Madame la ministre, merci d'être fidèle à ces rendez-vous précieux avec la commission, qui scandent le rythme de nos travaux. Ce créneau, un vendredi matin, est inhabituel, mais j'ai souhaité que la commission puisse vous entendre sans tarder après la publication, le 21 janvier dernier, de l'actualisation de la Revue stratégique.
Cela était d'autant plus important à mes yeux que la Revue stratégique initiale de 2017 sous-tend l'ensemble de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 et que son actualisation était un préalable nécessaire à celle de la programmation qui doit avoir lieu, selon son article 7, avant la fin de l'année 2021. Notre échange sera donc principalement consacré à cette actualisation et à ses conséquences.
Comme vous l'avez déclaré lors de vos vœux aux armées, le Président de la République vous a demandé de faire avec la représentation nationale un point d'étape approfondi sur l'évolution du contexte stratégique, les adaptations capacitaires décidées et la mise en œuvre de la LPM.
Nous avons trouvé dans cette « Actualisation 2021 » beaucoup de proximité avec les travaux que nous avons nous-mêmes initiés au premier semestre 2020 sur l'évolution de la conflictualité dans le monde, qui ont donné lieu à un volumineux rapport publié en juillet. Nous avons hâte de vous entendre sur les lignes de force que vous retenez pour les comparer aux nôtres.
Pour ma part, je retiens des évolutions du monde le recours désinhibé aux logiques de puissances, aux portes même de l'Europe, l'affaiblissement du multilatéralisme qui persistera malgré la défaite électorale de Donald Trump, le triangle stratégique Chine-Russie-États-Unis où la place de l'Europe reste à trouver, l'extension du domaine des conflictualités et la crise sanitaire perçue par des États comme une opportunité stratégique.
Au-delà de votre description de l'état du monde, nous sommes intéressés par les conclusions auxquelles elle vous amène et aux incidences que cette appréciation de situation pourrait avoir sur l'exécution de la LPM.
Nous pouvons d'ores et déjà nous réjouir de la remarquable exécution des deux premières années de la loi de programmation et du vote d'une troisième annuité, celle de 2021, conforme à la trajectoire programmée.
Toutefois, l'accélération de la plupart des tendances identifiées en 2017 conjuguées avec l'apparition de ruptures ne remettent-elles pas en cause certains équilibres de la LPM ?
Les ambitions et les priorités de la loi de programmation, dont la pertinence n'est pas remise en cause par l'actualisation de la revue stratégique, sont-elles cependant à la hauteur des récentes évolutions que vous soulignez ?
Comment la LPM peut-elle prendre en compte les premières conclusions que vous avez évoquées lors de vos vœux aux armées, c'est-à-dire, la nécessité de muscler nos capacités défensives et offensives dans le champ du cyber et du numérique, l'accentuation de l'effort porté contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) et la lutte anti-drones, le renforcement de la préparation opérationnelle des forces pour mieux couvrir l'ensemble du spectre des menaces, y compris dans la perspective de conflits de plus haute intensité ? Comment ces accélérations pourront-elles être financées ?
Au-delà des conséquences immédiates, nous serions intéressés de connaître la façon dont vous anticipez l'articulation entre la présente LPM et celle qui suivra au travers de la réaffirmation de « l'ambition 2030 ».
Par conséquent, face à une commission que vous devinez impatiente, vous pourriez évoquer la façon dont le Gouvernement souhaite organiser l'actualisation de la LPM prévue par l'article 7 de la loi. Nous avons de notre côté des idées pour faire de cet exercice un sujet important du débat public, alors que les conflictualités annoncées nécessitent une Nation soudée, consciente des efforts qu'il lui faut accomplir pour préserver ses libertés.
Alors que le sommet de N'Djamena vient de s'achever, vous pourriez aussi revenir sur le bilan établi à cette occasion ainsi que sur les principales orientations qui ont été retenues pour les prochains mois au service de notre sécurité, de la stabilité et du développement des pays du Sahel.
Enfin, la coopération capacitaire franco-allemande a retenu notre attention. Je veux vous assurer que les membres de la commission sont particulièrement attentifs à l'évolution des projets du système de combat aérien du futur (SCAF), du MGCS ( main ground combat system pour système de combat terrestre principal) et du Tigre standard 3, et qu'ils verraient avec beaucoup d'inquiétude le refus allemand de poursuivre la voie tracée depuis 2017. Ce recul allemand, s'il devait se concrétiser, serait une mauvaise nouvelle pour l'Europe entière et son avenir.
Au bénéfice de ces observations, Madame la ministre, je vous cède la parole.