Nous avons appris à mieux connaître la menace liée aux engins explosifs improvisés, notamment en Afghanistan, où nous avons amorcé le processus de protection active et passive des véhicules – blindage, brouillage, organisation des chargements et, surtout, en amont des convois, renseignement, afin de déceler des signaux faibles et de tenter d'entraver les tentatives ennemies. Au Mali, les conditions d'engagement sont différentes : même si nous disposons des meilleurs moyens qui soient et des acquis de l'expérience, des vulnérabilités spécifiques n'en demeurent pas moins.
Nous avons en effet subi de nombreuses pertes de personnels circulant dans des VBL utilisés lors des missions de reconnaissance. Nous cherchons donc à renforcer les véhicules blindés légers. Un nouveau modèle, plus sûr, équipera nos forces au Sahel dès le premier semestre. À plus long terme, nous travaillons sur un programme de véhicules blindés un peu plus lourds, dont nous souhaitons qu'il soit mené dans le cadre de la coopération européenne, en nous appuyant sur les financements du Fonds européen de la défense. En 2021, nous déploierons également, dans le cadre du programme Scorpion, les engins les plus récents dont nous disposons, les Griffons, qui sont dotés d'un niveau de protection beaucoup plus élevé. Néanmoins, quelle que soit la force du blindage, les quantités d'explosifs utilisés au Mali ces derniers mois sont telles que le meilleur engin blindé, face à 40 kilos d'explosifs, ne protégerait en rien les soldats. S'il est nécessaire de continuer à explorer cette piste, elle ne suffira pas.
Nous travaillons donc sur des technologies de détection, comme les radars pénétrateurs de sols destinés aux engins ouvrant les itinéraires, les radars aériens embarqués, afin de déceler d'éventuelles modifications de terrain ou encore les véhicules autonomes d'ouverture d'itinéraires qui seraient couplés aux engins de tête. À ce stade, ces matériels ne sont pas encore opérationnels, mais ce sont des pistes très prometteuses. J'ajoute que la longueur des itinéraires, au Sahel, est sans commune mesure avec celle que nous avons connue en Afghanistan.
Le génie dispose de moyens permettant de « nettoyer » un itinéraire en avant mais, compte tenu du nombre de déplacements sur un théâtre d'opérations aussi gigantesque, tous les itinéraires ne peuvent pas être préalablement sécurisés. Des reconnaissances par drone sont certes effectuées, mais il n'en reste pas moins que les engins explosifs improvisés sont meurtriers pour nos soldats et pour les populations civiles. Peu après l'explosion qui a tué trois de nos militaires, fin décembre, deux engins civils ont également sauté quelques heures plus tard à quelques centaines de mètres.
Comme vous tous, je ressens une très grande frustration de ne pas pouvoir aller plus vite, mais les avancées dont je viens de faire état n'en sont pas moins réelles.
Comme bien d'autres régions du monde qui sont en crise, le Sahel est un enjeu d'influences entre les grandes puissances. Certaines d'entre elles, qui ne sont pas engagées militairement, cherchent toutefois à nous concurrencer en intervenant en particulier dans le domaine informationnel. La Turquie et la Russie cherchent à s'imposer, à s'infiltrer dans les interstices et, toujours, à nous discréditer. Le champ informationnel est devenu un champ de confrontations et d'actions à part entière, sur lequel nous sommes présents.
Les États-Unis sont l'un de nos principaux partenaires au Sahel. Ils nous apportent un soutien précieux dans le ravitaillement, le transport et, surtout, le renseignement, notamment par drones. Nous abordons les discussions avec la nouvelle administration américaine après que le soutien à la force Barkhane a été récemment confirmé et, donc, sécurisé.
En 2020, malgré toutes les difficultés liées à la crise sanitaire, nous avons atteint les objectifs précis que nous nous étions fixés en matière de recrutement pour toutes nos armées. Je tire un coup de chapeau aux directions des ressources humaines de chacune d'entre elles, qui a réussi une telle prouesse en mobilisant les nouveaux outils numériques pour s'adresser aux jeunes. Il faut saluer ce très grand succès. Nous avons besoin de ces jeunes Français, qui bénéficient ainsi d'une opportunité professionnelle dans un contexte économique et d'emploi que nous savons beaucoup plus difficile qu'il ne l'a jamais été ces dernières années.
