Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du mardi 3 novembre 2020 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Je remercie nos deux co-rapporteures d'avoir accepté que l'on débatte de ce sujet. On peut toujours espérer faire bouger les lignes, au niveau européen comme au niveau français. La difficulté tient à ce que ni le plan de relance français ni le plan de relance européen ne prennent en compte notre base industrielle de défense. En 2009, le plan de relance consacrait 1,6 milliard à l'industrie de défense ; ce n'est pas le cas cette fois-ci, et c'est regrettable.

Mais il y a des raisons à cela, qui tiennent à notre ambiguïté permanente. Face aux stratégies de puissance chinoise, américaine et, plus marginalement, russe, l'Europe se fait déborder ; nous sommes dépendants. L'indépendance et l'autonomie stratégique sont un concept qu'il faut marteler, et c'est ce que fait le Président de la République, mais pour l'heure, il n'existe pas. Nous le constatons au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN : la partie orientale de l'Europe, traumatisée par l'occupation soviétique, ne conçoit sa sécurité qu'à travers les États-Unis, tandis qu'une autre partie de l'Europe, finalement peu nombreuse et dont la France est le fer de lance, voit également notre sécurité au Sud. Il n'y aura pas d'autonomie stratégique à l'Est avant longtemps car nous aurons toujours besoin des Américains ; sinon le parapluie nucléaire français devrait s'étendre jusqu'aux frontières de la Roumanie et de la Pologne.

Nous devons en revanche progresser en direction du Sud. Les récents événements en Autriche – même si le terroriste abattu était, semble-t-il, d'origine albanaise – et dans d'autres pays montrent que nous avons des intérêts sécuritaires communs au Sud. Encore faut-il être capable de se projeter à l'extérieur : or c'est impossible aujourd'hui sans les Américains, sans leurs moyens d'observation, de transport et de franchissement. C'est de cela dont nous devons convaincre les Européens.

Les États-Unis se servent de leur base industrielle militaire pour développer des capacités civiles qui nous submergent et dont nous devenons dépendants. Nous avons raté beaucoup de virages technologiques parce que nous n'avons pas cette stratégie au niveau européen. Votre proposition de résolution vise donc juste, mais gagnerait à réaffirmer que nous devons développer une stratégie de puissance pour espérer en tirer des bénéfices civils. J'espère que les Européens progresseront dans ce chemin car la France est un peu trop seule à tenir ce discours. On ne peut pas prétendre défendre les mêmes valeurs tout en refusant de développer une stratégie de puissance.

Certes, il y a des barbares islamistes, mais il y a aussi des gens qui veulent nous asservir avec leurs technologies, qu'elles soient chinoises ou américaines, et qui nous considèrent davantage comme une colonie que comme une puissance européenne indépendante, avec sa culture et ses différentes nations. C'est cela, la question principale de nos temps modernes : nos enfants connaîtront-ils la même indépendance et la même liberté que celles qui nous ont été données lorsque nous sommes nés ? Je n'en suis pas sûr. C'est à cela que l'Europe devrait principalement servir.

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