résolution, de portée plus générale, ne permet pas d'aborder le sujet avec un niveau de précision comparable. Ne nous trompons pas d'objectif : nous avons souhaité que cette proposition de résolution soit suffisamment large pour continuer à la soutenir longtemps.
Même avis : il s'agit d'une question très précise qui dépasse le cadre de cette résolution, qui a essentiellement vocation à envoyer un message politique. D'autant que la commission de la défense s'est déjà saisie du sujet.
L'amendement lance un appel au Gouvernement, mais la question est plus européenne que franco-française : les entreprises qui recourent aux financements bancaires sont multibancarisées et font appel à des établissements implantés dans d'autres pays de l'Union européenne. Face au risque de sanctions américaines, la réponse ne peut pas être nationale.
Je me suis abstenu lors du vote sur l'amendement DN2, portant sur la Libye, car ce sujet ne fait pas l'unanimité dans le cadre de la politique extérieure et de défense de l'Union européenne, notamment à cause des divergences de vues entre l'Italie et la France. Je crains que cette mention n'affaiblisse cette résolution. Et bien que le texte de l'amendement ne mentionne pas le régime turc, il est toujours explicitement désigné dans l'exposé des motifs, ce qui est regrettable d'un point de vue diplomatique.
L'amendement DN7 est très intéressant, mais nous devons gérer le problème de l'extraterritorialité du droit américain, qui vient, au-delà de notre droit, perturber la problématique des financements bancaires en faisant planer un risque de sanctions. C'est peut-être au niveau européen que nous devrions y travailler.
Mesdames les présidentes, je souscris entièrement à votre position, tout en comprenant le propos de Jacques Marilossian.
Nous devons rappeler à certaines ONG que l'industrie de la défense n'est pas là que pour « faire le mal » : si nous voulons nous défendre face à des proto-États comme Daech, ou à d'autres menaces, il est important que notre démocratie soit armée convenablement et qu'elle dispose d'une industrie de défense capable de réaliser ses programmes d'armement et de fabriquer ses munitions, afin de pouvoir se protéger et surtout défendre les valeurs européennes, qui sont des valeurs fortes. Ces ONG et ces lobbyistes qui font pression auprès des banques devraient élargir leur champ de pensée. J'en appelle également aux banques, pour qu'elles adoptent une position plus ouverte sur ce sujet : n'oublions pas que pour qu'une économie tienne, il faut de la sécurité.
L'amendement DN7 est retiré.
Puis la commission adopte l'article unique de la proposition de résolution ainsi modifiée.
La Conférence des présidents a quinze jours suivant la mise à disposition de cette proposition de résolution par voie électronique pour l'inscrire éventuellement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Faute de quoi, le texte que nous venons d'adopter sera considéré comme définitif et transmis aux instances européennes et aux parlements nationaux.
Je vous remercie d'avoir participé, avec beaucoup de bienveillance, à ces travaux, ainsi que pour la qualité de vos échanges.
La séance est levée à vingt-heures vingt.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Stéphane Baudu, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Marie Fiévet, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Grégory Labille, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Gérard Menuel, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Muriel Roques-Etienne, Mme Nathalie Serre, M. Joachim Son-Forget, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson
Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Sylvain Brial, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Nicolas Meizonnet, M. Aurélien Taché