Il est encore un peu tôt pour vous donner des chiffres exacts de l'exécution budgétaire de 2020 – sans doute ne manquerez-vous pas de m'inviter à vous les présenter complètement ! – mais, là encore, malgré les perturbations liées à la crise sanitaire, nous avons consommé les 37,5 milliards prévus en loi de finances initiale. Nous avons, par ailleurs, bénéficié de 800 millions d'euros de crédits dégelés en novembre, date qui n'avait jamais été aussi précoce. Ils étaient d'autant plus attendus qu'ils étaient destinés à des industries et à des entreprises de défense qui, dans le contexte que nous connaissons, ont particulièrement besoin de la commande publique.
Dans un communiqué de presse, l'état-major des armées a relaté l'opération qui s'est déroulée le 3 janvier dernier dans une localité proche du village de Bounty, situé dans le centre du Mali. Deux Mirage de notre armée de l'air ont décollé de Niamey et, à 15 heures, ont bombardé, au cours d'une frappe unique, un groupe armé terroriste dit katiba Serma qui, comme de nombreux autres dans ce secteur, est affilié au RVIM, c'est-à-dire à Al-Qaïda. Dans cette région, ce groupe dispose d'emprises logistiques – instruction, maniement des armes, confection d'engins explosifs improvisés. Cette action a permis de neutraliser une trentaine de terroristes, qui avait été identifiés en amont grâce au renseignement, comme l'attaque l'a d'ailleurs confirmé.
Voilà les faits. Ensuite, de très nombreuses rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux – un hélicoptère aurait ainsi fait des victimes parmi les femmes et les enfants. Je le dis et je le répète : la France n'a jamais engagé d'hélicoptère, ce jour-là, dans une action de combat ; aucun dommage collatéral n'a été observé : là où la frappe a eu lieu, il n'y avait ni mariage ni rassemblement festif. Je sais que, en dehors des réseaux sociaux, certains médias ont relayé cette polémique. Le ministère des armées et les réseaux sociaux procèdent d'une manière assez différente lorsqu'il s'agit de restituer une opération : nous ne communiquons que sur des faits vérifiés et recoupés, et les éléments que je viens de vous présenter l'ont été.
Nous savons qu'il existe une forme de guerre informationnelle. Cette « sortie » médiatique n'est donc pas tout à fait innocente, au moment où les groupes terroristes, en particulier le RVIM, ont eux-mêmes communiqué pour expliquer que les armées françaises devaient quitter le Sahel. Il n'est donc pas anodin que les réseaux sociaux et certains médias aient pu faire état d'une « bavure », idée que je récuse donc absolument : le 3 janvier, les forces françaises n'ont pas occasionné ce dont elles sont accusées. Je le dis avec une certaine solennité, car il importe de faire la lumière sur tout cela. Nous n'avons jamais caché quoi que ce soit, nous respectons le droit de la guerre et le droit humanitaire international : tout est fait pour éviter les dommages collatéraux.
Nous avons été très clairs et je vais essayer de l'être à nouveau. Nous avons toujours dit que notre ennemi, au Sahel, n'est pas homogène ; les groupes djihadistes profitent de l'existence de tensions communautaires. Certains combattants, manipulés et embrigadés sous la bannière du djihad international, qui choisiraient de déposer les armes et d'intégrer le processus d'Alger doivent pouvoir retrouver toute leur place dans la vie de leur pays. Nous en sommes les premiers convaincus : il faut savoir faire le distinguo entre ceux-là et les groupes radicaux internationalistes qui se proclament franchises d'Al-Qaïda et de Daech, qui veulent la destruction des États sahéliens, notre propre destruction, et qui mènent un projet politique d'asservissement des populations. Toute négociation avec ces groupes-là n'est évidemment pas envisageable.
Nous avons engagé l'actualisation de la revue stratégique de 2017 en commençant par nous interroger sur les menaces auxquelles nous risquons d'être confrontés dans les années à venir. D'un mot : non seulement elles n'ont pas disparu mais elles se sont amplifiées. La confrontation devient de plus en plus dure dans les nouveaux champs que nous avions bien identifiés : cyber, espace, information… Des travaux sont en cours afin de nous assurer de la « congruence » entre cette analyse actualisée des menaces et ce que nous avions prévu dans la loi de programmation militaire. Nous vous les présenterons dès leur achèvement.
