Monsieur le secrétaire d'État, je suis moi aussi ravie de vous accueillir pour cette audition conjointe. C'est la première fois que la commission de la défense a le plaisir de dialoguer avec vous, et plus précisément de vous entendre sur les conséquences de la sortie britannique de l'Union européenne en matière de défense.
Dans les années cinquante, l'Europe a incarné un rêve de paix, d'unification interne et non une ambition de puissance, alors l'apanage des nationalismes belliqueux du XXe siècle. Elle a même repoussé explicitement – la France y a pris sa part – l'idée d'une communauté européenne de défense.
Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi. Comme le soulignait Pascal Lamy, président du Forum de Paris sur la paix, le refus européen de la logique de puissance semble une négligence surannée quand nous le mesurons à l'aune de l'affrontement sino-américain et de la brutalisation plus intense de notre monde. Nous devons changer de paradigme, car l'Europe est désormais condamnée à la puissance.
Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République, dont vous étiez le conseiller spécial Europe, les Européens ont commencé à faire converger les analyses de leur environnement géopolitique. Ils devraient se doter, à l'horizon du premier semestre 2022, sous la présidence française de l'Union européenne, d'une boussole stratégique, afin de faire le point sur les enjeux de la sécurité européenne et de ses liens avec une souveraineté beaucoup plus affirmée.
Bien évidemment, la coopération franco-allemande est traditionnellement considérée comme le moteur d'une Europe plus solidaire et souveraine, comme en témoigne le Traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes, conclu à Aix-la-Chapelle en janvier 2019. Cependant, notre lien avec les Britanniques en matière de défense a toujours été très étroit, comme en témoignent les accords de Lancaster House, dont nous avons fêté le dixième anniversaire, et au bilan desquels nos collègues Jacques Marilossian et Charles de la Verpillière ont consacré un brillant rapport en novembre. Ces accords sont la concrétisation d'une coopération unique en son genre entre les deux puissances militaires européennes, dans les domaines cruciaux du capacitaire et de la dissuasion nucléaire.
Les interrogations suscitées par le Brexit en matière de défense sont nombreuses. La France et le Royaume-Uni représentaient à eux seuls 60 % des dépenses européennes de défense et 80 % des dépenses de recherche et développement qui y sont consacrées. Ces deux pays possèdent tous deux la capacité et la volonté de mener des opérations militaires, y compris de combat, là où leurs intérêts l'exigent, là où la présence de l'Europe est attendue, souhaitée et soutenue. Enfin, leurs bases industrielles et technologiques de défense (BITD) comptent parmi les premières au monde.
Au niveau opérationnel, les états-majors s'interrogent sur le risque de dilution de la relation franco-britannique, compte tenu de la démarche de diversification des partenariats impliquée par la politique dite du Global Britain. Dans le domaine industriel, les inquiétudes portent davantage sur les modalités de la participation du Royaume-Uni au projet capacitaire européen, souhaité dans certains cas et redouté dans d'autres. D'aucuns craignent enfin que le Royaume-Uni ne se focalise sur ses nouvelles priorités, la réponse aux menaces « sous le seuil de la guerre », qu'il considère comme émergentes – les Sunrise capabilities – au détriment des menaces du haut du spectre.
À plus long terme, certains se demandent si les accords de Lancaster House ne pourraient pas devenir une coquille vide capacitaire, au cas où le Royaume-Uni deviendrait un État tiers comme un autre ; ils s'interrogent sur la capacité de l'Allemagne à remplacer le Royaume-Uni comme un partenaire réellement engagé dans l'Europe de la défense, prêt à combattre à nos côtés.
Monsieur le secrétaire d'État, nous souhaitons connaître votre analyse des conséquences du Brexit, tant sur les relations franco-britanniques en matière de défense que sur le projet d'Europe de la défense, ainsi que sur les liens de l'Europe avec les États-Unis.
Avant de vous laisser la parole, je voudrais aborder un dernier point d'actualité, eu égard aux récentes conclusions de l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne sur l'application aux militaires de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Il ne s'agit pas de l'enjeu principal de notre débat de ce soir, mais cette question est cruciale pour nos armées. Je saisis donc l'opportunité que constitue cette audition pour vous interroger sur l'applicabilité de cette directive et la position du Gouvernement français.