Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 12 janvier 2021 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre :

La force Takuba est en train de devenir opérationnelle. Un premier contingent franco-estonien a mené de nombreuses opérations depuis le début du mois de juillet ainsi que ces dernières semaines, avec de bons résultats. Le premier bilan est donc positif. Le déploiement franco-tchèque est en cours ; les Suédois arrivent avec un contingent important ; nous attendons les Italiens au cours de ce premier semestre ; nous discutons avec les Danois et les Portugais pour finaliser les conditions de leur déploiement avant la fin de l'année ; nous discutons également des déploiements à venir avec les Pays-Bas notamment.

L'efficacité de cette force dépend beaucoup des Maliens eux-mêmes : les forces maliennes, comme ce fut le cas jusqu'à présent, doivent être disponibles pour combattre aux côtés des forces spéciales européennes. L'objectif est ainsi de créer un cercle vertueux « engagement, régénération, entraînement », qui est en cours.

Au-delà de la force Takuba, les Européens sont présents au Sahel dans le cadre de la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM) et de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Nous ne sommes pas seuls !

Avant d'envisager l'élargissement du G5 Sahel, il faut consolider ce qu'il a été prévu de faire. Mais compte tenu de l'évolution de la menace et de son extension vers le Sud, il faut organiser la coordination avec les pays concernés. C'est ce que nous faisons, notamment grâce à nos forces prépositionnées au Sénégal.

Je ne vais pas me lancer dans une longue description de la boussole stratégique. C'est une analyse des menaces et des vulnérabilités de l'Union européenne, que nous menons pour que l'Union européenne soit capable d'agir, à l'horizon 2030, dans quatre domaines clé : la gestion de crise ; la résilience ; le capacitaire et les partenariats. Il est très important d'aboutir dans le cadre de la présidence française, ce serait une nouvelle étape vers une ambition accrue pour l'Europe de la défense.

Il est faux de dire que le Portugal n'est pas mobilisé sur le sujet de la défense. Ce pays est très impliqué à nos côtés, notamment en République centrafricaine. En tant que président du Conseil de l'Union européenne depuis le début du mois de janvier, le Portugal est très investi à propos des événements graves qui ont lieu au Mozambique, et j'aurai l'occasion de m'en entretenir dès cette semaine avec mon homologue portugais, avec lequel j'ai des rapports extrêmement réguliers. Je ne peux donc laisser dire que le Portugal n'est pas engagé.

Il est vrai que la montée d'un mouvement terroriste qui se réclame de Daech dans le nord du Mozambique est très inquiétante. Nous sommes en train de voir comment, avec de l'entraînement et de la formation, nous pouvons appuyer les forces armées de ce pays. Nous souhaitons le faire avec nos partenaires européens et nous disposons des forces positionnées dans le sud de l'océan Indien, à La Réunion et à Mayotte, pour y contribuer le cas échéant.

L'hélicoptère Tigre nous est absolument essentiel, notamment sur le théâtre sahélien. Il nous faut moderniser ses capacités de feu. J'ai annoncé, au mois de novembre, le lancement d'un nouveau programme : le missile haut de trame, qui sera développé par MBDA. Il équipera les hélicoptères Tigre. Il faut aussi leur donner la capacité de s'intégrer à une bulle de combat collaboratif, donc le moderniser et traiter les obsolescences. Dans le cadre de la LPM, nous avons pour objectif de les rénover au standard MK3, et nous sommes en phase finale de négociation avec les industriels. L'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) pilote ce programme et devrait rendre sa décision finale dans les prochaines semaines.

Je n'ai pas d'a priori sur le recours à des entreprises privées pour la logistique de nos armées. Ce qui est important, c'est que la meilleure qualité de prestation soit offerte à nos armées au meilleur coût. Nous mettons en concurrence les prestataires ; dans certains cas, ce sont des structures publiques telles que l'économat des armées qui remportent les appels d'offres, et nous en sommes très heureux car la qualité de la prestation est au rendez-vous, dans d'autres cas, ce sont des entreprises privées. Il ne faut pas avoir de débat doctrinal sur la nature juridique de ceux qui rendent le service ; il faut qu'ils soient sélectionnés sur les bons critères.