Je suis, bien entendu, à votre disposition pour évoquer la situation dans les pays du Levant, peut-être à huis clos, mais je peux d'ores et déjà vous dire qu'en Irak, la situation sécuritaire est complexe puisque de nombreuses attaques ont eu lieu ces derniers mois. En Syrie, des bus sont visés et les victimes nombreuses dans des zones où Daech est en train de retrouver des capacités d'action.
La France a été la première à poser la question turque dans l'OTAN en des termes assez directs. Si la Turquie en est membre et, à ce titre, est un allié, elle ne se comporte pas comme tel. Nous avons pris de nombreuses initiatives dans le cadre de l'OTAN et nous avons également agi sur le terrain pour manifester notre volonté de voir le droit international respecté, en particulier en Méditerranée, lorsque la zone économique exclusive de Chypre et les droits de la Grèce ont été contestés. Nous avons noté la nette inflexion de l'administration américaine sortante à l'encontre de la Turquie lors de la dernière réunion des ministres des affaires étrangères de l'OTAN, en décembre, de même que les intentions très récemment exprimées par la Turquie visant à renouer un dialogue avec les Européens. Si tel est le cas, très bien, mais nous jugerons sur les actes.
Monsieur le président Chassaigne, 2020 a été une année riche en opérations au Sahel. Après le sommet de Pau, l'engagement opérationnel a été très fort, avec un rythme très soutenu, et il n'a été ni entravé ni ralenti par le putsch du mois d'août à Bamako. Nous avons continué à mettre une très forte pression sur les groupes terroristes dans la zone des trois frontières avec les opérations Malvern, Bourrasque, Giboulées et, en ce moment même, l'opération Éclipse.
Que cherchons-nous à faire ? À entraver les groupes terroristes et à neutraliser leurs chefs. En juin 2020, nous avons ainsi neutralisé l'émir d'Aqmi, Droukdel, ainsi que son adjoint, Toufik Chaïb et, plus récemment, en novembre, l'un des plus hauts responsables d'Aqmi, Bah Ag Moussa, ainsi que d'autres lieutenants du responsable d'Aqmi dans la région, Iyad Ag Ghali. Nous avons également neutralisé l'émir de Ménaka. De telles neutralisations désorganisant en profondeur les groupes armés, je crois pouvoir dire que 2020 a été efficace.
Nous avons également marqué des points importants en permettant aux forces sahéliennes de monter en puissance. J'y inclus, bien évidemment, les forces nationales, mais aussi la force conjointe du G5 Sahel. En 2020, nous avons donc construit un partenariat de combat d'un niveau inégalé, l'intégration entre les forces françaises et sahéliennes étant inédite, ce qui est heureux puisqu'il s'agissait de l'un des objectifs prioritaires fixés lors du sommet de Pau. L'opération Bourrasque a mobilisé pendant cinq semaines 3 000 hommes, pour moitié militaires français et pour moitié militaires maliens et nigériens. Nous y avons également associé des moyens de renseignement européens et américains. À la suite du sommet de Pau, un commandement intégré, basé à Niamey, a été créé. Grâce à celui-ci et au renseignement dont nous avons pu faire le meilleur usage opérationnel, les résultats de l'opération Bourrasque ont été très tangibles. Sans attendre, nous avons donc lancé l'opération Éclipse, le 1er janvier, avec les forces armées maliennes, nigériennes et burkinabè.
Désorganiser les groupes terroristes par la neutralisation de leurs chefs et de hauts responsables, permettre aux armées sahéliennes de prendre de plus en plus toute leur part aux combats donne des résultats concrets même si, j'en suis bien d'accord, le problème n'est pas réglé. Je suis d'ailleurs convaincue que l'action militaire, à elle seule, n'est pas le seul moyen de stabiliser le Sahel et que d'autres actions doivent être conduites. Ainsi, moins de quinze jours après l'opération Bourrasque menée dans une localité, tous les enfants ont pu regagner l'école. C'est exactement, me semble-t-il, ce que nous souhaitons tous : que la vie reprenne normalement.
Je suis certaine que le sommet de N'Djamena permettra de faire le point sur les éléments que je viens d'évoquer, mais aussi sur les conditions du succès du retour de l'État et sur la situation en termes de développement économique, lequel implique au préalable un minimum de sécurité.