Il est exact que nous n'aurons pas l'Eurodrone avant 2028. C'est pour cela qu'en 2013, Jean-Yves Le Drian avait commandé quatre systèmes de drones Reaper , car il n'existe pas à l'heure actuelle de système de drone MALE européen. Nous disposons déjà de ces capacités ; un premier bloc devra être remis à niveau prochainement, et des blocs plus récents viennent de nous être livrés et devraient être mis en service très prochainement sur le théâtre sahélien.

Avons-nous besoin d'une capacité intermédiaire ? Nous avons prévu de doter l'armée de terre de systèmes de drones tactiques (SDT), en plus des mini-drones. Ces drones tactiques seront livrés à nos forces en 2021. Il ne s'agit pas de drones MALE, mais c'est une capacité complémentaire qui sera fournie à l'armée de terre.

S'agissant de l'impact des élections allemandes sur les grands programmes, nous n'avons pas eu de problème particulier sur les projets structurants jusqu'à présent. Il y a parfois des difficultés, mais nous les dépassons. Nous avons conscience qu'une échéance se présentera au mois de septembre, et qu'un certain nombre de sujets qui nécessitent l'approbation du Parlement allemand doivent être réglés avant l'été, car il ne sera plus en mesure de décider au-delà.

Photonis est une entreprise stratégique pour l'équipement de nos militaires, notamment les jumelles de vision nocturne. Un projet de cession a été lancé par l'actionnaire actuel, et la vente à une entreprise américaine a été envisagée. Ce processus s'est développé sur de longs mois, et nous avons constaté avec Bruno Le Maire que les conditions proposées n'étaient pas de nature à garantir dans la durée la souveraineté de Photonis. Il nous est apparu qu'il fallait défendre cette entreprise et tout faire pour la conserver sous souveraineté nationale. C'est ce que nous avons fait au mois de décembre et nous sommes en train d'étudier comment une solution française pourrait être structurée.

Photonis est une entreprise en très bonne santé économique, qui a beaucoup de projets de développement. Il est important que nous fassions tous les efforts pour la préserver, conformément à notre volonté de protéger notre souveraineté nationale et de construire une souveraineté européenne en termes de base industrielle et technologique de défense.

S'agissant du porte-avions de nouvelle génération, même si la question de sa mise en service ne se posera que dans dix-sept ans, disposer d'un équipage aguerri et formé, maîtrisant toutes les capacités et compétences requises, est en effet un travail de longue haleine. Votre commission aura certainement l'occasion d'auditionner le chef d'état-major de la marine, qui entrera dans le détail de la façon dont il compte s'y prendre.

S'agissant des conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, il est clair que l'accord de Brexit ne couvre pas les questions de sécurité et de défense. Sur ce point, nous devons déterminer un mode d'association du Royaume-Uni à la sécurité du continent européen. Il est évident que ce pays demeurera un acteur majeur de la sécurité en Europe, pour de nombreuses raisons, notamment son rôle dans la dissuasion nucléaire et notre coopération bilatérale dans le cadre des accords de Lancaster House, qui a produit des résultats tangibles dans divers domaines. À présent, il faut identifier de nouvelles pistes de coopération. Tel sera l'enjeu des discussions, prévues dans les jours à venir, entre le délégué général à l'armement et son homologue britannique.

L'entreprise Man Energy Solutions, qui produit, à Saint-Nazaire, les moteurs diesels de secours des sous-marins nucléaires français, c'est une longue histoire. L'entreprise Volkswagen, qui en est actionnaire, a procédé à des investissements insuffisants. Nous lui avons adressé des mises en demeure. À l'issue d'un dialogue complexe, Volkswagen a décidé de conserver cette entreprise au moins jusqu'en 2024. Nos échanges ont pris un tour plus constructif cet été. Plusieurs scénarios de développement de nouveaux produits susceptibles de répondre aux besoins de nos sous-marins sont sur la table. Nous dialoguons activement avec Volkswagen, en liaison avec Naval Group, qui en est le client direct. Je vous assure de mon total engagement et de ma mobilisation, ainsi que de celle des services, pour assurer le maintien de ces compétences critiques sur notre territoire national.

S'agissant du financement du secteur spatial, la LPM 2019-2025 consacrait initialement 3,6 milliards d'euros au renouvellement de l'intégralité de nos moyens spatiaux, notamment des moyens satellitaires. Lorsque j'ai rendu publique la stratégie spatiale de défense souhaitée par le Président de la République, nous avons dû répondre à une ambition accrue, redéployant pour ce faire 700 millions d'euros. Désormais, 4,3 milliards d'euros sont consacrés au secteur spatial dans le cadre de la LPM 2019-2025. Les livraisons – CSO-1, CSO-2 et Syracuse-4 – sont au rendez-vous.

La levée de l'embargo imposé au Qatar par l'Arabie Saoudite est une très bonne nouvelle. Nous avons veillé à adopter une attitude impartiale, afin de ne pas donner le sentiment que nous prenions parti pour les uns ou les autres. Tout cela est propice à apaiser les tensions, dans une région du monde qui n'en manque pas.

S'agissant de la présidence française de l'Union européenne, sa priorité sera de faire franchir à l'Europe de la défense une nouvelle étape. Tout en valorisant l'acquis de la période précédente, nous nous donnerons une nouvelle ambition. J'ai évoqué tout à l'heure les quatre axes de notre action, qui visera à renforcer notre capacité à gérer les crises et nos moyens capacitaires, à défendre notre souveraineté et à développer la BITD européenne.

J'en viens au soldat augmenté. J'ai créé un comité d'éthique au sein du ministère des armées, ce qui n'a été fait dans aucun pays jusqu'à présent. Il m'a semblé indispensable que nous soyons guidés dans notre réflexion, afin de nous éviter toute inhibition face à des développements technologiques dont les enjeux éthiques pourraient faire peur à nous-mêmes mais pas à certains de nos compétiteurs. Il importe de se poser certaines questions, afin d'aborder avec sérénité des recherches technologiques que, à défaut de mener, nous risquons d'être technologiquement déclassés. Ce comité doit nous permettre d'identifier les limites qui ne doivent pas être dépassées et, à l'intérieur de ce cadre, nous aider à définir comment ces innovations sont possibles et utilisables, en ayant toujours pour préoccupation d'assurer la supériorité opérationnelle de nos armées.

Un premier avis sur le soldat augmenté m'a été remis. Cette question n'a rien de neuf ; de nombreuses augmentations sont d'ores et déjà disponibles, tel l'exosquelette. Cet avis distingue entre les évolutions technologiques à caractère invasif et les évolutions technologiques produisant un effet identique sans être invasives – celles que nous devons systématiquement privilégier. L'objectif est de ne pas franchir la barrière humaine, et de préférer, à l'installation d'un implant à l'intérieur du corps d'un soldat, sa dotation en équipements mobiles amovibles, tels que des jumelles de vision nocturne ou un appareil auditif permettant de déceler des ondes indétectables à l'oreille. De tels équipements sont accessibles et ne portent pas atteinte à l'intégrité corporelle et psychique du soldat, qui ne sera pas soldat toute sa vie, et doit donc pouvoir revenir à la vie civile intègre. L'innovation administrative que constitue ce comité d'éthique est très utile, car elle nous permet d'aborder avec sérénité des évolutions technologiques qui peuvent apparaître inquiétantes.

Enfin, je suis désolée de constater que M. Corbière considérait, dans un communiqué mis en ligne avant même le début de cette audition, que je ne serais pas en mesure de répondre précisément aux questions que l'on me poserait. Je me suis efforcée d'y répondre le plus complètement possible, en admettant tout à fait ne pas pouvoir répondre à toutes les questions – qui détient toutes les réponses ? J'ai tenté de vous informer des échéances à venir, s'agissant notamment de notre engagement au Sahel. Je ne prétends pas avoir livré toutes les réponses à vos interrogations ; certaines méritent d'être discutées, au premier chef avec nos partenaires sahéliens. Tel sera l'objet du sommet de N'Djamena.

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